DRJe ne suis pas arrivée à destination(d’une parfaite cohér<strong>en</strong>ce écologique), et,dans quelques années, j’aurai <strong>en</strong>coreavancé, reculé, changé de directions. M<strong>en</strong>ourrirai-je exclusivem<strong>en</strong>t de racines,plantes et fleurs sauvages, ou sortirai-jed’un clapier mobile un civet de lapin deuxfois l’an aux repas de famille ?Coté fringues, je continue de jongleravec la récupération, les bric-à-brac g<strong>en</strong>reEmmaüs. Cela me permet de déculpabilisersur l’achat de textiles forcem<strong>en</strong>t polluants: des fibres naturelles (coton, laine)largem<strong>en</strong>t traitées, <strong>en</strong>grais, pest<strong>ici</strong>despuis teintures chimiques et <strong>en</strong>noblissants<strong>en</strong> tout g<strong>en</strong>re, aux textiles synthétiquesissus de la pétrochimie, l’impact <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>talet social est désastreux. Mais lacontradiction se trouve pour moi dansl’accumulation. Les prix sont tellem<strong>en</strong>tbas dans ces lieux de v<strong>en</strong>te (de un à troiseuros <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne) que je peux rev<strong>en</strong>diquerun bon mètre cube de vêtem<strong>en</strong>ts.Est-ce bi<strong>en</strong> nécessaire de posséder unevingtaine de jupes et pantalons, une quarantainede tricots et polos, une douzainede vestes et de blousons ?Les prix des vêtem<strong>en</strong>ts issus d’uneagriculture et d’une fabrication écologiquem<strong>en</strong>tet socialem<strong>en</strong>t correctes sont<strong>en</strong>core tellem<strong>en</strong>t prohibitifs que je n’arrivepas, ou très rarem<strong>en</strong>t, à m’ycontraindre. Alors la solution se trouve-telle,pour moi, dans le tissage et la couture(sur une machine à pédale, bi<strong>en</strong> sûr) demes vêtem<strong>en</strong>ts à partir des fibres que j’auraispréalablem<strong>en</strong>t cultivées et ramassées,tel le lin, le chanvre et les orties ? Sûrqu’avec deux moutons pour tondre lapelouse, je pourrais peut-être filer lalaine ! Ou alors est-ce que je dois pratiquerun naturisme à toute épreuve, celledu temps et celle du regard des autresposé sur mes résidus de bourrelets. Là<strong>en</strong>core, r<strong>en</strong>dez-vous dans quelquesannées pour faire le point.Aux petits soinsEt puis, il n’y a pas que ça ; je fais25km aller-retour à vélo <strong>en</strong> plus depr<strong>en</strong>dre le train pour me r<strong>en</strong>dre sur monlieu de travail, mais quand même, detemps <strong>en</strong> temps, je me laisse transporter<strong>en</strong> automobile, jusqu’à 3000 kilomètrespar an, damned !Et j’ai <strong>en</strong>core des ampoules ordinairesdans les WC, le couloir et la salle d’eaucar je n’y reste pas longtemps alors je n’aipas voulu investir dans des bassesconsommations pour ces lieux de passage.Bon, j’<strong>en</strong> connais qui font bi<strong>en</strong> pire,qui ont même des halogènes et des veillessur des appareils électroménagers que j<strong>en</strong>e possède évidemm<strong>en</strong>t pas comme unposte de télévision, un magnétoscope ouun four électrique, mais j’ai <strong>en</strong>core duchemin à parcourir pour gagner le premierprix de la parfaite écologiste.Côte santé, j’ai décidé très vite deremplacer tous les traitem<strong>en</strong>ts chimiquespar des tisanes, huiles ess<strong>en</strong>tielles et performancede résistance aux migraines (untruc de fou, passer une journée <strong>en</strong>tièreavec une horloge comtoise qui sonnedans le crâne pour ne pas pr<strong>en</strong>dre uncachet, des fois je me dis que je suis vraim<strong>en</strong>tdingue, ding dong, dingue donc).Mais, avant que le grand orage du débutéclate, j’ai quand-même pris la pilule dixans. Et puis, basta, pas de chimie dansmon corps, et pas de bébé non plus !Pourtant, pour ne pas tomber dans legrand miracle de l’abstin<strong>en</strong>ce, il faut bi<strong>en</strong>un peu aider les seules observations ducorps assez subtil pour nous jouer destours. Alors recours aux préservatifs oblige.Mais qu’<strong>en</strong> est-il de leur fabrication,de la matière première ? Même <strong>en</strong> purlatex d’hévéa, celui-ci ne pousse pas dansle coin, donc importation et exploitationforestière sont nécessaires. A quand lacapote produite et diffusée localem<strong>en</strong>t ?Et on ne parle même pas des trois mètreslinéaires de choix <strong>en</strong> pharmacie, parfuméesà la vanille, à la fraise…Chat alors !Et puis, il y a <strong>en</strong>core le cas du chat.Manque de pot, il est arrivé <strong>en</strong> appartem<strong>en</strong>t,il y a douze ans, après les souris.On l’a mis d’emblée au régime végétari<strong>en</strong>,mais ca ne lui conv<strong>en</strong>ait pas du tout nospetits reste de tofu et compagnie. Bref, levétérinaire a tranché : du bœuf et de l’eau,voilà ce qu’il lui faut ! J’avais l’air malin àla boucherie musulmane du quartier àquémander des restes pour mon chat… Ettout ça a fini aux croquettes et boulettes,bio. Mais le chat, il préfère les colorants etles arômes souris, alors il faut ruser, unpeu de croquettes bio maronnassesnoyées dans les quadricolores. Le pire estque cette petite boule poilue d’à peinequatre kilos arrive à nous faire aller ausupermarché pour lui ram<strong>en</strong>er sa bouffe !Côté litière, l’aberration totale : voilàqu’on ramène le chat à la campagne, jardinet espace à gogo (pour nous aussid’ailleurs), mais le matou, il demande àr<strong>en</strong>trer pour faire ses besoins — p<strong>en</strong>dantque nous autres humains, on ne rate pasune occasion pour aller dehors. Questionécolo-pratico-économique, on a trouvé :des épines de douglas qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dubois d’<strong>en</strong> face, <strong>en</strong> plus très absorbant etinodore, ça évite au moins de creuser descarrières <strong>en</strong> Espagne pour le derrière d<strong>en</strong>os petites bêtes.DRQuand on voit le chat hystériquedevant ses “s<strong>en</strong>ior vitality plus” et autresslogans débiles à souhait, on ne s’étonneplus que les gosses préfèr<strong>en</strong>t les tagadatsoin-tsoinaux biscuits complets maisonaux fruits secs à mastiquer p<strong>en</strong>dant uneheure !Mais que faire, le p<strong>en</strong>dre par la queue,l’abandonner au fond des bois ourépondre à ses caprices de minet gâté ?Plus on avance, plus on pr<strong>en</strong>dconsci<strong>en</strong>ce du chemin qui s’ouvre devantnous, mais l’intérêt ne réside-t-il pasdavantage dans les moy<strong>en</strong>s que dans la fin(du monde ? de l’humanité ?). Plus onavance, plus on a l’impression que lesautres recul<strong>en</strong>t, ceux qui n’ont <strong>en</strong> fait pasbougé ou si peu, mais peut-on leur <strong>en</strong>vouloir ou doit-on les <strong>en</strong>courager à chacunde leurs pas ? Lorsqu’un gaminappr<strong>en</strong>d à marcher, on ne se moque pasde lui à chaque fois qu’il se casse la figure,alors laissons un peu ces “pas <strong>en</strong>coreécolos” le dev<strong>en</strong>ir à petits pas, à coups dechutes et de rechutes, et continuons,d’avancer, de boire et manger, de rire et des’aimer (tout nu et habillés) !Alice Villevert. nSILENCE N°32714Septembre 2005
[in]cohér<strong>en</strong>cesIl faut décroire, non ?DRVivre mieux (!) nos contradictions <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant qu’une sociétéde décroissance nous libère ? Gérer nos compromis déprimants et remâcherquelques incohér<strong>en</strong>ces ? Il est déjà intéressant de noter dans cette invitation,à partager à la fois un point de vue et un coup d’œil honnête à l’exist<strong>en</strong>ce,qu’il est surtout question de l’avoir.peut-être symptomatique.Sommes-nous riches au pointC’estde ne p<strong>en</strong>ser d’abord, et bi<strong>en</strong> àpropos d’ailleurs, qu’à nous séparer desmachines, des objets et des choses donton s<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong>, même confusém<strong>en</strong>t,qu’ils nous serv<strong>en</strong>t autant qu’on les sert ?Ceux que nous avons quasi constamm<strong>en</strong>tsous les yeux, soudain nous <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t,nous manqu<strong>en</strong>t, nous étouff<strong>en</strong>t. Maisp<strong>en</strong>sons-nous vraim<strong>en</strong>t qu’<strong>en</strong> tout premierlieu, il faudrait se séparer de sa voiture,être l’un-e des rares sans téléphoneportable (1) ou ne pas avoir d’ordinateur? Est-ce cela qui ferait disparaîtreou qui atténuerait foncièrem<strong>en</strong>t noscontradictions ?Je ne demande pas forcém<strong>en</strong>t par là siil faut le faire ou pas, <strong>en</strong> premier ou non,mais est-ce que cela suffirait ? Il est certainque notre bonheur et aussi le salut dela planète — ce qui devrait d’ailleurs êtrelié dans notre esprit — n’ont que faire desc<strong>en</strong>taines d’instrum<strong>en</strong>ts et de matériauxque nous trimballons avec nous. Quandle séd<strong>en</strong>taire s’aperçoit du volume et dupoids — au propre comme bi<strong>en</strong>tôt aufiguré — de sa propriété, il doit s’inv<strong>en</strong>terune façon de vivre, une philosophie del’exist<strong>en</strong>ce intégrant cette donnée (2)pour, littéralem<strong>en</strong>t, pouvoir porter sesaffaires et avancer. Etre libre, c’est être à lafois détaché des choses et autonome.Nous p<strong>en</strong>sons souv<strong>en</strong>t parv<strong>en</strong>ir ausecond <strong>en</strong> nous dotant d’outils et nouscroyons réussir le premier <strong>en</strong> nous séparantd’objets, leur accordant ainsi dans lesdeux cas trop d’importance et pas de justevaleur.Cette masse pèse, puis elle obstru<strong>en</strong>otre vision du monde. De nombreusessagesses signal<strong>en</strong>t justem<strong>en</strong>t ce danger dela propriété, de l’accumulation, ce véritableécueil pour une vie sans souffrance.Ce bon mot de Swift vi<strong>en</strong>t d’ailleurs tempérercette idée fondam<strong>en</strong>tale de sa joyeuseet utile nuance : “cette méthode stoïquede subv<strong>en</strong>ir à nos besoins <strong>en</strong> supprimant nosdésirs, équivaut à se couper les pieds pourn’avoir plus besoin de chaussures”. Car plutôtque de trancher ou de retrancher, ilnous faut appr<strong>en</strong>dre à utiliser pleinem<strong>en</strong>tnos outils vitaux, ceux qui nous serv<strong>en</strong>t àconstruire notre vie et ceux qui part<strong>ici</strong>p<strong>en</strong>tde notre équilibre. Les choisir avecsérieux et parcimonie, exercer sur eux laforce de notre volonté comme la liberté d<strong>en</strong>otre idéal, de nos choix. Les r<strong>en</strong>drevivants, intégrés au monde, façonnés parl’exig<strong>en</strong>ce. Les partager, les mutualiser.En faire des moy<strong>en</strong>s adéquats, des ust<strong>en</strong>silescohér<strong>en</strong>ts pour les fins que nousvisons. Pour cela, il nous faut appr<strong>en</strong>dre àêtre, à savoir qui nous sommes, à affirmernotre irréductible altérité, à <strong>en</strong>richir d<strong>en</strong>os différ<strong>en</strong>ces les idées et réalisationscommunes. C’est ainsi que nous t<strong>en</strong>dronsà mettre <strong>en</strong> cohér<strong>en</strong>ce, voire <strong>en</strong> harmonie,nos idées et nos pratiques, et parfoiscomme à faire se rejoindre le lointainquotidi<strong>en</strong> et le proche idéal. Une maximeintéressante dit d’ailleurs : ce que je gardeje le perds, ce que je donne je le garde. Ceque nous possédons doit servir et celadevrait être aussi la marque de nos margesde manœuvre ou du chemin qu’il nousreste à franchir. Il faut savoir le regarder— même l’accepter — pour le ou <strong>en</strong>changer. “Ils s’égar<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet tous ces g<strong>en</strong>squi int<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un procès aux choses plutôtqu’à eux-mêmes” disait, fort à propos, lecynique Télès (3).Il faut décroireDécroire (4) ? L’effort sur soi-mêmeest aussi important que l’action sur lemonde. Les deux s’épaul<strong>en</strong>t, se corrig<strong>en</strong>t,se complèt<strong>en</strong>t. Ils sont bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>tconcomitants, si ce n’est complices. Etpour dans ce sérieux exposé apporter<strong>en</strong>core un peu de sagesse, je m’adosseraiau socle des thèses cubiténistes : “MonMoi à Moi est le seul qui soit le mi<strong>en</strong>, ça nefait pas beaucoup” ou “Pour bi<strong>en</strong> se situerpar rapport à l’univers, un bon cubiténistese doit, une fois dans sa vie, de regarder sespieds avec un télescope” ou <strong>en</strong>core “On a(1) Vivre sans portable, une infime minorité de g<strong>en</strong>s sepasse <strong>en</strong>core de téléphone mobile (…) comm<strong>en</strong>t font-ils ?vo<strong>ici</strong> l’incroyable titre et introduction d’un reportagedu Monde 2 (n°53, février 2005) où l’on voit des téléphonopithèquesqui gard<strong>en</strong>t le sourire <strong>en</strong> parlant dansun combiné… En un temps très court, 43 millions deFrançais, soit 62% de la population, se sont dotés d’unportable.(2) Lire le caustique et désopilant livre de JérômeAkinora, Les av<strong>en</strong>turiers du RMI, L’insomniaque, 2004,où l’auteur dans un chapitre intitulé Les objets du désiret dans le paragraphe Comm<strong>en</strong>t mesurer sa liberté, <strong>en</strong>vi<strong>en</strong>t à questionner le poids idéal de 240 kilos (60kgde masse organique plus 180kg d’affaires) au regardde la proposition de certains “de desc<strong>en</strong>dre à 60kg, soitmon poids organique, ce qui dénotait chez eux un idéalismereligieux auquel j’étais totalem<strong>en</strong>t étranger” <strong>en</strong>passant par ce cons<strong>en</strong>sus qui se dégagea un mom<strong>en</strong>t“autour de 120kg au total, (…) mom<strong>en</strong>t où mes affairespèserai<strong>en</strong>t moins lourd que ma masse organique, mesinvités supposai<strong>en</strong>t que je pénétrerais dans le mondeétrange et merveilleux des primitifs chasseurscueilleurs”jusqu’à la quintess<strong>en</strong>ce de 75kg, “un poidsque je pourrais porter seul et sans peine”.(3) Les Cyniques grecs, fragm<strong>en</strong>ts et témoignages, L.Paquet, Livre de Poche, 1992. Sénèque (un stoïque,traversé de… contradictions !) précise <strong>en</strong>core:“…Corriger quelques-unes de tes erreurs et de reconnaîtreque les défauts que tu imputes aux choses vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tde toi-même (…). Il y a de ces défauts que nous attribuonsà certains lieux et à certains temps ; mais ils noussuivront toujours <strong>en</strong> quelque lieu où nous allions”.(4) Lettre anonyme, George Hyvernaud. “Surtout, ilavait ret<strong>en</strong>u que le travail mène à tout, à condition de nepas trop demander. Le travail, l’économie, la fierté de nedevoir ri<strong>en</strong> à personne — toute sa morale. Je diraisvolontiers sa foi. Il croyait à une provid<strong>en</strong>ce des petitsépargnants. Les gaspilleurs, les insouciants, l’ouvrier quiva au café, la ménagère qui a des dettes chez le boucherlui étai<strong>en</strong>t objets de scandale. Et qu’ils fuss<strong>en</strong>t promis àla misère lui paraissait nécessaire et juste. Telle était saphilosophie. Une métaphysique du livret de Caissed’Epargne”.SILENCE N°32715Septembre 2005