celle de reprise de ces pommes de terre pour les éplucherD’autre part, pour plonger la main dans le sac contenantles pommes de terre à éplucher, l’éplucheuse étaitcontrainte à une amplitude du geste qui se modifiaitconstamment et qui, par ses nombreuses répétitions,fatiguait l’ouvrière, et de ce fait, diminuait son rendement.2° Chaque éplucheuse laissait tomber les épluchuressur ses genoux d’abord et les rejetait ensuite par terreCette façon de procéder entraînait également unegrande perte de temps, non seulement à cause dutemps pris pour le rejet des épluchures, des genouxjusqu’au sol, mais encore à cause du déplacement obligatoirede l’ouvrière pour permettre l’enlèvement desépluchures et pendant le nettoyage du sol qui, d’ailleursrestait toujours très sale ;3° Après épluchage, chaque pomme de terre était jetéedans un récipient placé au milieu du local à peu près àégale distance des éplucheusesD’où première perte de temps, par suite de l’amplitudedu geste de l’ouvrière pour atteindre le récipient et,conséquemment, fatigue proportionnelle au geste.Quelquefois la pomme de terre tombait à côté du récipientet la femme s’arrêtait naturellement pour la ramasser,d’où deuxième perte de temps et effort inopportunlors du passage de la position assise à laposition debout, puis accroupie pour ramasser lapomme de terre tombée.D’autre part, les faibles dimensions du récipientcommun entraînait à de multiples déplacements pourtransporter aux cuisines les tubercules épluchés ;4° Les pommes de terre à éplucher étaient apportéesau local où se fait l’épluchage dans des sacs contenantchacun environ 50 kg de ces tubercules. Un employédu réfectoire devait déposer un sac plein à côté de chaqueouvrière, mais comme le rendement de celles-cidifférait dans des proportions allant jusqu’à 50 % il nepouvait y avoir d’heures arrêtées pour la distribution detravail.D’où perte de temps dans la manipulation avecrépercussion sur le rendement des ouvrières dérangéesde ce fait5° Antérieurement la production nécessaire auxbesoins des ateliers était assurée par six ouvrières.plan incliné qui amène les pommes de terre directementsous la main de l’éplucheuse.Chaque ouvrière est placée à gauche du récipient tournant,à distance convenable pour que l’avant-bras droitsoit toujours appuyé sur le rebord arrondi du récipient,position reposante qui permet néanmoins à l’ouvrièrede prendre avec le minimum d’efforts et avec le gesteplus réduit, les tubercules à éplucher.Les dimensions du siège et du récipient sont calculéesde telle façon que1° l’éplucheuse ait la possibilité de travailler indifféremmentdans la position assise ou debout selon que la fatiguese fait plus ou moins sentir après une longue stationdans l’une ou l’autre de ces positions.2° Chaque éplucheuse laisse tomber directement lesépluchures dans une caisse munie d’un couvercle àcharnières étudié de façon à pouvoir être maintenudans une position déterminée pour obtenir un plan incliné.La hauteur de cette caisse est calculée pour que le couvercleformant plan incliné repose sur les genoux del’ouvrière quant celle-ci travaille dans la position assise,ou arrive à hauteur de sa ceinture lorsque l’ouvrière travailledans la position debout.Avec ce procédé le ramassage et le transport des épluchuresse font rapidement et proprement, à des heuresdéterminées ;3° Après épluchage de la pomme de terre l’éplucheusedont l’avant-bras est appuyé sur un accoudoir tenu à sachaise, n’a qu’à déplacer le bras pour laisser tomber letubercule épluché dans un récipient placé à sa gaucheet qui est de grandeur et de hauteur suffisantes pourrendre impossible la chute par terre du tubercule.D’autre part, le récipient est calculé pour pouvoir contenirles pommes de terre épluchées en quantité ou poidscorrespondant à la production bi-journalière de chaqueouvrière et dans ces conditions le transport aux cuisinesse fait rapidement et proprement à des heures déterminées.4° L’adoption d’un récipient commun à toutes les ouvrièreset de capacité suffisante pour assurer le travailpendant une demi-journée permet de fixer une heurepour le transport des pommes de terre à éplucher et lerendement variable des ouvrières n’affecte en rien l’organisationconcernant la distribution du travail ;5° Grâce au nouveau mode de travail, cette productiona été facilement assurée par trois ouvrières.Les conséquences résultant de l’application du systèmeTaylor sont les suivantes :Diminution de main-d’œuvre 50 %Augmentation de salaire individuel 25 %Économie sur la totalité des salaires 35 %18
L’auteur de cet écrit, Serge Héranger,manifeste un parfait optimismequant à l’efficacité de laméthode qu’il préconise et à lasatisfaction que le personneld’exécution est censé en retirer. Ilinsiste notamment sur le «boni»(sous forme de primes ou decongés) que l’ouvrier doit obtenir,selon la doctrine même deTaylor, s’il arrive au rendementqui lui est assigné par la nouvelleorganisation du travail. Reste àvoir dans quelle mesure ce supplémentextra-salarial fut toujoursscrupuleusement octroyé.Quant à l’aliénation de l’individuface à des tâches ainsi «robotisées»,loin des traditions artisanales,il n’en est point encore questiondans cet opuscule. Bien plustard, dans les années 1960, leconcept d’»enrichissement destâches» s’opposera au taylorismepur et dur au point, parfois, de lesupplanter, dans une société devenue«post-industrielle». Puisviendront l’informatisation, lamondialisation, les délocalisations...Mais ceci est une autrehistoire. Elle constituera l’archéologieindustrielle de demain...Post-scriptumLe Taylorisme est-il mort ? Loinde là, malgré l’effet d’annonced’une « entreprise à visage humain», préconisée entre-temps(et certes concrétisée en Occident)mais qui n’a pas effacé lespréoccupations du théoricien del’efficacité d’Outre-Atlantique.Témoin cet article paru dans le« Time Magazine » du 18 décembre2006 (Barbara KIVIAT, Thebig gulp at Starbucks, pages 36-38). Le témoignage de ce reportage,que nous résumons ici, méritede figurer dans les annalesindustrielles de notre temps.Basé à Seattle, Starbucks est unechaîne de débit et de vente de caféssélectionnés qui possède12.440 points de vente à traversle monde (et qui vise les 40.000points de vente !). Avec un débittotal annuel de plus de 140.000tonnes de café, le chiffre d’affairesest de l’ordre de 8 milliards dedollars U.S. L’objectif constantest évidemment d’accroître ce résultat.Pour ce faire, les moyensévoqués par la journaliste du« Time » sont triples :augmenter la productivité desserveurs au comptoir. En 2000,l’entreprise avait remplacé l’expresso« fait main » par un breuvageproduit dans des machines àcafé. Gain de temps : 24 secondespar expresso.résorber les files d’attente en servantle client en moins de 3 minutes.Mais comme plus de 40%des serveurs n’arrivent pas à atteindrecette cadence, il en résultedes milliers de dollars deperte, car les clients impatientsn’attendent pas (ou n’entrentpas). Il faut donc trouver une solutiontechnique. Celle à l’étudeest d’introduire un distributeurautomatique d’extrait de café…diversifier la vente afin d’augmenterle degré de chalandise :petite restauration, offre de produitscomplémentaires (services àcafé, thermos…), cyber-café, vidéo.Mais est-ce conciliable avecle concept original de point devente individualisé, sans l’aspect« fast-food » ou bazar ? Est-ceque cette croissance ne va pas entraînerun niveau de complexitéingérable, avec le risque de ralentirl’expansion de l’entreprise ?Un consultant n’a-t-il pas déterminéque la croissance des firmesparmi les moins complexes est1,7 fois supérieure à celle de leursconcurrent moyen (« averagecompetitor ») ?Une autre voie consiste à multiplierdes « drive-through », maisalors qu’en est-il de la convivialité,atout déclaré de « Starbucks » ?Toujours est-il que le volumeglobal des ventes demeure essentiel.Il est d’ailleurs suivi mois parmois, car le cours des actions dela firme se ressent des fluctuationsdu chiffre d’affaire tout aulong de l’année. Mais en ramenanttout à des chiffres, on risquede dénaturer le produit. Les dirigeantsle savent mieux que quiconque.Et la journaliste ironisedéjà : « Si vous le demandezgentiment, vous pouvez mêmeavoir une tasse de café ». Cecidit, il est savoureux. Le signatairede la présente en atteste… A lasanté de Taylor !Claude GAIER19