Henri Jarrié - Arcade PACA

Il ne suffit pas d’améliorer la manière d’enseigner,
il faut la compléter dans deux directions
:
• Donner à chacun des possibilités d’invention
personnelle, sans pour autant l’isoler
des autres. En d’autres termes, permettre à
chacun d’inventer un langage sonore qui le
met en communication avec autrui.
• Par cette expérience, comprendre qu’il
n’existe pas un langage, ou un type de langage
sonore, qui soit absolu – tout langage
est marqué par un temps et un lieu –. Cependant,
celui qui invente ou compose des
sons, dans la mesure où il ne s’emprisonne
pas dans un style donné, devient sensible à
toutes les expériences sonores et capable
d’en sentir l’intérêt.
Ainsi l’enseignement de la musique ne peut
pas être seulement une visite de musée.
Une objection vient alors à l’esprit : le fait
d’apprendre la musique par une voie imaginaire
et sensorielle n’entraînera-t-il pas un
mépris, ou tout au moins une négligence de
la technique ? N’allons-nous pas faire apparaître
toute une catégorie d’analphabètes
musicaux parfaitement satisfaits grâce à des
expériences sommaires de bruitages ?
Le danger existe peut-être. Mais il n’est pas
plus grave que le risque constamment accepté
de dégoûter bien des gens en les forçant à
étudier un solfège, qui accordant un primat à
l’écriture fait de la musique une langue morte.
Accéder à la musique d’une manière à la fois
lucide et empirique permet à n’importe qui
de faire des expériences sonores intéressantes.
Chacun peut se rendre compte qu’il est
capable d’imaginer des sons et des compositions
sonores de plus en plus élaborées. À
partir de là, l’écriture et l’étude d’un instrument
cessent d’être une contrainte, et sont
ressenties comme un besoin pour ceux qui
veulent enrichir ou affiner un langage qui
déjà leur appartient.
«Tous compositeurs»
Henri Jarrié [1924-2004]
Si vous proposez à un adulte de composer
de la musique et aussi d’en jouer, le premier
réflexe est généralement révélateur d’une timidité,
d’une crainte : «Je ne connais pas la
musique», disent-ils.
On demande souvent aux compositeurs comment
ils font pour penser et imaginer une
musique. Il ne peut y avoir de réponse satisfaisante
à cette question, si ce n’est celle qui
vous fait partager cette démarche, en vous invitant
à composer vous-même de la musique.
Il y a, c’est évident, des problèmes techniques,
mais l’essentiel n’est pas là.
La preuve ! A un niveau très simple, nous
sommes tous compositeurs : lorsque nous
prononçons une phrase, nous lui donnons un
rythme, souple ou saccadé, nous modulons
son intensité qui peut aller du chuchotement
au cri, notre voix monte ou descend, pour
créer une sorte de mélodie. Ainsi spontanément
chacun de nous s’exprime comme dans
une improvisation musicale.
Mais il ne s’agit pas là que d’une «musique
d’accompagnement» pour nos paroles.
Supprimez les mots, pour ne garder que les
valeurs sonores de rythmes, de timbres, d’intensité
et d’inflexion, et vous aurez inventé
une musique pure. Évidemment, pour que cet
effort aboutisse à une expression musicale
intense, il faudra l’enrichir. C’est ici qu’interviennent
l’expérience et la technique des
professionnels. Mais il existe chez tous des
possibilités musicales assez immédiates, aussi
bien au niveau de l’interprétation que de la
conception.
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