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DOSSIER PEDAGOGIQUE - Le Grand Bleu

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séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de<br />

lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone<br />

cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait,<br />

au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or,<br />

en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait.<br />

-<strong>Le</strong>vez-vous, dit le professeur.<br />

Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.<br />

Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d’un coup de<br />

coude, il la ramassa encore une fois.<br />

--Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un<br />

homme d’esprit.<br />

Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon,<br />

si bien qu’il ne savait s’il fallait garder sa casquette à la main, la laisser<br />

par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux.<br />

-- <strong>Le</strong>vez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.<br />

<strong>Le</strong> nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom inintelligible.<br />

--Répétez !<br />

<strong>Le</strong> même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les<br />

huées de la classe.<br />

--Plus haut ! cria le maître, plus haut !<br />

<strong>Le</strong> nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche<br />

démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu’un,<br />

ce mot : Charbovari.<br />

Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta en crescendo, avec<br />

des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait<br />

: Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isolées, se calmant<br />

à grand-peine, et parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d’un<br />

banc où saillissait encore çà et là, comme un pétard mal éteint, quelque<br />

rire étouffé. »<br />

Flaubert aussi exprime les railleries de l’enfance dans les Mémoires<br />

d’un fou (1839) :<br />

« Je fus au collège dès l’âge de dix ans et j’y contractai de bonne heure<br />

une profonde aversion pour les hommes, - cette société d’enfants est aussi<br />

cruelle pour ses victimes que l’autre petite société - celle des hommes.<br />

Même injustice de la foule, même tyrannie des préjugés et de la force,<br />

même égoïsme quoi qu’on ait dit sur le désintéressement et la fidélité<br />

de la jeunesse. Jeunesse - âge de folie et de rêves, de poésie et<br />

de bêtise, synonymes dans la bouche des gens qui jugent le monde<br />

sainement. J’y fus froissé dans tous mes goûts - dans la classe pour<br />

mes idées, aux récréations pour mes penchants de sauvagerie solitaire.<br />

Dès lors, j’étais un fou. J’y vécus donc seul et ennuyé, tracassé<br />

par mes maîtres et raillé par mes camarades. J’avais l’humeur railleuse<br />

et indépendante, et ma mordante et cynique ironie n’épargnait<br />

pas plus le caprice d’un seul que le despotisme de tous.<br />

Je me vois encore assis sur les bancs de la classe, absorbé dans<br />

mes rêves d’avenir, pensant à ce que l’imagination d’un enfant peut<br />

rêver de plus sublime, tandis que le pédagogue se moquait de mes<br />

vers latins, que mes camarades me regardaient en ricanant. <strong>Le</strong>s imbéciles,<br />

eux, rire de moi ! Eux, si faibles, si communs, au cerveau si<br />

étroit - moi, dont l’esprit se noyait sur les limites de la création, qui étais<br />

perdu dans tous les mondes de la poésie, qui me sentais plus grand<br />

qu’eux tous, qui recevais des jouissances infinies et qui avais des extases<br />

célestes devant toutes les révélations intimes de mon âme. »<br />

Dans La Cicatrice de Bruce Lowery (1960), Jeff est un<br />

souffre-douleur à l’école; à 13 ans, il est appelé « grosse lèvre » et<br />

n’arrive pas à s’intégrer :<br />

« Maman me l’avait pourtant bien dit : « Jeff, tu peux nous confier les<br />

problèmes que tu rencontres à l’école. Nous t’écouterons, ton père et<br />

moi. Nous sommes là pour ça.»<br />

Malgré tout, je n’ai rien dit. Chaque fois que mon cas s’est aggravé, j’ai continué<br />

de garder le silence. À un moment, ça a été trop tard pour revenir en arrière …<br />

Tout a commencé parce que j’ai un vilain visage : un bec de lièvre qu’à la<br />

maison on appelle pudiquement « ma cicatrice ». Ma mère en est si malheureuse…<br />

Je suis moche mais, malgré ça, tout le monde m’aimait chez<br />

nous, même Bubby, mon petit frère, qui se fichait bien de ma cicatrice.<br />

À l’école, à cause de cette cicatrice, les autres se moquaient de moi, et<br />

même me faisaient subir toutes sortes d’avanies, de méchancetés et de<br />

menaces. Toujours, les plus forts se liguaient contre les plus faibles : je<br />

les ai vu cogner un gars parce pour la seule raison qu’il était malingre ;<br />

ou encore, ils ne voulaient jamais jouer avec moi. »<br />

Dans le dernier film de Michel Gondry, The we and the I(2012),<br />

les boucs émissaires sont nombreux et ne cessent d’être torturés par<br />

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