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Jean Jacques hatt Mythes et dieux de la Gaule, tome II 1

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Quel peut être le rapport entre c<strong>et</strong> Héraklès <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition hellénique <strong>et</strong> l'Héraklès-Ogmios <strong>de</strong> Lucain 60 : "Les<br />

Celtes en leur <strong>la</strong>ngue indigène appellent Hercule Ogmios".<br />

Leur représentation <strong>de</strong> ce dieu présente un aspect étrange. Pour eux c'est un vieil<strong>la</strong>rd d'un âge très avancé, le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tête dégarni, rigoureusement b<strong>la</strong>nc pour le reste <strong>de</strong>s cheveux, <strong>la</strong> peau ridée <strong>et</strong> brûlée, au point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir toute noire,<br />

comme chez les vieux marins. On pourrait davantage le comparer à Charron, à Jap<strong>et</strong> ou à n'importe quel être <strong>de</strong>s Enfers,<br />

plutôt qu'à Hercule. Pourtant, tel qu'il est, c'est bien l'image d'Hercule. En eff<strong>et</strong> il porte attachée à lui, <strong>la</strong> peau du lion, il<br />

tient <strong>la</strong> massue dans <strong>la</strong> main droite, le carquois est suspendu à son côté, <strong>et</strong> sa main gauche présenta un arc tendu. Tous ces<br />

détails font bien un Hercule. Je pensais qu'en face <strong>de</strong> l'arrogance <strong>de</strong>s <strong>dieux</strong> grecs les Celtes avaient ainsi maltraité <strong>la</strong> forme<br />

d'Héraklès pour se venger <strong>de</strong> lui par <strong>la</strong> caricature, car il avait jadis envahi leur pays en traînant son butin, alors que pour<br />

ramener les troupeaux <strong>de</strong> Géryon il avait traversé <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s nations occi<strong>de</strong>ntales. Toutefois je n'ai pas encore dit mot<br />

du plus grand paradoxe <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te image. En eff<strong>et</strong>, ce vieil<strong>la</strong>rd, Héraklès, tire une gran<strong>de</strong> foule d'hommes qui lui sont tous<br />

attachés par les oreilles. Ces liens consistent en <strong>de</strong> fines chaînes d'or <strong>et</strong> d'ambre, ouvragées, semb<strong>la</strong>bles aux plus beaux <strong>de</strong>s<br />

colliers. Et pourtant, conduits par <strong>de</strong> si faibles gui<strong>de</strong>s, ils ne veulent pas s'enfuir, bien qu'ils le puissent facilement, il ne se<br />

raidissent pas du tout, ils ne se renversent pas en arrière pour contrecarrer <strong>la</strong> marche avec leurs pieds. Ils suivent, l'air réjoui<br />

<strong>et</strong> ra<strong>dieux</strong>, louant tous leur conducteur, se hâtant tous, se <strong>la</strong>issant aller, <strong>de</strong>vançant <strong>la</strong> marche pour relâcher leurs liens,<br />

comme s'ils eussent été navrés d'être déliés.<br />

Pourtant, j'hésite à dire ce qui est le plus étonnant : en eff<strong>et</strong>, le peintre, ne sachant où p<strong>la</strong>cer le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s chaînes,<br />

<strong>la</strong> main droite tenant <strong>la</strong> massue, <strong>et</strong> <strong>la</strong> gauche l'arc, a percé le bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue du dieu, <strong>et</strong> a représenté celui-ci tirant les<br />

hommes par <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>ournant vers eux en souriant.<br />

En voyant ce<strong>la</strong>, je restais longtemps étonné, stupéfait, incertain <strong>et</strong> contraint. Un Celte, qui se trouvait là, qui n'était pas<br />

ignorant <strong>de</strong> notre culture, comme il apparut, qui savait parfaitement le grec, philosophe, à ce que je pense, au niveau <strong>de</strong>s<br />

traditions indigènes me dit : "Je vais te résoudre, moi, l'énigme <strong>de</strong> ce tableau, car tu sembles très perplexe en face d'elle.<br />

Nous ne pensons pas, nous autres Celtes, comme les Grecs, que l'éloquence soit personnifiée par Hermès, mais nous nous<br />

<strong>la</strong> figurons sous l'aspect d' Héraklès, parce qu'en général ce <strong>de</strong>rnier est plus fort qu'Hermès. Si Héraklès a été présenté sous<br />

les traits d'un vieil<strong>la</strong>rd, n'en sois pas étonné. L'éloquence est <strong>la</strong> seule chose qui d'habitu<strong>de</strong> atteigne son apogée dans <strong>la</strong><br />

vieillesse, si vos poètes disent vrai : "L'esprit <strong>de</strong>s jeunes flotte à tous les vents" (Ilia<strong>de</strong>, <strong>II</strong>I, 108), "<strong>et</strong> <strong>la</strong> vieillesse a <strong>de</strong> quoi<br />

parler plus sagement que les jeunes" (Euripi<strong>de</strong>, Phé.130). C'est ainsi que selon vous le miel coule sur <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> Nestor <strong>et</strong><br />

que les orateurs troyens font entendre une voix pleine <strong>de</strong> fleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> lis (car il y a bien une fleur qui s'appelle lis, si je me<br />

souviens bien). C'est ainsi que le vieil<strong>la</strong>rd Héraklès entraîne les hommes qui sont attachés à sa <strong>la</strong>ngue. Ne t'étonne pas <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te image, car tu sais qu'il existe une parenté entre <strong>la</strong>ngue <strong>et</strong> oreilles. Il n'y a point d'offense contre Héraklès si sa <strong>la</strong>ngue a<br />

été percée. En tout cas, dit-il, je me souviens d'avoir appris certains iambes <strong>de</strong>s Comiques : "À tous les bavards le bout <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue a été percé".<br />

À tout prendre, nous pensons tous qu'Héraklès n'a accompli tous ses exploits que grâce à <strong>la</strong> parole, étant <strong>de</strong>venu sage, <strong>et</strong><br />

que c'est <strong>la</strong> persuasion qui lui a permis <strong>de</strong> venir à bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s résistances. Et ses paroles sont autant <strong>de</strong> traits, je<br />

pense qu'ils sont aigus <strong>et</strong> bien ajustés, <strong>et</strong> qu'ils frappent les esprits. En eff<strong>et</strong>, vous dites aussi qu'ailées sont les paroles.<br />

"C'est tout ce<strong>la</strong> que disait le Celte".<br />

Importance du texte <strong>de</strong> Lucain<br />

Ce texte est très important, mais sa portée n'est évi<strong>de</strong>nte qu'à condition <strong>de</strong> le m<strong>et</strong>tre en parallèle avec les divers<br />

témoignages <strong>de</strong> l'antiquité grecque sur les drui<strong>de</strong>s. Le " philosophe" dont parle Lucien, n'est autre, en eff<strong>et</strong>, qu'un drui<strong>de</strong>. Il<br />

fait partie d'une longue lignée <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> prêtres érudits <strong>et</strong> inspirés, qui <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin du VIe siècle av. J.-C. jusqu'au IVe<br />

siècle <strong>de</strong> notre ère, n'ont cessé d'être à <strong>la</strong> fois les dépositaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition religieuse <strong>de</strong>s Celtes, <strong>et</strong> les agents <strong>de</strong> son<br />

renouvellement par les échanges avec <strong>la</strong> Grèce. Ce sont eux les auteurs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te interpr<strong>et</strong>atio celtica, <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te interprétation<br />

celtique <strong>de</strong>s images <strong>et</strong> <strong>de</strong>s concepts méditerranéens qui a permis aux Celtes à <strong>la</strong> fois d'exprimer leurs idées religieuses, <strong>de</strong><br />

les approfondir <strong>et</strong> <strong>de</strong> les systématiser, autour <strong>de</strong> certains concepts <strong>et</strong> <strong>de</strong> certaines images empruntées à l'hellénisme. Leur<br />

rôle a été déterminant dans <strong>la</strong> fixation <strong>de</strong>s mythes <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> constitution d'un panthéon syncrétique chez les Celtes<br />

continentaux. C'est à eux qu'il appartenait <strong>de</strong> doser le mé<strong>la</strong>nge entre les cultures <strong>de</strong>s différents niveaux, d'origine indigène<br />

<strong>et</strong> les cultes, concepts, images venues <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée.<br />

Le dieu celtique insu<strong>la</strong>ire Ogmios ou Ogmè<br />

Qui est Ogmios, dans quelle mesure est-il semb<strong>la</strong>ble ou différent du héros fondateur <strong>de</strong>s voies héracléennes ? Un<br />

remarquable article <strong>de</strong> Fr. Leroux paru dans Ogam en avril - juin 1960, pp. 209 -233, sous le titre " Le dieu celtique aux<br />

60 ZWICKER, op. cit., p. 78.<br />

<strong>Jean</strong> <strong>Jacques</strong> <strong>hatt</strong><br />

<strong>Mythes</strong> <strong>et</strong> <strong>dieux</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Gaule</strong>, <strong>tome</strong> <strong>II</strong><br />

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