30.11.2012 Views

Magazine SWISSLIFE Printemps 2012

Magazine SWISSLIFE Printemps 2012

Magazine SWISSLIFE Printemps 2012

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Le voyage a commencé il y a 27<br />

ans, un samedi de décembre.<br />

J’avais 19 ans quand mes parents<br />

m’ont conduit à la gare. Ce voyage<br />

n’était pas comme les autres: dans ma<br />

poche, pas de billet de retour. Mon départ<br />

pour Paris signait aussi mon départ<br />

de la maison familiale.<br />

Alors que j’étais encore à l’école de<br />

recrues, j’avais posé ma candidature à<br />

l’Office national suisse du tourisme,<br />

une organisation étatique qui – aujourd’hui<br />

sous le nom de Suisse Tourisme<br />

– promouvait la Suisse comme<br />

destination de vacances et avait des<br />

bureaux dans bien des pays. Je m’étais<br />

rendu en uniforme à l’entretien de présentation.<br />

Quand l’on m’avait demandé<br />

si je m’imaginais travailler à l’étranger,<br />

j’avais répondu: «Plutôt pas». Je<br />

pensais travailler et passer parallèlement<br />

ma maturité, puis je voulais étudier<br />

et devenir écrivain, même si je ne<br />

savais pas exactement comment faire.<br />

Quelques jours plus tard, l’on m’a téléphoné<br />

à la caserne. C’était le chef du<br />

personnel de l’Office du tourisme qui<br />

me proposait une place à Paris, si j’étais<br />

intéressé. Le comptable du bureau de<br />

Paris était membre des Scouts Suisses<br />

(l’une des nombreuses associations<br />

suisses de Paris) et s’était mortellement<br />

blessé en tombant d’un pont de corde<br />

qu’il avait lui­même construit. J’ai demandé<br />

un peu de temps pour réfléchir.<br />

Et j’ai accepté.<br />

Le train vers Zurich était plein<br />

d’adolescents qui se rendaient en ville<br />

pour aller au cinéma ou en boîte de<br />

nuit. Ma valise ne cadrait pas dans le<br />

décors, tout comme mes parents qui se<br />

trouvaient sur le quai et tentaient de<br />

donner à ce moment une certaine dignité.<br />

Mais l’arrêt ne permit pas autre<br />

chose qu’un bref signe de la main, et le<br />

train partit. J’imagine que mes parents<br />

ont encore fait quelques pas sur le quai,<br />

puis sont repartis pour la maison en<br />

cette froide soirée de décembre. Pour<br />

eux, c’était la fin d’une époque; pour<br />

moi, le début d’une ère nouvelle.<br />

Je suis arrivé à Paris tard dans la soirée.<br />

Il pleuvait. Et bien que l’hôtel ne<br />

fût qu’à dix minutes de la gare de<br />

l’Est, je décidai de prendre un taxi. Le<br />

conducteur n’avait jamais entendu<br />

parler de l’hôtel de la Nouvelle France;<br />

le quartier de la gare foisonnait d’établissements<br />

du même type, aux noms<br />

grandiloquents mais aux chambres<br />

miteuses. Il m’a déposé devant une caserne<br />

de gendarmerie du même nom et<br />

le gendarme de garde m’a expliqué<br />

comment me rendre à l’hôtel qui se<br />

trouvait à proximité, dans une rue<br />

sombre et étroite. A cette heure du soir,<br />

il n’y avait plus personne à la réception<br />

et la clef de ma chambre se trouvait<br />

dans une enveloppe, sous le paillasson.<br />

J’ai monté ma valise au quatrième<br />

étage. Ma chambre se trouvait tout au<br />

bout du couloir et ne faisait même<br />

pas 8 m 2 . Une chambre comme celle<br />

de «Mr. Bleaney» dans le très célèbre<br />

poème de Philip Larkins:<br />

Bed, upright chair, sixty-watt bulb, no<br />

hook/Behind the door, no room for books or<br />

bags …<br />

Mais je m’y suis immédiatement<br />

senti bien, en sécurité dans ce lieu<br />

étroit qui me reliait cependant à la ville<br />

grâce à la vue sur les toits de Paris. Durant<br />

les premiers mois de mon séjour,<br />

j’ai cherché un appartement, mais j’ai<br />

finalement abandonné et suis resté<br />

toute l’année dans ma petite chambre.<br />

Je ne sais plus ce que j’ai fait lors de<br />

mes premiers jours à Paris. J’ai certainement<br />

déambulé dans les rues, sous la<br />

pluie, et me suis fait du thé avec mon<br />

thermoplongeur que j’utilise encore<br />

parfois aujourd’hui. J’étais déjà allé à<br />

deux reprises à Paris et je croyais<br />

Ma valise ne cadrait pas dans le décors,<br />

tout comme mes parents qui tentaient de<br />

donner à ce moment une certaine dignité.<br />

connaître un peu la ville. J’étais monté<br />

sur la Tour Eiffel et avais vu Mona Lisa<br />

au Louvre. Mais le fait que Paris intramuros<br />

soit en fait une énorme agglomération<br />

dans laquelle vivaient cent<br />

fois plus de personnes que dans le village<br />

où j’avais passé les 19 premières<br />

années de ma vie m’avait totalement<br />

échappé. En Suisse, j’allais à pied au<br />

bureau et connaissais la moitié des<br />

<strong>SWISSLIFE</strong> <strong>Printemps</strong> <strong>2012</strong><br />

Repères // 23

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!