29.06.2013 Views

Contes erotiques de - Index of

Contes erotiques de - Index of

Contes erotiques de - Index of

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

chaussons <strong>de</strong> nylon aseptisé !... Ah ! Il faut du courage, il faut <strong>de</strong> l'opiniâtreté pour prétendre se<br />

sauvegar<strong>de</strong>r, malgré le protocole imbécile, une apparence <strong>de</strong> mari coquet et robuste ! Et puisqu'il n'y a<br />

plus d'espoir, pourquoi toutes ces contraintes, ces précautions ? À quoi bon gâcher les <strong>de</strong>rniers moments,<br />

les empeser, les dénaturer, les marquer d'un sceau absur<strong>de</strong> et laid, à quoi bon faire semblant <strong>de</strong> penser<br />

qu'il pourrait la contaminer, la rendre plus mala<strong>de</strong>, plus faible encore ? Elle n'a droit ni aux fleurs ni aux<br />

menus ca<strong>de</strong>aux dont il voudrait l'entourer, la pièce stérile où elle agonise est un frigo blanc, un purgatoire<br />

sans âme ni vie, une antichambre glaciale qu'on abor<strong>de</strong> en fantôme, ayant laissé, sur ordre strict <strong>de</strong><br />

l'équipe médicale, son apparence humaine au vestiaire, comme si, déjà, on touchait, par contagion, l'autre<br />

rive, comme si on allait faire une petite virée à la frontière <strong>de</strong> l'au-<strong>de</strong>là... Il y a dans le cœur <strong>de</strong> Lucien<br />

une rage terne et accablée, une colère<br />

muette, proche <strong>de</strong> la haine. Les mé<strong>de</strong>cins sont <strong>de</strong>s gourous impitoyables qui le condamnent à l'inutilité.<br />

Rien ne lui pèse autant que d'arriver auprès <strong>de</strong> son amour martyrisé les mains vi<strong>de</strong>s, et travesti en<br />

labo-rantin grotesque. S'il pouvait acheter un magazine, <strong>de</strong>s fruits, <strong>de</strong>s chocolats, une belle chemise <strong>de</strong><br />

nuit, la quête en occuperait le reste <strong>de</strong> sa matinée et mobiliserait ses pensées vers <strong>de</strong> pauvres semblants<br />

d e buts. Mais Geneviève ne lit plus, ne mange presque plus, d'ailleurs elle n'a droit qu'aux objets<br />

stérilisés <strong>de</strong> l'hôpital, à la chemise sans grâce, ouverte dans le dos, qu'on passe aux opérés. Même les<br />

photos <strong>de</strong> leur petit-fils Guillaume, <strong>de</strong> leur petite-fille A<strong>de</strong>line, il n'a pas pu les introduire dans la bulle<br />

hermétique où Geneviève s'étiole, elles étaient susceptibles <strong>de</strong> transporter <strong>de</strong>s microbes, et impropres à<br />

la stérilisation...<br />

La sonnerie du téléphone l'arrache à ses pensées.<br />

— Allô, Papa? Tu vas à l'hôpital, bien sûr, aujourd'hui ? Ne rentre pas trop tard, hein, tu sais qu'on<br />

t'attend !... Mais... Parce que c'est Noël ! Tu viens manger avec nous, ce soir ! Tu ne t'en souvenais<br />

plus?...<br />

Non, parole, il avait complètement oublié ! Noël ! Ça alors ! Depuis que Geneviève est entrée dans ce<br />

service <strong>de</strong> soins intensifs, il a complètement perdu la notion du temps. Il n'a pas vu passer les jours, la<br />

saison. Son horloge personnelle se limite à quelques points <strong>de</strong> repère monotones et moroses. Le matin,<br />

c'est la pénible mise en route, les retrouvailles avec l'obsédant souci du martyre sans fin <strong>de</strong> son amour. La<br />

toilette longue et soignée. Le déjeuner écœurant mais indispensable. Puis le trajet en voiture jusqu'à<br />

l'hôpital. Le rituel <strong>de</strong> désinfection, <strong>de</strong> protection... Après il passe <strong>de</strong> longues heures près <strong>de</strong> Geneviève, à<br />

la regar<strong>de</strong>r sombrer dans <strong>de</strong>s sommeils qui ressemblent à <strong>de</strong>s abandons, à <strong>de</strong>s bou<strong>de</strong>ries, à <strong>de</strong>s pannes, à<br />

<strong>de</strong>s noya<strong>de</strong>s, jamais à du repos. D lui tient la main. Il lui murmure <strong>de</strong>s mots tendres. Parfois, elle hoche un<br />

peu la tête, il a même droit à un regard ou <strong>de</strong>ux un peu moins vi<strong>de</strong>s quand ça ne va pas trop mal. On le<br />

chasse plusieurs fois dans l'après-midi, pour <strong>de</strong>s soins. Il en pr<strong>of</strong>ite pour aller pisser. Quand il revient, il<br />

repasse le filtre à microbes, observe la pause dans le sas, enfile une nouvelle blouse, une nouvelle<br />

charlotte, <strong>de</strong> nouveaux chaussons. Au début, les infirmières voyaient d'un sale œil qu'il s'attar<strong>de</strong> autant,<br />

qu'il revienne auprès <strong>de</strong> la mala<strong>de</strong> après chaque soin, qu'il utilise du matériel frais trois ou quatre fois<br />

dans la journée. Mais il a tenu bon... On n'allait pas lui rogner les <strong>de</strong>rniers moments à écouter respirer<br />

Geneviève, à chercher ses yeux et un peu <strong>de</strong> lumière au fond <strong>de</strong> son regard déjà enfui... Quand vient le<br />

soir, il s'arrache à la gisante avec le tragique et contradictoire espoir <strong>de</strong> la revoir le len<strong>de</strong>main, et <strong>de</strong> ne<br />

plus la revoir. Il rentre plombé par sa terrible et vaine faction. Il ne dîne pas. Il se bourre d'anxiolytiques,<br />

<strong>de</strong> somnifères. Mais il laisse les <strong>de</strong>ux téléphones, le fixe sans fil et le portable, près <strong>de</strong> lui, sur la table <strong>de</strong>

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!