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Sans Frontières, janvier 2017<br />
journaliste de Life News ?<br />
– Oui, parmi tant d’autres, celui d’un petit garçon de<br />
deux ans. Il ne savait pas encore parler. Pourtant,<br />
quand on lui criait Gare aux obus, il tombait à plat<br />
ventre, se cachait les oreilles avec les mains, fermait<br />
les yeux, et tirait la langue pour équilibrer la tension. Il<br />
le faisait si bien, on aurait dit un petit soldat.<br />
– Qu’est-ce qui vous a encore surpris?<br />
– Que l’on puisse s’habituer à tout. Même à la guerre.<br />
Et que l’on s’y habitue à la vitesse grand v.<br />
Il s’était trouvé des contempteurs de différents bords<br />
politiques pour lui reprocher son apolitisme. Comme<br />
par hasard, dans la plupart des cas, il s’agissait des<br />
fameux libéraux russes qui, de concert avec le Croix-<br />
Rouge, mettant eux-mêmes à nu la déliquescence de<br />
leur pensée, se refusaient à comprendre que l’on<br />
puisse venir en aide à des enfants appartenant « au<br />
camp opposé, au camp pro-Poutine ».<br />
S’étonnerait-on alors de la réaction indignée de la<br />
clique « démocratique » lorsque Liza attesta ne pas<br />
avoir vu de contingents russes dans le Donbass ?<br />
C’est toujours en tant que médecin et philanthrope<br />
que Glinka a élargi son engagement à l’enfer syrien.<br />
Si elle a trouvé la mort avec les Chœurs de l’Armée<br />
rouge et les journalistes qui les accompagnaient pour<br />
couvrir les concerts de fin d’année, c’est bien qu’elle<br />
avait profité de l’occasion pour acheminer des<br />
médicaments vers Alep via Lattaquié. C’était loin<br />
d’être son premier déplacement en Syrie car pour<br />
elles, il n’y avait ni Russes, ni Ukrainiens, ni Syriens –<br />
rien que des êtres humains voués à la souffrance et<br />
dont elle retranscrivait les histoires dans son journal<br />
en ligne.<br />
Celle d’un garçonnet de cinq ans, condamné, qui<br />
demandait au Père Noël un peu de silence à la place<br />
d’une tortue Ninja, celle d’un ancien détenu, voyou à<br />
peine repentant, les traits durs et le cœur tendre, qui<br />
avait demandé un chevreuil dans son lit d’hôpital<br />
parce qu’il lui rappelait son enfance campagnarde,<br />
celle d’une sans-abri qui pleurait encore son grand<br />
amour de jadis et donnait des leçons de philo dignes<br />
de Paris-X et des penseurs existentialistes. Il m’a fallu<br />
une nuit blanche pour égrener tous ces visages à<br />
multiples facettes que Liza, après de longues<br />
journées de dur labeur, a pris la peine d’immortaliser.<br />
Pour les russophones, une réalisatrice de talent,<br />
Elena Pogrebizhskaya, avait tourné en 2009 un<br />
documentaire consacré au quotidien de docteur Liza.<br />
Son quotidien à elle et celui de ses protégés, tous de<br />
grands malades. Je me permets de traduire ici deux<br />
extraits d’entretien.<br />
Elena P. : Je vois que la mort ne vous fait pas peur...<br />
Docteur Liza. : Qu’est-ce qui vous le fait penser ?<br />
Elena P. : Ah, parce que finalement elle vous fait<br />
peur ?<br />
Docteur Liza. : Mais bien sûr ! Et même beaucoup !<br />
Je ne sais pas comment je vais mourir. Peut-être que<br />
ma disparition sera instantanée, peut-être que je vais<br />
mettre du temps, souffrir... Je ne sais pas. Et c’est le<br />
fait de ne pas savoir qui fait peur. Mes sentiments<br />
religieux me laissent supposer qu’il y a quelque chose<br />
dans l’Après mais quoi au juste .. Il n’y a rien de pire<br />
que l’Inconnu (...)<br />
Elena P. : C’est pas trop dur ?<br />
Docteur Liza. : Quoi donc ?<br />
Elena P. : Et bien de s’occuper des gens qui sont<br />
condamnés.<br />
Docteur Liza. : Et c’est quoi la différence entre toi et<br />
ces gens-là ?<br />
Elena P. : Et bien... Moi, je ne suis pas condamnée.<br />
Docteur Liza. : Ah bon ? Non, tu n’es pas<br />
condamnée POUR L’INSTANT. Mais tu le seras,<br />
comme je le serai, un jour ou l’autre. Pourquoi me<br />
serait-il plus dur de leur parler à eux que de te parler<br />
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