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TÉMOIGNAGE_DANS MA JEUNESSE...<br />

Je me souviens...<br />

JACQUES LAMOUREUX, 77 ANS<br />

L’acceptation<br />

Dorénavant, chaque mois, un <strong>le</strong>cteur ou une <strong>le</strong>ctrice<br />

revisitera pour nous sa jeunesse en relatant un souvenir<br />

particulier. Pour briser la glace de la première fois, Jacques<br />

Lamoureux, 77 ans, se remémore combien l’institution<br />

qu’était l’Église catholique au Québec avait, à<br />

l’époque, une emprise sur nos vies.<br />

En 1952, j’avais dix-huit ans. À cette époque l’Église catholique<br />

contrôlait tous <strong>le</strong>s secteurs de la vie québécoise. L’homosexualité<br />

s’avérait un péché très grave et même <strong>le</strong> mot «homosexualité»<br />

était tabou ; il n’était jamais prononcé.<br />

Depuis ma plus tendre enfance, je me suis toujours senti attiré<br />

par <strong>le</strong>s garçons. Évidemment, je me croyais seul sur la planète, car<br />

je ne trouvais aucune référence nul<strong>le</strong> part. Je n’en parlais à personne,<br />

surtout pas à ma famil<strong>le</strong>. Cet iso<strong>le</strong>ment était pénib<strong>le</strong> à<br />

vivre.<br />

J’ai fait mon cours classique au séminaire dirigé par des curés à<br />

Ste-Thérèse. Chaque élève se devait d’avoir un «directeur spirituel».<br />

J’avais choisi l’abbé Jean-Paul Giroux car c’est lui qui<br />

m’avait fait découvrir <strong>le</strong> monde fabu<strong>le</strong>ux des arts visuels. L’abbé<br />

Giroux a été la première personne à qui j’ai confié mon attirance<br />

pour <strong>le</strong>s garçons. Je n’avais jamais fait l’amour. Il faudra attendre<br />

//////////// 084 FUGUES.COM JANVIER 2011<br />

201092<br />

mon arrivée à Montréal pour que je rattrape <strong>le</strong> temps perdu. Je<br />

racontai à l’abbé que je me masturbais en regardant des revues<br />

de culture physique. Après chaque masturbation, il fallait que<br />

j’ail<strong>le</strong> à confesse pour être capab<strong>le</strong> de recevoir la sainte communion<br />

<strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain. Je trouvais cela ridicu<strong>le</strong> car, au confessionnal, il<br />

fallait «regretter» sa faute et «avoir <strong>le</strong> ferme propos de ne plus<br />

recommencer. Or, je recommençais quotidiennement ! C’est à ce<br />

moment là que j’ai commencé à haïr la religion.<br />

Un jour, l’abbé Giroux me dit : «Je connais quelqu’un qui pourrait<br />

t’aider, c’est un psychanalyste». Mais j’ai rapidement déchanté<br />

quand il m’a dit que c’était un jésuite. Un autre curé! Encore de<br />

la religion ! J’ai refusé d’al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> voir.<br />

Cependant, après avoir réfléchi, j’ai décidé d’al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> consulter une<br />

fois pour lui donner sa chance. La première visite a été très positive.<br />

Cela m’a rassuré et j’y suis donc retourné.<br />

Tous <strong>le</strong>s jeudis, je venais à Montréal voir <strong>le</strong> père Fortin (Coïncidence<br />

: <strong>le</strong> grand amour de ma vie s’appelait aussi Fortin). Il n’y<br />

avait pas de divan, j’étais assis devant lui. C’est moi qui devais<br />

entamer la conversation. Un jour, j’étais gêné de lui raconter un<br />

rêve érotique (je suçais un gars nu appuyé à un arbre) et j’ai attendu<br />

45 minutes avant d’ouvrir la bouche. Il n’avait pas<br />

prononcé un mot et il attendait en fumant. Le père Fortin était extraordinaire<br />

dans sa façon de m’amener à interpréter mes rêves<br />

par moi-même. Au bout de trois ans, j’ai décidé d’arrêter pour<br />

une raison tout à fait extraordinaire : Je m’étais accepté comme<br />

homosexuel. Quel soulagement et quel bonheur !<br />

Dans <strong>le</strong>s années cinquante, cette façon de penser était révolutionnaire<br />

: l’homosexualité était non seu<strong>le</strong>ment un péché épouvantab<strong>le</strong><br />

mais aussi une maladie. En règ<strong>le</strong> généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s ado<strong>le</strong>scents<br />

qui parlaient de cela à un curé se faisait répondre : «Marie-toi, tu<br />

vas voir, ça va passer». Plusieurs garçons l’ont d’ail<strong>le</strong>urs fait.<br />

Déménagé à Montréal après cette psychanalyse bénéfique, j’ai<br />

cessé de pratiquer la religion. Ironie du sort assez étonnante, ce<br />

sont deux prêtres qui ont eu une importance capita<strong>le</strong> dans ma<br />

vie. L’abbé Giroux qui m’a initié aux arts plastiques et <strong>le</strong> père<br />

Fortin qui m’a apporté la paix intérieure grâce à l’acceptation de<br />

ma vraie personne !<br />

6 LES PROPOS DE JACQUES LAMOUREUX ONT ÉTÉ RECUEILLIS<br />

PAR DENIS-DANIEL BOULLÉ

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