La Gazette nº 7 - Middlebury College
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(suite de la page 7)<br />
leurs et les mêmes aspirations profondes.<br />
Ainsi, tout pays souhaitant<br />
adhérer à l’Europe doit vivre en<br />
démocratie, respecter les droits de<br />
l’homme et ne pas appliquer la peine<br />
de mort, veiller à l’égalité entre les<br />
femmes et les hommes, adhérer aux<br />
conventions internationales majeures<br />
et estimer que la liberté religieuse est<br />
un principe fondamental. Ce sont des<br />
valeurs qui permettent aux individus,<br />
mais aussi aux nations, de vivre en<br />
paix. Nous les avons choisies ensemble,<br />
nous y adhérons profondément. Il<br />
n’est pas impensable que ces valeurs<br />
s’universalisent petit à petit…<br />
Ce n’est en tout cas pas un hasard si<br />
la France et l’Allemagne ont été les<br />
premiers pays, dans leur processus de<br />
pacification, à les avoir partagées. <strong>La</strong><br />
coopération bilatérale entre les deux<br />
pays a débuté en 19 8, sous la présidence<br />
française de Charles de Gaulle<br />
et alors que Konrad Adenauer était<br />
chancelier de la République fédérale<br />
allemande. Le lien de confiance et de<br />
respect entre ces deux hommes a joué<br />
un rôle décisif dans la formation de<br />
l’amitié franco-allemande : le Traité<br />
de l’Élysée, signé en 1963, a officialisé<br />
la réconciliation et le rapprochement<br />
entre nos deux peuples. Aujourd’hui,<br />
alors que l’idée même d’une guerre<br />
entre ces deux pays – modernes Atrides<br />
– est devenue une incongruité,<br />
il nous arrive souvent de parler du<br />
«moteur franco-allemand». Et pour<br />
cause : les Conseils des ministres<br />
franco-allemands, qui se réunissent<br />
désormais deux fois par an, donnent<br />
une impulsion au plus haut niveau à<br />
cette coopération bilatérale au sein<br />
de l’Europe. Ce partenariat privilégié<br />
permet de tester à petite échelle<br />
ce que la Communauté européenne<br />
pourra ensuite proposer à ses vingtcinq<br />
États membres.<br />
<strong>La</strong> France et l’Allemagne partagent<br />
plus que des valeurs : elles partagent<br />
une histoire. Lorsque j’étais en charge<br />
des relations internationales au cabinet<br />
du ministre de l’Éducation na-<br />
tionale, de l’Enseignement supérieur<br />
et de la Recherche, j’ai eu l’occasion<br />
de préparer trois Conseils des ministres<br />
franco-allemands qui, pour ce<br />
qui concerne l’éducation secondaire,<br />
avaient pour priorité l’édition d’un<br />
manuel d’histoire franco-allemand.<br />
Et non franco-allemande, la nuance<br />
est importante : il ne s’agissait pas en<br />
effet d’écrire une histoire franco-allemande,<br />
mais bien de présenter une<br />
vision commune d’une histoire commune.<br />
Lorsque ce manuel m’a été<br />
présenté, j’ai évidemment pensé à<br />
cette photographie inoubliable, prise<br />
à Verdun en septembre 1984, sur<br />
laquelle on voit le Président François<br />
Mitterrand et le Chancelier Helmut<br />
Kohl se tenir solennellement et amicalement<br />
par la main, incarnant pour<br />
ainsi dire presque physiquement le<br />
lien qui, désormais, unit deux pays<br />
frères. Cette image, qui est devenue<br />
un symbole de la réconciliation, et ce<br />
manuel d’histoire, transmettent cette<br />
aspiration fondamentale de «paix<br />
perpétuelle », que partagent toutes les<br />
nations de l’Union européenne.<br />
Au sein de cette Europe multiple, tous<br />
nos pays n’ont pas la même histoire,<br />
mais tous partagent les mêmes valeurs.<br />
Ce qui, me semble-t-il, est plus<br />
essentiel encore que de partager des<br />
traditions. Lorsque la question de<br />
l’adhésion de la Turquie à l’Union s’est<br />
posée, celle des frontières de l’Europe<br />
a aussitôt surgi, d’aucuns soutenant<br />
que la Turquie, faute de faire partie<br />
de l’Europe géographique, ne pouvait<br />
faire partie de son organisation<br />
politique. <strong>La</strong> division de la surface<br />
terrestre en continents est communément<br />
admise : mais où se situent précisément<br />
les limites de l’Europe ? À<br />
l’Ouest, la Grande-Bretagne, l’Irlande,<br />
l’Islande sont-elles géographiquement<br />
européennes ? Au Sud, que dire de<br />
Malte et de Chypre ? Quant au bloc<br />
eurasien, est-il européen ou oriental ?<br />
Bref, les frontières sont-elles naturelles<br />
(c’est-à-dire intangibles), ou au moins<br />
en partie culturelles (et donc, comme<br />
telles, susceptibles d’évolutions) ?<br />
En d’autres termes, qu’est-ce que<br />
l’Europe ? Des pays qui occupent<br />
géographiquement le continent européen,<br />
ou une fédération de nations<br />
qui partagent le même mode de vie,<br />
les mêmes traditions et les mêmes aspirations<br />
? Je crois pour ma part que<br />
l’Europe est, en effet, une fédération<br />
de nations qui aspirent à un futur<br />
apaisé, en démocratie, où les droits<br />
de tous les citoyens seront respectés.<br />
Si l’on accepte ces prémisses, qu’estce<br />
qui s’oppose alors à ce que l’Union<br />
de l’Europe déborde des frontières de<br />
son territoire ? <strong>La</strong> Turquie la rejoindra<br />
sans doute, l’Ukraine et d’autres États<br />
de la Fédération de Russie peut-être.<br />
Et pourquoi pas, un jour, le Canada à<br />
l’Ouest et le Maghreb au Sud ? Pourquoi<br />
pas Israël ? Nous serons alors bien<br />
en peine de délimiter les contours de<br />
l’Europe, car l’Europe grossira d’ellemême,<br />
à cause du désir qu’elle saura<br />
faire naître, accueillant en son sein<br />
ceux qui veulent adhérer aux valeurs<br />
et à la citoyenneté européennes. Car,<br />
«Consciente de son patrimoine spirituel<br />
et moral, l’Union se fonde sur les<br />
valeurs indivisibles et universelles de<br />
dignité humaine, de liberté, d’égalité<br />
et de solidarité ; elle repose sur le<br />
principe de la démocratie et le principe<br />
de l’État de droit. (Préambule de la<br />
Constitution). Elle se caractérise par<br />
«le pluralisme, la non-discrimination,<br />
la tolérance, la solidarité et l’égalité<br />
entre les femmes et les hommes»<br />
(art. I-2). «Liberté, égalité, solidarité»<br />
pourrait un jour devenir la devise de<br />
l’Europe…<br />
Et pour ceux qui ont peur de voir plus<br />
de 70 millions de citoyens turcs, en très<br />
grande majorité musulmans, nous rejoindre,<br />
rappelons que la Constitution<br />
dont l’Union veut se doter et se dotera<br />
nécessairement reconnaît l’héritage<br />
religieux, mais est d’abord fondée sur<br />
le principe de laïcité. Je crois qu’à long<br />
terme, seul ce concept, qui garantit la<br />
liberté de croire (ou de ne pas croire)<br />
et reconnaît la libre pratique des religions,<br />
peut apaiser les conflits reli<br />
(suite à la page 19)<br />
treize<br />
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