■ ICI ET MAINTENANT«Nous devons développer le <strong>bio</strong>en direction de la durabilité»L’agriculture <strong>bio</strong>logique suisse est <strong>ch</strong>ampionne du monde pour l’écologie, affirme Urs Niggli, le directeurdu FiBL, qui pense qu’elle recèle par contre encore un potentiel de développement pour l’aspectsocial de la durabilité. «Les consommateurs sont très sensibles à ces questions – ils paient plus <strong>ch</strong>erpour les produits <strong>bio</strong> et ils en attendent que tout soit en ordre, aussi sur le plan social.»Photo: Thomas Alföldiapports d’engrais organiques. Les fermes<strong>bio</strong> peuvent donc arriver à de fortes surfertilisations,ce qui se répercute négativementsur la <strong>bio</strong>diversité et les nappesphréatiques. Il y a même des cas vraimentextrêmes.«Totalement légal selonles directives de l’UE maisimpensable en Suisse.»«Chaque génération doit redéfinir et redévelopper l'agriculture <strong>bio</strong>logique», affirmeUrs Niggli, le directeur du FiBL.<strong>bio</strong> <strong>actualités</strong>: À quel point l'agriculture<strong>bio</strong>logique est-elle durable?Urs Niggli: Les paysans et paysannes <strong>bio</strong>logiquessuisses sont absolument <strong>ch</strong>ampionsde la durabilité, par exemple dansle domaine de la <strong>bio</strong>diversité ou de la protectiondu sol. Au niveau international,l’IFOAM ou l’UE ne garantissent vraimentpas le même niveau de durabilité.Il y a malheureusement d’immenses différencesentre les domaines agricoles quin’en font que le minimum et ceux qui sontécologiquement très durables. Les effortsde l’IFOAM pour établir des normes dedurabilité avec le projet SOAAN*, que jedirige, sont donc très importants.À quoi sont dues ces différences?En Suisse, la combinaison de la loi sur laprotection de l’environnement, des exigencespour les paiements directs, de lamentalité suisse et des directives suissespour l'agriculture <strong>bio</strong>logique a mené à uneplus grande durabilité écologique.Quels acquis suisses seraient un atoutpour l'agriculture <strong>bio</strong>logique mondiale?La nouvelle réglementation pour la <strong>bio</strong>diversité.Ou alors la limitation de laquantité de fumure par unité de surface etles bilans de fumures équilibrés. Le maximumde dix pour cent de concentrés pourles ruminants est lui aussi exemplaire. Denombreuses directives <strong>bio</strong>logiques internationalesautorisent n’importe quelsPar exemple?Les grandes exploitations qui produisentde l’herbe sur la moitié de leur surfaceavec des engrais azotés très solubles pourensuite la composter pour fertiliser lescultures <strong>bio</strong> des autres parcelles qui sont,elles, certifiées <strong>bio</strong> – totalement légalselon les directives européennes maisimpensable en Suisse. Ou encore les exploitationsqui n’ont pas de réelle rotationdes cultures: elles font de la monoculturependant des années et, lorsqu’elles ontdes problèmes de mauvaises herbes, il y atoujours un voisin qui est prêt à reprendrela production <strong>bio</strong> pendant que l’autre exploitationrésout conventionnellement leproblème des mauvaises herbes. Cela n’estpossible que parce que les directives del’UE ne posent pas d’exigences minimalespour la rotation des cultures. Il y a doncde nombreuses é<strong>ch</strong>appatoires que le débatsur la durabilité doit permettre d’éliminer.Ces exploitations ne rogneront certainementpas d’elles-mêmes leur marge demanœuvre. Comment faire alors pouraméliorer la situation?Les labels comme le Bourgeon de BioSuisse exercent ici une certaine régulationen imposant sur place des exigences plussévères et en offrant en contrepartie lapossibilité de réaliser une meilleure valeurajoutée.* SOAAN = Sustainable Organic Agriculture ActionNetwork<strong>10</strong> <strong>bio</strong><strong>actualités</strong> <strong>10</strong>/<strong>12</strong>
Les évaluations de la durabilité desentreprises agricoles forment un vaste<strong>ch</strong>amp de développement. Il y a-t-il dessystèmes valables?Oui, ça existe. Par exemple, la société Soil& More fait des évaluations de durabilitépour le groupe Eosta, un distributeurhollandais de fruits et de légumes <strong>bio</strong>qui exige de ses fournisseurs des <strong>ch</strong>eckupqui remontent jusqu’aux producteursagricoles. La plupart de ces bilans de durabilitésont encore très complexes, et lesentreprises ne s’y plient qu’en grinçant desdents. Il faudrait trouver un système assezsimple pour ne pas être une gêne mais uneaide pour les entreprises.Vous dites que l’agriculture <strong>bio</strong>logiquesuisse est <strong>ch</strong>ampionne en matière de durabilité.Y a-t-il tout de même des <strong>ch</strong>osesà améliorer?La consommation d’énergie. Presque tousles domaines agricoles suisses sont surmécaniséset utilisent trop d’énergie. Etl’humification des sols est importante enrelation avec le climat. Sinon, je vois dansla production agricole <strong>bio</strong>logique suissequelques possibilités d’optimalisationécologique mais pas de grosses lacunes.Et les producteurs <strong>bio</strong>logiques suissesvont assez bien du point de vue de ladurabilité économique. Par contre, à partdes déclarations d’intention, il n’y a pasencore grand-<strong>ch</strong>ose sur le plan social. Lesentreprises agricoles emploient – voireexploitent – beaucoup de saisonniers.«Les consommateurs <strong>bio</strong>s’attendent à ce que tout soiten ordre – aussi sur le plansocial.»Est-ce que les labels <strong>bio</strong> vont se développervers toujours plus de durabilité etdevront aussi satisfaire à de hautes exigencessociales et économiques?Je crois que l'agriculture <strong>bio</strong>logique vatoujours plus tenir compte des aspectssociaux – aussi en Suisse. Aujourd’hui, lacombinaison du <strong>bio</strong> et de Max Havelaar estpresque la norme pour les importations.Ça va aussi déteindre sur la productionsuisse, car les consommateurs sont trèssensibles à ces questions, ils paient plus<strong>ch</strong>er pour les produits <strong>bio</strong> et s’attendentpar exemple à ce que les employés soientbien traités. Quand on regarde vingt ansen arrière, l'agriculture <strong>bio</strong>logique enétait au même point pour le bien-être desanimaux, et de nombreux paysans <strong>bio</strong>disaient alors: Nos animaux sont nourrisavec de l’herbe <strong>bio</strong>, donc nous sommesmeilleurs et le reste ne nous intéresse pas.Ça <strong>ch</strong>angé et le <strong>bio</strong> est maintenant leaderdans le domaine des conditions d’élevage.Le FiBL va-t-il suivre cette évolution, ouest-ce que sa compétence principale resterala durabilité écologique?C’était le cas au départ. Nous noussommes beaucoup occupés de la diversitédans le sol – vers de terre, insectes,microorganismes –, dans les <strong>ch</strong>amps –plantes sauvages, auxiliaires – et dans lepaysage – haies, bandes florales, bordsde <strong>ch</strong>amps. Puis nous nous sommes toujoursplus occupés de la consommationd’énergie, du climat et d’autres thèmes dela durabilité. Notre équipe qui s’occupedes calculs modélisés et des évaluationss’est entre-temps beaucoup étendue: Nousavons par exemple développé avec laHaute école de Zollikofen un guide pourl’évaluation globale de la durabilité pourla FAO. Les indicateurs sociaux et sociétauxy jouent un grand rôle. La re<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>eva maintenant se pen<strong>ch</strong>er sur les cycles,car la pénurie mondiale des ressources vas’aggraver rapidement.Avec quels projets de re<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>es?Par exemple avec celui des mou<strong>ch</strong>es hermetia,qui transforment les dé<strong>ch</strong>ets alimentairesen protéine fourragère pour lesnon-ruminants. Le procédé devrait bientôtêtre assez au point pour permettre laréalisation d’une première installation industrielle.Autre exemple: On développeaujourd’hui des toilettes qui séparentl’urine et les fèces et utilisent l’urine pourproduire un engrais azoté de grande valeur.Bien que d’origine organique, il esttrès soluble et donc interdit par le Cahierdes <strong>ch</strong>arges. La même <strong>ch</strong>ose vaut pour lephosphore. Ce sont des questions passionnantesqui concernent fortement ladurabilité et pour lesquelles l'agriculture<strong>bio</strong>logique peut être pionnière ou lanternerouge. Je pense que le rôle de pionnierconviendrait mieux à l’esprit du <strong>bio</strong>.L’agriculture <strong>bio</strong>logique devra-t-elleremettre en question certaines partiesde sa réglementation?Oui – nous allons devoir relancer la discussionsur les cahiers des <strong>ch</strong>arges. Je suisconvaincu que <strong>ch</strong>aque génération doitredéfinir et redévelopper l'agriculture<strong>bio</strong>logique en partant des réflexions debase. Le docteur Müller ou Rudolf Steinern’étaient quand même pas visionnaires aupoint d’avoir tout prévu. Rudolf Steinerserait stupéfait si on lui mettait un iPhonesous le nez. Nous devons progressivementrepenser l'agriculture <strong>bio</strong>logique.Le FiBL a jusqu’ici toujours <strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>é toutesles solutions en fonction des directives<strong>bio</strong>, mais on a atteint certaines limites.Quelques problèmes sont tout simplementinsolubles, et certains limitent fortementla productivité. On doit par exemplese demander si on veut adapter les directivespour pouvoir utiliser des insecticides<strong>bio</strong>logiques contre le méligèthe du colzaou si on doit renoncer à faire du colza <strong>bio</strong>logiqueen Suisse.«Le FiBL a jusqu’ici toujours<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>é toutes les solutions enfonction des directives <strong>bio</strong>.»Les transformateurs sont aussi importantspour la durabilité. Le Bourgeon estplus strict dans ce domaine que d’autreslabels <strong>bio</strong>, mais est-ce que ça vaudrait lapeine que Bio Suisse soit encore plus exigeanteau sujet des processus de transformation?Les transformateurs sont en concurrenceles uns avec les autres, <strong>ch</strong>acun veutse profiler. On peut s’attendre à ce qu’ilsveuillent aussi se profiler sur le plan de ladurabilité, et si un le fait les autres devrontsuivre. Il y a là tout d’abord des aspectsécologiques comme la consommationd’énergie, mais aussi des aspects sociauxcomme les conditions de travail. Le FiBLpeut conseiller les entreprises intéressées.Si le Bourgeon veut continuer de représenterla bonne conscience, il doit assumerlui-même la responsabilité de continuerle développement de ses directives– aussi pour la transformation.Interview: Stephan Jaun<strong>bio</strong><strong>actualités</strong> <strong>10</strong>/<strong>12</strong> 11