[in]cohér<strong>en</strong>cesbeaucoup de nuisibles que l’on a cesséd’appeler des nuisibles…Si j’ai choisi cette fable des adeptessylviphiles, c’était pour aborder par l’extrêmele problème de nos contradictions.Car leurs dilemmes sont lesnôtres, nous qui voulons surtoutne pas nuire et dont les gestesquotidi<strong>en</strong>s ont toujours un côténocif dès qu’on les examine deprès. L’habitat des lecteurs deS!l<strong>en</strong>ce n’est sûrem<strong>en</strong>t pas forestier,si rustique soit-il. Mais quel’on s’approche peu ou prou de lanormalité, et l’on est confronté àde multiples choix et de compromisà accepter ou non. Jusqu’oùaller dans le compromis pour pouvoirvivre sereinem<strong>en</strong>t ? Les puristes sontsemblables à nos deux adeptes, ils ont<strong>en</strong>vie de s’exiler pour vivre selon leursprincipes (et <strong>en</strong> quel lieu est-ce possible ?)ou bi<strong>en</strong> mourir pour ne pas trahir leursidées. Transposé dans notre vie plus banalede tous les jours, comm<strong>en</strong>t résoudre ceproblème ?La perfectionn’est pas de ce mondeEn pr<strong>en</strong>ant l’exemple le plus simple,la nourriture, on sait que chaque alim<strong>en</strong>tacheté est à examiner selon sa compositionmais aussi sa prov<strong>en</strong>ance. Du biolointain très transporté ou du produit duterroir non garanti bio ? Et les besoinsque l’on <strong>en</strong> a doiv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> ligne decompte. J’ai des copains qui ont refuséd’acheter oranges et citrons à leurs<strong>en</strong>fants parce que “produits importés”disai<strong>en</strong>t-ils. Or les agrumes pouss<strong>en</strong>t dansl’extrême sud de la France et même si certainesoranges vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d’Espagne, n’estcepas acceptable d’<strong>en</strong> acheter surtout sil’on a des <strong>en</strong>fants ? C’est beaucoup moinsloin pour les Français du sud que l’<strong>en</strong>diveLe pire restel’objectifà abattreet l’utopieest à inv<strong>en</strong>terà chaqueminute.du nord de la Francepour un Marseillais. Anous d’agir pour que lestransports se fass<strong>en</strong>t parle rail et non par la route.Et vous connaisseztous l’exemple du pot deyaourt dont composantset emballages font d’hallucinantsparcours routiers.Alors l’on conseille :faites vos yaourts vousmêmes.Très bon conseil, mais impraticabledans la plupart des régions, parceque l’on n’y trouve plus de lait cru et avecdu lait pasteurisé, on le rate, le yaourtmaison. Par contre, près de chez moi, jetrouve des yaourts fermiers excell<strong>en</strong>ts ! Achacun donc de trouver une solutionadaptée à son cas. Il n’y a pas de règleécolo universelle. Mais l’exemple “pot deyaourt” est très utile pour tout examinerde la même manière.On s’interroge d’abord : c’est fait avecquoi ? ça vi<strong>en</strong>t d’où ? c’est produit par quiet comm<strong>en</strong>t ? et l’on passe à l’adaptationpersonnelle : est-ce que moi, qui habite<strong>ici</strong>, qui ai tels besoins et tels moy<strong>en</strong>s, jepeux accepter ce produit malgré une oudeux imperfections ? Et il faut s’interrogeraussi sur les besoins des proches à quiest aussi destiné le produit… Moi, je peuxm’<strong>en</strong> passer, mais n’est-il pas indisp<strong>en</strong>sableà l’un ou l’autre ? Je ne p<strong>en</strong>se pasqu’une volonté de conduite écologiquepuisse être imposée à l’<strong>en</strong>tourage, car celadevi<strong>en</strong>t une forme de viol<strong>en</strong>ce.Contradictionsdes uns et des autresEt les modes de déplacem<strong>en</strong>t, quellesource de dilemmes et de contradictions !(2). Si on habite la campagne — et c’estlégitime d’aimer y vivre — on sera souv<strong>en</strong>tcontraint d’utiliser un de ces véhiculeshonnis à moteur, vous voyez dequoi je parle. Du moins tant que nosécrits, nos actions, nos manifestationsn’auront pas poussé les pouvoirs publics ànous assurer partout des services de bus(<strong>en</strong>fin, pas partout : à vous de r<strong>en</strong>oncer àl’anci<strong>en</strong>ne ferme, totalem<strong>en</strong>t isolée, on nepeut exiger un bus quand on est seul à <strong>en</strong>avoir besoin). Vous avez choisi la proximitéimmédiate d’un village ? Alors c’estbon. D’ailleurs les cars scolaires s’arrêt<strong>en</strong>tpour emm<strong>en</strong>er les ados au collège. Ouimais. Au collège, ils subiront, outre lesm<strong>en</strong>us déséquilibrés au lieu des bonslégumes du jardin, les programmes nonmoins déséquilibrés de l’éducation off<strong>ici</strong>elleet l’appr<strong>en</strong>tissage de la compétition.Que faire ? L’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t à la maisonserait préférable s’il ne privait les <strong>en</strong>fantsdes contacts sociaux (eux-mêmes éducatifs).Suffira-t-il de comp<strong>en</strong>ser les car<strong>en</strong>cesle week-<strong>en</strong>d si on choisit le collège ?Compromis pour cause de dilemme…Et puis voilà, les copains restés <strong>en</strong> villese vant<strong>en</strong>t : regardez moi, je suis unexemple, je n’ai pas de voiture, moi ! Eh !facile ! avec des transports <strong>en</strong> commun àcinq minutes ! Et un marché bio juste àcôté ! Oui, mais pour acheminer tout cequi est produit à l’extérieur dans des campagnes…vitales pour l’av<strong>en</strong>ir des citadins,cela implique des cohortes de poids lourdssur des kilomètres de périphériquesconstruits eux-mêmes <strong>en</strong> saccageant l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t.On ne va condamner ni lesuns ni les autres. Il me semble qu’il estpossible de tolérer <strong>en</strong>core, <strong>en</strong> 2005 et pastrop longtemps après, que certains utilis<strong>en</strong>tune bagnole s’ils ont auparavant évaluétous les paramètres : la distance estelleinfaisable à pied, <strong>en</strong> vélo, par cetemps-là, la gare de Chose est-elle inaccessible? etc. et à condition d’avoir choisi leplus sobre des véhicules existants.Ah, vous <strong>en</strong> avez besoin pour travailler…Alors surgit une autre grandequestion. Car nous connaissons desintransigeants qui déclar<strong>en</strong>t qu’il ne fautplus travailler pour parv<strong>en</strong>ir à une sociétéde décroissance. Fort bi<strong>en</strong> ! Fort bi<strong>en</strong>DREn Suisse et <strong>en</strong> Autriche, la Poste assure une liaison avec toutes les communes...(2) Voir S!l<strong>en</strong>ce n° 250 ou 317 par exemple.SILENCE N°3276Septembre 2005
DR... En France, on préfère construire des voies rapides.quand on a pris la précaution de s’assurerde la prés<strong>en</strong>ce d’un dieu bi<strong>en</strong>faisant quiva vous installer dans un univers paradisiaqueoù il suffit de t<strong>en</strong>dre à peine le braspour cueillir des fruits éclatants de vitamines.Néanmoins, si l’on a fait un bébé(remarquons <strong>en</strong> passant que l’accouchem<strong>en</strong>tse nomme “travail”, ah zut…), il vafalloir le nourrir, le laver quelque peu et lesurveiller beaucoup car même un paradisterrestre est bourré de pièges à bébés. Ons’aperçoit vite que le travail zéro n’existepas et que la décroissance ce sera peutêtreune approche différ<strong>en</strong>te de la notionde travail mais pas son élimination. Jesuppose même que, la société industriellecapitaliste ne visant qu’à supprimer lesemplois pour augm<strong>en</strong>ter les profits, par laproduction outrancière et la robotisationsi elle est inversée <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drera davantagede travail. Mais ceci sera à démontrerdans d’autres pages…Ce que l’on peut supposer tout desuite, c’est la possibilité de ne plus lier letravail obligatoirem<strong>en</strong>t à la notion d’emploisalarié. Pour remplacer le dicton“toute peine mérite salaire” par “tout travailnécessaire et intellig<strong>en</strong>t est <strong>en</strong> luimêmeun plaisir”. Ce qui exclut de fabriquern’importe quoi de n’importe quellemanière <strong>en</strong> gaspillant les ressources, etnous rapproche donc du mom<strong>en</strong>t dedécroissance. Mais sur ce plan aussi, leschoix seront complexes <strong>en</strong>tre ce qu’il fautfabriquer et ce qui ne doit pas l’être, et ily aura des compromis à accepter si l’onveut que ces choix n’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t pas d’exclusions.La règle du moins pireIl faudrait, <strong>en</strong> somme, se résoudre àune sorte de cons<strong>en</strong>sus <strong>en</strong>tre tous lesintéressés, <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t compris. Pourrésumer, je pourrais appeler cette formule“la règle du moins pire”… Cette règleserait, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons-nous bi<strong>en</strong>, tout à faittransitoire. Pas question d’adopter àjamais le moins pire ! Le pire reste l’objectifà abattre, évidemm<strong>en</strong>t. Et l’utopieest à inv<strong>en</strong>ter à chaque minute, pour arriverà une règle du “moins <strong>en</strong> moins pire”SILENCE N°3277Septembre 2005avant de parv<strong>en</strong>ir à celle du “tout bon”.J’ai dit transitoire parce que, effectivem<strong>en</strong>t,je p<strong>en</strong>se que nous n’arriverons pasà une société décroissante où les solutionsécologiques parfaites seront possiblessans une période de transition, même sil’on piaffe d’impati<strong>en</strong>ce et c’est beaucoupplus facile d’<strong>en</strong> faire admettre la notionauprès des indécis. Je préfère gagner à lacause écologique un grand nombred’adeptes imparfaits que de fonctionner<strong>en</strong> vase clos dans un petit cercle depuristes, mais je ne les rejette pas, tous lesgardi<strong>en</strong>s de tous les dogmes sont indisp<strong>en</strong>sables.J’ai essayé de rassembler un certainnombre de nos contradictions quotidi<strong>en</strong>neset cela n’a ri<strong>en</strong> d’exhaustif. Vosdilemmes et vos solutions vont, je l’espère,<strong>en</strong>richir le débat.Ma conclusion, pour l’instant, c’est :faut-il se p<strong>en</strong>dre à la grosse branche oucontinuer de vivre avec de multiples compromis?Madeleine Nutchey n