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La Gazette nº 7 - Middlebury College

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C’était une belle journée de printemps:<br />

le 29 mai 200 aurait pu devenir une<br />

de ces dates qui marquent profondément<br />

l’histoire d’un peuple. Mais ce<br />

jour-là, rien ne s’est passé comme<br />

prévu : les Français ont refusé, à près<br />

de %, d’adopter une Constitution<br />

(plus exactement et modestement,<br />

en réalité, un traité constitutionnel)<br />

pour l’Europe. Pourtant l’Allemagne,<br />

la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, Malte<br />

et la Slovaquie avaient déjà ratifié le<br />

traité, par voie parlementaire. Les Espagnols,<br />

consultés par référendum,<br />

avaient approuvé le texte à une très<br />

forte majorité (plus de 7 %).<br />

Que s’est-il donc passé en France,<br />

dans ce pays qui a si puissamment<br />

contribué à la construction européenne?<br />

Pourquoi les Français ont-ils voté<br />

contre la ratification du traité constitutionnel<br />

européen, donnant ainsi un<br />

coup d’arrêt, au moins pour un temps,<br />

à un processus voulu par l’ensemble<br />

des gouvernements de l’Union ?<br />

Certes, l’Europe est avant tout une<br />

fierté : la fierté d’appartenir à un continent<br />

enfin en paix avec lui-même<br />

et avec le reste du monde. Mais c’est<br />

aussi une contrainte. Les Européens<br />

répètent souvent – et ils n’ont pas<br />

tout à fait tort – qu’ils n’ont plus le<br />

droit de pêcher ou de chasser comme<br />

ils le veulent, qu’ils n’ont plus le<br />

droit de cultiver leur terre comme<br />

ils l’entendent. Parce qu’une communauté<br />

de gouvernements, dont le<br />

leur, se sont mis d’accord sur ce que<br />

doit être une bonne utilisation des<br />

ressources naturelles et humaines,<br />

et parce que certaines nations plus<br />

sensibles que d’autres à la détérioration<br />

des matières premières et au respect<br />

de l’environnement ont poussé<br />

l’ensemble du continent à adopter<br />

leurs vues. Ce sont des choix, évidemment<br />

louables sur le long terme, mais<br />

parfois difficiles à vivre pour celles et<br />

ceux dont le travail et plus généralement<br />

la vie se trouvent ainsi profondément<br />

modifiés. Et l’acceptation est<br />

d’autant plus difficile que les inter-<br />

6 six<br />

Pour des « États-Unis d’Europe »<br />

locuteurs européens («les technocrates<br />

de Bruxelles») parlent un langage<br />

souvent abscons, et où l’affectif<br />

– c’est-à-dire, au fond, la dimension<br />

proprement politique – n’a pas droit<br />

de cité.<br />

Car l’Europe, c’est aussi la Commission.<br />

Elle propose et met en œuvre les<br />

politiques communautaires, presque<br />

indépendamment des gouvernements<br />

des États membres. Cela ne se fait<br />

certes pas à leur insu, mais de plus<br />

en plus d’Européens pensent que les<br />

États ne sont pas assez consultés dans<br />

un processus qui modifie peu à peu<br />

les droits sociaux et économiques de<br />

chaque nation de l’Union. Et au fur et<br />

à mesure du processus, un fossé croissant<br />

s’est fait sentir entre les peuples<br />

et ceux qui sont supposés les conduire:<br />

le «non» du 29 mai a constitué<br />

une illustration grandeur nature de ce<br />

décalage.<br />

Cet écart entre l’institution et les peuples<br />

s’est particulièrement fait sentir<br />

au printemps 200 , justement en pleine<br />

campagne référendaire : une directive<br />

européenne fort importante, qui<br />

avait déjà été votée par le Parlement<br />

en 2003 et avait rencontré une forte<br />

opposition, devait être reproposée au<br />

vote. Cette directive, relative aux libertés<br />

d’établissement des prestataires<br />

de service et à la libre circulation des<br />

services dans le marché intérieur,<br />

dite «Directive Bolkestein» (du nom<br />

de l’ancien commissaire européen<br />

au Marché intérieur), a été utilisée,<br />

à la fois par la gauche et par la droite<br />

souverainiste, pour montrer les dangers<br />

réels ou supposés que fait courir<br />

l’Europe aux nations qui la composent.<br />

<strong>La</strong> Directive Bolkestein a cristallisé le<br />

débat sur l’ «Europe libérale», certains<br />

ayant même stigmatisé ce «plombier<br />

polonais» qui viendrait voler l’emploi<br />

d’un Français : le retour à l’avantscène,<br />

pour le moins inopportun, de<br />

ce projet d’inspiration libérale, et son<br />

exploitation politicienne par certains<br />

tenants du non, ont participé à augmenter<br />

la méfiance nationale à l’égard<br />

des institutions européennes.<br />

À cela s’est ajoutée la peur, largement<br />

partagée par nos pays, d’une adhésion<br />

possible de la Turquie à l’Union.<br />

À partir de critères dits «de Copenhague»,<br />

qui permettent d’évaluer<br />

chaque pays candidat, la Commission<br />

avait affirmé en 2004 que le niveau<br />

requis par l’Union en matière de<br />

démocratie était désormais atteint par<br />

la Turquie (Constitution et lois nationales<br />

euro-compatibles, adhésion aux<br />

conventions internationales, réforme<br />

progressiste du code pénal et abolition<br />

de la peine de mort). Or, beaucoup<br />

de citoyens européens étaient<br />

et sont encore réticents à l’adhésion<br />

d’un pays de culte très majoritairement<br />

musulman, où de surcroît, selon<br />

la Commission, «beaucoup reste à<br />

faire» dans la mise en œuvre effective<br />

des droits de la femme, des droits<br />

syndicaux et de la liberté religieuse.<br />

Cette réticence est d’autant plus forte<br />

que l’élargissement tout récent de<br />

l’Union, de quinze à vingt-cinq membres,<br />

n’a pas été économiquement<br />

et socialement très bien vécu – certains<br />

soutenant que l’heure n’est plus<br />

maintenant à l’élargissement, mais<br />

à l’approfondissement. De même, le<br />

passage à la zone «euro», qui date de<br />

1999, est encore l’objet de critiques<br />

virulentes, particulièrement quant à<br />

la baisse ressentie du pouvoir d’achat.<br />

En d’autres termes, les citoyens européens<br />

estiment avoir fait beaucoup<br />

d’efforts d’adaptation ces dernières<br />

années, et avoir peu reçu en retour.

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