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Sans Frontières, janvier 2017<br />
le croit mort. Pétain, commandant en chef du front de<br />
Verdun signe même une citation à titre posthume. En<br />
fait, il a été blessé et fait prisonnier. Il cherche<br />
plusieurs fois à s’évader (un peu comme dans le film<br />
« La Grande Evasion ») et il est à chaque fois repris.<br />
La dernière fois, il est emmené dans un camp spécial,<br />
en forteresse, un lieu très sévère, d’où on ne s’évade<br />
pas et qui rappelle un autre film : « La grande<br />
illusion » de Jean Renoir. Il ne reste pas inactif. Il lit<br />
beaucoup et échange ses analyses avec les autres<br />
prisonniers qui sont tous des esprits forts : le général<br />
Catroux qui ralliera une partie de l’Empire colonial à la<br />
France Libre en 1940 ou un lieutenant de la garde<br />
impériale Russe, Toukhatchevski (1893-1937), futur<br />
chef de l’armée rouge que Staline fera exécuter en<br />
1937. Un peu comme l’historien Fernand Braudel<br />
(1902-1984), natif de la Meuse, dont on raconte qu’il<br />
a rédigé sa thèse de doctorat de mémoire, en camp<br />
de prisonniers, De Gaulle ne pas peut consulter<br />
d’archives. Pour s’occuper, il est donc obligé de<br />
s’intéresser au présent.<br />
Il commence donc une réflexion qui va aboutir,<br />
quelques années plus tard, en 1924, à la publication<br />
de son premier livre : « La<br />
discorde chez l’ennemi ».<br />
Cet essai analyse,<br />
presque encore à chaud,<br />
les raisons de la défaite<br />
allemande de 1918. A une<br />
époque où faire de<br />
l’Histoire consiste surtout à<br />
étudier des époques très<br />
anciennes et à enchaîner<br />
mécaniquement les dates<br />
et les évènements, il<br />
apporte de nouveaux<br />
facteurs explicatifs et<br />
notamment les facteurs<br />
psychologiques. D’une<br />
certaine manière, cet<br />
ouvrage anticipe un<br />
courant très important<br />
aujourd’hui, celui de<br />
l’Histoire immédiate.<br />
Cependant, le fait de ne<br />
pas avoir pu continuer à<br />
se battre est à l’origine<br />
chez lui d’une frustration<br />
terrible. Il n’est plus au feu alors que le sort de la<br />
France se joue, notamment lorsque Ludendorff<br />
lancent ses coups de boutoirs du printemps 1918<br />
pour percer le front occidental. De là provient son<br />
refus absolu, viscéral de ne pas abandonner en juin<br />
1940.<br />
A son retour de Stalag (le camp de prisonnier<br />
allemand), il repart donc immédiatement en mission<br />
en acceptant un poste de conseiller militaire en<br />
Pologne, tout jeune état qui fait alors face à une<br />
invasion soviétique. Le voilà au cœur de la nouvelle<br />
géopolitique mondiale. De Gaulle comprend à cette<br />
occasion que la guerre et la paix ne se résument plus<br />
à des conflits réguliers entre états européens<br />
(lesquels ont entamé sans encore s’en rendre compte<br />
leur déclassement) mais que de nouveaux acteurs et<br />
des acteurs majeurs sont entrés dans le jeu : l’URSS<br />
(lui dit la Russie car son sens de l’Histoire lui dicte<br />
que l’épisode soviétique n’est qu’une étape dans la<br />
longue histoire de cette nation) et les Etats-Unis.<br />
Pétain n’a pas oublié son ancien lieutenant de 1912. Il<br />
le suit de loin. Or, De Gaulle ne sort pas très bien<br />
classé de l’Ecole de Guerre où son caractère et son<br />
indépendance d'esprit<br />
n’ont pas beaucoup plu. A<br />
l’époque, ce qu’on<br />
demande à un officier qui<br />
veut monter en grade,<br />
c’est de se couler dans le<br />
moule et de ne pas trop<br />
réfléchir. Un commandant<br />
d’unité doit appliquer tel<br />
quel les plans conçus par<br />
des généraux plus<br />
intelligents que lui, même<br />
lorsque le terrain prouve<br />
qu’ils ont tort. Pétain<br />
intervient cependant<br />
lorsque de Gaulle est<br />
affecté dans l’intendance<br />
afin de s’occuper des<br />
chambres froides des<br />
unités stationnées en<br />
Allemagne. Il fait en sorte<br />
qu’il rejoigne assez vite<br />
une unité opérationnelle et<br />
il fait donner des<br />
conférences à l’école de<br />
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