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Le château de Pierrefonds reconstruit: résidence ou musée?

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<strong>Le</strong> château <strong>de</strong> <strong>Pierrefonds</strong> <strong>reconstruit</strong> :<br />

rési<strong>de</strong>nce <strong>ou</strong> musée ?<br />

Jean-Paul Midant<br />

installé le château est traité en jardin à l’anglaise et <strong>de</strong>s communs sont construits au sud.<br />

Mais l’affaire n’est peut-être pas si facile à mener : <strong>Pierrefonds</strong> a gagné dans l’opinion<br />

publique ses galons <strong>de</strong> monument historique (l’endroit est continuellement visité, ce dont<br />

se plaint d’ailleurs Wyganowski en c<strong>ou</strong>rs <strong>de</strong> chantier 5 ). Et p<strong>ou</strong>r Viollet-le-Duc, qui n’a pas<br />

un tempérament à s’en laisser conter, le château ruiné est assurément un témoignage<br />

<strong>de</strong> valeur méritant la plus gran<strong>de</strong> attention, malgré l’appa rence <strong>de</strong> son projet d’appropriation.<br />

L’homme a sans d<strong>ou</strong>te quelques travers, mais il n’est pas c<strong>ou</strong>rtisan ; du moins,<br />

il ne l’est plus t<strong>ou</strong>t à fait <strong>de</strong>puis le milieu <strong>de</strong>s années 1840 et la fin du règne – p<strong>ou</strong>r lui<br />

très contestable – <strong>de</strong> son premier protecteur, le roi L<strong>ou</strong>is-Philippe. Architecte <strong>de</strong> la cathédrale<br />

<strong>de</strong> Paris avec Lassus <strong>de</strong>puis 1844, il a décoré à ce titre l’édifice p<strong>ou</strong>r le Te Deum<br />

chanté le 1 er janvier 1852 ; il a également veillé à la décoration du mariage avec Eugénie<br />

en 1853, puis accompagné les s<strong>ou</strong>verains à Amiens p<strong>ou</strong>r l’inauguration <strong>de</strong> son n<strong>ou</strong>vel<br />

aménagement <strong>de</strong> la chapelle <strong>de</strong> la Vierge dans la cathédrale. Mais son indépendance<br />

d’esprit et la reconnaissance <strong>de</strong> son travail lui permettent alors une certaine fermeté. En<br />

1852, justement, dans la Revue générale <strong>de</strong> l’architecture, Viollet-le-Duc a ainsi défini le<br />

rôle <strong>de</strong> l’archéologue, rôle qui ne peut s’accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s caprices d’un monarque <strong>ou</strong> d’une<br />

bureaucratie étroite : « En quoi l’archéologie peut-elle favoriser l’indépendance dans les<br />

arts ? Parce qu’elle admet la critique absolue, parce qu’elle conduit à la collection <strong>de</strong>s<br />

faits, indépendamment <strong>de</strong>s influences du moment. Parce qu’elle fait voir que t<strong>ou</strong>tes les<br />

époques qui ont produit <strong>de</strong>s œuvres originales, logiques, et belles en même temps, sont<br />

celles où l’art s’est développé s<strong>ou</strong>s l’influence puissante et fertile <strong>de</strong>s artistes livrés à euxmêmes,<br />

et non point s<strong>ou</strong>s la volonté <strong>ou</strong> le goût d’un s<strong>ou</strong>verain, d’un ministre <strong>ou</strong> d’une<br />

académie 6 . » Après <strong>de</strong> tels propos l’empereur, en choisissant Viollet-le-Duc, sait donc<br />

à quoi s’en tenir. En commettant néanmoins ce fameux <strong>de</strong>ssin et surt<strong>ou</strong>t cette huile où<br />

Napoléon III et Eugénie semblent p<strong>ou</strong>voir c<strong>ou</strong>ler <strong>de</strong>s j<strong>ou</strong>rs heureux en leur <strong>de</strong>meure <strong>de</strong><br />

<strong>Pierrefonds</strong> (image que Viollet-le-Duc a d’ailleurs conservée sans la donner aux s<strong>ou</strong>verains),<br />

l’architecte n’a-t-il pas été trop complaisant ?<br />

Dans une série d’articles publiés dans L’Artiste d’août à octobre 1858, intitulés « L’Architecture<br />

et les architectes au x i x e siècle », Viollet-le-Duc montre par ailleurs que la page du<br />

romantisme <strong>de</strong> fantaisie est p<strong>ou</strong>r lui t<strong>ou</strong>rnée <strong>de</strong>puis longtemps. Évoquant les réalisations<br />

architecturales <strong>de</strong>s années 1820, il précise : « Cette première réaction, venue avec le romantisme<br />

en littérature, n<strong>ou</strong>s la désignons, n<strong>ou</strong>s architectes (car il faut bien tr<strong>ou</strong>ver <strong>de</strong>s<br />

noms aux choses et aux temps), s<strong>ou</strong>s ce titre : d’école tr<strong>ou</strong>bad<strong>ou</strong>r. C’était une sorte d’art<br />

sentimental qui ne dépassa pas le seuil <strong>de</strong>s kiosques, <strong>de</strong>s chapelles, <strong>de</strong>s châteaux, <strong>de</strong>s<br />

b<strong>ou</strong>doirs, <strong>de</strong>s théâtres <strong>de</strong> b<strong>ou</strong>levard, et ne fut pratiqué que par quelques amateurs. Car au<br />

fond rien n’est moins romanesque que l’architecture 7 . »<br />

Avec <strong>de</strong> telles convictions, la restitution-reconstruction d’un monument du Moyen Âge laisse<br />

augurer d’un sérieux qui ne saurait tolérer d’inévitables concessions p<strong>ou</strong>r organiser ici<br />

le séj<strong>ou</strong>r <strong>de</strong> la C<strong>ou</strong>r. Ce projet incongru <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce d’un chef d’État industrialisé au cœur<br />

d’un ensemble médiéval évoquant la féodalité, auquel a s<strong>ou</strong>scrit un temps l’architecte,<br />

s’explique peut-être par le fait qu’en février 1858, ce <strong>de</strong>rnier est encore loin d’avoir pris la<br />

mesure <strong>de</strong> l’intérêt d’un édifice dont beauc<strong>ou</strong>p <strong>de</strong> vestiges sont encore enf<strong>ou</strong>is s<strong>ou</strong>s les déblais.<br />

<strong>Le</strong>s Descriptions du château écrites <strong>de</strong> sa main, modifiées à cinq reprises entre 1857<br />

5. Archives départementales <strong>de</strong> l’Oise à Beauvais, 4Tp7. Correspondance. <strong>Le</strong>ttre <strong>de</strong> Wyganowski à Viollet-le-Duc du 12 juin 1859 :<br />

« M. le maire <strong>de</strong> <strong>Pierrefonds</strong> m’a répondu que les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs tr<strong>ou</strong>vent cette faculté <strong>de</strong> visiter le château avec le gardien insuffisante<br />

et qu’ils veulent s’y promener comme sur une place publique du matin au soir ; il m’a cité comme exemple le jardin <strong>de</strong>s Tuileries à<br />

Paris et le parc du château <strong>de</strong> Compiègne, et c’est en vain que je lui ai fait observer que les jardins <strong>de</strong>s Tuileries et <strong>de</strong> Compiègne<br />

sont surveillés par plusieurs sentinelles, gardiens, sergents <strong>de</strong> ville. Tandis qu’à <strong>Pierrefonds</strong>, il n’y a pas un seul gardien et le<br />

château, un fois livré au public, serait bientôt dans un état dans lequel n<strong>ou</strong>s l’avons tr<strong>ou</strong>vé en commençant la restauration, c’est-àdire<br />

le jardin aussi nu et dévasté qu’une place publique <strong>de</strong> village ; <strong>de</strong> même en ce moment malgré la surveillance très active, n<strong>ou</strong>s<br />

sommes obligés j<strong>ou</strong>rnellement <strong>de</strong> réparer les dégâts <strong>de</strong> la veille faits par les visiteurs. Malgré t<strong>ou</strong>s mes raisonnements, M. le maire<br />

en se retirant a déclaré que les habitants et les visiteurs étaient habitués <strong>de</strong>puis longtemps à regar<strong>de</strong>r le château <strong>de</strong> <strong>Pierrefonds</strong><br />

comme un lieu public. »<br />

6. Revue générale <strong>de</strong> l’architecture, 1852, col. 371-372<br />

7. L’Artiste, 1858, p. 227.

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