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ANDREÏ MAKINE

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Sans Frontières, janvier 2017<br />

journaliste de Life News ?<br />

– Oui, parmi tant d’autres, celui d’un petit garçon de<br />

deux ans. Il ne savait pas encore parler. Pourtant,<br />

quand on lui criait Gare aux obus, il tombait à plat<br />

ventre, se cachait les oreilles avec les mains, fermait<br />

les yeux, et tirait la langue pour équilibrer la tension. Il<br />

le faisait si bien, on aurait dit un petit soldat.<br />

– Qu’est-ce qui vous a encore surpris?<br />

– Que l’on puisse s’habituer à tout. Même à la guerre.<br />

Et que l’on s’y habitue à la vitesse grand v.<br />

Il s’était trouvé des contempteurs de différents bords<br />

politiques pour lui reprocher son apolitisme. Comme<br />

par hasard, dans la plupart des cas, il s’agissait des<br />

fameux libéraux russes qui, de concert avec le Croix-<br />

Rouge, mettant eux-mêmes à nu la déliquescence de<br />

leur pensée, se refusaient à comprendre que l’on<br />

puisse venir en aide à des enfants appartenant « au<br />

camp opposé, au camp pro-Poutine ».<br />

S’étonnerait-on alors de la réaction indignée de la<br />

clique « démocratique » lorsque Liza attesta ne pas<br />

avoir vu de contingents russes dans le Donbass ?<br />

C’est toujours en tant que médecin et philanthrope<br />

que Glinka a élargi son engagement à l’enfer syrien.<br />

Si elle a trouvé la mort avec les Chœurs de l’Armée<br />

rouge et les journalistes qui les accompagnaient pour<br />

couvrir les concerts de fin d’année, c’est bien qu’elle<br />

avait profité de l’occasion pour acheminer des<br />

médicaments vers Alep via Lattaquié. C’était loin<br />

d’être son premier déplacement en Syrie car pour<br />

elles, il n’y avait ni Russes, ni Ukrainiens, ni Syriens –<br />

rien que des êtres humains voués à la souffrance et<br />

dont elle retranscrivait les histoires dans son journal<br />

en ligne.<br />

Celle d’un garçonnet de cinq ans, condamné, qui<br />

demandait au Père Noël un peu de silence à la place<br />

d’une tortue Ninja, celle d’un ancien détenu, voyou à<br />

peine repentant, les traits durs et le cœur tendre, qui<br />

avait demandé un chevreuil dans son lit d’hôpital<br />

parce qu’il lui rappelait son enfance campagnarde,<br />

celle d’une sans-abri qui pleurait encore son grand<br />

amour de jadis et donnait des leçons de philo dignes<br />

de Paris-X et des penseurs existentialistes. Il m’a fallu<br />

une nuit blanche pour égrener tous ces visages à<br />

multiples facettes que Liza, après de longues<br />

journées de dur labeur, a pris la peine d’immortaliser.<br />

Pour les russophones, une réalisatrice de talent,<br />

Elena Pogrebizhskaya, avait tourné en 2009 un<br />

documentaire consacré au quotidien de docteur Liza.<br />

Son quotidien à elle et celui de ses protégés, tous de<br />

grands malades. Je me permets de traduire ici deux<br />

extraits d’entretien.<br />

Elena P. : Je vois que la mort ne vous fait pas peur...<br />

Docteur Liza. : Qu’est-ce qui vous le fait penser ?<br />

Elena P. : Ah, parce que finalement elle vous fait<br />

peur ?<br />

Docteur Liza. : Mais bien sûr ! Et même beaucoup !<br />

Je ne sais pas comment je vais mourir. Peut-être que<br />

ma disparition sera instantanée, peut-être que je vais<br />

mettre du temps, souffrir... Je ne sais pas. Et c’est le<br />

fait de ne pas savoir qui fait peur. Mes sentiments<br />

religieux me laissent supposer qu’il y a quelque chose<br />

dans l’Après mais quoi au juste .. Il n’y a rien de pire<br />

que l’Inconnu (...)<br />

Elena P. : C’est pas trop dur ?<br />

Docteur Liza. : Quoi donc ?<br />

Elena P. : Et bien de s’occuper des gens qui sont<br />

condamnés.<br />

Docteur Liza. : Et c’est quoi la différence entre toi et<br />

ces gens-là ?<br />

Elena P. : Et bien... Moi, je ne suis pas condamnée.<br />

Docteur Liza. : Ah bon ? Non, tu n’es pas<br />

condamnée POUR L’INSTANT. Mais tu le seras,<br />

comme je le serai, un jour ou l’autre. Pourquoi me<br />

serait-il plus dur de leur parler à eux que de te parler<br />

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