DAWN RAIDS | Retour sur expérience20<strong>les</strong> individus dans <strong>de</strong>s démarches quipeuvent être lour<strong>de</strong>s <strong>de</strong> conséquences.Lors <strong>de</strong> mes allers retours aux États-Unis, au Department of Justice, vouspouvez imaginer que l’ambiance étaittendue (à chaque réunion était présent<strong>de</strong> façon discrète mais réelle un officier<strong>de</strong> police). Ce sont <strong>de</strong>s chosesqui vous marquent. Il est donc primordial<strong>de</strong> savoir affronter cette pression,d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> personnes impliquées dansune telle affaire, tout en maîtrisant <strong>les</strong>problématiques juridiques nombreuseset inhérentes à ce type <strong>de</strong> dossier.Quel<strong>les</strong> autres conséquencesfaut-il prendre en compte lorsquel’on déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> souscrire à unprogramme <strong>de</strong> clémence ?Outre <strong>les</strong> amen<strong>de</strong>s, il faut évaluer <strong>les</strong>conséquences <strong>de</strong>s <strong>pour</strong>suites civi<strong>les</strong>,qui peuvent constituer <strong>de</strong>s risquesfinanciers encore plus importantsque <strong>les</strong> amen<strong>de</strong>s. Les informationscommuniquées dans le cadre <strong>de</strong>programmes <strong>de</strong> clémence peuventse retrouver indirectement dans <strong>les</strong>procès civils qui s’ensuivent et, pardéfinition, cela limite <strong>les</strong> marges <strong>de</strong>manœuvre <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> ces contentieux.Par exemple, aux Etats-Unis, <strong>les</strong>entreprises ont payé plus d’1 Md$ endamages, et géré <strong>de</strong>s actions civi<strong>les</strong>un peu partout dans le mon<strong>de</strong>. Aumoment <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r une action <strong>de</strong> clémence,il faut pouvoir évaluer au plusprès l’ensemble <strong>de</strong>s conséquencesque cel<strong>les</strong>-ci ne manqueront pas <strong>de</strong>créer.« Il faut savoir gérer unesituation conflictuelle dans sesdimensions extra-juridiques. »Quel regard portez-vous, avecdu recul, sur votre expérience ?Je dirais, <strong>de</strong> façon un peu provoquantepar rapport aux conséquencessur l’entreprise, que ce type <strong>de</strong> dossierreste une expérience extrêmementenrichissante <strong>pour</strong> un directeurjuridique. Le Directeur juridique seretrouve dans une situation très particulière,avec <strong>de</strong>s responsabilités quidépassent son cadre d’interventionhabituel et une capacité d’influer surle <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’entreprise. Cependant,au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce point positif, le juriste<strong>de</strong>vient un vrai chef <strong>de</strong> projet, il estl’interface entre l’entreprise et <strong>les</strong>autorités, il a un rôle <strong>de</strong> traitement,<strong>de</strong> communication et <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>sinformations extrêmement important.Cet exercice <strong>de</strong> gestion presque administrativen’est pas toujours facile,car il faut trouver <strong>les</strong> bonnes informations<strong>pour</strong> répondre aux différentesquestions <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s autorités ou<strong>de</strong> ses collègues. Il faut savoir gérerune situation conflictuelle dans sesdimensions extra-juridiques. Il n’en<strong>de</strong>meure pas moins que ces dossiersen droit <strong>de</strong> la concurrence constituent<strong>de</strong>s expériences professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>tout premier ordre et qui marquent unjuriste dans l’exercice <strong>de</strong> ses responsabilitésdans l’entreprise.■ Propos recueillis parMichele ZingariJuriste d’Entreprise Magazine N°14 – Juillet 2012
Retour sur expérience | DAWN RAIDSL’entreprise face aux dawn raids :conséquences pratiques et juridiquesEntretien avec Nicolas <strong>La</strong>e<strong>de</strong>rich, Directeur juridique Concurrence et RéglementationTélécom du groupe France Télécom Orange. Son expérience <strong>de</strong>s enquêtes <strong>de</strong>s autorités<strong>de</strong> la concurrence lui a conféré un regard expert sur <strong>les</strong> différentes questions pratiqueset juridiques qui se posent aux entreprises dans ces procédures.Quelle expérience avezvous<strong>de</strong>s dawn raids ?Nous avons une pratique assez large<strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> visites et saisies<strong>de</strong>s autorités <strong>de</strong> la concurrence, oudawn raids, dans la mesure où notreGroupe y a été confronté à plusieursreprises, en France et dans nos filia<strong>les</strong>,à l’échelon communautaire ou local.Ces expériences nous ont conduit àmettre en place un certain nombre<strong>de</strong> règ<strong>les</strong> internes, <strong>pour</strong> y faire faceen préservant <strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong> l’entreprise.Même si <strong>les</strong> visites domiciliairesse sont significativement multipliéesces <strong>de</strong>rnières années, en Europe etFrance, el<strong>les</strong> <strong>de</strong>meurent trop rares,à l’échelle d’une entreprise et mêmed’un Groupe <strong>pour</strong> pouvoir compter sur<strong>de</strong>s automatismes, <strong>de</strong>s réflexes. El<strong>les</strong>peuvent intervenir à tout moment etsont toujours inattendues. Pour ceuxqui <strong>les</strong> subissent, c’est un événementexceptionnel. Notre problématiqueest <strong>de</strong> préparer <strong>de</strong> façon adéquatele personnel, afin que <strong>les</strong> bons choixpuissent être faits au bon moment.En termes <strong>de</strong> formation et <strong>de</strong> gouvernanced’entreprise, c’est très compliquéà réaliser. Nous faisons beaucoup<strong>de</strong> formation, notamment auprès <strong>de</strong>séquipes dirigeantes, car ce sont généralementvers el<strong>les</strong> que <strong>les</strong> enquêteursse tournent en premier lieu. L’enjeuest <strong>de</strong> leur apprendre à gérer <strong>les</strong> dixpremières minutes d’une enquête,durant <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> <strong>juristes</strong> ou <strong>les</strong>conseils extérieurs ne sont pas encoreprésents. Nous avons axé la formationinterne sur ces dix premières minutes,et nous avons rédigé un va<strong>de</strong>mecumau format d’une carte <strong>de</strong> crédit quechacun peut glisser dans son portefeuille,listant <strong>les</strong> choses à faire, à nepas faire, et <strong>les</strong> bons réflexes à avoir.D’un point <strong>de</strong> vue pratique,comment prévenez-vous <strong>les</strong>risques <strong>de</strong> non-respect <strong>de</strong>srèg<strong>les</strong> d’une perquisition ?Nous <strong>de</strong>vons être très attentifs auxaspects pratiques et logistiques,car il y a une jurispru<strong>de</strong>nce établie,notamment sur <strong>les</strong> temps d’attenteimposés aux enquêteurs et <strong>les</strong> bris <strong>de</strong>scellés, avec <strong>de</strong>s risques d’amen<strong>de</strong>strès lour<strong>de</strong>s. Cela suppose <strong>de</strong>s formations<strong>de</strong> l’ensemble du personnel,notamment <strong>de</strong>s agents d’accueilqui ne doivent pas faire patienter <strong>les</strong>enquêteurs trop longtemps. Par ailleurs,un scellé est fragile et peut êtrebrisé par acci<strong>de</strong>nt, il faut donc prendre<strong>de</strong>s précautions, mettre <strong>de</strong>s indicationsécrites, informer <strong>les</strong> agents <strong>de</strong>ménage, afin <strong>de</strong> prévenir tout risque<strong>de</strong> condamnation.D’un point <strong>de</strong> vue plus juridique,quel<strong>les</strong> problématiques soulèvent<strong>pour</strong> vous ces dawn raids ?Je constate qu’il y a une utilisation <strong>de</strong>plus en plus large <strong>de</strong>s visites domiciliaires,y compris dans <strong>les</strong> cas où<strong>les</strong> autorités n’ont pas instruit préalablementou reçu <strong>de</strong>s dénonciationsréellement étayées d’éléments probatoires.C’est inquiétant, cette procédurese banalise, alors que dans certainscas <strong>les</strong> autorités <strong>pour</strong>raient user<strong>de</strong> voies plus légères. Cette formeinvasive d’instruction <strong>de</strong>vrait rester àmon sens proportionnée, et être utiliséeseulement lorsqu’elle est vraimentnécessaire. Nous observons égalementqu’il y a un contrôle juridictionnelinsuffisant sur <strong>les</strong> perquisitions, quien principe ne peuvent se faire quesous un contrôle strict du juge <strong>de</strong>slibertés et <strong>de</strong>s détentions. Or on voitque, souvent, <strong>les</strong> ordonnances <strong>de</strong>sJLD sont pré-rédigées par <strong>les</strong> autorités<strong>de</strong> la concurrence et validées sansqu’il y ait <strong>de</strong> véritable contrôle. Bienentendu, <strong>les</strong> juges ont beaucoup <strong>de</strong>travail, mais il est important que ceprincipe <strong>de</strong> contrôle soit réaffirmé etque <strong>les</strong> autorités <strong>de</strong> la concurrence netombent pas dans la facilité <strong>pour</strong> cequi est du recours à ces procédures.Le fait que <strong>les</strong> autoritéssaisissent systématiquementl’intégralité <strong>de</strong>s messageriesest-il particulièrementproblématique <strong>pour</strong> vous ?<strong>La</strong> question <strong>de</strong>s saisies informatiquesest centrale. Toute saisie <strong>de</strong>vrait êtrestrictement limitée au seul champ <strong>de</strong>l’enquête. Or du fait <strong>de</strong> l’utilisation<strong>de</strong> mots-clés gardés secrets par <strong>les</strong>enquêteurs et par le principe d’insécabilité<strong>de</strong>s messageries, <strong>les</strong> saisiesinformatiques dépassent totalement lechamp <strong>de</strong> l’enquête. Lorsqu’un mailcorrespond à un mot-clé entré par21Juriste d’Entreprise Magazine N°14 – Juillet 2012