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Il y a quelques semaines, Roger Widmer s’est approprié<br />
un nouveau lieu: une terrasse située entre des haies et<br />
du béton. L’endroit est désaffecté. Un «spot» urbain<br />
comme il les aime. Ce sportif de 31 ans s’échauffe consciencieusement<br />
avant de glisser sur les bancs vides, de se lancer<br />
sur les parapets qui ne protègent personne et de gravir des<br />
murs oubliés depuis longtemps. Widmer répète des mouvements<br />
qui s’enchaînent souplement, sans effort apparent.<br />
Soudain, une voix retentit sur la terrasse. «Eh, vous! Dégagez<br />
de là, et tout de suite!» C’est le concierge, et il s’approche<br />
à grands pas.<br />
Roger Widmer prend la chose avec philosophie. «Pour le<br />
concierge, il y a un type pas soigné avec un pantalon trop<br />
large qui fait un truc interdit», expliquetil. «Il pense tout de<br />
suite que c’est un vandale agressif qui pourrait lui attirer des<br />
ennuis.» Depuis douze ans, Widmer pratique le parkour, l’art<br />
de se déplacer en ville. Il a déjà vécu toutes sortes de situations<br />
similaires. En fait, il apprécie ce type de rencontre. C’est<br />
comme parcourir la ville en sautant les murs et les précipices,<br />
ce qu’il fait fréquemment. Ce sont des obstacles à franchir.<br />
Des ennuis, de la violence, du vandalisme? Le concierge<br />
est très loin de la vérité. En 2008, Roger Widmer a fondé<br />
ParkourOne avec des amis. Depuis, il vit de son sport. Il organise<br />
des performances et tourne des films, enseigne dans des<br />
écoles et des maisons de jeunes, dans des centres de prévention,<br />
dans des postes de police ou lors de séminaires de management.<br />
Il a appris le métier d’orfèvre et a passé un diplôme<br />
d’enseignement. Il possède en outre sa propre marque de vêtements<br />
«Etre fort», dont 1% des recettes est reversé pour la<br />
protection de l’environnement. Roger Widmer est marié et<br />
père de deux garçons qu’il éduque «selon l’esprit du parkour».<br />
Widmer fait plus jeune que son âge. Il est mince et très<br />
entraîné, a l’esprit vif et s’exprime de manière précise. Pour<br />
expliquer sa philosophie du sport, il tend sa main calleuse à<br />
force de râcler le béton et le métal des villes. Chaque doigt<br />
représente un principe: humilité, respect, confiance, prudence<br />
et renonciation à l’esprit de compétition. «Etre fort<br />
pour être utile» est la devise du parkour. Un slogan qui pourrait<br />
tout aussi bien appartenir aux éclaireurs. En effet, un<br />
traceur, comme on appelle les adeptes de ce sport, sont des<br />
éclaireurs. Des personnes qui vont en reconnaissance pour<br />
ouvrir la voie.<br />
Si l’on oublie la philosophie, le parkour peut être défini<br />
comme suit: «le but est de se déplacer d’un point à un autre<br />
de la manière la plus efficace possible», nous dit Widmer.<br />
Cette méthode a été développée par l’armée française pour<br />
économiser les forces des troupes dans la jungle. A la fin des<br />
années 80, David Belle, un fils de soldat, a transposé ces techniques<br />
dans le milieu urbain des banlieues parisiennes. L’on<br />
peut emprunter les rues... ou ouvrir d’autres voies. Un traceur<br />
voit un passage là où d’autres ne voient qu’un mur. Il<br />
voit des escaliers sur les façades lisses ou des couloirs entre<br />
les toits. «Nous ne suivons pas les indications des architectes<br />
et des urbanistes», explique Roger Widmer. «Nous redécouvrons<br />
chaque terrain avec des yeux d’enfants mais avec notre<br />
raison d’adultes.»<br />
«Pour le concierge, il y a un<br />
type pas soigné avec un<br />
pantalon trop large qui fait<br />
un truc interdit. Il pense<br />
tout de suite que c’est un<br />
vandale agressif qui pourrait<br />
lui attirer des ennuis.»<br />
Lorsqu’il était jeune, Roger Widmer sortait déjà des sentiers<br />
battus. Alors que les autres jouaient au foot, il a préféré apprendre<br />
le monocycle tout seul. A 12 ans, il a découvert le<br />
Didgeridoo et en a construit un luimême. A 18 ans, après<br />
avoir vu un reportage sur David Belle, il a décidé de se consacrer<br />
au parkour. A cette époque, impossible d’apprendre<br />
cette technique en prenant des cours. Peu importe. Le jour<br />
suivant, Widmer trouve un endroit adéquat: une cour désaffectée<br />
près de la gare de Münsingen. Il se lance sur des parapets,<br />
franchit des murs, se suspend à des branches et s’entraîne<br />
sans relâche jour après jour. «J’aime les formes<br />
réduites» déclaretil. «Le parkour est le sport le plus réduit<br />
qui soit: ici, il n’y a que ton corps et le terrain.»<br />
Roger Widmer et ses amis, toujours plus nombreux,<br />
furent la première troupe de parkour hors de France. Après<br />
s’être entraînés quatre ans de suite, ils pensaient être parmi<br />
les meilleurs traceurs. Lors d’un voyage en France à Lisses, la<br />
patrie de David Belle et la Mecque du parkour, ils constatent<br />
Le parcours du traceur: dans la vieille ville de Berne, les gens se sont habitués à voir Roger Widmer emprunter des passages improbables.<br />
<strong>SWISSLIFE</strong> <strong>Printemps</strong> <strong>2012</strong>