32LES IDÉESLA TRIBUNE VENDREDI 21 JUIN 2013LA LOI DE SÉCURISATIONDE L’EMPLOI PORTE-T-ELLEBIEN SON NOM ?Si elle comporte un certain nombre d’avancées, la loi transposant dans le code du travaill’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 présente des zones d’ombre susceptiblesde rendre les plans de restructuration plus compliqués, voire moins sécurisés…© DR© PHILIPPE WANGFRANÇOISFARMINEAVOCAT AU BARREAUDE PARIS,ASSOCIÉ CHEZCLIFFORD CHANCERENAUDMONTUPETDIRECTEURD’ALIXPARTNERS<strong>La</strong> loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relativeà la sécurisation de l’emploi a officiellementété publiée au JournalOfficiel dimanche 16 juin 2013, transposantainsi dans le code du Travaill’accord national interprofessionneldu 11 janvier 2013. Cette loi bouleverseen profondeur la législation applicable aux plans delicenciement collectif pour motif économique. Plusque jamais, la vigilance et une rigoureuse préparationdes plans de réorganisation s’imposent aux entreprises.Loin de simplifier la vie des entreprises, la nouvellelégislation risque d’ouvrir une nouvelle période d’insécuritésur le plan juridique et opérationnel. Il faudrasans doute plusieurs années pour que la pratique et lajurisprudence contribuent à stabiliser le dispositif.UN FLOU SUBSISTEDANS L’INTERPRÉTATION DES TEXTESL’objectif des partenaires sociaux et du gouvernementétait de simplifier et de sécuriser les lourdesprocédures de licenciement économique, dont la miseen œuvre est particulièrement complexe, longue etsouvent incertaine. De nombreuses entreprisespeinent à ajuster rapidement leur structure de coût,et leur redressement s’en trouve fortement pénalisé.En amont de ces procédures, la loi crée deux nouveauxoutils de flexibilité :– un outil « à chaud », l’accord de maintien dansl’emploi, permettant, en contrepartie de l’engagementde maintenir les emplois, d’aménager la duréedu travail et la rémunération pour une durée maximalede deux ans ;– un outil « à froid », par lequel il sera possible deconclure un accord sur la mobilité interne.Dans les deux cas, il semble résulter du texte quele refus de plus de neuf salariés dans la mise enœuvre des dispositions de ces accords s’analyseraiten un licenciement individuel pour motif économiqueet dispenserait l’employeur d’établir un plande sauvegarde de l’emploi (PSE).En aval, deux options sont désormais possibles :– élaborer un PSE dans le cadre d’un accord majoritaireavec les organisations syndicales représentativesde l’entreprise ;– élaborer un document unilatéral ayant trait auprojet de licenciement et au PSE.Un certain flou subsiste dans l’interprétation destextes, sur la possibilité de choisir l’une ou l’autre desoptions ou sur la nécessité de rechercher d’abord unaccord d’entreprise, avant d’établir un documentunilatéral. Un consensus semble toutefois se dégageren faveur d’un choix laissé à l’entreprise de recourirà l’une ou l’autre des méthodes.Dans la première option, le projet d’accord d’entrepriseserait négocié avec les organisations syndicales,puis soumis à la consultation du comité d’entreprise(CE) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditionsde travail (CHSCT) avant de faire l’objet d’unevalidation par l’administration dans un délai dequinze jours. Cette procédure n’est toutefois pasexempte de difficultés pour l’employeur : négociationd’un accord d’entreprise, consultation du CE et duCHSCT sur le projet d’accord d’entreprise, signaturede l’accord, puis nouvelle procédure de consultationdes institutions représentatives du personnel (IRP)sur la motivation économique du projet.L’entreprise aura également la faculté d’élaborerun document unilatéral qui devra faire l’objet d’uneconsultation du CE et du CHSCT avant d’être soumisà l’homologation de l’administration qui se prononceradans un délai de vingt et un jours.LE DÉLAI DE CONTESTATION PASSEDE CINQ ANS À DOUZE MOIS<strong>La</strong> procédure d’information et de consultation desIRP est désormais enfermée dans des délais impératifsde deux à quatre mois selon le nombre de licenciementsenvisagés. Ceci représente un progrès considérablepar rapport aux procédures en vigueur, dont ladurée minimale actuelle correspond plutôt à la duréemaximale visée par la nouvelle loi.<strong>La</strong> loi traite très justement de la problématique relativeà la désignation et à la mission de l’expert nommépar le CE. L’employeur et l’expert devront toutefoisfaire preuve d’une rigueur accrue etde célérité au regard des délaisimpartis pour la mise en œuvre del’expertise. Au regard des délaiscourts imposés désormais, le travailde préparation de l’expertise devrafaire l’objet d’une attention méticuleusede la part des entreprises.C’est d’ailleurs souvent un facteurde retard important dans les procéduresactuelles, les experts se prévalantd’un prétendu retard desentreprises à leur transmettre lesinformations et documents demandés pour justifier del’impossibilité de déposer leur rapport dans les délais.Certaines imprécisions risquent de créer des difficultés.<strong>La</strong> disparité des procédures applicables à l’accordd’entreprise par rapport au document unilatéral estsource d’interrogations. De même, le texte retire le«Il faudra desannées pourque la pratiqueet la jurisprudencecontribuentà stabiliserle dispositif. »Combien de pages en plus – ou en moins – pourle code du Travail, qui en comptait déjà 3 371dans la version du Dalloz 2012 ? [BERTRAND GUAY/AFP]contentieux afférant à la contestation de la validité desPSE aux juridictions de l’ordre judiciaire. Toute contestationde la procédure relative aux accords d’entrepriseet aux documents unilatéraux devra être portée devantles juridictions administratives.<strong>La</strong> loi a opportunément instauré un délai de troismois dans lequel le tribunal administratif devrarendre sa décision. Toutefois, le délai de recoursdevant la cour administrative d’appel combiné à l’absencede délai déterminé alloué au Conseil d’Étatpour statuer pourrait faire peser une incertitude surla validité du PSE pendant une période indéterminée,préjudiciable au regard des contraintes subies par lesentreprises. En effet, une annulation de la procédurede licenciement entraînerait la nullité des licenciementsqui auraient été opérés dans l’intervalle. Lessalariés licenciés pour motif économique conserventla possibilité de contester le caractère réel et sérieuxdu motif économique de la rupture de leur contrat detravail dans un délai de douze mois, contre cinq ansactuellement.<strong>La</strong> loi comporte donc des avancées.Mais peut-on pour autantconsidérer que les procédures delicenciement collectif pour motiféconomique seront plus simples etplus sécurisées pour les entreprises? Rien n’est moins sûr. Lesnouvelles procédures instituées parla loi, le caractère très techniquedes nouvelles dispositions, leszones d’ombre et les lacunes de laloi, le transfert de l’essentiel ducontentieux collectif afférent aux plans sociaux auxjuridictions administratives combinés à l’absence dedécrets d’application, circulaires administratives et detoute jurisprudence sont une source d’inquiétude pourles plans de restructuration qui seront mis en œuvre àcompter du 1 er juillet 2013. http://www.latribune.fr<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong>2, rue de Châteaudun - 75009 ParisTéléphone : 01 76 21 73 00.Pour joindre directement votre correspondant,composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffresmentionnés entre parenthèses.SOCIÉTÉ ÉDITRICELA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.au capital de 3 200 000 euros.Établissement principal :2, rue de Châteaudun - 75009 ParisSiège social : 10, rue des Arts,31000 Toulouse. 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Jean-Pierre Gonguet.RÉALISATION RELAXNEWS( Direction artistique Cécile Gault.( Graphiste Elsa Clouet.( Rédacteur en chef édition Alfred Mignot.( Secrétaire de rédaction Sarah Zegel.( Révision Cécile Le Liboux.( Iconographie Cathy Bonneau.( Infographies ASKmedia.ACTIONNAIRESGroupe Hima, Hi-media/Cyril Zimmerman,JCG Medias, SARL CommunicationAlain Ribet/SARL, RH Éditions/Denis <strong>La</strong>fay.MANAGEMENTVice-président en charge des métropoleset des régions Jean-Claude Gallo. Conseilleréditorial François Roche. Directrice Stratégieet Développement Aziliz de Veyrinas (73 26).Directrice de publicité Clarisse Nicot (73 28).Directeur nouveaux médiasThomas Loignon (73 07).Abonnements Aurélie Cresson (73 17).Marketing des ventes au numéro :Agence Bo conseil A.M.E / Otto Borschaoborscha@ame-presse.com (01 40 27 00 18).Imprimeries IPS, ZA du Chant des Oiseaux,80800 Fouilloy. N o de commission paritaire :0514 C 85607. ISSN : 1277-2380.
VENDREDI 21 JUIN 2013 LA TRIBUNELES CHRONIQUES 33IL FAUT RÉINVENTER LE TRAVAIL© DRFRANCISPISANICHRONIQUEURINDÉPENDANT,AUTEUR, EXPERTINTERNATIONALEN INNOVATION,CONFÉRENCIER.SON BLOG :FRANCISPISANI.NETAU CŒUR DEL’INNOVATIONÀ Cornellà, petite ville voisine de Barcelone, un laboratoirepour la ville de demain a été créé en 2002, le Citi<strong>La</strong>b. Là, dans uncentre consacré à l’emploi, le <strong>La</strong>bor<strong>La</strong>b, on incite les participantsà partager compétences et connaissances et à créer des projets originaux et attractifs. Envalorisant le travail, pas la création d’entreprise à tout prix.«Et si… » (traduction libre dufameux What if ? américain,dont sont sorties tant d’innovations),nous nous trompionsquand nous criions sur tous lestoits qu’il faut créer des entreprisesen France ? Entendonsnous: il en faut et on n’en créera jamais assez. Mais enrépétant cette conviction anglo-saxonne nous nousempêchons peut-être d’atteindre des couches essentielles.Des réticences face à l’entreprisen’excluent pas la volonté, lacapacité de créer son propre travail.«On respectele travail,pas l’entreprise,elle a mauvaiseréputation. »C’est à Barcelone ou, pour êtreplus précis, dans la ville voisine deCornellà, que je l’ai compris, envisitant le Citilab, laboratoire pourla ville de demain. Le projet a commencéen 2002 et la vieille usinede briques rouges totalementremodelée dans laquelle il est installéa été inaugurée en 2007.On y aide sportifs, musiciens etgamers à utiliser les TIC. Le Family<strong>La</strong>b forme lesgamins et leurs grands-parents, sans oublier les chômeursque les moniteurs aident face à leur peur del’ordinateur en créant des CV virtuels plus faciles à fairecirculer. Sur les ordinateurs du Telecentro tout lemonde peut venir consulter, surfer, tchatter, faire sesdevoirs ou les recherches qui s’imposent. Six mille cinqcents inscrits payent 3 euros par an pour cet accès.ARTUR SERRA, PROFESSEURD’ANTHROPOLOGIEET COFONDATEUR DU CITILAB.Le cœur innovant se trouve au <strong>La</strong>bor<strong>La</strong>b, entièrementconsacré à l’emploi. On n’y aide pas à en trouvermais à en créer. Dans ce modèle, explique le site deCiti<strong>La</strong>b, « personne n’a besoin que quelqu’un lui donneun travail. Tous ceux qui participent apprennent à partagercompétences et connaissances et à créer des projetsoriginaux et attractifs ».Voilà le mot-clé : « projet ». Ceux qui viennent lesmontent un à un et apprennent à les vendre. Ilsavancent pas à pas. Aucun besoin d’être exhaustif.« Nous leur disons d’inventer leurtravail en montant des projets, pasdes business plan », m’a expliqué laLes participants au <strong>La</strong>bor<strong>La</strong>b apprennentà monter un projet et à le vendre. [CITILAB-CORNELLÀ]directrice Roser Santamaría.C’est peut-être un saut conceptueldont une bonne partie de l’Europegagnerait à s’inspirer. Le contextesocial y est pour beaucoup. Cornellàest le bastion des socialistes catalanset tire sa force d’une traditionouvrière ancestrale, elle-mêmeissue d’une longue histoire d’artisanat.Depuis le Moyen Âge, rien n’estplus mis en valeur que l’effort. « Être sans travail est undrame », qui dépasse les besoins alimentaires, m’a expliquéArtur Serra, professeur d’anthropologie et l’un desfondateurs du Citilab. On touche là au terreau culturelqu’on n’ignore qu’à ses dépens.« Mais il faut changer le “chip” et se mettre à innover,ajoute Artur Serra. Nous devons réinventer letravail. » On dit ça un peu partout et la réponse habituelleconsiste à tout faire pour faciliter la créationde nouvelles boîtes. Ça ne marche pas à Cornellà.« On respecte le travail, pas l’entreprise, précise ArturSerra. Elle a mauvaise réputation. » Mais pour queça marche, il est essentiel « de changer le sens duterme “travail” et de lui donner une dimension innovante,créative ». De lui redonner, en fait, cettedimension, si l’on pense à la tradition artisanale surlaquelle la Catalogne a construit une bonne partiede sa réputation depuis le Moyen Âge.<strong>La</strong> municipalité elle-même s’est rendu comptequ’elle n’allait nulle part avec la seule création d’entrepriseset soutien maintenant cette approche différente.« Nous aidons ceux qui viennent à créer desprojets, à les développer, à les vendre », explique ArturSerra. « Il s’agit d’extraire l’essence de ce qui fait laqualité de l’ingénieur ou du professionnel – le projet – etde le généraliser à l’ensemble de la population. »Trois leçons : 1- Il faut « créoliser » les modèlesvenus d’ailleurs si l’on veut qu’ils réussissent. 2- <strong>La</strong>lutte pour la préservation de ce à quoi on tient vautmoins que sa réinvention. 3- Ou, ce qui revientpresque au même, on ne combat bien ce qu’on rejettequ’en se réinventant. !"#$%&%'()*+)*+)',(&*-"#$.(/*,01%0.+"20(345657*86*95:3;