Untitled - WWW Ircam
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PROTOTYPES<br />
Créer une intrigue sensible entre le laboratoire, l’université, l’atelier et la société, adresser publiquement des<br />
questions issues de l’invention artistique et de l’imaginaire scientifique, éprouver les effets sensibles du prototype<br />
par les œuvres, c’est immédiatement opérer hors des cadastres des cultures.<br />
L’<strong>Ircam</strong> expose cette singularité dans un festival des « premières fois », un scénario fait d’innovations et de<br />
ruptures, une histoire de prototypes aux répercussions inattendues. Prototypes de Michael Jarrell rencontrant<br />
la langue de Heiner Müller, de Sarkis réintroduisant le hasard perdu dans Roaratorio de Cage, d’Odile Duboc<br />
chorégraphiant Pierre Boulez. Prototype et rêve d’un orchestre parlant chez Jonathan Harvey, d’un théâtre de<br />
lumières et d’un « clavier de sensations » chez Gérard Pesson, première monumentale de Tristan Murail mêlant<br />
grand orchestre, chœurs réels et virtuels. Au prototype artistique appartient ce caractère énigmatique entre tous,<br />
décelé par Proust dans le septuor de Vinteuil, d’être une « durable nouveauté ».<br />
Quel sens esthétique, quelles dimensions artistiques et politiques pour un prototype ? Idéal sans être abstrait,<br />
expérimental sans être indéfini, le prototype affirme l’idée de métier, la fonction nouvelle, l’essai accompli. Il<br />
échappe ainsi à trois lieux communs et usés de la fabrique du contemporain : l’esthétique de la mise en abîme,<br />
le métier aboli de la performance, la fétichisation du processus, devenu promesse indéfinie d’un néant avéré.<br />
Sa mise en œuvre peuple l’atelier de l’artiste d’une foule de savoirs et d’alliances imprévisibles. Les « essais »<br />
magistraux de Monteverdi et les prémices de l’opéra expérimentées au sein des cénacles italiens de la fin du xvi e<br />
siècle empruntaient au même tumulte. L’expressivité du prototype reflète la richesse et l’imbroglio de sa genèse<br />
— c’est toute l’éloquence de son programme, comme l’éclairera au côté de Philippe Leroux, le philosophe Bruno<br />
Latour dans le cycle que lui consacre le Centre Pompidou. Du modèle scientifique ou poétique jusqu’à l’œuvre<br />
singulière, notre prototype-curseur dessine un immense méridien, la possibilité d’une perspective commune<br />
entre artistes et scientifiques, une durée partagée.<br />
Très souvent invoqué mais très rarement accompli, ce Méridien science-arts-société anime les premières<br />
rencontres organisées par l’<strong>Ircam</strong> et universcience – du 8 au 10 juin –, avec des chercheurs, ingénieurs, industriels<br />
et artistes. Le 19 juin, accordant les studios de l’<strong>Ircam</strong> et le grand air de la place Igor-Stravinsky, l’ultime nuit<br />
d’Agora invite à cette circulation intense entre intuition artistique et invention scientifique, procédant par<br />
analogie, applications techniques ou modélisation : tel système de projection sonore (la WFS), bientôt actif dans<br />
la Cour d’honneur d’Avignon pour La Tragédie du roi Richard II de Shakespeare, telle recherche sur les voix de<br />
synthèse ou la générativité de textes, dont s’emparent aujourd’hui un écrivain, un compositeur ou un cinéaste…<br />
Le passage du prototype à ses détournements génériques décrit parfaitement l’allure singulière de l’<strong>Ircam</strong> et<br />
s’apparente à une opération de haute mer. Lorsque les marins portugais voulurent s’élancer au plus loin dans<br />
l’océan Atlantique, ils firent l’hypothèse d’une manœuvre. « Volta do mar » : les vents poussant vers le large<br />
seraient les vents assurant le retour vers une terre. Comment concevoir méridien et prototypes sans cette « volte<br />
de mer » maîtrisée ?<br />
Frank Madlener<br />
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