10.06.2014 Views

Marc Bloch - Revue des sciences sociales

Marc Bloch - Revue des sciences sociales

Marc Bloch - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

■Laurent Hincker<br />

Droit du nom et droit au nom<br />

71<br />

Peinture Henri Ren, 80 figures 146 x 114 cm, © collection privée<br />

Conclusion<br />

du nom propre<br />

au nom impropre ?<br />

D’ailleurs, le législateur a compris dans<br />

une certaine mesure cette difficulté lorsqu’il<br />

a dû intervenir après de longues<br />

réflexions en matière de procréation médicalement<br />

assistée, puisqu’il a interdit<br />

expressément toute action liée à la<br />

recherche de filiation dans ce cas 19 , alors<br />

même que celle-ci est rendue techniquement<br />

possible par l’évolution <strong>des</strong> analyses<br />

génétiques.<br />

Mais il est sûr que dans ce domaine,<br />

l’évolution se fait dans le sens d’une perte<br />

■<br />

du référent identitaire constitué par l’institution<br />

de police. Faire du nom l’enjeu<br />

d’un droit subjectif peut avoir, dans le<br />

futur, <strong>des</strong> effets stigmatisants dans une<br />

société qui aspire à une normalisation<br />

toujours plus accrue.<br />

L’évolution de la conception du nom est<br />

sur ce point à rapprocher de l’évolution<br />

générale du droit de la famille 20 ainsi<br />

décrit dans un rapport récent :<br />

En quelques années, le droit de la famille<br />

a pris, selon les termes du doyen CAR-<br />

BONNIER <strong>des</strong> allures de champs de bataille.<br />

(…) On sait l’importance de l’état civil pour<br />

fixer l’identité dans un rapport de filiation<br />

(…). En 1995, la promotion de l’accouchement<br />

sous X dans le code civil rend à jamais<br />

impossible l’établissement de la filiation<br />

tant à l’égard de la mère, qui le souhaite,<br />

que du père qui est hors d’état de s’y opposer<br />

(…). Enfin, la facilitation de la preuve<br />

judiciaire de la paternité naturelle, l’importance<br />

excessive donnée par la jurisprudence<br />

à la notion de possession d’état, insécurisent<br />

profondément le rapport de<br />

filiation sans forcément empêcher les manipulations<br />

et les frau<strong>des</strong>. 21<br />

Ces droits subjectifs nouveaux, nées de<br />

l’évolution décrite ici, peuvent effectivement<br />

avoir <strong>des</strong> répercussions <strong>sociales</strong><br />

néfastes en devenant <strong>des</strong> facteurs d’exclusion<br />

et de stigmatisation de certains<br />

individus.<br />

sance en lui donnant le nom et le prénom<br />

de son mari, Charles O. Le jeune O., déjà<br />

déstabilisé dans sa petite enfance par les<br />

sarcasmes de ses camara<strong>des</strong> d’école qui se<br />

moquaient du fait qu’il ne porte pas le<br />

même nom que ses parents adoptifs,<br />

s’était raccroché à ce nom de O.<br />

A l’âge de 20 ans, il décide de rechercher<br />

ce père qu’il n’a jamais connu. C’est<br />

par une simple conversation téléphonique<br />

qu’il apprend que cet homme installé<br />

dans le sud de la France, Charles<br />

O. n’est pas son père car il était déjà<br />

séparé de sa mère mais non pas divorcée<br />

au moment de sa conception. Il raconte<br />

ainsi cette découverte dans un mémoire<br />

qu’il a rédigé pendant sa détention provisoire.<br />

(...) L’absence d’explications concernant<br />

le Nom et la Loi qui a été imposé à l’enfant<br />

à sa naissance, à partir <strong>des</strong> circonstances de<br />

sa conception et <strong>des</strong> relations avec sa famille,<br />

entrave toujours, tôt ou tard, l’intelligence<br />

du langage, la vie affective ou la vie sociale.<br />

(...)<br />

J’ai aussi pris cela pour un mensonge,<br />

j’étais marqué d’irréalité fondamentale ; de<br />

plus j’étais angoissé, frappé d’insécurité à<br />

chaque fois devant le problème quand on me<br />

demandait : pourquoi votre nom est-il différent<br />

de celui de vos parens ?<br />

Ce n’était pas une question de retrouver<br />

mon père et ma mère de naissance et de les<br />

serrer dans mes bras comme si de rien<br />

n’était… Mais principalement dans le but<br />

d’obtenir le maximum d’information à mon<br />

sujet. Trouver la vraie raison de ce refus de<br />

me prendre en charge (...).<br />

Où avais-je mes repères?! A quoi me suisje<br />

identifié ? Pour évoluer, un homme doit<br />

être capable de s’identifier à sa mère et à son<br />

père. Il m’est impossible de dire à qui je<br />

m’identifiais.<br />

Ce récit permet de comprendre le<br />

risque induit par une disparition du référent<br />

à la Loi en matière de nom. Faire du<br />

nom un objet de revendication, de discussion<br />

et de contentieux risque, à terme, de<br />

mettre en péril son rôle dans la construction<br />

de l’identité.<br />

Notes<br />

■<br />

1. Sur cette question de l’identité fortement<br />

liée au nom, lire notamment :<br />

J. JURT, “L’identité nationale : une<br />

fiction, une construction ou une réalité<br />

sociale ?” , Regards sociologiques,<br />

Strasbourg, U.S.H.S., 1998, n° 16, PP<br />

37-50.<br />

2. Code Civil, articles 55 à 62.<br />

3. A Athènes, par exemple, à l’époque<br />

républicaine, tout citoyen était désigné<br />

couramment par un nom individuel,<br />

qu’il avait reçu de ses parents<br />

le dixième jour après sa naissance.<br />

C ‘était généralement, pour le fils<br />

aîné, le nom du grand-père paternel,<br />

pour les autres enfants, les noms<br />

d’autres membres de la famille. Dans<br />

sa dix-huitième année, le jeune<br />

homme était inscrit sur le registre de<br />

son dème ; dès lors, il était désigné<br />

légalement par son nom individuel,<br />

suivi du nom de son père et du nom<br />

de son dème. Une citoyenne portait<br />

un nom individuel suivi du nom de<br />

son père ou du nom de son mari et<br />

du nom de son dème, alors qu’un<br />

étranger joignait à son nom individuel<br />

et au nom de son père, celui de<br />

la ville dont il était citoyen.<br />

4. L’esclave n’avait naturellement pas<br />

de nom mais seulement un prénom<br />

5. On perçoit dès l’époque antique les<br />

trois fonctions du nom, identification<br />

de l’individu dans sa fratrie, dans sa<br />

famille et dans sa communauté.Voir,<br />

sur ce point : C. MOSSET, Histoire<br />

d’une démocratie : Athènes <strong>des</strong> origines<br />

à la conquête macédonienne, Points<br />

Histoire, Le Seuil, Paris, 1988.<br />

Sur cette question de l’esclavage :<br />

H. WALLON, Histoire de l’esclavage<br />

dans l’Antiquité, réédition, collection<br />

Bouquins, ed. Robert Laffont,<br />

Paris, 1988.<br />

6. J. TIMBAL, P. CASTALDO, Histoire<br />

<strong>des</strong> institutions publiques et <strong>des</strong> faits<br />

sociaux, Ed. Dalloz, Paris, 1993.<br />

7. Le nom, Juris-Classeurs civil, Fascicule<br />

XXX, introduction, Editions<br />

Techniques, Paris, 1994.<br />

8. D. HECK, “Les noms patronymiques<br />

d’origine vietnamienne et la publicité<br />

foncière française”, Répertoire<br />

Notarial Defreynois, année 1993, Partie<br />

I, article 35576, pp. 753-758.<br />

9. Voir sur ce point : L’utilisation du<br />

nom patronymique comme nom commercial,<br />

La semaine juridique, Ed. N,<br />

1993, pp 268 – 274.<br />

10.Cass. Com., 1 er décembre 1987.<br />

11.Cass. com., 12 mars 1985.<br />

12.Voir la Jurisprudence <strong>des</strong> organes de<br />

Strasbourg sur la question <strong>des</strong> prénoms<br />

<strong>des</strong> transexuels.<br />

13.Cour européenne <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme, 22 février 1994.<br />

14.Pour plus de détails sur cet arrêt,<br />

voir la note de Christian GAVALDA<br />

au recueil Dalloz Sirey, 1995, Jurisprudence,<br />

pp 5-9, à qui ce résumé<br />

<strong>des</strong> faits doit beaucoup.<br />

15.Code Civil, article 9 : Chacun a droit<br />

au respect de sa vie privée.<br />

16.Arrêt du 16 décembre 1992, série A,<br />

n° 251 b, Paragraphe 29.<br />

17.Code civil, article 61-3 alinéa 1 :<br />

Tout changement de nom de l’enfant de<br />

plus de treize ans nécessite son consentement<br />

personnel lorsque ce changement<br />

ne résulte pas de l’établissement<br />

ou d’une modification d’un lien de<br />

filiation.<br />

18.Voir à ce propos, P. Siegler : Du<br />

roman familial au délire de filiation,<br />

mémoire, ULP Strasbourg, 1993-1994<br />

19.On peut relire à ce propos les récits<br />

<strong>des</strong> survivants tels que Primo Lévi,<br />

Jorge Semprun, Robert Antelme ou<br />

Soljenitzine.<br />

20.F. ARMENGAUD, Le nom, Encyclopédia<br />

Universalis.<br />

21.Code Civil, article 311-20 issu de la<br />

Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994.<br />

22.Voir sur ce point l’entretien de<br />

M. CHEHHAR avec L. HINCKER<br />

paru sous le titre : “Un avocat-sociologue”,<br />

Regards Sociologiques, 1998,<br />

Strasbourg, U.S.H.S., numéro 15, pp<br />

85-90.<br />

23.A. BRUEL, Un avenir pour la paternité<br />

? Jalons pour une politique de la<br />

paternité, Rapport présenté au<br />

Ministère de l’Emploi et de la Solidarité<br />

au nom du groupe de travail<br />

“paternité”, Paris, le 24 juin 1997.<br />

70<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1999, n° 26, L’honneur du nom, le stigmate du nom<br />

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!