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soins.<br />
Il entre dans la chambre sur ses semelles bruissantes <strong>de</strong> leur emballage nylon. Geneviève est renversée<br />
sur l'oreiller, paupières closes. Elle respire fort. Elle est branchée par un tuyau <strong>de</strong> plus que d'habitu<strong>de</strong> qui<br />
immobilise son bras ordinairement libre. Il s'approche, reste à la regar<strong>de</strong>r plusieurs minutes. Du fond <strong>de</strong><br />
son absence, sans ouvrir les yeux, elle articule péniblement :<br />
— J'ai cru que tu ne viendrais pas...<br />
Elle a donc conscience <strong>de</strong> son retard ? Elle l'attendait, elle a instinctivement trouvé l'attente plus longue<br />
qu'à l'ordinaire, c'est une bonne nouvelle pour Lucien, qui la croyait déconnectée <strong>de</strong>s repères<br />
chronologiques. Il prend sa main :<br />
— Je suis venu plus tard pour rester plus long<br />
temps ce soir. Parce que, ce soir, c'est Noël !<br />
La main maigre et sèche n'a pas frémi dans la sienne. Geneviève ne semble pas avoir entendu ou<br />
compris la réponse <strong>de</strong> Lucien. Peut-être s'est-elle rendormie. Peut-être ne sait-elle plus ce qu'est Noël ?<br />
Au bout d'un long moment cependant, les lèvres <strong>de</strong> Geneviève remuent. Lucien colle son oreille au plus<br />
près <strong>de</strong> la source imperceptible du message. Elle l'a senti s'approcher, elle répète sa petite protestation<br />
incrédule :<br />
— Noël!... Ici?<br />
Il lui parle tout bas, tout près, comme si ses mots étaient <strong>de</strong> menus baisers éclatant doucement sur la<br />
joue, sous les cheveux clairsemés, dans le cou <strong>de</strong> sa femme :<br />
— Il n'y a pas d'endroit pour Noël ! C'est partout<br />
où on veut, tu sais. Gar<strong>de</strong> les yeux fermés, je t'ai<br />
apporté quelque chose. Tu vas voir, ce sera vraiment<br />
Noël!<br />
Il coulisse un regard furtif vers les gran<strong>de</strong>s vitres <strong>de</strong>rrière lesquelles passent trop souvent <strong>de</strong>s<br />
silhouettes blanches. Difficile d'avoir un peu d'intimité, dans ce bocal. Le bala<strong>de</strong>ur est bien là, tapi dans<br />
sa poche. Il l'a passé en frau<strong>de</strong>, il n'a pas le droit d'introduire le moindre objet dans la bulle septique,<br />
même son portefeuille on le lui fait laisser. Pire que s'il visitait une prisonnière. D'ailleurs, c'est ça,<br />
Geneviève est prisonnière. Ce soir, gran<strong>de</strong> tentative d'évasion !<br />
Il se place <strong>de</strong> façon que son corps <strong>of</strong>fre le maximum <strong>de</strong> rempart à la vue extérieure, déplie délicatement<br />
le cordon du premier écouteur, en fixe le petit dispositif dans l'oreille <strong>de</strong> Geneviève, se munit lui-même<br />
du second. Les voilà branchés sur la même longueur d'on<strong>de</strong>, il actionne la touche play. Un tintement <strong>de</strong><br />
clochettes éclate dans sa tête, joyeux, d'abord sur l'air <strong>de</strong> Vive le vent. Puis les voix jazzy <strong>de</strong> Sonny Kaye<br />
et son orchestre prennent la relève : Rudolph the red nosed rein<strong>de</strong>er had a very shiny nose..., elles<br />
remplacées par une clarinette allègre, <strong>de</strong>s trompettes frivoles. Geneviève fronce les sourcils.<br />
— C'est trop fort, ma chérie ?<br />
Elle ne répond pas, mais ses doigts s'agitent dans la main <strong>de</strong> Lucien, d'abord insensiblement, puis plus