Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002conséquence incroyable de cette crise à la fin de la dernière décennie : un bondconsidérable des investissements européens au Japon, et surtout français. La Franceétait le premier investisseur étranger en 1999 ; en trois ans, elle a plus investi dans cepays qu’au cours des quarante-cinq dernières années. Les Français sont aujourd’huiconsidérés comme de bons managers et font l’objet d’un véritable engouement chez lesJaponais. A ce titre, le partenariat emblématique entre Renault et Nissan atteste de cerenversement complet de situation : le Japon s’est également ouvert à des méthodesnouvelles et progressistes en matière de management.Enfin, il a connu toute une série de réformes en dix ans, avec notamment larecomposition de la structure industrielle. Cette réorganisation des conglomérats degrandes entreprises japonaises, les Keiretsus, a <strong>rendu</strong> la structure industrielle japonaiseplus lisible pour les investisseurs étrangers et plus conforme au modèle européen. C’estune révolution culturelle menée sous influence directe des étrangers. A l’instar deNissan, sous management français, l’ensemble des groupes japonais a réduitsensiblement le nombre des sous-traitants collaborateurs. Le système de distributionintérieur japonais a connu également de profondes modernisations.La réforme financière a conduit à la modernisation du système bancaire japonais.L’assainissement des finances - notons que l’endettement japonais est essentiellementintérieur - est en bonne voie et les banques japonaises ont appris ces dix dernièresannées à devenir rentables.L’État connaît aussi une réforme majeure, et particulièrement l’administration, dont lesproblématiques sont proches de son homologue française. Débureaucratisée etmodernisée dans son fonctionnement, l’administration japonaise est devenue plusefficace, dans les secteurs scientifique et technologique particulièrement.La réforme managériale s’opère lentement mais sûrement depuis l’introduction dusystème du mérite il y a une dizaine d’années. La gestion du partage des connaissances(knowledge management) a été bouleversée, dans l’organisation des bureauxnotamment. En introduisant des méthodes révolutionnaires dans les activitésbureaucratiques, les Japonais ont obtenu des gains de productivité considérables.Quel type de scénario peut-on envisager pour demain ? Le scénario du déclin est le plusfréquemment avancé dans la presse : le Japon aurait connu une période d’apogée par lepassé, qui prend fin aujourd’hui, selon le schéma classique de la grandeur et de ladécadence des empires. C’est un scénario auquel je ne souscris pas du tout. Secondscénario développé, le Japon serait rentré dans une phase de normalisation : il rejoint leclub des grands pays industriels et ses comportements s’alignent sur les nôtres.Troisième scénario, celui de la renaissance : les réformes finiront par payer et le Japonva retrouver sa puissance. En réalité, chacun de ces scénarios comporte une part devérité : les secteurs en déclin vont finir par disparaître ; la normalisation des pratiquescomptables, financières et managériales est à l’œuvre ; certains secteurs devraient eneffet nous étonner dans les prochaines années.Contrairement aux idées reçues, le Japon est donc un pays qui change : dans la périodemoderne, depuis le XIXème siècle, il a connu trois périodes de réformes profondes,dont la dernière se déroule actuellement. On peut noter, d'ailleurs, qu’elles ont été àchaque fois déclenchées par des pressions extérieures et qu’elles ont toujours duré unequinzaine d’années. Le Japon d’aujourd’hui connaît des difficultés depuis à peu près6
Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002douze ans… La fin de cette période difficile n’est peut-être pas si lointaine ! Force estde constater, en tout cas, que ce pays n’a pas abandonné l’ambition de devenir lapremière puissance scientifique et technologique du monde.DÉBATQuel est l’impact dans la région du développement de pays comme la Chine, laCorée ou l’Inde ?G.F. : Depuis dix ans, les Japonais sont talonnés par leurs voisins. Les produits coréenset taiwanais envahissent le marché japonais, ce qui oblige le pays à adopter une stratégiede revalorisation amont de la politique scientifique et technique. Il doit être en avancedans la recherche appliquée mais aussi dans la recherche fondamentale pour résister à lamenace concurrentielle que représentent ces pays.Quelle forme prend le rachat des firmes japonaises par des entreprisesétrangères ?G.F. : Jusqu’à présent, Renault est la seule entreprise étrangère à avoir développé unepolitique d’alliance dans le cadre d’un rachat d’une firme japonaise, au lieu d’une prisede contrôle pure et simple comme en ont l’habitude les Américains ou les Allemands. Etle résultat est là. Pour l’instant, il n’existe pas d’autre exemple de ce type.Le déclin japonais ne serait qu’apparent selon vous. Il n’est pourtant pascontestable sur le plan démographique. Par ailleurs, les bouleversements de lasociété japonaise ne risquent-ils pas de se révéler un handicap, le sens de ladiscipline ayant perdu beaucoup de la place qu’il avait autrefois ?G.F. : On ne parle pas de « déclin démographique » au Japon, mais de « vieillissementde la population ». En effet, les Japonais ne partagent pas cette vision pessimiste propreaux Européens. La population du Japon a pourtant vieilli en cinquante ans comme lesEuropéens en deux siècles. Mais l’augmentation du nombre des personnes âgées estconsidérée comme une opportunité de nouveaux développements commerciaux etindustriels. En outre, l’entrée progressive dans une société de la connaissance a entraînéun allongement de la durée des carrières. Aujourd’hui, ceux qui détiennent un savoirtravaillent de plus en plus tard, alors que dans le système industriel classique, oncommençait une seconde carrière à partir de 55 ans : on pensait alors qu’à cet âge onn’était plus suffisamment productif pour travailler dans une très grande entreprise.On s’est beaucoup interrogé, en effet, sur le comportement des jeunes Japonais dans lemonde du travail, eux qui n’ont connu qu’une période d’opulence, contrairement à leursaînés. Force est de constater qu’il y a peu de changements entre les deux générations.La seule différence, toutefois, est qu’autrefois on entrait dans une entreprise comme onentrait dans les ordres. Aujourd’hui, les jeunes Japonais changent plus fréquemmentd’entreprises : ils ont le droit à l’erreur.Quant aux femmes, leur situation s’est améliorée dans un premier temps, mais ellesjouent aujourd’hui le rôle de « pare-chocs social ». Rien n’est encore gagné pour elles.7