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PARTITIONS URBAINES - Artishoc

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LA BANDE-SON DE LA CITÉ<br />

Compendium de toutes les musiques festives, les harmonies et fanfares ont néanmoins<br />

toujours été profondément liées au monde du travail et à l’encadrement des masses<br />

laborieuses exercé par les employeurs. Synonymes de divertissement et de culture pour<br />

l’ouvrier, les sociétés musicales riment, pour l’entreprise, avec paix et cohésion sociales.<br />

Ce n’est pas un hasard si 700 des 3 000 harmonies recensées aujourd’hui en France sont<br />

en activité dans le Nord-Pas-de-Calais, territoire marqué par un lourd passé industriel.<br />

Jusqu’à leur fermeture récente, chaque puits de mine et chaque usine de textile de la<br />

région possédait son harmonie. Entre terrils, chevalements et corons, elles exprimaient<br />

au cœur des cités minières la joie de se réunir autour d’une même passion musicale ;<br />

elles préservent désormais un lien social mis à mal par une reconversion économique<br />

douloureuse. Dans le bassin minier comme partout ailleurs, la musique est une manifestation<br />

du désir d’échapper à la solitude.<br />

Sans pour autant faire l’éloge de l’incompétence, l’art des fanfares ne s’encombre pas<br />

des artifices de la virtuosité individuelle. Musiciens du dimanche aux capacités parfois<br />

limitées, tous accèdent à une forme de réalisation artistique dans une expérience hautement<br />

collective. Forgée en fonction des propriétés perceptives de la rue, qui demeure sa<br />

scène privilégiée, la musique des fanfares mise sur l’effet de groupe. Dans cette perspective,<br />

cacophonie et excès sonores ne sont pas considérés comme des tares, bien au<br />

contraire. Sans dissiper les énergies des uns et des autres dans la routine de répertoires<br />

étriqués, les développements musicaux se limitent néanmoins à quelques motifs simples<br />

pour s’adonner au plaisir de la répétition. Des déflagrations de sons fantasques et<br />

imprévisibles viennent renforcer le caractère catatonique et enfiévré des interprétations.<br />

Seuls les stimuli somatiques semblent importer. Pour évoquer une qualité que John<br />

Lennon attribuait au rock, la musique de fanfare « vous atteint sans passer par le<br />

cerveau ». Pyrotechnie sonore et démesure rythmique contribuent à la puissance cathartique<br />

de l’ensemble. D’une certaine manière, l’art des fanfares consiste à s’exagérer pour<br />

réactiver le substrat dionysiaque de la vie. Le plaisir de jouer ensemble va d’ailleurs de<br />

pair avec celui de boire, de manger, de voyager et de se rassembler en grand nombre dans<br />

l’espace public. Toutes les occasions sont bonnes pour organiser des événements musicaux<br />

qui succombent parfois au gigantisme. Depuis le XIX e siècle, il existe en effet une<br />

tradition de rassemblements orphéoniques aux proportions pharaoniques : l’ouverture de<br />

l’Exposition universelle de 1878 a par exemple réuni 18 000 musiciens dans les jardins<br />

des Tuileries. Des célébrations plus récentes, comme celles qui ont marqué le passage à<br />

l’an 2000, ont donné lieu à des concerts hyperboliques. A Poitier, l’ensemble Ars Nova<br />

dirigé par Philippe Nahon a interprété, avec plusieurs centaines d’instrumentistes d’harmonies<br />

de la région Poitou-Charentes, Accordo ou mille musiciens pour la paix de Luciano<br />

Berio, ainsi qu’une création d’Andy Elmer, Pas de 2000 mesures.<br />

Pleinement intégrées dans la vie de la cité, les harmonies et fanfares ne cessent de<br />

régénérer l’idéal d’une musique faite par tous et pour tous. Au moment où chacun appelle<br />

de ses vœux un décloisonnement entre pratiques amateur et professionnelle, une réorganisation<br />

de l’éducation artistique et de nouvelles formes de participation des publics,<br />

l’art des fanfares mérite un peu plus qu’une bienveillante attention.<br />

Stéphane Malfettes<br />

1. Philippe Gumplowicz, Les Travaux d’Orphée. 150 ans de vie musicale amateur<br />

en France. Harmonies, chorales, fanfares, Aubier, 1987.<br />

Stéphane Malfettes est programmateur à l’Auditorium du Louvre et chargé de la<br />

préfiguration de « la Scène », auditorium du Louvre-Lens (ouverture en 2010). Dans<br />

ce cadre, il organise « En fanfare aux Tuileries ! » (15 et 16 septembre 2007), événement<br />

qui fera dialoguer tradition des fanfares et création artistique, avec notamment<br />

de grandes parades constituées de 300 musiciens issus d’harmonies du bassin minier<br />

(mise en scène d’Oskar Gómez Mata) et des œuvres contemporaines (de Pascal Dusapin,<br />

Marc Monnet, etc.) pour ensembles de cuivres interprétées par l’ensemble Ars Nova.<br />

Auteur de plusieurs articles sur les relations entre création contemporaine et culture<br />

populaire, il a publié en 2000 un essai intitulé Les Mots distordus. Ce que les musiques<br />

actuelles font de la littérature (éditions M. Seteun/IRMA).<br />

LEXIQUE<br />

Orchestre d’harmonie (ou tout simplement<br />

Harmonie) : Ensemble musical le plus complet de la palette<br />

orphéonique, regroupant les instruments dits de « petite<br />

harmonie » de l’orchestre symphonique (flûte, hautbois, basson),<br />

les instruments à anches (clarinette, saxophone), les cuivres clairs<br />

(trompette, cornet à pistons, clairon), les saxhorns (bugle,<br />

alto, baryton, basse) et les percussions (tambour,<br />

caisse claire, cymbales).<br />

Orchestre de fanfare (ou tout simplement<br />

Fanfare) : Groupe de vingt à soixante musiciens dont<br />

les instruments sont des cuivres clairs, des saxhorns et<br />

des percussions, auxquels peuvent s’ajouter quelques bois.<br />

Batterie-Fanfare : Ensemble qui s’en tient à l’héritage<br />

des instruments d’ordonnance et de vénerie : instruments dits<br />

« naturels » (sans piston, clef ou coulisse), comme les clairons,<br />

les trompettes de cavalerie, les cors de chasse et les tambours.<br />

Brass band : Un orchestre est dit brass band lorsqu’il est<br />

composé uniquement d’instruments de la famille des cuivres,<br />

ainsi que de percussions.<br />

Marching band : Tradition américaine de fanfares dont<br />

les prestations sont à la fois musicales et chorégraphiques (sous<br />

forme de parades). Les marching bands se produisent notamment<br />

à l’occasion d’événements sportifs (football américain),<br />

de parades de rue pour les fêtes nationales et les carnavals.<br />

Banda : Orchestre de musique de fête composé de bois,<br />

de cuivres et de percussions. Fanfares bardées de couleurs vives,<br />

parfois accompagnées de danseurs. Tradition originaire<br />

du Sud-Ouest de la France, d’Italie, d’Espagne et du Brésil.<br />

Pascal Comelade et la fanfare Zébaliz au festival Fanfares! de Brest<br />

2006. Photo : D.R.<br />

LA BANDA EUROPA<br />

DE JIM SUTHERLAND<br />

Parmi l’abondante production musicale conçue pour<br />

l’espace public, le projet imaginé par Jim Sutherland se<br />

situe à contre-courant d’une tendance actuelle qui ne jure<br />

que par les dispositifs high-tech avec liaisons satellite et<br />

retransmissions simultanées sur téléphones portables.<br />

Compositeur, producteur et muti-instrumentiste d’origine<br />

écossaise, il est l’auteur d’une partition qui fait jouer<br />

ensemble un effectif de fanfare (cuivres et percussions)<br />

avec des instruments anciens issus de différentes traditions<br />

européennes : vielle à roue, nyckelharpa (instrument<br />

à cordes frottées d’origine scandinave), duduk (flûte à<br />

anche double jouée en Arménie), dulzaina (hautbois traditionnel<br />

espagnol), cornemuses écossaises et galiciennes,<br />

tambours catalans. Baptisé « Banda Europa », cet ensemble<br />

international rétro-futuriste est constitué de 35 instrumentistes<br />

qui font autorité dans leurs domaines respectifs,<br />

comme en témoigne la participation du joueur de<br />

vielle à roue Pascal Lefeuvre. Un premier concert « spatialisé<br />

», Before the Wolf, a été créé en extérieur à Newcastle<br />

Gateshead (Angleterre) les 22 et 23 avril 2007 avec la<br />

participation d’une chorale amateur et d’un ensemble de<br />

tambours écossais. La dimension européenne du projet<br />

artistique est également à l’œuvre au niveau de sa logique<br />

de production dans le cadre d’IN SITU, plate-forme de<br />

soutien à la création d’œuvres à l’échelle européenne<br />

pilotée par Lieux Publics. Loin de toute tentation folkloriste,<br />

Jim Sutherland orchestre des ressources instrumentales<br />

éloignées les unes des autres pour donner<br />

à entendre un patrimoine musical européen émancipé de<br />

tout repère spatio-temporel. A une époque où la quête de<br />

modernité peut s’identifier à une forme de servitude, un<br />

tel recours au passé peut ouvrir de nouvelles perspectives.<br />

S. M.

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