Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002ACHETER OU VENDRE UNE INNOVATION AU JAPONUne PME française peut-elle jouer la carte de l’innovationsur le marché japonais ?Bruno GUIHARDDirecteur commercial, représentant de la société Europlasma au JaponEuroplasma est une PME cotée au marché libre et spécialisée dans les technologies detraitement des déchets toxiques. Elle a particulièrement réussi au cours des deuxdernières années sur le marché japonais. Mais la promotion d’une technologie innovantefrançaise auprès des gros industriels japonais n’a pas été simple. Vendre de l’innovationne va pas de soi.Europlasma regroupe aujourd’hui trente personnes. Nous étions cinq en 1992 lorsquel’entreprise a été créée. Notre activité est basée sur la torche à plasma, une technologieinventée par deux ingénieurs de l’Aérospatiale, dans les années 1980, pour tester lestêtes d’ogives nucléaires. Nous l’avons détournée de son utilisation originelle pour fairede la vitrification de déchets dans le domaine des déchets municipaux. A partir de 1995,nous avons travaillé avec la ville de Bordeaux. En 2000, l’Aérospatiale nous a cédé tousles droits de la technologie.Le secteur des déchets en France est très similaire à son homologue japonais : oncollecte les déchets puis on les incinère ; quant aux sous-produits issus de cetteincinération, ils sont la plupart du temps stockés dans des décharges. La géographie duJapon renforce l’acuité des problèmes environnementaux. Or Europlasma permet detransformer les sous-produits de déchets en verre réutilisable.Actuellement, il existe une quarantaine d’unités de vitrification au Japon. Quatorze sonten cours de construction, dont quatre utilisent la technologie Europlasma. Lesestimations de croissance de ce marché sont exponentielles : on prévoit deux centsunités de vitrification dans les dix ans à venir. Or le marché français est difficile et nosconcurrents sont beaucoup mieux armés que nous, étant donné leur taille (Vivendi,Lyonnaise des Eaux), pour le conquérir. A partir de 1996, il nous a donc sembléintéressant de commencer à développer des contacts au Japon. Nous l’avons fait demanière innovante, par des méthodes commerciales quelque peu iconoclastes etnouvelles. Nos premiers contacts ont ciblé les maisons de commerce, parce que l’onnous avait dit qu’elles seules pouvaient nous introduire sur le marché japonais.Aujourd’hui, nous sommes revenus de cette opinion : ces maisons ne sont pas conçuespour vendre de l’innovation venue de l’étranger. Le JETRO, Centre japonais ducommerce extérieur, basé à Lyon, nous a ensuite apporté une aide précieuse pour nousfaire connaître au Japon. Finalement, nous avons décidé de nous adresser directementaux industriels susceptibles d’utiliser notre technologie, ce qui a constitué un travail longet fastidieux, mais qui nous a permis de nouer des contacts intéressants.Notre principale difficulté dans ces prises de contact est venue de l’âge de nosinterlocuteurs. Les managers de la vieille génération ne parlent pas l’anglais et refusent,d’une certaine manière, l’innovation. En revanche, les cadres plus jeunes maîtrisent bien22
Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002cette langue et sont sensibles aux technologies nouvelles : nous avons eu, avec eux, desrelations beaucoup plus simples et faciles.Je suis persuadé, par ailleurs, que pour vendre de l’innovation aujourd’hui au Japon, ilfaut savoir identifier «la bonne fenêtre ». Celle-ci dépend de la conjoncture et descycles. Mieux vaut ouvrir la discussion dans un moment de calme conjoncturel. Ainsi,les industriels détestant l’innovation, parce qu’elle implique des risques financiers, ilimporte de leur présenter une nouvelle technologie à un moment où ils peuvent y êtreréceptifs. Nous avons eu la chance d’arriver sur le marché au moment où nos clientspotentiels constataient les mauvais résultats de certains projets en phase pilote, alors quela situation économique connaissait un certain fléchissement. Toutes les conditionsétaient réunies pour que nous bénéficiions d’une écoute positive. Jamais nous n’aurionspu vendre notre innovation si elles ne l’avaient pas été.Une PME française peut-elle jouer la carte de l’innovation sur le marché japonais ? Oui,à condition d’être présente, pérenne, patiente et d’avoir une bonne technologie !Qui sont vos clients actuellement ?DÉBATB. G. : Ce sont des industriels de l’acier, à qui la tâche a été confiée de gérer et detraiter les ordures ménagères au Japon.Vous cédez actuellement votre technologie torche à plasma. Comment voyez-vousle futur ? Votre R&D travaille-t-elle à de nouvelles innovations ?B. G. : Non, nous faisons une pause dans notre activité R&D, mais l’utilisation de notretechnologie devrait donner lieu à de nouvelles avancées chez nos partenaires japonais.Nous ne manquerons pas de nous inspirer de leurs initiatives d’ici quatre à cinq ans.Le risque, pour une petite entreprise française qui fait la promotion de soninnovation au Japon, n’est-il pas de dévoiler ses secrets de fabrication à des plusgrands qu’elle, qui ne manqueront pas d’en faire usage, mais sans elle ?B. G. : Nous vendons un outil, mais pas le savoir-faire qui permet de le fabriquer, et unelicence d’utilisation, c'est-à-dire la méthode d’utilisation de cet outil. S’agissant durisque de copiage, nous n’avons pas eu à le craindre. Les grands groupes avec lesquelsnous travaillons ont une certaine éthique. Ils n’ont d’ailleurs pas le temps de copier. Ilspréfèrent payer pour utiliser une technologie que d’avoir à se lancer dans quinze ans derecherche pour la développer par eux-mêmes. En revanche, ce risque est réel en Coréeou à Taiwan. Je ne me rends jamais dans ces pays avec des plans confidentiels.23