Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002L’innovation au Japon : échanges d’expériencesTable ronde présidée par Yves-Michel PEYRACHEPrésident de la société JITEXAprès la description du contexte politique, sociologique, culturel et organisationneljaponais, passons maintenant aux interrogations de praticiens au quotidien del’innovation japonaise. Tous les prochains intervenants ont en effet, à des titres divers,pu côtoyer la recherche japonaise, tant du secteur public que du secteur privé. Ilsdevraient nous faire connaître les raisons de leur succès ou de leurs difficultés, en toutcas nous transmettre leurs propres repères pour mieux appréhender, et un tant soi peudémystifier, l’innovation japonaise. Ils interviennent à titre personnel et aucunement aunom de leur entreprise.INNOVER A PARTIR DU JAPONLa recherche japonaise vue de l’intérieur :le centre de recherche d’Air Liquide au JaponJean-Marie FRIEDT,Directeur du développement technologique AL Electronique,Président du Conseil de Air Liquide Laboratories, TsukubaPour faire de l’innovation efficace et productive, une entreprise doit trouver le bonproduit au bon moment. L’innovation constitue la mise en œuvre pratique, en produit ouen service, d’un concept ou d’une nouvelle idée. Il n’y a donc pas d’innovation sanscréativité. Celle-ci résulte aujourd’hui, selon moi, de la rencontre entre des disciplines àpremière vue éloignées.Certaines conditions nécessaires au succès de l’innovation doivent être remplies. Lacréativité relève de l’individu, or la structure sociale, l’éducation ou les conditions detravail dans une entreprise sont, par définition, « créaticides ». Il est donc nécessaire depromouvoir l’innovation en créant un terreau à la créativité. La principale mission del’entreprise est précisément d’instaurer un climat propice à son éclosion, mais aussi defournir les moyens nécessaires à la réalisation de l’innovation. Il est enfin nécessaire defonctionner en équipes croisées de compétences, afin de mêler les expériencesindividuelles au sein du projet collectif.En matière d’innovation, les atouts du système japonais sont la culture de groupe –quand il se présente, un Japonais cite le nom de son entreprise avant son proprepatronyme - et la capacité à la veille technologique.Les faiblesses de ce système découlent directement de ses forces : l’individu estembrigadé dans un système basé sur la hiérarchie, sa créativité est étouffée par legroupe. En outre, la culture ingénieur reste très présente au Japon : elle favorise12
Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002l’innovation, mais celle-ci n’est pas toujours rentable. Les exemples d’innovationstechnologiques remarquables qui sont venues au mauvais moment ou qui ont été malexploitées sont légions au Japon. Par ailleurs, la mise en œuvre de la propriétéintellectuelle est très faible au Japon et les exportations de technologies sont très peunombreuses. La plupart des brevets s’apparentent à des rapports de recherche. Ilsdonnent droit à une prime dans les grandes entreprises, d’où leur nombre très élevé.L’organisation de l’innovation est liée pour une bonne part à l’activité de l’entreprise.Air Liquide développe une activité d’engineering de chimie ultra fine, pour une dizainede clients globaux à l’échelle mondiale. Dans notre cas, trois conditions sont nécessairespour une innovation réussie : un management efficace qui fixe des orientations précisesaux chercheurs, en cohérence avec le marché ; une parfaite connaissance des attentesfutures des clients par une analyse constante des besoins et des contraintes del’industrie ; une collaboration étroite et continue avec les clients finaux, tout au long dudéveloppement des projets.Chez Air Liquide, nous travaillons à partir d’une organisation globale. La R&Dfonctionne comme une équipe unique, délocalisée sur les trois continents, afin decollecter des informations sur toutes les zones actives dans notre domaine et de lestransférer en produits de recherche et d’innovation, pratiquement en temps réel. Lesproblèmes sont les mêmes partout mais émergent plus ou moins rapidement selon leszones. Cette organisation nous permet donc d’anticiper les problèmes et les évolutionstechnologiques pour les traiter dans les meilleurs délais. Nos différentes équipestravaillent en parfaite complémentarité. L’équipe japonaise se distingue par sa capacitéau travail systématique et expérimental. Quant à l’équipe américaine, elle maîtriseparfaitement les plans d’expérience ou les modèles de coût du produit final. LesEuropéens, enfin, sont spécialistes de la modélisation.Je voudrais, pour conclure, insister sur trois idées-forces :• La base de l’innovation, tout au moins pour Air Liquide, est le travail en équipe, lafertilisation croisée des expériences des domaines et l’intelligence technologique auniveau global.• Les capacités d’innovation existent partout, mais varient dans leurs forces.• L’innovation est extrêmement risquée, or une entreprise doit limiter les risques. Lemanagement doit savoir prendre ses responsabilités. Il joue un rôle clé, parfoisoublié.DÉBATA votre connaissance, les objectifs fixés à la ville scientifique de Tsukuba ont-ilsété atteints ? La fertilisation croisée entre les différents organismes de recherchea-t-elle eu lieu ? Votre implantation dans cette zone a-t-elle été favorable à votreactivité ?J.-M. F. : Sur le plan administratif, Tsukuba est un succès. Toutes les statistiques et tousles rapports gouvernementaux en témoignent. Aujourd’hui, 35 % des chercheurs deTsukuba travaillent dans l’industrie et 65 % dans le secteur public.Dans la pratique, les échanges entre chercheurs reposent essentiellement sur les13