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une bande dessinee idéologique : rahan - Revue des sciences ...

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Les chiffres renvoient à l'index (romains),<br />

ainsi qu'aux pages <strong>des</strong> albums<br />

(italiques).<br />

UNE BANDE DESSINEE<br />

IDÉOLOGIQUE : RAHAN<br />

Pierre VOGLER<br />

Faculté d'Ethnologie<br />

à mon fils Aurélien, qui m'a fait<br />

ce mythe en images d'Epinal<br />

connaître<br />

(1) P. Fresnault-Denïette, pp. 141, 151, 156.<br />

1. Le message<br />

et sa syntaxe<br />

Les aventures de ce héros pour adolescents<br />

camouflent un magistère. On y<br />

voit nos ancêtres vaquer à leurs tâches<br />

préhistoriques, mais c'est bien d'aujourd'hui<br />

dont il est question. Au-delà<br />

de la récréation palethnologique, Rahan<br />

(désormais R) s'adresse à <strong>une</strong><br />

classe d'âge qu'on espère sensible à ses<br />

arguments. La provenance <strong>des</strong> albums<br />

est significative en elle-même. Us ont<br />

pour auteurs Roger Lecureux (texte),<br />

André Chéret et Roméro (<strong>des</strong>sins) et<br />

paraissent aux Editions Vaillant qui,<br />

depuis 1968, les ont fait imprimer successivement<br />

en Roumanie, Bulgarie,<br />

Hongrie, enfin à Paris. Leur contenu<br />

est complémentaire de celui d'autres<br />

publications de même origine, Tarants,<br />

fils de la Gaule, Capitaine Apache,<br />

Docteur Justice. De la patrie profonde<br />

à l'espace international en<br />

passant par l'Ouest sauvage, R et la<br />

préhistoire prennent place dans un<br />

éventail de cadres et d'époques qui<br />

épuisent tous les poncifs. De plus, la<br />

récurrence <strong>des</strong> thèmes impose la certitude<br />

que le texte vise à un effet. L'impression<br />

est si puissante qu'un repérage<br />

statistique s'avère inutile.<br />

D'emblée, nous sommes au cœur<br />

d'<strong>une</strong> machinerie dont les rouages se<br />

révèlent, pour ainsi dire, d'euxmêmes.<br />

Les illustrations qui suivent,<br />

volontairement limitées, ont donc un<br />

caractère essentiellement qualitatif et<br />

représentent <strong>des</strong> séries qui pourraient<br />

être considérablement allongées. Les<br />

citations proviennent de 117 épiso<strong>des</strong>.<br />

Sous de multiples avatars, le drame<br />

actualise un modèle intangible, un canevas<br />

aux règles fixes, qui prête sens<br />

aux détails les plus ténus. Les «énoncés<br />

» de cette « grammaire » ne relèvent<br />

pas seulement de la «communication».<br />

Us répondent à <strong>une</strong> «pragmatique»<br />

qui est un pari sur l'«efficacité»<br />

du signe. Bien plus que simple indice<br />

d'<strong>une</strong> philosophie sous-jacente, <strong>une</strong><br />

telle «intention» de formation <strong>des</strong><br />

opinions ne peut être que consciente et<br />

volontaire. Elle fournit en tout cas le<br />

plan de pertinence qui permet au lecteur<br />

attentif d'ordonner ses impressions<br />

d'abord diffuses. L'essentiel du<br />

message fait d'ailleurs l'objet d'<strong>une</strong><br />

mise en relief qui ne laisse aucun<br />

doute quant à la « morale » que les enfants<br />

doivent en retenir. Le ton magistral<br />

<strong>des</strong> répliques et commentaires essentiels<br />

est souligné par l'emploi de<br />

caractères gras ou colorés, cernés ou<br />

majuscules (1, 17; 17, 6). Les phylactères<br />

sont alors «débordants», «émotionnels»<br />

(1) et tendent à imprégner<br />

toute la matière graphique. Des commentaires<br />

placés dans <strong>des</strong> pages<br />

«scientifiques», entre les épiso<strong>des</strong>, reprennent<br />

sur un autre ton arguments<br />

et conclusions. Toujours, le texte a le<br />

dernier mot et vient en secours à<br />

l'image ambivalente. Observons au<br />

passage que le premier n'a qu'un seul<br />

auteur, gage de cohérence, tandis que<br />

le <strong>des</strong>sinateur se remplace éventuellement<br />

sans grand dommage pour le but<br />

qu'on s'assigne et, parfois, son nom<br />

ne figure qu'en initiales (74, titré).<br />

Dans les cas les plus favorables, cependant,<br />

l'image reprend ses droits.<br />

Seul personnage polychrome, le héros<br />

éponyme de la collection se détache<br />

<strong>des</strong> protagonistes secondaires ou de<br />

ses antagonistes, en grisaille ou violet<br />

pâle, comme l'essentiel de l'accessoire,<br />

le positif du négatif (2, 30).<br />

Mais R est également conforme à ce<br />

qu'on peut attendre d'<strong>une</strong> <strong>bande</strong> <strong>des</strong>sinée<br />

standard, bien que les thèmes en<br />

soient fort loin. Son habillage camé-<br />

-157-


léonesque assume <strong>une</strong> seconde fonction.<br />

Il masque la nature doctrinale du<br />

propos. Les goûts (supposés) <strong>des</strong> je<strong>une</strong>s<br />

lecteurs sont activement flattés.<br />

Ilfo m ês-<br />

dynamique, a gestue<br />

<strong>des</strong> personnages, emphatique ou péremptoire,<br />

est prise sur le vif. Les angles<br />

sont «cinématographiques»,<br />

l'image est montrée en condensé dans<br />

un œil (1, 18) ou du «point de vue»<br />

d'un rhinocéros (42,15). Toute la présentation<br />

relève d'<strong>une</strong> «kinopravda»,<br />

toujours en prise directe sur<br />

<strong>une</strong> réalité baroque. La violence est<br />

omniprésente et complaisamment représentée<br />

lorsqu'elle s'exerce à rencontre<br />

<strong>des</strong> animaux (8, 7; 29, 64).<br />

Bien qu'elle puisse empiéter sur le dialogue,<br />

cette fonction de mise en scène<br />

s'appuie donc surtout sur la forme<br />

plastique. Naturellement plus polysémique,<br />

celle-ci joue d'autant mieux<br />

son rôle de «brouillage», épaulée en<br />

cela par quelques gadgets fabriqués à<br />

Hong Kong, comme la chauve-souris<br />

en caoutchouc du n° 24. Le rôle d'accrochage<br />

et de subversion apparaît<br />

bien dans les cas où la mise en image<br />

contredit ce qui est proclamé dans le<br />

texte. Telle gazelle, que R sacrifie par<br />

obligation et qui « n 'a pas le temps de<br />

souffrir», conformément au message<br />

écologique, est montrée poignardée<br />

avec entrain (13, 71). Quoiqu'on ne<br />

trouve guère d'allusions sexuelles, on<br />

aperçoit tout de même quelques robes<br />

échancrées, d'un style daté, qui démentent<br />

la pruderie <strong>des</strong> comportements<br />

(78, 65; 90, 49; 96, 70). Enfin,<br />

le texte n'est pas totalement «fonctionnel»,<br />

on s'en doute, et contient un<br />

«reste» qui ne témoigne d'auc<strong>une</strong> intention<br />

du moins didactique. Quelques<br />

incorrections de langage (12, 35;<br />

18, 37; 42, 6), le ton relâché de bien<br />

<strong>des</strong> dialogues, certains tics comme la<br />

répétition hoquetante de «que, que»<br />

d'étonnements, empruntée à d'autres<br />

magazines (86, 62), contrastent curieusement<br />

avec <strong>des</strong> termes recherchés,<br />

comme ces «buissons de saponaires»<br />

(99, 60), visiblement issus du<br />

dictionnaire ou <strong>des</strong> romans « préhistoriques»<br />

du début du siècle.<br />

La délimitation <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> est arbitraire.<br />

Les mêmes aventures sont souvent<br />

reprises à quelque distance ou<br />

fondues les <strong>une</strong>s dans les autres (5 et<br />

1 Le ) marais de ' la J<br />

peur») beu<br />

comptent 512 «Le vraiment marais de les « modules » qui<br />

permettent la présentation <strong>des</strong><br />

situations-types. A tous égards, ceuxci<br />

constituent <strong>des</strong> «énoncés» organisés<br />

selon un schéma qui ne varie guère<br />

et qu'on peut résumer comme suit :<br />

intervention<br />

problème _ _ résolution<br />

rencontre séparation<br />

avertissement commentaires<br />

titre<br />

image finale<br />

La séquence «idéale» comporte deux<br />

volets symétriques, de part et d'autre<br />

d'un événement central, compte-tenu<br />

de ce que la position <strong>des</strong> termes extrêmes<br />

subit quelques variations. Le pivot<br />

marque le changement qui, d'<strong>une</strong><br />

situation initiale négative, produit un<br />

progrès quelconque. D'<strong>une</strong> «dysphorie»,<br />

on accède à P«euphorie» finale<br />

(2) : le modèle se conforme de luimême<br />

aux analyses les plus formalistes<br />

du conte populaire ! L'organisation<br />

est reprise dans <strong>une</strong> foule de<br />

«micro-modules», à l'intérieur de<br />

chaque épisode et l'ensemble se présente<br />

comme un assemblage de poupées<br />

gigognes. On notera que les<br />

«fonctions» qu'assument les situations<br />

de départ et d'arrivée ne peuvent<br />

s'opposer à leur absence, ce qui implique<br />

que le « message » véhicule <strong>une</strong> information<br />

assez limitée.<br />

Autour du thème fondamental, —<br />

problème posé et résolu —, la périphérie<br />

est organisée en paires en miroir.<br />

Titre et avertissement font pendant<br />

aux commentaires et à l'image finale.<br />

Les premiers annoncent la couleur :<br />

«En ces temps obscurs, les sorciers entretenaient<br />

parfois les vieilles superstitions<br />

pour en tirer profit» (6, 4). La<br />

sentence ultime vient en écho : «Il<br />

n'est ni dieu de la chasse ni miracle»<br />

(66, 28). La rencontre du héros avec<br />

les protagonistes du drame fait pen-<br />

-158-


(3) In E. Leach, p. 381.<br />

dant à la séparation future. Le mouvement<br />

initial est induit par un besoin,<br />

matériel comme la faim ou le froid,<br />

moral comme la détresse d'un malheureux<br />

ou plus simplement l'ignorance:<br />

«R n'a pas mangé depuis trois<br />

jours» (2, 25)... Souvent, le problème<br />

est amené par un obstacle extérieur,<br />

<strong>une</strong> volonté : « Ce territoire est le nôtre»<br />

(39, 52). L'énoncé du manque est<br />

obligatoire en ce sens qu'il est à la<br />

source <strong>des</strong> événements qui doivent suivre.<br />

L'artifice est patent, par exemple,<br />

lorsque l'invraisemblable manque de<br />

nourriture contredit la nature du chasseur<br />

éminentissime qu'est R... Alors<br />

que la rencontre est un arrêt sur<br />

l'image, la séparation est fondée, à<br />

l'inverse, sur l'obligation de poursuivre<br />

l'éternel voyage, celle d'affronter<br />

d'autres difficultés analogues (1, 23 ;<br />

27, 21 ; 35, 33). En même temps<br />

qu'elle fait de l'ensemble <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong><br />

<strong>une</strong> histoire unique et continue, métaphore<br />

du progrès sans fin, la séparation<br />

annonce <strong>une</strong> suite qui, plus mo<strong>des</strong>tement,<br />

tient les je<strong>une</strong>s lecteurs en<br />

haleine : «Quels mystères, quelles<br />

merveilles l'attendaient? (117, 388).<br />

On notera le rôle du hasard, de la rencontre<br />

inopinée à l'indécision de la direction<br />

du voyage final. R pose alors<br />

son coutelas d'ivoire immaculé,<br />

symbole de sa force et de sa pureté, et<br />

le fait pivoter comme l'aiguille d'<strong>une</strong><br />

boussole. Il ira vers le Nord idéal<br />

qu'indique la pointe, <strong>une</strong> fois stabilisée<br />

(4, 46 ; 9,143). Le parallélisme <strong>des</strong><br />

deux volets est renforcé par le fait que<br />

cette manière de procéder est décrite,<br />

parfois, avant la rencontre initiale (47,<br />

titre). Quel meilleur ciment que le hasard<br />

? Avec <strong>une</strong> remarquable fréquence,<br />

le drame s'achève sur la vision<br />

d'un soleil rouge à l'Occident (6, 23 ;<br />

13, 74 ; 29 , 73) plus rarement à<br />

l'Orient (3, 74 ; 12, 43 ; 96, 26) : «Le<br />

territoire du grand soleil appelle R»<br />

(2, 44). Il symbolise l'élargissement<br />

<strong>des</strong> perspectives et l'universalité de la<br />

profession de foi. Au besoin particulier,<br />

trivial, succède <strong>une</strong> solution générale<br />

et théorique. Comme le hasard,<br />

l'astre est également présent au début<br />

de certaines péripéties. De l'aube au<br />

crépuscule, il engendre un continuum<br />

qui se confond avec la somme <strong>des</strong> progrès<br />

à marquer d'<strong>une</strong> pierre blanche.<br />

Stade après stade, ces histoires deviennent<br />

l'Histoire. Théorie du voyage,<br />

puisqu'on nous conte la diffusion de<br />

la vérité, ces albums sont aussi voyage<br />

dans la théorie, dont chaque aventure<br />

explique un aspect. Pour les auteurs,<br />

l'Histoire devient histoires...<br />

2. Misère et contradiction<br />

Le volet de gauche, qui motive l'intervention<br />

du héros civilisateur, énumère<br />

toutes les virtualités du mal-être.<br />

L'homme naît inachevé, contrairement<br />

à l'animal. De la nourriture à la<br />

connaissance, il attend de la société<br />

<strong>une</strong> perfection qui se dérobe sans cesse<br />

et rend nécessaire un progrès forcément<br />

inéluctable. Les hommes de ces<br />

«temps farouches» (40, 9) se débattent<br />

dans <strong>une</strong> ébauche de société qui<br />

leur offre de «mauvaises conditions<br />

d'existence» (22, 18 ; 89, 44). A<br />

V«aube de l'histoire » (104, 38), où<br />

« Tout n 'était que lutte pour la vie »<br />

(1, 23), tout appelle obscurément la civilisation.<br />

Les hommes, «ignorant<br />

tout ou presque » (24, 15), sont à<br />

l'image du «primitif» que Hobbes dépeint,<br />

en 1650, «errant comme Caïn»,<br />

traînant son existence «solitaire, démunie,<br />

misérable, fruste et brève» (3).<br />

Ce tableau coïncide, bien entendu,<br />

avec les conceptions de l'évolution-<br />

-159-


(4) P. Clastres, p. 181.<br />

(5) J.H. Rosny-Aîné, p. 6.<br />

(6) M. Sahlins, p. 76 ; P. Clastres, p. 22.<br />

(7) M. de Montaigne, pp. 255-256.<br />

(8) F. Engels, Der Ursprung, p. 171.<br />

(9) V. Lénine, t. 2, p. 618.<br />

(10) Op. cit., p. 71.<br />

(11) P. Clastres p. 191.<br />

(12) L.H. Morgan, p. 548.<br />

nisme classique, tel qu'on le trouve<br />

chez G. Klemm ou L.H. Morgan.<br />

L'«état sauvage», au bas de l'échelle<br />

<strong>des</strong> sta<strong>des</strong>, est la toile de fond qui<br />

donne sens à son inverse. Comme le<br />

remarque P. Clastres, il est nécessaire<br />

que ce négatif ait existé et que l'extrême<br />

faiblesse soit à la source du besoin<br />

de «développement» (4). Alimenté<br />

par <strong>une</strong> littérature toujours<br />

actuelle, conforté par les films qu'on<br />

en tire, l'énorme lieu commun de la<br />

«Guerre du feu» possède tous les caractères<br />

d'<strong>une</strong> idéologie. Il paraît indiscutable<br />

et justifie le monde contemporain.<br />

L'effort prométhéen de nos<br />

ancêtres, qui traînent leur désespoir<br />

«dans la nuit épouvantable», comme<br />

l'écrit J.H. Rosny-Aîné (5), aurait-il<br />

<strong>une</strong> signification si l'on se rendait aux<br />

arguments — pourtant décisifs — de<br />

M. Sahlins ? La fameuse «civilisation<br />

de loisir » (6) <strong>des</strong> chasseurs-collecteurs<br />

actuels, dans <strong>des</strong> conditions de confinement<br />

nettement moins favorables<br />

qu'au paléotithique, rejoint le sentiment<br />

de Montaigne. Ses «cannibales»<br />

oisifs vivent dans l'abondance et<br />

«toute la journée se passe à<br />

danser» (7).<br />

Les hypostases les plus récurrentes du<br />

thème initial prennent la forme d'<strong>une</strong><br />

« sociologie » dont tout procède en fin<br />

de compte. Deux principes, individus<br />

ou groupes, se font face. L'un domine,<br />

exploite, trompe, avilit, chasse<br />

ou tue l'autre, affrontement dont la<br />

diversité <strong>des</strong> mises en scène tempère le<br />

caractère lancinant. La «contradiction<br />

» de base se traduit par la confiscation,<br />

par <strong>une</strong> minorité de nontravailleurs,<br />

d'un bien qui devrait profiter<br />

à tous. La minorité résout donc à<br />

son avantage, d'<strong>une</strong> manière parasitaire,<br />

le problème du besoin général<br />

auquel tous les hommes sont confrontés.<br />

Ainsi : «Jede Wohltat fur die einen<br />

ist notwendig ein Ûbel fiir die andern»<br />

(8). Dans le cas le plus simple,<br />

les riches, confondus avec les « filous »<br />

(9), accaparent <strong>des</strong> biens que les pauvres<br />

sont seuls à produire. A tout<br />

point de vue «l'ennemi principal est<br />

dans notre propre pays» (10). De<br />

même que l'assimilation de la préhistoire<br />

à l'indigence du Tiers Monde,<br />

l'exploitation <strong>des</strong> «classes» est alignée<br />

sur le modèle contemporain. Il serait<br />

aisé d'opposer à ce genre de conception<br />

l'idée amérindienne, par exemple,<br />

que l'aisance repose surtout sur<br />

l'« auto-exploitation de l'individu par<br />

lui-même » et produit à son tour l'« exploitation<br />

<strong>des</strong> riches par la communauté»<br />

(11).<br />

La césure entre seigneurs et esclaves<br />

est induite par la propriété. D'elle procède<br />

la mise en place d'<strong>une</strong> hiérarchie<br />

arbitraire, la « loi du chef» (30, 10),<br />

qui « ne connaît que la force <strong>des</strong> bêtes<br />

fauves» (4, 10) et dont la justice est<br />

expéditive (94, 51). Corrélativement,<br />

« la loi du clan est terrible pour les faibles»<br />

(4, 8). Il arrive que le pouvoir<br />

soit dévolu à la <strong>des</strong>cendance exclusive<br />

<strong>des</strong> chefs, ce qui provoque la formation<br />

d'<strong>une</strong> noblesse (77, 56), dont la<br />

progéniture reçoit <strong>une</strong> éducation priviléiée<br />

et «reproduit» le modèle social<br />

(30, 8). Au-<strong>des</strong>sus du commun, ces<br />

personnages résident dans <strong>des</strong> huttes<br />

spéciales (6, 7) et leur domaine est<br />

«sacré» (19, 51). Quelques commentaires<br />

«ethnologiques» renforcent le<br />

tableau : « Pour les Papous, la suprématie<br />

de la force est la seule dont<br />

l'homme puisse se prévaloir» (15, 49)<br />

et la justice est «intransigeante» chez<br />

les Massai (12, 52). La prééminence<br />

du «politique», dont l'existence serait<br />

attestée partout, assume <strong>une</strong> fonction<br />

précise. Elle permet de se comparer<br />

avantageusement aux «primitifs».<br />

Comme nous, ils vivent dans <strong>des</strong> sociétés<br />

(normalement) hiérarchisées ;<br />

contrairement aux nôtres, leurs chefs<br />

ne sauraient être que vils tyrans.<br />

Cette autorité fondée sur la force<br />

s'exerce aussi bien à l'intérieur de la<br />

famille. L'amour est inconnu au<br />

«stade sauvage» (12) et les hommes<br />

oppriment leurs compagnes. Certaines<br />

sont captives de leur mari (1,17). Parfois<br />

les femmes, au contraire, sont<br />

abandonnées par leurs frères (95, 56).<br />

Au mieux, on les cantonne dans les tâches<br />

domestiques les plus pénibles (73,<br />

-160-


(13) E. Leach, p. 97.<br />

(14) M. de Montaigne, p. 259.<br />

(15) V. Lénine, t. 2, p. 69.<br />

(16) V. Lénine, t. 3, p. 566.<br />

60) ou les plus (actuellement) dévalorisées,<br />

de la cuisine à l'éducation <strong>des</strong> enfants<br />

(95, 67). La division du travail<br />

est rigoureuse. Comme le subalterne<br />

ne peut empiéter sur la demeure du<br />

chef, l'épouse se voit interdire les activités<br />

du mari : «La pêche n'est pas<br />

l'affaire <strong>des</strong> femmes» (22, 27). L'impossibilité<br />

culmine évidemment pour<br />

les fonctions d'autorité. Les exceptions<br />

confirment la règle : la femme<br />

n'accède à la chefferie qu'au prix d'un<br />

renoncement au mariage (62, 40) ou<br />

grâce au port d'un voile, d'autant plus<br />

opaque qu'elle est plus belle et plus<br />

éminemment féminine (32, 42). Il<br />

n'est guère besoin de souligner ce que<br />

cette vision doit aux « fantasmes » <strong>des</strong><br />

ethnologues d'un autre âge. Comme le<br />

rappelle E. Leach à propos de J.F. Me<br />

Lennan, son imagination «le portait à<br />

se représenter <strong>des</strong> sauvages primitifs<br />

prenant de force <strong>des</strong> femmes asservies»<br />

(13). Enfin, la «domination»<br />

<strong>des</strong> adultes sur leur progéniture constitue<br />

l'ultime «contradiction» intraclanique<br />

(101, 24). L'enfance n'est,<br />

paraît-il, pas très enviable chez les<br />

Masaï (12, 45).<br />

Le pouvoir s'exerce également au-delà<br />

<strong>des</strong> frontières tribales, au détriment de<br />

ceux qui ne sont pas du cru. Nous<br />

sommes loin de l'idéal d'autarcie de la<br />

majorité <strong>des</strong> sociétés traditionnelles,<br />

qui «ne sont pas en débat de la conquête<br />

de nouvelles terres» (14). Occuper<br />

un territoire, c'est se conduire en<br />

chef vis-à-vis <strong>des</strong> voisins (12, 34). On y<br />

puise <strong>des</strong> prisonniers, futurs prolétaires<br />

: «notre clan a besoin d'esclaves»<br />

(78, 65). R lui-même en fait occasionnellement<br />

les frais (46, 60). Il subit<br />

<strong>une</strong> première avanie qui introduit (et<br />

qui l'introduit dans) le drame. Il est<br />

capturé (33, 49), puni (7, 42), esclavagisé<br />

(46, 60), torturé (109, 79), livré<br />

aux fauves (116, 255), condamné à la<br />

croix comme un chrétien <strong>des</strong> premiers<br />

âges (85, 48).<br />

La contradiction est identique, qu'elle<br />

provienne d'esclavagistes étrangers<br />

ou, plus mo<strong>des</strong>tement, <strong>des</strong> hommes de<br />

la tribu : « ne vous méprisaient-ils pas<br />

un peu comme vous méprisiez vos<br />

compagnes ?» (94, 73). Le cannibalisme<br />

est la forme extrême de ce rapport<br />

où les étrangers sont assimilés<br />

aux animaux qu'on abat (38, 37). La<br />

domination économique n'en est que<br />

la version édulcorée. Tel clan qui,<br />

d'habitude, offre <strong>une</strong> jarre pour obtenir<br />

de la proviande (car il n'est pas<br />

plus autonome qu'un moderne corps<br />

de métier), se voit imposer un tarif révisé,<br />

dix fois plus lourd (10, 57). On<br />

reconnaîtra la «détérioration <strong>des</strong> termes<br />

de l'échange».<br />

La fermeture du territoire est la<br />

contrepartie directe de l'égoïsme «social<br />

chauvin» (15). Ainsi, «L'eau de<br />

notre source ne coule pas pour rafraîchir<br />

les gorges ennemies » (18, 27). Le<br />

refus du partage (17, 5 ; 43, 20 ; 63,<br />

50) va de pair avec le sentiment de<br />

propriété de la terre (39, 52 ; 71,16) :<br />

«En ces temps sauvages, chaque clan<br />

gardait farouchement son territoire de<br />

chasse» (7, 34). Selon le mot de Lénine<br />

: «Si je cultive ce lopin de terre,<br />

peu m'importent les autres» (16)... La<br />

fermeture est éventuellement justifiée<br />

par le refus de la réciprocité : « Quand<br />

les nôtres se risquent sur la Terre qui<br />

parle, les tiens les chassent et les<br />

tuent » (8, 8). Les plus «évolués» limitent<br />

l'exclusion aux malfaisants :<br />

«Nous leur reprochons de chasser stupidement<br />

et de saccager <strong>une</strong> belle et<br />

généreuse vallée » (72, 27). Le territoire,<br />

généralement clanique, correspond<br />

à la limite au refuge temporaire,<br />

ce qui met en relief le caractère « tous<br />

azimuts » du non-partage : « Ce refuge<br />

est à peine suffisant pour ceux de notre<br />

clan » (54, 51). La possession se<br />

fonde, en tout cas, sur le droit du premier<br />

occupant, lors même que l'antériorité<br />

est dérisoire : «Depuis la saison<br />

chaude, ce territoire est à nous »<br />

(41, 61). La légèreté de cette «dernière<br />

pluie» souligne son irrationalité, tout<br />

en laissant entendre que toute «tradition»<br />

est du même acabit. La transgression<br />

<strong>des</strong> limites ne peut donc être<br />

qu'<strong>une</strong> «violation» (22, 28 ; 96, 58 ;<br />

98, 27) qu'interdisent les sorciers. Il en<br />

résulte <strong>une</strong> fondamentale endogamie<br />

-161-


(17) M. Douglas, p. 44.<br />

(18) F. Engels, «Herrn Eugen Dùhrings»,<br />

p. 294.<br />

(38, 9), démentie par les faits, comme<br />

il est bien connu. L'intrusion <strong>des</strong><br />

étrangers est assez rarement suivie<br />

d'<strong>une</strong> simple interrogation : «Que<br />

fais-tu sur le territoire de la horde ?»<br />

(2, 25). Il s'agit, plus souvent, de le<br />

capturer (84, 5), de l'éliminer : «L'inconnu<br />

chasse sur notre territoire,<br />

tuons-le !» (64, 2). Toujours, il est<br />

<strong>une</strong> menace : « Tous ceux qui viennent...<br />

sont <strong>des</strong> ennemis » (30, 4). On<br />

se méfie, pour le moins, de l'étranger<br />

qui n'appartient à aucun clan connu<br />

(91, 64), de celui dont l'apparence est<br />

inhabituelle (30, 6). Il est soupçonné<br />

d'espionnage (72,24), accusé d'empiéter,<br />

comme R, sur l'autorité du maître<br />

local : «De quel droit viens-tu lancer<br />

<strong>des</strong> ordres ? » (77, 55).<br />

3. Ignorance et religion<br />

La mise au pas <strong>des</strong> faibles par les forts<br />

connaît un pendant moins visible.<br />

Croyances et rituels consolident un assujettissement<br />

intellectuel dont profite<br />

un «clergé», généralement réduit au<br />

seul sorcier. Ce dernier s'en prend au<br />

clan tout entier (7, 71 ; 38, 9 ; 103, 9)<br />

ou plus précisément au chef (60, 7;<br />

103, 6).<br />

R reconnaît en lui son ennemi principal,<br />

l'«anti-héros» permanent qu'il<br />

trouve en face de lui lorsqu'aucun<br />

homme ne lui est hostile (102, 34). La<br />

religion, thème omniprésent de ces albums,<br />

est la forme détestable d'un<br />

pouvoir théorique, inverse du pouvoir<br />

pratique <strong>des</strong> autorités laïques. Elle se<br />

situe, de ce fait, au même plan que la<br />

philosophie de R, tout aussi théorique.<br />

Mais, si ses conceptions visent à<br />

ouvrir les yeux sur les pratiques réelles,<br />

le sorcier agit à rebours : « Ce que<br />

vos yeux ont vu n 'importe pas ! Seul<br />

compte ce que pense Tamud» (24,14).<br />

Toutes les ruses lui sont bonnes : affirmation<br />

d'un pouvoir sur les volcans<br />

(38, 9), imposition d'un chef encore<br />

dans l'enfance (19, 24), ordalie truquée<br />

(7, 39), divination d'autant plus<br />

crédible qu'il exécute lui-même les menaces<br />

qu'il prétend savoir peser sur<br />

l'autorité légitime (103, 6), promesse<br />

de bonheur éternel (74, 8). Parfois, il<br />

se déguise en «esprit» (69, 63), affirme<br />

représenter dieu sur terre (66,<br />

26) et se réserve le droit de pénétrer<br />

dans le «territoire <strong>des</strong> nuages» (90,<br />

53). Ces «vieilles superstitions», le<br />

sorcier les entretient pour en tirer profit<br />

(6, titre) et les crée si nécessaire. On<br />

retrouve la conception frazerienne<br />

d'<strong>une</strong> religion fondée sur la fraude <strong>des</strong><br />

prêtres (17) : «Tous mentaient pour<br />

assurer leur pouvoir» (66, 26). Toujours<br />

l'ignorance et la crédulité conditionnent<br />

le succès de l'entreprise et le<br />

sorcier se gausse de «tous ces chasseurs<br />

qui croient au pouvoir de Yakoba»<br />

(36, 57). Il faut, par conséquent,<br />

se garantir du monde extérieur,<br />

d'où peut venir le démasquage. Non<br />

seulement le sorcier n'a «rien à apprendre<br />

d'un inconnu» (47, 9), mais il<br />

«hait les idées nouvelles» (68, 48) et<br />

refuse, pour éviter le danger d'<strong>une</strong><br />

contestation, toute comparaison avec<br />

les nations lointaines : « Tu affirmes<br />

que d'autres clans vivent mieux et plus<br />

heureux que le nôtre ! » (68, 47). Son<br />

originalité, cependant, s'arrête là.<br />

Comme tous les exploiteurs, il tend<br />

aux fins les plus triviales : « diriger le<br />

clan», «dominer le clan» (56, 14;<br />

102, 74), garder «le trésor pour lui<br />

seul» (74, 18). Il lui faut encore la suprématie<br />

sur les sociétés voisines (69,<br />

66) et tâche d'orienter dans ce sens la<br />

politique du chef, suggérant que les<br />

«bambous qui tonnent», remplis de<br />

poudre, «donneront la toute puissance»<br />

(21, 16), c'est-à-dire P«arme<br />

absolue» : il n'y a qu'un pas de l'Intérieur<br />

aux Affaires Etrangères.<br />

Toutefois, l'ignorance est, pour <strong>une</strong><br />

part, inhérente à la nature de<br />

l'homme, dont les techniques <strong>des</strong> sorciers<br />

aggravent certaines faiblesses. La<br />

religion n'est qu'un reflet gauchi <strong>des</strong><br />

forces externes, naturelles et sociales,<br />

qui s'imposent à l'esprit (18). Elle est<br />

<strong>une</strong> « exploitation » de la peur, qui empêche<br />

de reconnaître les choses pour<br />

ce qu'elles sont et fonde un polythéisme<br />

à la Mannhardt, aux multiples<br />

«démons» et «esprits» de la nuit (17,<br />

-162-


(19) L.H. Morgan, p. 133.<br />

(20) A. Laming, pp. 146, 149.<br />

(21) L.H. Morgan, p. 642.<br />

6 ; 111, 118), du feu (114, 178), de la<br />

mort (80, 24). Ce qui est inconnu, hors<br />

de proportion comme <strong>une</strong> méduse<br />

géante (92, 73), un brontosaure (96,<br />

70), <strong>une</strong> statue (50, 68), du cristal<br />

(117, 310), un objet insolite comme le<br />

coutelas de R (25, 35 ; 114, 779), un<br />

lieu étrange d'où sort <strong>une</strong> plainte (65,<br />

4), ces êtres, objets ou phénomènes,<br />

provoquent <strong>une</strong> occultation de la raison,<br />

qui n'est qu'un manque intellectuel,<br />

parallèle au manque ordinaire,<br />

physiologique ou social. Ceci explique<br />

que l'un induise l'autre: «C'est<br />

c/uand le malheur les frappe que Ceux<br />

Qui Marchent Debout invoquent ainsi<br />

les esprits» (39, 52), version primitive<br />

du raisonnement qui ramène tout<br />

trouble psycho-social «irrationnel»<br />

(autrement dit, non compris <strong>des</strong> spécialistes),<br />

à <strong>une</strong> quelconque origine<br />

économique. Avec constance, le produit<br />

de l'imagination est le contraire<br />

du monde objectif. Le contraste est<br />

immense entre ces «grossières superstitions»<br />

(19) et la réalité nue. La faille<br />

où l'on sacrifie aux ombres n'est que<br />

la demeure d'un pauvre dynosaure<br />

aveugle (65, 77) et le «miracle de la<br />

lance sacrée» s'explique par la foudre<br />

qui vient opportunément frapper<br />

l'arme plantée dans le crâne d'un tricératops<br />

«immortel» (35, 25). Ces<br />

«sottes croyances», — au mieux «curieuses»<br />

(58, 59) comme celles que décrivent<br />

les dépliants de nos agences de<br />

voyage —, naissent dans l'esprit livré<br />

à lui-même. Elles se comparent aux<br />

dégâts <strong>des</strong> drogues hallucinogènes,<br />

qui font entrevoir <strong>des</strong> têtes innombrables<br />

de serpents monstrueux (79, 12),<br />

multiplication qu'on rapprochera du<br />

polythéisme foncier de l'homme primitif,<br />

à l'intellect éclaté. Les rituels<br />

sont, bien entendu, à la mesure de ces<br />

illusions. Lâcher <strong>des</strong> flèches sur <strong>des</strong><br />

peintures pariétales prépare <strong>une</strong><br />

chasse fructueuse (2, 30), conformément<br />

à la théorie — in vérifiée — de S.<br />

Reinach (20) ; toucher un bois de<br />

renne donne de la vigueur (44, 35). La<br />

prière au volcan qui menace, « <strong>une</strong> de<br />

ces incantations qui irritaient tant R »<br />

(93, 31), se substitue à l'action efficace.<br />

4. La nature ennemie<br />

La contradiction, cependant, ne se réduit<br />

pas à un jeu social ou mental. Elle<br />

s'incarne dans la physiologie, sans<br />

doute, pour <strong>une</strong> part, à l'insu <strong>des</strong> auteurs<br />

: R est clairement sapiens sapiens<br />

europoïde, «blond aux yeux<br />

bleus», opposé à <strong>des</strong> personnages très<br />

majoritairement bruns, aux faciès<br />

africains, orientaux, sibériens ou...<br />

néanderthaliens (84, 14). Quelques<br />

groupes très frustes sont de véritables<br />

australopithèques et le contraste est<br />

alors maximal. Mais la «contradiction<br />

morphologique» est plus ténue<br />

lorsqu'on oppose les femmes, généralement<br />

je<strong>une</strong>s et séduisantes, aux<br />

hommes de la tribu, noueux, hirsutes,<br />

mal rasés et renfrognés. Au chef, à<br />

l'allure saine et franche, se superpose<br />

un sorcier rabougri, au regard<br />

fuyant... Les proches de 7?, ceux qui<br />

lui ressemblent le plus, sont roux ou<br />

châtains clairs, c'est-à-dire «demiblonds<br />

» (ou même verts) (18, 38). Seul<br />

R, ses parents et sa famille adoptive —<br />

ce qui montre que la morphologie est<br />

pertinente, «culturelle» et non bonnement<br />

«naturelle» —, sont réellement<br />

du Nord (35, 4). On sait bien, depuis<br />

L.H. Morgan, que le progrès est dû à<br />

<strong>des</strong> populations «surtout aryenne et<br />

sémitique» (21) ! La dichotomisation<br />

ne s'arrête pas en si bon chemin. Audelà<br />

<strong>des</strong> limites du domaine social,<br />

beaucoup d'hommes se conduisent envers<br />

les animaux comme de vulgaires<br />

exploiteurs, inutilement cruels. D'autres,<br />

minoritaires, sont exemplairement<br />

bienveillants. Quant aux animaux<br />

eux-mêmes, ils sont à classer en<br />

deux catégories. Les uns possèdent les<br />

qualités <strong>des</strong> meilleurs hommes. Les<br />

autres sont prédateurs et il convient de<br />

s'en protéger (32, 38 ; 65, 4 ; 88, 30).<br />

Cet aspect culmine chez les fauves qui<br />

tuent «pour le plaisir» (58, 54) et les<br />

monstres échappés d'<strong>une</strong> préhistoire<br />

de cauchemar, tyrannosaures (54, 55)<br />

ou ptéranodons (59, 69). Ces êtres visiblement<br />

irrécupérables, c'est-à-dire<br />

sans ressemblance avec les hommes, se<br />

conduisent comme les plus inexcusa-<br />

-163-


les asociaux. Ils interdisent mordicus<br />

leur territoire (70, 5 ; 82, 52), refusent<br />

tout partage (7, 35 ; 117, 372). Il n'y a<br />

qu'un pas à franchir pour concevoir la<br />

wiiiii i aiiitï û «d<br />

chauvins... De semblables distinctions<br />

s'appliquent, enfin, aux paysages ou<br />

aux territoires, étriqués et fermés<br />

lorsqu'y évoluent <strong>des</strong> «primitifs» patibulaires,<br />

larges et ouverts pour les<br />

plus évolués. Les climats «sousdéveloppés»<br />

sont extrêmes, désertiques<br />

et caniculaires (40, 30), — «tristement<br />

tropicaux» —, brumeux et<br />

groenlandais (112, 154), troublés par<br />

l'éruption intempestive d'un volcan.<br />

Tous engendrent misère et pénurie. R<br />

ne les prise guère, en bon Européen à<br />

l'aise dans les vallées fleuries ou, à<br />

l'instar de nos migrants estivaux, sur<br />

les plages à cocotiers où il s'attarde<br />

volontiers.<br />

De l'infrastructure sociale aux qualités<br />

et défauts de l'intellect et, finalement,<br />

aux états de la nature, le monde<br />

est pétri d'<strong>une</strong> pâte unique. La même<br />

formule binaire s'applique, comme<br />

<strong>une</strong> relation préconstruite, à tous les<br />

termes disponibles. La valeur de ces<br />

derniers, leur place dans le<br />

«système», ne sont pas définitives. Le<br />

«chef», par exemple, incarne l'autorité<br />

néfaste face au groupe qu'il dirige.<br />

Il représente, au contraire, la<br />

bonne humanité, politique et laïque,<br />

lorsqu'il s'oppose au sorcier. Dans<br />

d'autres cas, les fonctions stables s'actualisent<br />

dans <strong>des</strong> référentiels différents,<br />

qui en renforcent la valeur. La<br />

«femme» s'oppose, non seulement au<br />

«mari», mais au «chef», au «sorcier»,<br />

au «fauve» : tous l'oppriment<br />

et la persécutent. Selon les épiso<strong>des</strong>,<br />

l'un ou l'autre cas de figure prédomine,<br />

soit qu'un personnage mette en<br />

relief l'instabilité de l'appartenance<br />

sociale ou qu'il symbolise tous les<br />

«damnés de la terre».<br />

5. Du changement social<br />

Les «manques» que décrivent les situations<br />

initiales appellent d'inévitables<br />

révolutions. Il arrive que ces dernières<br />

soient engendrées par le<br />

brusque réveil d'un volcan, mieux<br />

prévu par les éléments avancés de la<br />

• I l ïl lit!! I<br />

magma <strong>des</strong> contradictions sociales, le<br />

péril et la nécessité, provoquent la formation<br />

d'<strong>une</strong> «conscience de classe».<br />

Alors, la chaîne se faisait «forte et<br />

belle» (18, 43) et «Ceux du bas et<br />

Ceux du haut» se sentaient «les alliés<br />

du même fleuve» (52, 28), «soudés<br />

par le combat mené en commun» (1,<br />

21). Surtout, esclaves et prolétaires se<br />

sentent frères (25, 46). On notera,<br />

malgré tout, que l'action du héros<br />

aboutit plus sûrement à la réconciliation<br />

<strong>des</strong> clans (73 , 74). Moins spontanée,<br />

sa praxis seule procède d'<strong>une</strong><br />

théorie fiable ! Lorsque les fantasmes<br />

nés de la peur, fixés par la tradition<br />

trompeuse, s'estompent, il se produit<br />

<strong>une</strong> révolution mentale complémentaire.<br />

Le terrain se libère pour la mise<br />

en place d'un progrès contrôlé qui<br />

s'adresse, non aux ennemis, mais à la<br />

masse <strong>des</strong> prolétaires capables d'évoluer.<br />

Remarquons, en outre, que la<br />

<strong>des</strong>cription de ce pivot qu'est la révolution,<br />

— bataille ou prise de conscience<br />

—, prend moins de place que la<br />

<strong>des</strong>cription <strong>des</strong> «sta<strong>des</strong>». Il n'incarne<br />

qu'<strong>une</strong> pure limite, vide de contenu,<br />

qui sépare l'avant et l'après.<br />

Changer, c'est s'adapter à <strong>des</strong> conditions<br />

elles-mêmes changeantes, «marcher<br />

avec son temps», «se développer<br />

», langage que tout le monde peut<br />

comprendre. Tout être est soumis à<br />

cette obligation vitale : «les feuilles<br />

changent, donc, elles vivent» (5, 48).<br />

Ce qui est utile est déterminé par le<br />

milieu. Trouvant un dynosaure aveugle<br />

au fond d'<strong>une</strong> caverne obscure, R<br />

commente : «à quoi serviraient <strong>des</strong><br />

yeux dans cette nuit éternelle ?» (65,<br />

//). Le modèle (darwinien ?, Lamarckien<br />

?) est étendu sans peine au<br />

«corps social» qui, selon la métaphore<br />

de H. Lefèvre, «naît, grandit,<br />

décline, meurt», tandis que l'essence<br />

de l'homme est «entièrement historique»<br />

(22). On comprendra que le<br />

« pays réel » commande le changement<br />

-164-


(23) F. Engels, Herrn Eugen Duhrings, p. 452.<br />

(24) A. Adler, p. 127.<br />

(25) L.H. Morgan, p. 643.<br />

(26) V. Lénine, t. 3, p. 201.<br />

(27) K. Marx, F. Engels, Die deutsche Idéologie,<br />

p. 72.<br />

(28) F. Valjavec, p. 43.<br />

(29) R. Makarius, p. XIV.<br />

de la «superstructure» : «Quand <strong>une</strong><br />

loi est mauvaise, il faut la changer»<br />

(77, 56).<br />

De l'ontogenèse à la phylogenèse, un<br />

fondamental « récapitulationnisme »<br />

(23) cimente les morceaux éparpillés<br />

de tous les progrès, leur donne <strong>une</strong> clé<br />

de voûte adaptative. Celle-ci s'inscrit<br />

en faux contre le principe biologique<br />

qui lie l'évolution à la tendance <strong>des</strong><br />

variétés à s'écarter indéfiniment du<br />

type originel. L'évolution sociologique<br />

est convergente. Elle ne produit<br />

que de l'unité dans la mesure où le<br />

principe du changement est identique,<br />

partout et toujours. Ainsi, «toutes ces<br />

"classes" supposées sont révolutionnaires<br />

ou contre-révolutionnaires,<br />

toutes s'opposent entre elles et, par<br />

conséquent, contribuent ou conspirent<br />

au mouvement de l'ensemble qui les<br />

inclut» (24). La date <strong>des</strong> progrès est<br />

incertaine (25), mais les marches de<br />

leur escalier sont préformées pour que<br />

les pieds s'y posent plus naturellement<br />

: «tous les pays se trouvent sur<br />

le chemin du moyen âge à la démocratie<br />

bourgeoise ou de la démocratie<br />

bourgeoise à la révolution prolétarienne»<br />

(26) et l'humanité avance<br />

«nach einem Gesamtplan» (27). En<br />

d'autres termes : «Ein Gespenst geht<br />

um in der Ethnologie — der Gespenst<br />

<strong>des</strong> Evolutionismus ! » (28). Le rejet,<br />

au contraire, du primat de l'histoire,<br />

témoignerait de la prégnance <strong>des</strong><br />

«forces conservatrices». D'abord opposées<br />

au darwinisme, celles-ci se seraient<br />

«retranchées après leur défaite<br />

sur le plan biologique, dans l'opposition<br />

à l'évolutionnisme sociologique»<br />

(29). Bien rare, à vrai dire, dans l'ethnologie<br />

actuelle, l'évolutionnisme offre<br />

d'emblée ce dont les sociétés exotiques<br />

semblent dépourvues au regard<br />

de l'Européen naïf : du sens, le nôtre,<br />

bien entendu ! Ce qui ne change pas<br />

est insignifiant. Les Tasaday de Mindanao<br />

sont «échappés de l'histoire»<br />

(105, 54), — alors qu'ils se trouvent<br />

plutôt hors de l'espace occidental —,<br />

et constituent un bizarre contreexemple<br />

qui ne fait que confirmer la<br />

règle <strong>des</strong> convictions modernes.<br />

Le problème social se résout d'autant<br />

mieux dans l'espace que celui-ci est officiellement<br />

assimilé au temps. Avec<br />

constance, les « Lokalitâten » incarnent<br />

un état sociologique inférieur au<br />

rassemblement de tous « ceux qui marchent<br />

debout». De l'opposition<br />

«micro-sociologique» <strong>des</strong> sexes, on en<br />

arrive progressivement à <strong>des</strong> conflits<br />

aux assises plus larges, entre voisins<br />

du «haut» et du «bas» par exemple,<br />

jusqu'à l'affrontement <strong>des</strong> hommes,<br />

— renforcés par les animaux qui leur<br />

ressemblent —, aux monstres de la<br />

préhistoire. L'unité d'arrivée coïncide,<br />

non pas avec telle famille, ni<br />

avec telle société aux règles particulières,<br />

mais avec le genre humain tout<br />

entier, la «Grande horde» dont on ne<br />

retient que les constantes... naturelles,<br />

pour ainsi dire «culturalisées». Il<br />

s'agit d'abattre les frontières, mo<strong>des</strong>tement<br />

familiales ou, plus significativement,<br />

inter-claniques (internationales<br />

!). On conçoit, à l'inverse, que tout<br />

ce qui diverge «<strong>des</strong>cend». Toute société<br />

qui clame sa singularité<br />

contre-teilhardienne, qui refuse d'entériner<br />

le principe de l'universalité<br />

constitutive <strong>des</strong> règles et droits, régresse<br />

dans l'échelle <strong>des</strong> valeurs. R<br />

cultive <strong>une</strong> «science historique générale»,<br />

<strong>une</strong> somme <strong>des</strong> progrès de l'humanité<br />

qu'il est urgent de conserver à<br />

tout prix. Contre les blancs-becs qui<br />

veulent «brûler le passé», car «seul le<br />

présent compte pour eux» (64, 66,<br />

68), il proclame que «La connaissance<br />

de leur passé est indispensable à Ceux<br />

qui marchent debout» (64, 70).<br />

La «résistance au changement» dépend,<br />

d'<strong>une</strong> part, de la volonté de<br />

conservation <strong>des</strong> acquis, d'autre part,<br />

<strong>des</strong> défauts de ceux qui en pâtissent,<br />

faiblesse, lâcheté, bêtise, habitude. La<br />

répétition est foncièrement détestable.<br />

La coutume «s'impose» ; elle est<br />

«stupide et cruelle» (51, 7), «barbare...<br />

sauvage» (7, 70, 72). La qualification<br />

du «culturel» par essence<br />

qu'est la coutume, par le «naturel» le<br />

plus contraire aux intérêts de<br />

l'homme, rend évidemment un son<br />

étrange. Dans le meilleur <strong>des</strong> cas, la<br />

-165-


(30) G. Flaubert, p. 429.<br />

(31) V. Lénine, t. 3, p. 200.<br />

tradition n'est qu'<strong>une</strong> mécanique<br />

tournant à vide, où la réflexion n'intervient<br />

plus. Le mensonge s'y manifeste<br />

donc sans difficulté. Un sorcier,<br />

après un accident au cours duquel le<br />

chef eut la langue tranchée, impose le<br />

silence à la tribu. D'abord marque de<br />

respect, l'habitude fixée se transforme<br />

en sottise : les hommes finissent par<br />

perdre l'usage de la parole et de la raison<br />

qui en procède (86, 70). Une fois<br />

ancré dans les cervelles, l'ordre social<br />

est consolidé par ceux qui, pourtant,<br />

en souffrent objectivement. Le petit<br />

peuple <strong>des</strong> pauvres fait, contre l'élite<br />

éclairée, l'apologie de la religion (27,<br />

5). En «avance sur son temps», l'élite<br />

est fréquemment assimilée à l'ennemi.<br />

R est suspecté d'intentions malveillantes<br />

: «il reviendra avec son clan s'emparer<br />

de notre territoire» (3, 58). La<br />

non-appartenance ethnique est assimilée<br />

au «parti de l'étranger» (8, 12).<br />

Les hommes ont parfois «de mauvaises<br />

idées en tête» (102, 42), mais le<br />

temps ne compte pas : «stupi<strong>des</strong> chasseurs,<br />

R espère que vous comprendrez<br />

un jour!» (27, 13). Le «Progrès»,<br />

comme le dépeint le « Dictionnaire <strong>des</strong><br />

idées reçues», «Toujours mal entendu<br />

et trop hâtif» (30), doit attendre «que<br />

la nation intéressée ait évolué... ce qui<br />

est inéluctable» (31). Une fois seulement,<br />

R «fuit ce clan étrange où il<br />

était impossible de distinguer les bons<br />

<strong>des</strong> mauvais» (30, 17), où la dualité<br />

<strong>des</strong> deux «classes» était encore obscure...<br />

6. Humain,<br />

plus qu'humain<br />

Le personnage éponyme de la collection<br />

résume l'ensemble <strong>des</strong> principes<br />

positifs de l'Histoire. Il est la «théorie<br />

» a-temporelle et la «pratique»<br />

qui lui donne vie au jour le jour. Ses<br />

moyens sont curieusement ceux de ses<br />

antagonistes, du moins en partie :<br />

d'abord la force ou la force retournée<br />

de l'adversaire (1, 7), puis la souplesse,<br />

lorsque la force est inefficace<br />

contre un colosse (40, 11), et la fuite<br />

(5, 64 ; 24, 21). Finalement, «il lui<br />

reste la ruse» (84, 7). La souplesse intellectuelle<br />

n'est pas <strong>une</strong> lâcheté (21,<br />

6), mais <strong>une</strong> façon de se mettre au diapason<br />

de l'ennemi, <strong>une</strong> marque de sagacité<br />

qui contraste avec la crédulité<br />

<strong>des</strong> sots (4, 29), assimilés aux animaux<br />

du sorcier sont du même ordre, il<br />

s'agit de bien spécifier la différence.<br />

La ruse vise au bien général, tandis<br />

que le mensonge ne profite qu'au malfaisant<br />

(57, 41). Qu'importent les<br />

moyens si le gouvernement garde en ligne<br />

de mire le bien-être <strong>des</strong> générations<br />

futures ! Remarquons tout de<br />

même que la ruse est <strong>une</strong> praxis complaisamment<br />

illustrée, mais non « officielle»,<br />

comme les qualités que représentent<br />

les griffes du collier fétiche de<br />

R. Elle ne correspond à aucun alinéa<br />

de la «constitution» et ne fonctionne<br />

que voilée. Faute de quoi, où serait la<br />

ruse ? R, par conséquent, fait semblant<br />

d'être du côté <strong>des</strong> ennemis (7,<br />

64), ment (11, 22), gagne du temps (7,<br />

44), se camoufle (76, 50), fait le mort<br />

(93, 37), divise l'adversaire (6, 13),<br />

menace de la peine capitale (92, 16),<br />

pratique l'attaque préventive (117,<br />

371). L'intoxication est efficace et «le<br />

langage est <strong>une</strong> arme» (86, 73).<br />

La persuasion doit, en principe, suffire<br />

pour ramener les travailleurs opprimés<br />

dans le droit chemin du progrès.<br />

Lorsque, malgré tout, force et<br />

ruse interviennent, R multiplie les soliloques,<br />

avertit le lecteur de la pureté<br />

de ses intentions. Il « déteste abuser de<br />

la crédulité de ceux qui marchent debout,<br />

mais il reconnaît que la ruse est<br />

efficace» (81, 40). Jouant les sorciers<br />

(99, 68), les dieux (111, 120), usant de<br />

placebos, philtres de bravoure (14, 9),<br />

il «doit frapper l'imagination du<br />

clan » (66, 27). Mais, quand il aura gagné<br />

sa confiance, «il révélera cette<br />

ruse» (76, 53) : plus tard, les «dirigeants»<br />

expliqueront au peuple le<br />

pourquoi <strong>des</strong> choses qui lui échappent<br />

pour l'instant. Les moyens sont adaptés<br />

au niveau du public, qu'il s'agisse<br />

de concessions aux rituels (41, 71) ou<br />

du maintien provisoire de coutumes<br />

qu'il est «dangereux de troubler» (7,<br />

54). Cette attitude, tout de même, a<br />

<strong>des</strong> limites. Dès lors que les traditions<br />

perdent leur caractère «folklorique»<br />

et contrecarrent trop ouvertement sa<br />

-166-


(32) J.H. Rosny-Aîné, p. 191<br />

vision du monde, R se sent obligé d'intervenir.<br />

Il «respecte toutes les<br />

croyances» (65, 5)... «mais il trouve<br />

les vôtres bien stupi<strong>des</strong>» (30, 22). R<br />

est l'instituteur du peuple. Une tortue<br />

géante menace-t-elle ses compagnons,<br />

il exhorte à l'action (50, 77), à la fuite<br />

s'il le faut (25, 47). Son état d'esprit<br />

dynamique le dresse contre toute<br />

psychologie délétère de renoncement<br />

(53, 38). Il «ne se résignera jamais»<br />

(25, 48) car «il existe toujours un<br />

moyen» (84, 7) et «Nul péril n'est<br />

pour toujours insurmontable» (96,<br />

69). L'humanité ne conçoit que les<br />

problèmes qu'elle peut résoudre,<br />

même lorsqu'ils se présentent sous<br />

forme de brontosaure et que les dangers<br />

ne sont pas de nature directement<br />

sociale. Si les «notions de courage et<br />

de lâcheté étaient encore obscures»<br />

(84, 13), la passivité coutumière —<br />

routinière — « irritait le fils de Craô »<br />

(39, 54). Dans cette «enfance de l'humanité»,<br />

R traite ses congénères en<br />

mineurs, tandis que ceux-ci l'assimilent<br />

à leurs tuteurs habituels : «es-tu<br />

dieu ou démon ?» (104, 30), «peux-tu<br />

faire d'autres miracles» (26, 64), honneur<br />

que le héros décline avec solennité<br />

(5, 67). Des hommes ordinaires<br />

doit, ultérieurement, venir le progrès :<br />

«Ceux qui marchent debout ne doivent<br />

compter que sur eux-mêmes»<br />

(19, 51) et découvrir tout seuls «le<br />

pouvoir <strong>des</strong> silex» (51, 18).<br />

Si R couronne l'Histoire, il se trouve<br />

aussi bien à ses débuts. Il est issu <strong>des</strong><br />

comm<strong>une</strong>s contradictions, définitivement<br />

surmontées. D'<strong>une</strong> enfance troublée<br />

par les catastrophes naturelles et<br />

les épreuves sociales, il a fait son miel<br />

philosophique. Sa vie résume le devenir<br />

de l'homme tout comme la croissance<br />

de l'individu est à l'image de<br />

l'évolution <strong>des</strong> sociétés. Ainsi, R est<br />

né de parents ordinaires, au sein d'<strong>une</strong><br />

horde «locale» (1,11). Ayant, à l'instar<br />

de tous les malheureux, subi les<br />

aléas de l'existence, il se retrouve démuni,<br />

privé de famille, «au chômage»<br />

dans la jungle <strong>des</strong> hommes, ces «fauves».<br />

Il décide alors de se conduire en<br />

prédateur (106, 9). Religieusement, il<br />

«recherche la tanière du soleil» (106,<br />

10), dont il ne connaît qu'<strong>une</strong> partie,<br />

car il «redoutait les ténèbres» (106,<br />

12). Au cours de sa migration vers<br />

l'Ouest (direction supposée de toutes<br />

les nomadisations), tout d'un coup, il<br />

« nargue le soleil » (106, 7*) et « la vengeance<br />

n 'eut pas lieu... on pouvait impunément<br />

défier les dieux» (106, 19).<br />

La libération mentale induit un renversement<br />

général <strong>des</strong> valeurs : «7?<br />

sera le fils de tous les clans, de toutes<br />

les hor<strong>des</strong>, R ira partout, verra tout,<br />

apprendra tout» (106, 26). Il n'y a de<br />

science que du général ! Cependant,<br />

malgré l'épisode, la vision du héros<br />

n'est pas entièrement issue de l'expérience<br />

directe. Au cours de son enfance,<br />

il eut un maître en la personne<br />

de son père adoptif Craô, dispensateur<br />

de vérités premières (35, 9). Le<br />

souvenir <strong>des</strong> leçons familiales le poursuit<br />

et l'aiguillonne tandis qu'il «.vit<br />

comme <strong>une</strong> bête sauvage » et « trahit le<br />

souvenir de Craô» (35, 20)... Après sa<br />

révolution personnelle, un doute l'envahit<br />

par moments. Toujours évanescent,<br />

il ne sert qu'à montrer comment<br />

il faut surmonter difficultés et faiblesses<br />

(54, 58).<br />

7. La Nouvelle Société<br />

Le héros est partageur, non autoritaire,<br />

pacifique, anti-sexiste, laïque,<br />

équanime, véridique, réaliste, inventif.<br />

Tels seront les caractères de l'univers<br />

transfiguré qu'il laisse derrière<br />

lui. Des égoïsmes individuels à l'impérialisme<br />

<strong>des</strong> nations, le programme<br />

s'assigne <strong>une</strong> tâche plus qu'ambitieuse.<br />

D'abord le principe d'entraide<br />

(17, 5 ; 104, 26) et son application :<br />

«7? est heureux que Ceux qui marchent<br />

debout viennent de ce côté : il<br />

partagera avec eux» (8, 7). Nulle aristocratie<br />

: «c'est tout le clan qui doit<br />

décider» (93, 40) ; nul privilège : 7? attend<br />

« mo<strong>des</strong>tement sa part de viande »<br />

(17, 23) ; nul magistrat ; le clan décidera<br />

du sort d'un coupable. A l'image<br />

du Naoh progressiste de la Guerre du<br />

Feu (32), il se penche avec compassion<br />

sur le sort <strong>des</strong> femmes (1, 7). Surtout,<br />

il est «l'ami de tous» (6, 72), refusant<br />

-167-


de brutaliser ceux qui ne sont pas ses<br />

ennemis déclarés (88, 26), de leur « voler<br />

la vie» (44, 32), thème ressassé entre<br />

tous, où l'on enregistre un remarquable<br />

pic de fréquence.<br />

A l'opposé <strong>des</strong> petits bourgeois, défenseurs<br />

acharnés de leur lopin de<br />

terre, 7? est un «chasseur libre» (66,<br />

20) : «Aucun territoire ne lui est interdit»<br />

(41, 62). Comment pourrait-il ne<br />

pas rejeter «l'autonomie culturelle nationale»<br />

(33) ? Une fois installé, rien<br />

ne saurait le déloger. De même qu'<strong>une</strong><br />

intervention ne prend fin qu'après son<br />

succès, «R repartira s'il le juge bon»<br />

(104, 29). Au-delà de son symbolisme,<br />

cette mobilité, géographique et culturelle,<br />

ce «déracinez-vous» général est<br />

commandé par le besoin : « R, quand<br />

il a faim, chasse où il veut» (17, 5). Le<br />

travail seul est apte à combler le manque<br />

inhérent à l'être humain. Sa recherche<br />

prime donc sur toute autre<br />

considération. Lui-seul confère la citoyenneté<br />

et le droit de jouir de son<br />

produit : «R a tué le baloua. Cette<br />

peau est à lui» (70, 8). Le schéma,<br />

conforme à l'idée que les progrès, au<br />

cours de l'«état sauvage» (34), résultent<br />

d'un affranchissement de l'espace<br />

et du climat, explique qu'aucun endroit,<br />

auc<strong>une</strong> richesse, ne sauraient<br />

demeurer la propriété exclusive de<br />

quelque société «locale» que ce soit.<br />

Le droit du premier occupant s'évanouit<br />

! De fil en aiguille, on en vient à<br />

la conclusion que les hommes « ne forment<br />

qu'<strong>une</strong> seule horde. Un jour,<br />

tous les clans l'admettront» (115,<br />

228) : «Die Arbeiter haben kein Vaterland»<br />

(35). La ressemblance sociale<br />

cimente l'unité du genre humain : «R<br />

n'est-il pas chasseur aussi ?» (2, 27),<br />

c'est-à-dire «travailleur», quoiqu'étranger<br />

? Tous les hommes évoluent<br />

vers ce « point de fuite de toutes<br />

les histoires particulières» qu'entrevoit<br />

P. Ricœur. Plus encore, R se<br />

fonde sur la ressemblance naturelle et<br />

lutte pour «ceux de son espèce» (98,<br />

27), pour ceux qui «sont de la même<br />

race» (25, 49). Il stigmatise les nations<br />

particulières qui se sentent différentes<br />

du reste de l'humanité au point d'en<br />

venir au cannibalisme.<br />

Malgré la barrière génétique, l'homme<br />

nouveau est le concitoyen <strong>des</strong> animaux,<br />

que R soigne (36, 45) ou « déteste<br />

tuer» (57, 77). La société <strong>des</strong> animaux<br />

possède, en plus grossier, le.s<br />

traits de celle <strong>des</strong> hommes. Les bêtes<br />

vivent en famille, chérissent leurs petits<br />

(116, 244). Certaines d'entre elles<br />

sont d'ailleurs plus évoluées, plus<br />

«humaines» (13, 57). Dans la mesure<br />

où la praxis est motrice, il suffit souvent<br />

d'éliminer la « contradiction » qui<br />

fait <strong>des</strong> fauves les ennemis de<br />

l'homme. Une louve, touchée par la<br />

grâce révolutionnaire, vient lécher R,<br />

sauveteur de son louveteau (83, 67).<br />

Une panthère le «reconnaît» (116,<br />

244)... Il existe <strong>des</strong> cas limites, qui<br />

mettent en lumière la continuité du vivant.<br />

Les australopithèques, contemorains<br />

de R, sont « Ceux qui ressemblent<br />

tant à Ceux qui marchent<br />

debout» (5, 62). Le nom <strong>des</strong> singes,<br />

«Ceux qui courent dans les arbres»,<br />

est construit selon le modèle de celui<br />

<strong>des</strong> hommes. Comme le veut le cliché :<br />

«Quel dommage qu'ils ne parlent<br />

pas !» (113,157), raison pour laquelle<br />

«R n'aime pas que les chasseurs menacent<br />

les quatre mains» (57, 57).<br />

Le tableau serait incomplet sans mention<br />

du cadre géographique. Les sociétés<br />

avancées s'épanouissent dans <strong>des</strong><br />

paysages d'allure alpestre, de la « vallée<br />

<strong>des</strong> fleurs» (72, 25) à la « vallée du<br />

bonheur» (103, 12), au climat tempéré,<br />

aux saisons alternées (5, 49). R<br />

est un Gaulois heureux à la campagne,<br />

dont les excursions scientifiques vers<br />

le Grand Nord, les équipées dans la<br />

jungle, sont temporaires. Une implicite<br />

«théorie <strong>des</strong> climats» ordonne<br />

l'évolution de la meilleure humanité.<br />

8. La république<br />

à besoin de savants<br />

La volonté de comprendre, l'amour de<br />

la science pure, sont loin d'être absents<br />

: «7? doit savoir, R veut savoir»<br />

(109, 75). Il ose «brandir le flambeau<br />

de la raison » (104, 38) et tire <strong>une</strong> jubilation<br />

intense de la perspective d'affronter<br />

<strong>des</strong> mystères nouveaux : «il<br />

-168-


(36) F. Engels, Der Ursprung, p. 169.<br />

passera <strong>une</strong> crête que nul n'avait franchie<br />

avant lui» (117, 388). Le premier,<br />

il conçoit que le soleil «tourne» autour<br />

du monde, qui «serait rond<br />

comme un fruit», de même que les pirogues<br />

tournent autour d'<strong>une</strong> île (106,<br />

21): il était assez délicat d'en faire<br />

l'initiateur de la théorie copernicienne<br />

! Parfois, R tâtonne dans son<br />

laboratoire à ciel ouvert, répète les essais<br />

(59, 64), recrée les phénomènes<br />

(73, 61). Maître d'ceuvre d'<strong>une</strong> politique<br />

de recherche volontariste, — comment<br />

serait-il «moderne» sans cela ?<br />

—, il «ne s'était jamais trouvé devant<br />

un mystère sans tenter de l'éclaircir»<br />

(92,11). La nature se prête à cette entreprise<br />

: « Tout mystère a son explication»<br />

(29, 68), bien qu'il arrive que<br />

la compréhension soit différée. Incapable<br />

d'expliquer l'arc-en-ciel, R<br />

n'éprouve «auc<strong>une</strong> crainte, auc<strong>une</strong> inquiétude»,<br />

— qui serait «religieuse»<br />

—, car il «comprendra plus tard ce<br />

qu'il ne s'explique pas aujourd'hui»<br />

(114,796).<br />

7? sera donc l'adversaire du sorcier et<br />

de ses «territoires imaginaires». Ce<br />

qui ne se touche ni ne se voit, ne peut<br />

exister : «7? n'a jamais vu les "esprits"<br />

apaiser la colère <strong>des</strong> "morts"»<br />

(77, 56). Ceux-ci ne sauraient revivre<br />

(38, 77), ils «n'ontpas besoin de nourriture»<br />

(69, 58), « car la mort enchaîne<br />

jusqu'à la fin <strong>des</strong> temps» (30, 26). R<br />

est un incroyant radical (35, 27), caractéristique<br />

essentielle (et martelée<br />

plusieurs dizaines de fois) qui le distingue<br />

<strong>des</strong> mortels pré-scientifiques.<br />

Pour «le clan, c'est <strong>une</strong> "réincarnation",<br />

un "miracle". Pour R, c'est un<br />

mystère» (42, 14). Il ne croira jamais<br />

«pareille sottise» (93, 32) et son<br />

athéisme le porte à défier les dieux de<br />

pacotille (111, 722). Passer outre aux<br />

interdits met en lumière l'absurdité<br />

<strong>des</strong> raisonnements «traditionnels». Il<br />

mange <strong>des</strong> poissons sans que son<br />

corps ne se couvre d'écaillés (29, 73),<br />

pénètre dans un antre que les hommes<br />

croient habité de démons et « Ce n 'est<br />

que le vent qui hurle dans la caverne»<br />

(58, 56). En rêve, il entend le sermon<br />

paternel : «lutte contre ces mystères<br />

pour éveiller l'esprit <strong>des</strong> hommes»<br />

(35, 21).<br />

Libéré <strong>des</strong> illusions et fausses croyances,<br />

l'intellect est placé face au «réel»,<br />

tandis que la découverte est soumise<br />

aux conditions d'un «empirisme<br />

naïf» où le hasard (36) joue un rôle<br />

central. Il est en effet pur de toute intention<br />

<strong>idéologique</strong> et relève d'<strong>une</strong> infrastructure<br />

naturelle qui laisse,<br />

d'elle-même, miroiter ses facettes.<br />

Comme le « hasard objectif » <strong>des</strong> surréalistes,<br />

la nature combine ses propres<br />

morceaux tant et si bien que le résultat<br />

finit toujours par correspondre<br />

à quelque chose d'intéressant. Le hasard<br />

« vient souvent en aide aux chasseurs»<br />

(9, 26).<br />

Cependant, la nation préhistorique a<br />

besoin d'ingénieurs, plus encore que<br />

de savants. 7? ne se contente pas d'observer<br />

le monde, «7/ retient ce qu'il<br />

voit et cela lui est souvent bien utile»<br />

(10, 68). Ses découvertes «trouvaient<br />

toujours <strong>une</strong> application» (27, 22).<br />

Du besoin à la découverte, le chemin<br />

est bien court. Que son coutelas ait<br />

tendance à se prendre dans les ronces,<br />

et 7? invente <strong>une</strong> fixation adéquate<br />

(108, 59). Un bras cassé le fait immé-<br />

-169-


(37) J. Bril, p. 30.<br />

(38) C. Lévi-Strauss, p. 405.<br />

diatement songer à l'attelle (26, 73).<br />

La technologie est <strong>une</strong> libération. Elle<br />

plie le monde aux désirs souverains de<br />

l'humanité : «R dirige l'eau où bon<br />

Quelquefois, la nature elle-même coopère<br />

au progrès. L'agriculture naît<br />

d'<strong>une</strong> charge de mammouths, piétinant<br />

<strong>des</strong> graines qui donnent naissance<br />

à <strong>des</strong> végétaux comestibles (40,<br />

16) ; le vin est découvert (malencontreusement)<br />

à la suite d'un éboulement,<br />

responsable de l'écrasement de<br />

raisins sauvages (107, 38). Quoiqu'il<br />

en soit d'<strong>une</strong> telle confusion entre<br />

«occasion» et «cause», — à vrai dire<br />

assez comm<strong>une</strong> — (37), on remarquera<br />

que l'infrastructure agissante<br />

fait facilement l'économie de la<br />

science pure. A quoi servirait <strong>une</strong><br />

connaissance qui ne répond à aucun<br />

besoin ? La supériorité de la pratique<br />

sur la théorie renforce le sentiment<br />

que l'univers est <strong>une</strong> sorte d'usine qui<br />

fournit <strong>des</strong> solutions, en attente de...<br />

problèmes. A l'homme de faire l'appoint,<br />

ce qui est aisé : «rien de plus<br />

simple que de façonner <strong>une</strong> motte<br />

d'argile et de la durcir au feu » pour en<br />

tirer <strong>une</strong> poterie. Et C. Lévi-Strauss<br />

ajoute: «Qu'on essaie!» (38). La<br />

culture n'est donc, en un sens, que le<br />

résultat d'un vaste transfert analogique.<br />

Un saumon accroché à <strong>une</strong> épine suggère<br />

l'hameçon (108, 50) ; un arbre<br />

roulé par les flots fait penser au bélier<br />

(102, 54) ; l'extraction d'<strong>une</strong> guêpe<br />

prise dans <strong>une</strong> tige creuse mène à la<br />

sarbacane (102, 35) ; la queue d'un<br />

poisson devient gouvernail (102, 72) ;<br />

l'aspect changeant du caméléon fonde<br />

la technique du camouflage (17, 8) et,<br />

cas limite, le mot (français !) «s'envoler»,<br />

d'abord appliqué à la mémoire,<br />

provoque, comme <strong>une</strong> sorte de contremétaphore,<br />

allant de l'irréel au<br />

concret, l'invention du... parachute<br />

(102, 58). Il arrive que les inférences<br />

s'égrènent en séries. Une goutte d'eau<br />

que le hasard dépose sur un trou,<br />

mène à l'idée de lentille. Placée à l'extrémité<br />

d'un bambou, elle en fait un<br />

microscope (71, 14, 15). Un couteau,<br />

projeté sur l'arbre où se trouve <strong>une</strong><br />

mygale, fait oportunément sourdre du<br />

latex. Séché en boule, celui-ci rebondit<br />

Il III1101, Il<br />

dans l'eau brûlante, se déforme. Renversé<br />

sur <strong>une</strong> sarbacane, il se transforme<br />

en élastique et devient fronde,<br />

enfin «consommable» (49, 40, 46-47,<br />

54-55). Comme R a tous les caractères<br />

du «surdoué», il invente la... poudre,<br />

même s'il n'y parvient qu'au prix de<br />

quelques tâtonnements pardonnables.<br />

Le produit est inventé, «développé»<br />

en augmentant la dose, «appliqué» à<br />

la pêche (à l'explosif !) (21, 15). On<br />

envisage même d'en faire <strong>une</strong> arme,<br />

sommet du processus. Au même titre<br />

que, dans le domaine de la science<br />

pure, certaines explications sont programmées<br />

pour <strong>une</strong> ère future, un instrument<br />

comme l'hélice (73 , 62), provisoirement<br />

sans application sérieuse,<br />

attend la manifestation d'un besoin<br />

dont on sait bien qu'il existe en filigrane.<br />

La somme de ces découvertes est ressassée<br />

à souhait dans un n° spécial<br />

(21). La technologie relève en effet<br />

d'<strong>une</strong> collection de réponses, dignes<br />

de «Je sais tout» (un magazine qui<br />

vulgarise <strong>une</strong> science qui promet de<br />

«dépasser la nature», tout en publiant<br />

la «Guerre du Feu»...). Ce catalogue<br />

de grande «Manufacture d'armes et<br />

outils» va <strong>des</strong> techniques du corps<br />

comme la nage, aux astuces pratiques<br />

du scoutisme : faire un nœud coulant,<br />

cuire un œuf d'autruche. Vient ensuite<br />

l'ingénierie moderne : construire un<br />

pont, un paratonnerrre, <strong>une</strong> cage antirequins.<br />

Tout ceci culmine avec la civilisation<br />

<strong>des</strong> loisirs, point de mire de<br />

l'évolution : R s'amuse avec un cerfvolant<br />

(102, 68), invente le crawl (24,<br />

18). Tout se passe comme si les découvertes<br />

étaient indépendantes <strong>des</strong><br />

contextes sociaux qui, normalement,<br />

les produisent. A ceux qu'on définit<br />

comme «chasseurs», il apprend à<br />

chasser (10, 65) ; aux pêcheurs professionnels,<br />

il enseigne la pêche à la ligne<br />

(17, 18), à la traîne (52, 28), au carrelet<br />

(92, 21), jusqu'à épuisement de<br />

-170-


toutes les pêches de nos encyclopédies.<br />

Aux femmes, il apprend à coudre (3,<br />

6), bien que la société préhistorique,<br />

justement, les confine dans ce genre<br />

d'activités. L'invention se saurait être<br />

le fait que d'<strong>une</strong> lointaine élite et le<br />

changement résulte surtout d'<strong>une</strong> diffusion,<br />

sous forme d'éducation internationale.<br />

La société sera ce qu'enseignent<br />

les maîtres. Il est, cependant,<br />

<strong>des</strong> prodromes de science au sein du<br />

monde ancien, point de vue qui s'appuie<br />

sur la conception d'<strong>une</strong> religion<br />

comme première et maladroite tentative<br />

d'explication du réel. Les œufs de<br />

quelques animaux rares sont sacralisés<br />

et interdits : « R reconnut volontiers la<br />

sagesse de ces raisonnements» (27,<br />

21), car on évite ainsi le risque de leur<br />

disparition. Un tamanoir est sacré<br />

parce qu'il est utile en dévorant les<br />

fourmis (32, 38), de même qu'<strong>une</strong> eau<br />

difficile à obtenir (23, 66). Untel totémisme<br />

utilitaire est <strong>une</strong> ébauche de politique<br />

écologique...<br />

9. Une étrange familiarité<br />

Ces aventures font l'objet d'un double<br />

mouvement, d'éloignement et de rapprochement,<br />

dont le premier, seul,<br />

n'est pas masqué. L'éloignement dans<br />

le temps et l'espace rend le texte plus<br />

attractif et, surtout, justifie le discours<br />

historicisant qu'exige la théorie<br />

sous-jacente. Un grand nombre d'éléments<br />

témoignent d'un exotisme géographique.<br />

Les paysages sont farcis de<br />

volcans en éruption, Vésuves ou Krakatoas<br />

(105, 50). Mais surtout, l'exotisme<br />

est ethnologique et R côtoie les<br />

personnages-clés de l'imaginaire occidental<br />

: pygmées (12, 39) et anthropophages<br />

(81, 34). Tous sont groupés en<br />

clans et hor<strong>des</strong>, concepts dont le caractère<br />

interchangeable et vague signale<br />

la fonction décorative. Les marques<br />

de « primitivité » se succèdent,<br />

sous forme d'instruments, comme la<br />

sarbacane (6, 18), la bola (22, 26), le<br />

boomerang (17, 8) ; de techniques,<br />

comme l'usage de signaux de fumée<br />

(26, 72) ; de constructions, comme<br />

l'iglou (88, 27) ; d'animaux mythiques<br />

du genre « quetzal » (56, 14) ; de comportements<br />

étranges : disposition du<br />

squelette dans un tronc d'arbre immergé<br />

(96, 26), précipitation dans le<br />

vide, un pied maintenu par <strong>une</strong> corde<br />

(100, 12), abandon <strong>des</strong> vieillards dans<br />

la neige (88, 23). Réels ou non, ces<br />

traits culturels proviennent du monde<br />

entier, renforçant l'universalité de<br />

l'Histoire. A l'ethnologie stricto sensu<br />

s'ajoute d'ailleurs la source préhistorique.<br />

R taille le silex (100,17), contemple<br />

dolmens (104, 3) et peintures pariétales<br />

(2, 27). Surtout, il se promène<br />

dans un paysage fantasmagorique où<br />

se succèdent mégacéros (44, 35),<br />

mammouths (40, 16), tyrannosaures<br />

(54, 49), tricératops (105, 57), ptéranodons<br />

(1, 16), tous gigantesques.<br />

Plus proches de nous, certains clichés<br />

sont pris à l'antiquité. Tel sorcier a<br />

l'air de Néron (98, 73) ; <strong>des</strong> fauves<br />

sont encagés dans un Colysée rustique<br />

(6, 8) ; <strong>une</strong> œuvre d'art rappelle les<br />

bas-reliefs de Ninive (17, 5) ; le comportement<br />

<strong>des</strong> pêcheurs envers les<br />

« poissons-femmes » est conforme aux<br />

croyances grecques à propos <strong>des</strong> lamantins<br />

(43, 25). Encore plus proche,<br />

jouant d'un exotisme à la dimension<br />

<strong>des</strong> vacances ou du cinéma, <strong>une</strong> arène<br />

est de style espagnol (98, 73), tandis<br />

que 7? fait alliance avec un chimpanzé<br />

(56, 99) ou se balance au bout d'<strong>une</strong><br />

liane (1,4), antique Tarzan. La mixture<br />

historique dément donc la spécification,<br />

— on apprend incidemment<br />

que tout ceci se passe il y a 5 000 siècles<br />

(37, 66) —. La somme qu'est 7?<br />

fait peu de cas <strong>des</strong> dates particulières.<br />

L'étrangéification langagière couronne<br />

ce procédé. Nos «primitifs»<br />

portent <strong>des</strong> noms aux formes qu'un<br />

Français trouvera les plus barbares.<br />

Leur « profil » est bantou : « Mbong »<br />

(13, 61), eskimo : «Kaglok» (8, 8), japonais<br />

: «Tanaka» (53, 18), Scandinave<br />

: « Thor» (12), gaulois : «Arrix»<br />

(21, 17) Quelques termes sont<br />

directement ethniques : «Aïnou» (72,<br />

25), «Kanak» (75, 28). On recourt<br />

aux diphtongues «polynésiennes» ou<br />

«amérindiennes» : «Baroa» (9),<br />

«Arao» (51, 8), «Taira» (21, 18).<br />

Consonnes et voyelles sont doublées :<br />

«Ttoac» (102, 66), «Gâa» (99, 56),<br />

ou triplées : « Taaar» (107, 32). Beaucoup<br />

de particularités exotiques sont<br />

purement orthographiques, — ce qui<br />

n'a guère de sens dans <strong>une</strong> civilisation<br />

orale ! — et rappellent les Goûn,<br />

Faouhm, Kzamm, de la Guerre du<br />

Feu. Le «sch» allemand est mis à contribution...<br />

Cependant, tout comme<br />

un argot est proprement tiré de la langue<br />

ordinaire, les mots de l'idiome<br />

préhistorique procèdent de termes<br />

français, tronqués et affublés d'un —<br />

a sudiste : «jagha» Qaguar) (56, 10),<br />

«sanghia» (sanglier) (2, 42). La postfixation<br />

d'un — k joue le même rôle :<br />

«boak» (9, 25), «pumak» (37, 60),<br />

«nandouk» (27, 19), «espak» (espadon)<br />

(98, 53). L'infixation d'un h germanique<br />

« surgutturalise » le résultat :<br />

«Ihézark» (117, 369). La langue <strong>des</strong><br />

chasseurs devait être proche du monosyllabisme<br />

originel, auquel se réfèrent<br />

encore tant de linguiste du début<br />

du siècle. Les piranha se transforment<br />

donc en «piranes» (7, 57), le tamanoir<br />

en «tamas» (32, 38), le kangourou en<br />

«kaga» (106, 8). Quelques phrases<br />

complètes, en «préhistorique», vérifient<br />

ce principe : «Kan, chakalac,<br />

glahac, kan ! kan !» (116, 259)... Les<br />

composés à traits-d'union imitent l'allure<br />

<strong>des</strong> langues à « classificateurs » :<br />

«ka-hor», «ka-noa», «ka-dir» (103,<br />

45). On recourt à la «motivation morphologique»,<br />

— qu'invoquait déjà<br />

Turgot (39) —, qui rend les termes<br />

adéquats aux référents qu'ils décrivent<br />

: « Vigor» est un chef (12), « Terrora»,<br />

un tyrannosaure (54, 49),<br />

«Arké», un vieil homme (7, 62) ;<br />

«karwa» désigne le charbon (46, 70) ;<br />

«Céréha» découvre les céréales (40,<br />

7) ; «Harghar-Heurgh» est un sorcier<br />

dont la laideur est également anthroponymique<br />

(87, 7) ; « Thora» désigne<br />

<strong>une</strong>... pieuvre envahissante (85, 48).<br />

Le volcan est un «mont gui tonne»<br />

(105, 50), «oreillespointues» désigne<br />

le lynx (95, 55), Y«oiseau gui nage»<br />

un canard (26, 54), la «bête qui pique»<br />

<strong>une</strong> guêpe (58, 42). Ces platitu<strong>des</strong><br />

sont liées à Y obligation de motiver<br />

-171-


à tout prix, même si le résultat est absurde<br />

: le cheval est un «quatre jambes»<br />

(102, 71), bien que la plupart <strong>des</strong><br />

animaux terrestres répondent à ce critère.<br />

Qualifier la mouette d'«oiseau<br />

de neige», — comparaison difficile en<br />

milieu tropical —, révèle, de même,<br />

<strong>une</strong> volonté de faire «primitif» coûte<br />

que coûte. Quelques termes sont «surmotivés»<br />

pour rendre le phénomène<br />

encore plus sensible : de Parc-en-ciel,<br />

on passe à P« arc du ciel » (114, titre) ;<br />

quadrumane se transforme en « quatre<br />

mains» (57, 27) ; le tricératops est un<br />

«trois cornes» (40, 19) et, à partir<br />

d'«octopus», la pieuvre est qualifiée<br />

de «tête à huit bras» (38,9). Il suffit,<br />

dans certains cas, de renverser l'ordre<br />

ordinaire de la détermination pour atteindre<br />

au même résultat : «hommes<br />

petits» remplace avantageusement<br />

«petits hommes» (12, 38).<br />

Pourquoi ce passé révolu serait-il<br />

exemplaire ? C'est que ce «temps<br />

perdu» est déjà «retrouvé» ! Il n'est,<br />

en fait, qu'un présent projeté derrière<br />

nous, un présent «rétrograde». Nous<br />

sommes en terrain de connaissance,<br />

dans un monde contemporain déguisé,<br />

mais dont subsistent les sensibilités,<br />

les soucis et les gran<strong>des</strong> catégories, du<br />

«politique» au «religieux», en passant<br />

par l'«économique». R se situe<br />

lui-même «Dans la nuit <strong>des</strong> temps»<br />

(51, 7), c'est-à-dire, du point de vue<br />

actuel. Dès lors, les oripeaux <strong>des</strong> musées<br />

servent surtout de «couverture».<br />

Après avoir joué de leur séduction auprès<br />

<strong>des</strong> je<strong>une</strong>s lecteurs, on en vient<br />

enfin à l'essentiel, au présent qui,<br />

seul, donne sens au passé et à l'avenir.<br />

C'est à lui que s'arrête l'Histoire. Le<br />

passé n'en est que l'inversion factice et<br />

l'avenir n'en constitue que le développement<br />

quantitatif.<br />

Les questions de l'actualité sont, visiblement,<br />

traitées à la demande. Le<br />

problème de la monnaie, par exemple,<br />

n'est pas au centre de la société préhistorique.<br />

Or R administre à ses «élèves»<br />

<strong>une</strong> leçon d'économie (...libérale)<br />

où l'on apprend que les<br />

«gonuks» (coquillages du genre cauris)<br />

sont d'autant plus valorisés qu'ils<br />

sont plus rares (13,69). Les problèmes<br />

du désarmement (21, 21) et du pacifisme<br />

sont, tour à tour, évoqués.<br />

Leurs champions sont «injustement<br />

accusés de lâcheté» (45 , 48). Le féminisme,<br />

omniprésent, est traité dans un<br />

n° spécifique (1, « Celles qui marchent<br />

debout». Les chasseurs considèrent<br />

les femmes « tout juste bonnes à faire<br />

cuire la viande, à leur donner <strong>des</strong> enfants»<br />

(95, 67), — spécialisation que<br />

le monde ancien ne cherchait certes<br />

pas à récuser —. La drogue fait l'objet<br />

de commentaires appuyés (79, Le territoire<br />

fantastique»). Les hommes qui<br />

en font usage sont <strong>des</strong> «déchets humains»<br />

(104, 28), mais la connaissance<br />

scientifique justifie quelques expériences<br />

où R précède H. Michaux. Il<br />

tente de savoir « quel effet produisent<br />

sur lui ces champignons maudits» (79,<br />

21). Les «drogues douces», tabac et<br />

vin, dont l'usage est trop répandu,<br />

sont vilipendées avec moins d'énergie.<br />

R «préfère aspirer l'air pur <strong>des</strong> collines»<br />

et la «tige qui fume» est repoussée<br />

avec quelques « Pouah ! » qui sont<br />

à l'adresse de ceux qui ne fument pas<br />

encore (80, 24). L'excès seul est réellement<br />

nocif : « Celui qui y boit trop ne<br />

sait plus ce qu'il fait» (107 , 37). Le<br />

traitement de l'écologie reproduit les<br />

palinodies actuelles. Il s'agit de promouvoir<br />

<strong>une</strong> bonne exploitation de la<br />

nature, sans menacer l'existence du gibier<br />

dont on aura besoin un jour (71,<br />

27), ne serait-ce qu'en épargnant les<br />

femelles (88, 27). Il existe, comme<br />

chacun sait, de mauvais (et je<strong>une</strong>s)<br />

écologistes, dont l'amour <strong>des</strong> animaux<br />

se retourne en haine <strong>des</strong> hommes (57,<br />

31). Ces mêmes je<strong>une</strong>s gens s'en prennent<br />

au parti de ceux qui défendent<br />

vraiment la nature, plutôt qu'à leurs<br />

pères, responsables du massacre (57,<br />

40)...<br />

Bien <strong>des</strong> «petites» questions sont<br />

strictement contemporaines ou modernes.<br />

Ainsi, le suicide, auquel il faut<br />

savoir résister (74, 7), l'enrôlement<br />

dans <strong>une</strong> secte de « fils de la l<strong>une</strong>», dirigée<br />

par <strong>des</strong> sorciers bannis, d'autant<br />

plus «religieux» qu'ils sont dépourvus<br />

-172-


de chaperonnage «laïque». Le «bonheur»<br />

ne se gagne pas en marge de la<br />

société (74,18). Mais il existe de bons<br />

religieux ! R se découvre d'opportuns<br />

«compagnons de route», de «bons<br />

sorciers, pas comme les autres» (56,<br />

18). A ce retournement fait pendant le<br />

dévoiement toujours possible de la<br />

science en technologie diabolique (48,<br />

26).<br />

L'ambiance est celle de l'industrie.<br />

Les « sauvages » sont affublés en « travailleurs»<br />

de villes modernes. On leur<br />

applique la «loi d'airain» : «S; tu<br />

fournis beaucoup de "pierres qui brûlent"<br />

du vivras ! mais si tu tentes de<br />

t'échapper, c'est pour toi la mort»<br />

(46, 60). Les mineurs vivent dans <strong>des</strong><br />

« Kombinats » concentrationnaires.<br />

Beaucoup de détails ne se comprennent,<br />

en outre, qu'en référence aux<br />

images véhiculées par les médias actuels,<br />

que R se serve, pour sauter à la<br />

perche, d'un engin dont le «nerf»<br />

suppose l'emploi de la fibre de verre<br />

(115, 23) ou qu'il dompte un cheval de<br />

style «anglo-arabe» (37, 60). Ses réactions<br />

sont celles de l'Occidental ordinaire.<br />

Jeté dans <strong>une</strong> oubliette, il prend<br />

le temps de se raser (34, 67) ; en vacances<br />

chez <strong>des</strong> mélanodermes, il apprend<br />

à... jouer (106, 25). Lors d'un<br />

échange de prisonniers, ceux-ci se<br />

croisent comme... à Berlin (73, 68).<br />

Reste le langage, souvent pétri d'<strong>une</strong><br />

modernité involontaire, incompréhensible<br />

en milieu «primitif». La méduse,<br />

par exemple, est qualifiée de<br />

«monstre en eau» (92, 18). Selon le<br />

modèle français, la chauve-« souris »<br />

devient un «oiseau-rat » (22, 38 et R<br />

«vole» d'arbre en arbre (28, 40), métaphore<br />

que ses contemporains « réalisent»,<br />

en ce sens qu'ils le croient capable<br />

de voler comme un oiseau. Le<br />

langage fait l'objet d'<strong>une</strong> «quotidiennisation»,<br />

inverse de l'étrangéification<br />

de surface. Ainsi, «Lesgonuks ne<br />

font pas le bonheur» (13, 74). Il est<br />

nécessaire de «perpétuer l'espèce»<br />

(62, 40). Un homme veut «réintégrer<br />

le clan» en tant que «simple chasseur»,<br />

— comme un responsable déchu<br />

demande à reprendre du service<br />

comme simple membre ou militant —<br />

(7, 53). Une pendaison a lieu « jusqu'à<br />

ce que mort s'en suive» (8, 8). La<br />

«police» ordonne : «suis-nous» (39,<br />

55) et R fait la classe : «répétez avecmoi»<br />

(86, 73). La langue de bois n'est<br />

pas loin : les sorciers veulent «diriger<br />

le clan» (56, 14) ; R «est heureux de<br />

contribuer à la mort du "démon"»<br />

(41, 71) ; «Les ancien estiment que R,<br />

en tant que captif, a eu raison de vouloir<br />

s'échapper. C'était son devoir de<br />

chasseur» (58, 51). Les habitu<strong>des</strong> langagières<br />

de la partie adverse ne sont<br />

pas oubliées. Tel «petit bourgeois<br />

chauvin » clame : « Vous trahissez le<br />

clan !» (2, 29). Un sorcier se conduit<br />

en «gestapiste» : «parle ! parle !»<br />

(102, 38). En contraste avec la raideur<br />

de ces schèmes, R se laisse aller à <strong>des</strong><br />

familiarités qui reflètent l'atmosphère<br />

banlieusarde de sa naissance : «Eh<br />

bien, on peut dire que tu lui en fais<br />

fais <strong>des</strong> choses, à R !» (63, 58). Un<br />

enfant l'apostrophe : « tu nous ramènes<br />

chez les nôtres, dis ?» (17, 8). Une<br />

publicité pour « Pif » recourt au vocabulaire<br />

de la classe d'âge qu'on veut<br />

toucher, et jusqu'à celui de la drogue :<br />

«planant», «flashant» (96, 26)...<br />

10. Elitisme républicain<br />

Ce solitaire paradoxal qu'est R, à l'altruisme<br />

planétaire, est unique. Il<br />

échappe aux pesanteurs, non seulement<br />

de la société «primitive», mais<br />

de toute société. Craô l'annonce :<br />

« Tu ne seras pas un chasseur comme<br />

les autres» (35, 9). Ténor claironnant,<br />

R se fait connaître en pleine lumière :<br />

« Je suis R, le fils de Craô » (2, 26 ; 17,<br />

5) ; en d'autres termes : «militant, fils<br />

de militant exemplaire». Notons que<br />

le caractère non naturel de cette parenté<br />

va de pair avec son idéalité.<br />

Craô n'est pas plus un père précis que<br />

R, en tant qu'orphelin, n'est un fils<br />

identifiable. II est pupille de l'humanité.<br />

Solitaire dans son Versailles<br />

mental, il rêve à d'autres R, qui «devaient<br />

agir de même, dans d'autres<br />

parties du monde» (22, 41). Mais<br />

l'histoire n'en montre pas et l'éventualité<br />

ne sert qu'à dissimuler le caractère<br />

définitivement aristocratique du<br />

guide. Déguisé en humble, R «n'est<br />

qu'un simple chasseur» (81, 41). Ce<br />

mo<strong>des</strong>te, pourtant, est assez puissant<br />

pour déboulonner les dieux. Il monte<br />

«A l'assaut <strong>des</strong> deux» (56, titré). Son<br />

iconoclasme l'amène, justement, au<br />

rang de ceux auxquels il s'attaque.<br />

Nouveau prêtre, il est « fier d'appartenir<br />

à cette espèce qui pouvait rivaliser<br />

avec les dieux» (50, 74) et fait l'objet<br />

d'incantations rituelles particulièrement<br />

redondantes (65, 18). Guerrier<br />

exceptionnel, il jouit <strong>des</strong> privilèges<br />

(27, 21) que lui confèrent ses victoires.<br />

Le collier que Craô transmet à son<br />

successeur porte <strong>une</strong> série de griffes,<br />

symboles <strong>des</strong> qualités inaccessibles<br />

aux autres, qui «n'appartiennent qu'à<br />

R» (13, 59). Bien que «courage,<br />

loyauté, générosité, ténacité, sagesse»<br />

(35, 9), ne soient pas «magiques» selon<br />

les canons de l'ancienne religion,<br />

désormais interdite, ces vérités ordonnent<br />

efficacement la vie du militant.<br />

Certes, le héros «ne croyait pas aux<br />

superstitions» (44, 35). Les fausses<br />

croyances, toutefois, supposent qu'il y<br />

en ait de véridiques, aux valeurs<br />

contraires : «Ce n'est pas la mort<br />

qu'il faut vénérer, mais la vie» (30,<br />

26). Ces considérations s'appliquent<br />

également au coutelas dont se sert R.<br />

Pris à un chef comme <strong>une</strong> marque<br />

d'émancipation, ce «précieux souvenir»<br />

(78, 66) d'ivoire reçoit <strong>des</strong> actions<br />

de grâce (4, 25). Son acquisition<br />

n'est pas un vol (35, 18), pas plus que<br />

la confiscation <strong>des</strong> outils de production<br />

et de la puissance patronale.<br />

Technologiquement inférieur au couteau<br />

de fer, que R invente évidemment<br />

(5, 69), il lui est <strong>idéologique</strong>ment supérieur.<br />

Preuve du caractère immaculé<br />

de la théorie et <strong>des</strong> premiers succès<br />

de la pratique, il est récupéré coûte<br />

que coûte lorsqu'il paraît perdu (14,<br />

57). Comme il n'est pas question de<br />

risquer sa vie pour un simple coutelas,<br />

ce dernier possède donc un caractère<br />

éminemment religieux. Il est d'ailleurs<br />

-173-


utilisé comme un outil magique de divination<br />

(4, 29), puisqu'il détermine la<br />

direction où se dirige le héros.<br />

individus réels, pour ainsi dire sous<br />

contrôle permanent. Le fait que son<br />

action soit facilitée par les plus évolués<br />

permet de montrer que la théorie<br />

fique et que R l'incarne à l'occasion, il<br />

ne lui est nullement soumis lui-même :<br />

«R n'a jamais eu de chef» (40, 18).<br />

Promoteur de la communauté, il n'est<br />

issu d'auc<strong>une</strong> «besondere Partei»<br />

(40). Ce «chaînon entre tous ceux qui<br />

marchent debout» (98, 54), «n'a pas<br />

de clan » (78, 73), ce citoyen de la capitale<br />

n'est d'auc<strong>une</strong> Province. Pionnier<br />

de la fixation <strong>des</strong> noma<strong>des</strong>, première<br />

étape en direction de la future urbanisation,<br />

R refuse d'arrêter son éternel<br />

voyage. Il lui reste «tant de choses à<br />

découvrir» (8, 23). La problématique<br />

particularité du militant suprême attire<br />

les réflexions du public : «R est<br />

un fourbe : il prêche les accordantes<br />

entre ceux qui marchent debout et lui<br />

n'a pas de compagne» (95 , 58). A la<br />

question, grave et théorique de l'interlocutrice,<br />

R apporte <strong>une</strong> réponse significativement<br />

romanesque : il n'a pas<br />

trouvé l'âme sœur !<br />

Malgré la négation doctrinale <strong>des</strong> différences<br />

somatiques, leur fonctionnalisation,<br />

camouflée en «beauté» ou<br />

«laideur», se trahit çà et là. R est<br />

«cheveux de feu» et son comportement<br />

est «lumineux». Ses yeux exceptionnellement<br />

clairs sont mis en relation<br />

avec l'adresse dont il fait preuve<br />

(34, 63), raisonnement que R dément,<br />

mais que le <strong>des</strong>sin souligne à plaisir.<br />

Figure du soleil, qui s'aide du soleil<br />

pour éblouir ses ennemis (55 , 73), il<br />

est de la même essence que l'astre et le<br />

ciel rosit après ses exploits (4, 21).<br />

Nous sommes bien dans le «Zeitalter<br />

<strong>des</strong> Sonnengottes», un «héliolithisme»<br />

dont le «sélénisme» <strong>des</strong> sorciers<br />

serait le pendant négatif. La l<strong>une</strong><br />

ronde <strong>des</strong> sectes <strong>des</strong> «fils de la l<strong>une</strong>»<br />

(74, 7), à laquelle on adresse <strong>des</strong> sacrifices<br />

(46, 64), ne luit que sur la folie<br />

(51, 33).<br />

Si ce personnage crypto-sacré échappe<br />

au sort commun, les qualités qui fondent<br />

sa supériorité sont <strong>des</strong>tinées à<br />

s'incarner, à faibles doses, dans <strong>des</strong><br />

s'enracine tout de même dans <strong>une</strong><br />

praxis, bien timide en vérité. Certains<br />

clans sont mieux aptes à figurer l'Histoire<br />

en marche (34, 64). Au sein <strong>des</strong><br />

tribus, femmes et enfants sont «naturellement»<br />

plus proches du nouvel<br />

idéal. C'est un enfant qui révèle le<br />

«secret du feu» (17, 23) et les je<strong>une</strong>s<br />

se montrent «plus sensibles» aux arguments<br />

de R (31, 26). Les femmes<br />

l'accueillent plus volontiers (3, 58).<br />

Vectrices du progrès, elles sont «l'avenir<br />

de l'homme». Sensibles et raisonnables,<br />

elles tranchent sur leurs maris<br />

ivrognes (107, 40), prennent en main<br />

les réformes judicieuses. La propre<br />

mère de R « dégutturalise » la langue<br />

<strong>des</strong> hommes. De «Râ-hank», ce<br />

«nom de Quatre mains», elle fait un<br />

terme à la phonétique plus acceptable<br />

(35, 5). Quelques chefs, également,<br />

sont récupérables, «globalement positifs»,<br />

ce qui a l'avantage de préserver<br />

l'idéal d'autorité qu'ils représentent.<br />

Moins inféodés aux lieux et partis<br />

(103, 6), ils sont prêts à se sacrifier<br />

(23, 72), refusent de croire aux esprits<br />

(29, 72). Leurs aptitu<strong>des</strong> les opposent<br />

alors à l'antagoniste en titre de R :<br />

«L'excitation du sorcier contrastait<br />

singulièrement avec le calme du chef<br />

du clan» (66, 21).<br />

Quelles sont les bases de l'organisation<br />

de la nouvelle société ? Ses limites<br />

sont celles de l'espèce (35, 4). Toute<br />

idée de nation, de langue, toute différence<br />

culturelle cède le pas au concept<br />

d'identité naturelle. L'élite est donc<br />

constituée de ceux dont l'idéal est proche<br />

de l'internationalisme de R (4,<br />

22), de ceux qui, singulièrement, se<br />

distinguent par leur volonté de ne pas<br />

se distinguer <strong>des</strong> étrangers. Une sorte<br />

de concours général, bien sélectif, en<br />

tire <strong>une</strong> chefferie : «vouloir être le<br />

meilleur n'est pas un défaut» (94, 46).<br />

Nous sommes fort éloignés d'un quelconque<br />

«dépérissement de l'Etat» et<br />

les clans momentanément sans chef<br />

sont guettés par l'anarchie (101, 24).<br />

-174-


(41) V. Lénine, t. 2, p. 800.<br />

(42) L.H. Morgan, p. 523 ; J.J. Bachofen,<br />

p. 141.<br />

(43) F. Engels, Herrn Eugen Dùhrings, p. 452.<br />

Commissaire politique, indépendant<br />

<strong>des</strong> aléas locaux, R nomme ou rétrograde,<br />

en considération <strong>des</strong> mérites :<br />

«Puisque tes yeux se sont ouverts sur<br />

la vérité, tu seras chef» (16, 71). On<br />

notera l'intérêt de R pour la force en<br />

soi, la Grande Puissance prouvant par<br />

son existence même qu'elle entretient<br />

toujours quelque rapport avec le<br />

Droit. Il «apprécie» la force d'un gorille.<br />

Celui-ci est, à son tour, «respectueux<br />

de la force qui venait de triompher<br />

de la sienne» (76, 50). La<br />

«nécessité de l'Etat, c'est-à-dire de la<br />

contrainte» est telle, explique Lénine,<br />

qu'elle rend parfois souhaitable «le<br />

recours au pouvoir dictatorial personnel»<br />

(41). La ruse est aussi bien, en<br />

tant que marque de l'intelligence, <strong>une</strong><br />

qualité à laquelle on rend hommage,<br />

même quand on en est victime (33,<br />

49).<br />

Le maintien d'<strong>une</strong> hiérarchie fondamentale<br />

explique les butoirs de l'égalitarisme.<br />

La promotion <strong>des</strong> je<strong>une</strong>s<br />

s'arrête là où commence l'autorité nécessaire<br />

<strong>des</strong> aînés. Qu'un enfant saisisse<br />

le coutelas sacré de R et : «Ne<br />

touche pas ! Ces choses ne sont pas<br />

pour les petits d'hommes» (116, 248).<br />

Contre l'affirmation qu'«en ces<br />

temps farouches, il arrivait que les<br />

femmes jouent un rôle plus important<br />

que les hommes» (1, 3), on ne voit<br />

nulle part trace de la « gynécocratie »,<br />

du « Mutterrecht » <strong>des</strong> maîtres évolutionnistes<br />

(42) et la sujétion <strong>des</strong> femmes<br />

s'établit dès le départ (1, 7). Il<br />

n'est pas vraiment question de donner<br />

le pouvoir aux femmes : où serait la<br />

valeur d'exemple d'un tel mythe ?<br />

Comment envisager que l'histoire débute<br />

par <strong>une</strong> situation de noncontradiction<br />

? Cette dernière ressemble<br />

trop à l'anarchie ! L'évolutionnisme<br />

circulaire redevient donc, à<br />

l'image <strong>des</strong> réalités contemporaines,<br />

un évolutionnisme linéaire, borné par<br />

les catégories du présent. Il arrive<br />

d'ailleurs à notre héros de se moquer<br />

<strong>des</strong> femmes qui s'avisent de tirer à<br />

l'arc, chose masculine (95, 54). Il est<br />

vrai que la situation se retourne à son<br />

détriment...<br />

La hiérarchie <strong>des</strong> êtres vivants se rétablit<br />

d'elle-même lorsque la situation<br />

l'exige : «Le sort de Ceux qui marchent<br />

debout vaut bien la vie d'un<br />

deux-cornes» (13, 71). Animaux incontestables,<br />

les hommes sont «plus<br />

intelligents que les Quatre mains» (60,<br />

9). L'être humain « imagine de nouvelles<br />

ruses, de nouvelles armes, de nouvelles<br />

para<strong>des</strong>» (115, 225), ne fait rien<br />

au... hasard (115, 237), contrairement<br />

à ses «frères inférieurs». «Das Tier<br />

benutz die àuBere Natur blofi. Der<br />

Mensch [...] beherrscht sie» (43).<br />

A tous ceux qui ne sont pas de l'ordre<br />

dirigeant s'applique la loi générale :<br />

idéal holistique, travail obligatoire,<br />

instruction forcée. R prône un strict<br />

communautarisme (101, 27). «Tous<br />

ensemble», les hommes doivent arracher<br />

le «karwa» (charbon) à la carrière,<br />

profiter de sa chaleur et, par<br />

<strong>des</strong>sus tout, participer au développement<br />

technologique qu'il rend possible,<br />

à l'industrie. S'il faut choisir entre<br />

l'individu et la communauté dont il<br />

fait partie, la réponse est simple :<br />

«Oui, mieux vaut sacrifier quelques<br />

uns d'entre nous que toute la horde !»<br />

(40, 12). Les individualistes, les chauvins<br />

à mentalité de gabelous sont, bien<br />

entendu, interdits de profession. De<br />

bannisseurs, ils finissent relégués (56,<br />

18). De même que force et ruse servent<br />

d'abord à exclure les étrangers au<br />

clan, elles s'exercent à rencontre <strong>des</strong><br />

étrangers à l'Histoire. Par un retournement<br />

significatif, R «chasse» celui<br />

qui prétend ne pas l'accueillir (99, 56).<br />

Ceux qui ne sont pas dignes de l'espèce,<br />

trop cruels, trop perfi<strong>des</strong>, exploiteurs<br />

invétérés et récidivistes (12,<br />

43), se retrouvent avec les «monstres»<br />

(61,14). Autant dire que les anthropophages,<br />

Tupinambas et Papous, ne<br />

correspondent pas à la nouvelle définition<br />

de l'homme ! Ils subissent la<br />

peine infligée aux animaux nuisibles<br />

(1,6), s'empalent tout seuls (25, 53),<br />

sont engloutis dans un bouleversement<br />

général (105, 63). Une perpétuelle menace<br />

de mort plane sur les contrevenants,<br />

dont on précise qu'elle ne serait<br />

pas exécutée par R lui-même. Il<br />

-175-


Rares sont ceux qui récuseraient le développement<br />

inévitable dont R est le<br />

chantre. Le tourbillon du changement,<br />

<strong>des</strong> mutations, entraîne tous les<br />

hommes. Les moins doués sont, au<br />

minimum, «en voie de développement».<br />

Tous les fonds de vallée seront<br />

un jour «désenclavés», rattachés à<br />

l'ordre central, toujours plus ordonné,<br />

toujours plus central. Quel acteur<br />

de quelque importance ne communie<br />

dans l'idéal «sans frontières»<br />

<strong>des</strong> multinationales ?<br />

(50) M. Douglas, p. 95.<br />

(51) G. Sorel, p. 291.<br />

(52) E. Leach, pp. 384, 388.<br />

(53) Op. cit., préface, p. 12.<br />

Comme le discours de l'ethnologie paraît<br />

bizarre ! La discipline dépeint <strong>une</strong><br />

humanité, résultat d'<strong>une</strong> évolution<br />

culturelle qui, comme en biologie,<br />

produit surtout du dissemblable.<br />

« Progrès signifie différenciation » dit<br />

M. Douglas (50) et l'unité future est<br />

aussi «sophistique» que l'ancienne<br />

(51). E Leach dénonce le «paralogisme<br />

désastreux de notre temps»,<br />

qu'imposent «la coercition et la propagande»,<br />

celui qui énonce que<br />

«Tous les hommes sont égaux, à savoir<br />

que "sont égaux, tous les hommes<br />

(qui sont <strong>des</strong> gens comme<br />

nous)"...» (52). Or, le seul plan<br />

d'unité, immédiatement accessible, est<br />

d'ordre biologique. Si la culture est<br />

<strong>une</strong> excroissance de la nature, universellement<br />

constante et semblable, si<br />

elle est «<strong>une</strong> interface fonctionnelle et<br />

adaptative entre les ressources fournies<br />

par l'environnement et les besoins<br />

biologiques de l'organisme humain»<br />

(53), quelle valeur ont les institutions,<br />

— parenté, religion, langue —, qui séparent<br />

artificiellement les hommes ?<br />

Les <strong>sciences</strong> humaines auraient pour<br />

tâche de réduire, d'aménager, tout en<br />

« sabordant » en quelque sorte leur domaine,<br />

le gâchis que constitue cette fâcheuse<br />

et superficielle diversité. Il est<br />

évident qu'un pareil jacobinisme universel<br />

ne résulte en rien d'<strong>une</strong> synthèse<br />

inductive de toutes les virtualités<br />

culturelles. Il n'est qu'un particularisme<br />

qui phagocyte tous les autres,<br />

tous les «clans», toutes les<br />

«hor<strong>des</strong>»...<br />

Pierre<br />

VOGLER<br />

-177-


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Evolutionismus oder Neubeginn ?<br />

Zeitschrift fur Ethnologie, 110, 1.<br />

Index <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong><br />

Les chiffres hors parenthèses se rapportent<br />

aux n° de la collection. Les<br />

chiffres entre parenthèses, repris dans<br />

le texte, indexent les épiso<strong>des</strong> du corpus.<br />

1 (1) Celles qui marchent debout<br />

1 (2) La bête plate<br />

1 (3) La flèche blanche<br />

2 (4) Le coutelas d'ivoire<br />

2 (5) (sans titre)<br />

5 (6) (sans titre)<br />

5 (7) Les liens de vérité<br />

6 (8) La terre qui parle<br />

6 (9) La forêt <strong>des</strong> haches<br />

6 (10) La falaise d'argile<br />

8 (11) Le tueur de mammouths<br />

8 (12) Les longues crinières<br />

8 (13) Les coquillages bleus<br />

10 (14) Le signe de la peur<br />

10 (15) Les langues qui volent<br />

10 (16) Les chasseurs de foudre<br />

11 (17) Rahan et les «petits d'hommes»<br />

11 (18) Le dernier homme<br />

11 (19) L'enfant chef<br />

11 (20) Les enfants du fleuve<br />

12 (21) L'arme terrifiante<br />

12 (22) L'arme à trois bras<br />

12 (23) Le petit homme<br />

14 (24) Les hommes sans tête<br />

14 (25) Les mangeurs d'hommes<br />

14 (26) Celui qui fait <strong>des</strong> nuages<br />

15 (27) Le fleuve de la mort<br />

15 (28) Le captif du grand fleuve<br />

15 (29) Celui qui avait tué le fleuve<br />

16 (30) La boue qui dévore<br />

16 (31) Les adorateurs de la mort<br />

16 (32) Le sacrifice de Maoni<br />

16 (33) La bête qui parle<br />

16 (34) ?<br />

17 (35) Le secret de l'enfance de<br />

Rahan<br />

17 (36) La caverne <strong>des</strong> tromperies<br />

17 (37) Le quatre jambes<br />

18 (38) Le territoire <strong>des</strong> ombres<br />

18 (39) Le clan <strong>des</strong> hommes doux<br />

19 (40) La vallée <strong>des</strong> tourments<br />

19 (41) Le démon de paille<br />

20 (42) Les pierres d'eau<br />

20 (43) Les poissons-femmes<br />

20 (44) Les têtes à cornes<br />

-178-


20 (45) Les wampas sans ailes<br />

20 (46) Les pierres qui brûlent<br />

21 (47) Dans les entrailles du «Gorak»<br />

21 (48) Le venin de docilité<br />

21 (49) La chose qui s'étire<br />

21 (50) Le secret de Wandana<br />

22 (51) Des eaux profon<strong>des</strong> au dieu<br />

soleil<br />

22 (52) Le dernier massacre<br />

22 (53) Le rire de Tanaka<br />

22 (54) Le piège fantastique<br />

22 (55) Le dieu soleil<br />

23 (56) A l'assaut <strong>des</strong> cieux<br />

23 (57) Le roi <strong>des</strong> Quatre mains<br />

23 (58) La caverne hantée<br />

23 (59) Les « esprits <strong>des</strong> nuages »<br />

24 (60) L'impossible capture<br />

24 (61) Le collier de bois<br />

24 (62) Les hommes araignées<br />

24 (63) Le démon à trois cornes<br />

24 (64) Les gardiens du passé<br />

25 (65) La grande peur de Rahan<br />

25 (66) La pluie de mort<br />

25 (67) L'œil du clan<br />

25 (68) Le piège à sorciers<br />

25 (69) Les hommes sans peau<br />

26 (70) L'allié du feu<br />

26 (71) La perle d'eau<br />

26 (72) La vallée <strong>des</strong> fleurs<br />

26 (73) Le souffle du ciel<br />

27 (74) (sans titre)<br />

27 (75) Le « barrage <strong>des</strong> démons »<br />

27 (76) La « pierre aux étoiles »<br />

27 (77) Le bâton de chef<br />

27 (78) Les cinq griffes<br />

28 (79) Le territoire fantastique<br />

28 (80) La troisième flamme<br />

28 (81) La première étoile<br />

28 (82) La brume de mort<br />

28 (83) Les chiens qui tuent<br />

29 (84) Le courage et la peur<br />

29 (85) Pour sauver Tamao<br />

29 (86) Les sans-langues<br />

30 (87) La sorcière aux yeux clairs<br />

30 (88) Les yeux de bois<br />

30 (89) La « colère du ciel »<br />

30 (90) Le démon <strong>des</strong> nuages<br />

30 (91) L'appât humain<br />

31 (92) Le fantôme du lagon<br />

31 (93) Le maître <strong>des</strong> ombres<br />

31 (94) L'offrande<br />

31 (95) Les femmes oubliées<br />

32 (96) Le marais de la peur<br />

32 (97) (sans titre)<br />

33 (98) Les hommes sans cheveux<br />

33 (99) Les larmes qui coulent<br />

34 (100) L'herbe miracle<br />

34 (101) Tous pour un<br />

34 (102) Le trésor de Rahan<br />

36 (103) La vallée heureuse<br />

36 (104) La mort de Rahan<br />

36 (105) La pierre soleil<br />

Nouvelle série :<br />

1 (106) Le secret du soleil<br />

1 (107) La horde folle<br />

1 (108) Le piège à poissons<br />

2 (109) La pierre magique<br />

2 (110) Le tombeau liquide<br />

2 (111) Le dieu mammouth<br />

3 (112) Le pays à peau blanche<br />

3 (113) La «longue griffe»<br />

3 (114) «L'arc-du-ciel»<br />

4 (115) Les hommes aux jambes<br />

lour<strong>des</strong><br />

4 (116) Le «petit d'homme»<br />

6 (117) L'arbre du démon<br />

- 179-

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