10.06.2014 Views

Marc Bloch - Revue des sciences sociales

Marc Bloch - Revue des sciences sociales

Marc Bloch - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

C HARLOTTE HERFRAY<br />

27<br />

Notes<br />

1. Giorgio Agamben, Image et mémoire,<br />

Éditions Hoëbeke, coll. Arts & esthétique,<br />

1998, p. 70.<br />

2. Ibid.<br />

3. Theodor W. Adorno, Quasi una fantasia,<br />

trad. Jean-Louis Leleu, Gallimard,<br />

1982, p. 4.<br />

4. Walter Benjamin, Paris, Capitale du<br />

XIXe siècle, Le livre <strong>des</strong> passages,trad.<br />

Jean Lacoste, éditions du Cerf, 1989,<br />

p. 880.<br />

5. Friedrich Nietzsche, Généalogie de la<br />

morale, Œuvres philosophiques complètes,<br />

tome VII, trad. Isabelle Hildenbrandt<br />

et Jean Gratien, Gallimard,<br />

1971, p. 225.<br />

6. Walter Benjamin, op. cit., ibid.<br />

7. Walter Benjamin, “Sur le langage en<br />

général et sur le langage humain”<br />

définitif de l’existant qui constitue le<br />

tragique de la solitude, c’est la matérialité.<br />

La solitude n’est pas tragique parce<br />

qu’elle est privation de l’autre, mais parce<br />

qu’elle est enfermée dans la captivité de<br />

son identité, parce qu’elle est matière.<br />

Briser l’enchaînement de la matière, c’est<br />

briser le définitif de l’hypostase. C’est<br />

être dans le temps. La solitude est une<br />

absence de temps.” ; “La matière est le<br />

malheur de l’hypostase. Solitude et matérialité<br />

vont ensemble. La solitude est (...)<br />

la compagne, si on peut dire, de l’existence<br />

quotidienne hantée par la matière.”<br />

10 Si nous en restions là, le nom pointerait<br />

bien une évasion, mais dans la<br />

seule matérialité. Il désignerait bien un<br />

surgissement et une liberté, mais dans<br />

l’élémentaire seulement. Il témoignerait<br />

d’un désarrimage, mais pas encore de<br />

l’événement d’une spatialité nouvelle,<br />

ouverte depuis la déchirure de l’homogène.<br />

Mais Lévinas suggère bien, après<br />

Rosenzweig et avec lui, ce que le nom<br />

délivre en plus de ce premier déplacement<br />

: le premier parle du temps, qui seul<br />

“brise le définitif de l’hypostase” ; le<br />

second évoque un transport (le nommé<br />

“transporte avec lui” son “ici” et son<br />

“maintenant”) et un départ (“le moment<br />

où il ouvre la bouche est un commencement”).<br />

Les deux se rejoignent autour<br />

d’une intuition qu’on pourrait ainsi formuler<br />

: c’est la temporalité de l’espace du<br />

nom qui l’arrache au soliloque, l’élève au<br />

rang de répétable au sens de la réouverture<br />

<strong>des</strong> possibilités, fait de lui une<br />

brèche et l’ouverture d’une utopie libératrice,<br />

signe en lui l’émancipation de la<br />

vie matérielle 11 . Et cette temporalité est<br />

singulière, irréductible à aucun concept<br />

du temps, réfractaire à tout essai de<br />

résorption dans un temps général, anonyme<br />

et communément mesurable. La<br />

coexistence <strong>des</strong> noms délivre la discontinuité<br />

<strong>des</strong> temps, elle fait résistance au<br />

polissage et à l’homogénéisation économiques<br />

<strong>des</strong> temporalités. Le temps de<br />

chacun déroge à la règle de l’unité de l’espace<br />

et du temps : il n’y a pas de scène<br />

commune <strong>des</strong> noms.<br />

Mais c’est peut-être pour cela qu’il<br />

peut y avoir communauté et parole : non<br />

pas rassemblement de tous dans la même<br />

enveloppe d’espace et de temps, mais<br />

multiplicité incalculable de relations<br />

imprévisibles, rencontres toujours<br />

inédites de temporalités différentes,<br />

inventions toujours improbables de<br />

convergences et d’intersections, coïncidences,<br />

simultanéités et retards chaque<br />

fois miraculeux. Ce foisonnement, qui<br />

est le langage même (“l’essence langagière”,<br />

dirait peut-être ici Benjamin dans<br />

son écriture métaphysique) aurait pour<br />

origine une défaillance première de<br />

(texte de 1916), in Mythe et violence,<br />

trad. Maurice de Gandillac, Denoël,<br />

1971, p. 82-83. Souligné par W.B.<br />

8. Walter Benjamin, Paris, Capitale du<br />

XIXe siècle,op. cit., p. 863.<br />

9. Franz Rosenzweig, L’étoile de la<br />

rédemption, trad. Alexandre Derczanski<br />

et Jean-Louis Schlegel, Seuil,<br />

1982, p. 221.<br />

10.Emmanuel Lévinas, Le temps et l’autre<br />

(texte de 1946-1947), Fata Morgana,<br />

1979; réédition Quadrige/Presses Universitaires<br />

de France, 1985, respectivement<br />

pages 36, 38 et 39.<br />

11.L’alternative du dieu et de l’alcool,<br />

qu’on va lire dans les lignes qui suivent,<br />

se situerait ainsi avant la vraie<br />

libération, celle du temps et de<br />

l’autre, qu’approche aussi, par rares<br />

chaque nom, un irrécupérable déficit<br />

d’adéquation générique et d’essentialité<br />

catégoriale : aucun n’est en mesure d’être<br />

la chose d’un genre, et il y a au plus primitif<br />

de chacun un manque d’être. Car<br />

aucun ne doit sa naissance à une sorte de<br />

prélèvement opéré dans la matérialité,<br />

aucun n’est la partie détachée d’une totalité<br />

préexistante et prééminente, aucun<br />

n’est un morceau particulier d’une substance<br />

universelle générique. Le nom<br />

n’est pas ; il se donne et se reçoit. Quand<br />

Rosenzweig écrit “celui qui possède un<br />

nom propre”, il parle en fait d’une singularité<br />

qui fut <strong>des</strong>tinatrice d’une adresse<br />

et d’un don. Ce don excède tout calcul et<br />

toute économie, puisqu’il ne répondait à<br />

aucune demande antérieure ; il ne rétribue<br />

rien, ne restitue rien. Celui qui possède<br />

un nom porte sur lui et en lui la trace<br />

d’une adresse de l’autre : un “à” d’avant<br />

et d’après lui, auquel il ne doit pas d’être,<br />

mais d’exister, et de pouvoir parler.<br />

L’alignement <strong>des</strong> noms sur les parois<br />

du mémorial était bien l’image la plus saisissante<br />

qui puisse être de la matérialité,<br />

du silence élémentaire, du mur devenu<br />

mort ; mais en avançant entre eux, il me<br />

semblait entendre se lever toute l’utopie<br />

de cette communauté vivante, quotidienne<br />

et parlante, soudain à nouveau assemblée<br />

dans l’attente et l’invention d’innombrables<br />

possibles à venir.<br />

■<br />

mais intenses lueurs, le livre terrible<br />

d’où je les extrais : “On<br />

manque d’un dieu. Ce vide qu’on<br />

découvre un jour d’adolescence rien<br />

ne peut faire qu’il n’ait jamais eu<br />

lieu. L’alcool a été fait pour supporter<br />

le vide de l’univers, le balancement<br />

<strong>des</strong> planètes, leur rotation<br />

imperturbable dans l’espace, leur<br />

silencieuse indifférence à l’endroit<br />

de votre douleur. L’homme qui boit<br />

est un homme interplanétaire. C’est<br />

dans un espace interplanétaire qu’il<br />

se meut.” Marguerite Duras, La Vie<br />

matérielle, P.O.L., 1987, p. 22. On<br />

pourrait commenter : cet espace est<br />

interplanétaire parce qu’il n’est pas<br />

traversé, transi, transporté par le<br />

temps de l’autre.<br />

L’identité<br />

CHARLOTTE HERFRAY<br />

Psychanalyste<br />

ex. enseignant chercheur<br />

ULP Psychologie clinique<br />

L<br />

est une histoire<br />

Le nom et le prénom<br />

nous représentent<br />

es membres de l’espèce humaine<br />

sont inscrits dans un double héritage<br />

: biologique et symbolique et ils<br />

ne sont pas programmés par l’instinct. Ce<br />

sont <strong>des</strong> êtres parlants, différents les uns<br />

<strong>des</strong> autres au niveau de leur corps<br />

comme au niveau de leur esprit. Si les<br />

<strong>sciences</strong> humaines nous donnent<br />

quelques hypothèses sur l’organisation<br />

psychique qui sous-tend nos conduites il<br />

n’en reste pas moins que chaque être est<br />

une énigme et un mystère. Celui que<br />

nous serons advient en fonction <strong>des</strong> avatars<br />

de son acceptation, de son refus,<br />

voire de son ignorance <strong>des</strong> déterminants<br />

qui définissent sa place sociale ainsi que<br />

son rapport au monde et à autrui. Chacun<br />

est “représenté” par un nom et un prénom<br />

qui lui appartiennent. Ils marquent<br />

son identité sociale. Cette identité le distingue<br />

de tous les autres membres de la<br />

société. L’usage du nom que nous portons<br />

est un droit et comporte <strong>des</strong> obligations.<br />

Il est le signe d’une place qui nous est<br />

assignée avant que d’être nés. Le nom<br />

que nous avons reçu et à l’appel duquel<br />

nous répondons peut être “habité” de<br />

différentes manières.<br />

Le nom est transmis,<br />

le prénom est choisi<br />

■<br />

■<br />

Le nom patronymique nous institue<br />

dans une filiation ; il définit une origine<br />

et une appartenance. Le nom du père<br />

nous est attribué par la loi en conséquence<br />

du mariage <strong>des</strong> parents. La loi<br />

permet aussi d’établir la filiation hors<br />

mariage par suite d’une reconnaissance<br />

administrative par le père. Le nom patronymique<br />

est ainsi celui d’un homme : le<br />

père. Pour les enfants non reconnus par<br />

le père il sera néanmoins le nom d’un<br />

homme : celui que porte la mère c’est à<br />

dire le nom de son propre père, voire de<br />

son grand-père. Il n’y pas si longtemps on<br />

appelait ces mères <strong>des</strong> “filles-mères” !<br />

Mais où est le père? Le “nom du père” (1)<br />

dont Jacques Lacan a fait une métaphore<br />

signifiante pose la question de la paternité<br />

et invite à distinguer le père biologique<br />

du père symbolique. L’enfant conçu<br />

par la mère est engendré par un homme<br />

qui est son père biologique. Si son nom<br />

est celui du grand-père ou de l’arrière<br />

grand-père il devient un enfant du “clan”<br />

de la mère, c’est à dire endogamique,<br />

voire incestueux, symboliquement parlant.<br />

Son nom laisse entendre que celui<br />

qui a engendré l’enfant ne l’a pas reconnu<br />

comme le sien. Si un acte de naissance<br />

porte la mention “père inconnu” ce qui<br />

est écrit signifie qu’il n’y a pas eu reconnaissance<br />

par son père. N’a-t-il pas pu, pas<br />

su, pas voulu répondre de l’engendrement<br />

? Son refus vise-t-il l’enfant ou celle<br />

qui a été engrossée? Si c’est la femme qui<br />

a refusé cette reconnaissance souhaitaitelle<br />

faire un enfant sans homme ? au<br />

mépris de l’homme ? souhaitait-elle un<br />

enfant de son seul désir ? ou un enfant<br />

pour son père ? Le père biologique refusait-il<br />

la responsabilité de sa paternité ?<br />

Toutes ces questions renvoient au désir<br />

réciproque du père et de la mère à l’occasion<br />

de la naissance. Certains avatars<br />

rendent ce questionnement plus doulou-<br />

26<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1999, n° 26, L’honneur du nom, le stigmate du nom<br />

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!