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Le sapin avait fière allure dans un coin du salon. En fait, il occupait un espace considérable et semblait<br />
un peu nu. André avait débouché une bouteille pour fêter la soirée. Il leva son verre, en déclarant :<br />
— À Noël, ma petite Hortense. À votre santé ! Et<br />
au sapin ! Que nous habillerons un peu plus riche<br />
ment <strong>de</strong>main, je passerai aux Gran<strong>de</strong>s Galeries et<br />
j'achèterai un complément <strong>de</strong> décorations. Et un<br />
cimier aussi. II manque quelque chose là-haut !<br />
Hortense était en train <strong>de</strong> boire, elle s'arrêta brusquement, renversa dans sa précipitation quelques<br />
gouttes <strong>de</strong> son vin.<br />
— Mais j'en ai un ! lança-t-elle, étourdiment.<br />
— Ah ! Bon ? Où ça ? <strong>de</strong>manda André en scrutant le fond du carton vi<strong>de</strong>.<br />
Elle fonça en direction <strong>de</strong> sa chambre, revint, triomphante :<br />
— Voilà !<br />
André regarda l'objet, la regarda. Et tout <strong>de</strong> suite, elle cessa <strong>de</strong> sourire et <strong>de</strong>vint très rouge.<br />
— Où était-il ? <strong>de</strong>manda André, mais ses yeux<br />
intelligents avaient déjà compris.<br />
Hortense n'avait jamais su mentir. D'ailleurs elle n'essaya même pas.<br />
— Dans ma table <strong>de</strong> nuit, balbutia-t-elle.<br />
Puis elle se lança dans un monologue échevelé qu'expliquait sans doute le vin, mais aussi les restes<br />
tenaces d'une détresse qui avait confiné à la neurasthénie.<br />
— C'est vous... Vous m'aviez dit... encouragée à... me réconcilier avec mon corps, à apprivoiser mes<br />
blessures. Là, je répète vos mots, hein, je vous cite. Vous m'avez même donné une glace, une jolie glace<br />
toute bordée <strong>de</strong> perles, une glace aussi fine pour un spectacle pareil ! Déjà que je ne me regardais jamais<br />
avant. Jamais là. Aucune idée <strong>de</strong> comment j'étais faite. Alors maintenant ! Vous imaginez ce qu'il m'a fallu<br />
<strong>de</strong> courage ? C'était pour vous obéir, j'ai fait comme vous m'aviez conseillé. C'est vous le docteur. J'ai<br />
mis la glace au fond du bi<strong>de</strong>t. Mon Dieu ! Après j'ai ouvert vos bouquins, vos planches anato-miques,<br />
pour comparer. Et j'ai compris. Une femme, c'est une porte. Une femme normale quoi. Une porte entre la<br />
vie et non pas la mort, mais la non-vie, la non-existence... Je sais que ça peut paraître embrouillé, mais<br />
c'est comme ça que je le sens. Une porte protégée, avec ses ri<strong>de</strong>aux, les petits, les grands, et surtout le<br />
sésame, le truc qui ouvre tout, qui déverrouille. Vous voyez ce que je veux dire ? Moi, j'ai été<br />
cambriolée, forcée, défoncée, dévastée, j ' ai vu le résultat, je ne suis qu'un trou. Pas une porte. Pas un<br />
lieu magique, un passage secret, un couloir mystérieux, dérobé, avec sa belle petite clef brillante, enfin,