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Untitled - WWW Ircam

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Les spectres obtenus par la modulation en anneau sont<br />

explorés sous toutes leurs facettes dans Treize couleurs<br />

du soleil couchant (1978) pour piano, violon, violoncelle,<br />

flûte et clarinette avec modulation en anneau, ainsi que<br />

dans Les Courants de l’espace (1979) pour ondes Martenot<br />

avec modulation en anneau et orchestre. Dans la grande<br />

pièce orchestrale Gondwana (1980), Murail utilisa tout<br />

d’abord des modulations de fréquence pour générer les<br />

champs harmoniques – procédé généralement associé<br />

à la musique informatique –, obtenant un canevas quasi<br />

symphonique impressionnant d’ampleur qui traduit la<br />

cristallisation de toutes les préoccupations du compositeur<br />

à l’époque : beaucoup des évolutions formelles de la<br />

musique sont modélisées sur des spectres instrumentaux<br />

réels (particulièrement les cloches et les cuivres), aussi<br />

cette pièce constitue-t-elle peut-être, chez Murail, un<br />

summum en matière d’exploitation de formes continues,<br />

évoluant dans une absence de silence.<br />

Après Gondwana, Murail suivit à l’<strong>Ircam</strong> en 1980 le stage<br />

de composition et d’informatique musicale pour compositeurs,<br />

et passa les deux années suivantes à travailler à<br />

Désintégrations. Cela marqua le début d’une phase nouvelle<br />

dans son œuvre. Il se mit à délaisser les processus<br />

ininterrompus au profit d’un langage musical plus<br />

souple. Ce changement d’orientation fut favorisé par<br />

son travail sur les systèmes informatiques sophistiqués,<br />

dont on commençait alors à disposer, systèmes qui accroissaient<br />

la vitesse des calculs spectraux, augmentaient<br />

considérablement la multiplicité des choix possibles en<br />

vue de l’élaboration d’un processus, et rendaient celui-ci<br />

plus imprévisible encore ; à cette époque également, les<br />

silences se mirent à jouer un rôle de plus en plus important<br />

dans la musique de Murail en fonctionnant comme<br />

les éléments d’une ponctuation lui permettant de délimiter<br />

des sections.<br />

Cette souplesse nouvellement acquise trouva son<br />

prolongement dans deux pièces ultérieures pour<br />

orchestre, Sillages (1984, commande de la Kyoto Bank<br />

créée par Seiji Ozawa) et Time and again (1985, créée<br />

par Simon Rattle), ainsi que dans un oratorio de grande<br />

ampleur, Les Sept Paroles du Christ en croix (1986-1989),<br />

l’œuvre peut-être la plus ouvertement dramatique et<br />

expressive à ce jour ; les évolutions spectrales sont ici<br />

plus complexes et plus développées qu’auparavant, les<br />

formes regorgent d’interruptions, « de flashbacks, de<br />

prémonitions, de boucles ».<br />

Il arrive souvent que des formes se chevauchant soient<br />

imbriquées les unes dans les autres, à moins que, comme<br />

dans Vues aériennes pour cor et trio de pianos, la musique<br />

n’examine une forme unique sous quatre angles différents,<br />

chacun d’entre eux jouant à un degré varié sur la<br />

distorsion des formes initiales, et conférant à la musique<br />

une ambivalence et une dialectique accrues. Allégories<br />

(1990) répond à une autre limitation : à la fois les détails<br />

et les formes de grande ampleur sont entièrement dérivés<br />

du geste d’ouverture ; chacun de leurs éléments respectifs<br />

fait parfois l’objet d’un agrandissement, comme s’il passait<br />

sous la loupe d’un microscope, et va jusqu’à constituer<br />

des sections entières de musique, alors qu’à d’autres<br />

moments il est tronqué, compressé et réarrangé de manière<br />

différente pour engendrer un répertoire d’une<br />

grande richesse harmonique et mélodique. Il se dégage<br />

ici une unité, rarement atteinte dans la musique contemporaine,<br />

entre microformes et macroformes, entre composants<br />

gestuels, syntaxe musicale et structure.<br />

Serendib (1992) pour grand ensemble signale une nouvelle<br />

orientation : il s’agit sans doute de la musique la plus discontinue<br />

que la compositeur ait écrite à ce moment. Difficile<br />

même de se figurer que cette dernière pièce, ainsi<br />

que Mémoire/Erosion ou Sables, aient été conçues par la<br />

même personne à près de vingt ans d’intervalle, en dépit<br />

de ressemblances curieuses - et probablement fortuites<br />

- entre les revirements brusques et dramatiques qui prédominent<br />

tant dans ces dernières et la syntaxe fluctuante<br />

et discontinue de sa toute première œuvre, Couleur de mer<br />

(1969) [...]. *<br />

Ces années quatre-vingt-dix marquent, en effet, un tournant<br />

esthétique décisif pour Tristan Murail. L’élargissement<br />

des modèles sonores à des catégories non instrumentales<br />

ou technologiques, l’adoption d’une écriture<br />

formelle moins directionnelle, l’émergence de gestes<br />

mélodiques particulièrement mémorisables sont les<br />

signes d’une évolution majeure qui se poursuit jusqu’aux<br />

pièces les plus récentes. L’Esprit des dunes pour ensemble<br />

et électronique (1994) cristallise cette tendance entamée<br />

depuis Allégories (1989-1990) et Serendib (1992). La<br />

pièce, devenue emblématique du chemin parcouru depuis<br />

les années soixante-dix, atteint un magistral équilibre<br />

entre recherche et expression musicale. Le changement<br />

de paradigme esthétique intervenu dans les années<br />

quatre-vingt dix concerne plus particulièrement quatre<br />

aspects de l’esthétique de Murail : un travail pré-compositionnel<br />

plus élaboré grâce aux nouvelles technologies,<br />

l’utilisation de sources sonores issues de la nature pour la<br />

modélisation, le recours à des métaprocessus pour composer<br />

la discontinuité formelle et l’attention portée aux<br />

phénomènes de mémorisation.<br />

Il est patent que les avancées technologiques des années<br />

quatre-vingt-dix ont favorisé une nouvelle approche<br />

de la composition. Outre les capacités de traitement et<br />

stockage des ordinateurs, les possibilités accrues des logiciels<br />

d’analyse, de synthèse ou d’aide à la composition<br />

ont ouvert de nouvelles voix de recherche pour les compositeurs.<br />

Tristan Murail ne s’est d’ailleurs pas contenté<br />

d’utiliser les logiciels déjà disponibles, mais s’est luimême<br />

investi à l’<strong>Ircam</strong> dans la conception du logiciel<br />

d’aide à la composition Patchwork (devenu Open Music).<br />

Aujourd’hui, les technologies informatiques permettent<br />

de faciliter le travail pré-compositionnel d’analyse et de<br />

traitement des données, afin de se concentrer sur les aspects<br />

plus « typiquement » compositionnels. Ce potentiel<br />

de calcul, qui autrefois accaparait une bonne partie<br />

du temps et de l’esprit des compositeurs, est devenu<br />

non seulement le moyen d’alléger certaines tâches,<br />

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