Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Quinze ans de coopération en robotique avec le Japon :les leçons d’une expériencePhilippe COIFFETDirecteur de recherche au CNRS, Laboratoire de Robotique de VersaillesAvions-nous intérêt à travailler avec les Japonais dans les domaines de la robotique etde la réalité virtuelle explorés par la recherche publique française ?Trois raisons m’ont poussé, à partir de 1983, à le penser. Tout d’abord, dans ledomaine de la robotique, le Japon est le seul investir. Ensuite, une technologie de pointen’a d’intérêt que si elle est utilisée, or elle l’est peu dans les laboratoires de recherchepublique français. Mon intention était donc d’utiliser la technologie japonaise pourmettre au point les systèmes sur lesquels notre laboratoire travaille. Enfin, la robotique etles systèmes de travail à distance font l’objet de financements publics importants auJapon. Or la complémentarité entre les chercheurs français, théoriciens, et leschercheurs japonais, pragmatiques, est évidente.Je me rends, depuis 1983, deux fois par an au Japon. Entre 1985 et 1995, j’airencontré tous les ans les mêmes personnes pour leur proposer une collaboration, envain, malgré l’assurance vigoureuse de mes interlocuteurs que mon projet était trèsintéressant ! En dix ans, les chercheurs seniors avec qui je menais ces discussions sontdevenus directeurs de leur service. Peu à peu conquis par mes propositions, ils ontfinalement décidé de s’y rallier. Depuis 1996, des échanges de chercheurs français etjaponais ont lieu régulièrement entre le laboratoire de robotique du CNRS et l’Institutdes systèmes intelligents de l’AIST (National Institute of Advanced Industrial Scienceand Technology) de Tsukuba. Notre collaboration a porté sur deux classes de produits :les robots personnels animaloïdes et humanoïdes, et les systèmes de travail à distance.En 1997, j’ai été nommé « technical officer » du METI, c'est-à-dire professeur invité.En 2000, nous avons conclu un contrat avec Sony pour développer l’un de nos projetsde robot. En 2001, j’ai présidé un colloque qui jusque-là avait toujours été placé sous laprésidence japonaise. Un projet franco-japonais sur la robotique avancée a été lancédans la foulée, entre le CNRS et l’AIST.Je crois que le lien personnel est extrêmement important pour créer un climat deconfiance avec un partenaire japonais. De même, il est nécessaire de connaître et derespecter la culture japonaise, ou tout du moins de persuader ses interlocuteurs de sonintérêt pour elle ! Par ailleurs, il convient d’être patient et de ne jamais faire perdre laface à son partenaire. Enfin, il est important de tenir ses promesses et de préciser trèsclairement ce que l’on attend du partenaire.Le chercheur japonais est un excellent partenaire, travailleur, amical, discret etcompétent. Il maîtrise aujourd’hui l’anglais, ce qui facilite la communication par rapportà il y a quelques années. En outre, il comprend mieux aujourd’hui l’intérêt que peuventavoir les collaborations extérieures. Son principal défaut reste qu’il obéit toujours à sonchef ! On ne peut rien discuter aux niveaux hiérarchiques inférieurs, ce qui complexifieles processus de recherche, en ôtant aux chercheurs toute capacité d’initiative.20
Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002DÉBATComment avez-vous réglé la question de la propriété industrielle avec lelaboratoire universitaire japonais de l’AIST avec lequel vous collaborez ?P. C. : Ce sujet est particulièrement compliqué dans la recherche fondamentale. Unaccord relativement vague a été signé en 1985. En 1990, la partie française a fait unenouvelle proposition aux Japonais, qui l’ont refusée. Nous étions, dès lors, dans unesituation sans précédent : les chercheurs français n’avaient jamais été aussi nombreux àtravailler dans des laboratoires japonais jusque-là très fermés, mais il n’y avait aucunaccord formel réglementant cette collaboration. Nous avons finalement décidé de nousen tenir à la première version de l’accord, vague mais qui permettait de poursuivre notrecoopération. Pour chaque cas particulier, un texte serait ensuite prévu. Ce système aévidemment le désavantage d’allonger les délais déjà longs des remises d’autorisation.Mais nous travaillons dans un secteur bien particulier de ce point de vue : la technologieavancée sur laquelle portent nos efforts ne donnera lieu à des produits que danslongtemps. En réalité, jusqu’à maintenant, nous n’avons eu aucun problème avec notrepartenaire japonais s’agissant de la propriété industrielle. Nous avons même pris desbrevets en commun.Où en est la robotique française par rapport à son homologue japonaise ?P. C. : La robotique humanoïde occupe peu de chercheurs français. Nous avons degrands théoriciens, mais la construction mécanique est très coûteuse et les laboratoirespublics sont peu dotés en moyens. Au niveau européen, en revanche, les laboratoiresfrançais de robotique font partie du réseau European Robotic Network, qui réunit dixpays et organise des échanges très intéressants entre chercheurs.21