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Comment s’obtient cette organisation logique<br />
et nécessaire ?<br />
Pendant trois siècles la musique occidentale a<br />
privilégié l’étude de certaines gammes (majeure<br />
et mineure) et en a fait la base d’une cohésion<br />
de langage. Mais d’autres civilisations,<br />
et certaines musiques contemporaines nous<br />
ont fait découvrir qu’il y a d’autres principes<br />
d’organisation sonore (que les grands compositeurs<br />
n’avaient pas oubliés). On peut rendre<br />
un langage sonore cohérent à partir d’un mode<br />
ou d’une tonalité. L’École viennoise, au début<br />
de ce siècle, construit l’homogénéité de son<br />
langage sur le refus systématique de la tonalité.<br />
Mais d’autres œuvres trouvent leur unité et<br />
leur cohésion dans la rigueur rythmique, dans<br />
une utilisation rationnelle des couleurs et des<br />
timbres sonores, ou même dans une architecture<br />
d’ensemble comportant des types de variations<br />
ou de répétitions litaniques. L’essentiel<br />
est de créer une durée sonore homogène<br />
pour donner à l’œuvre son unité.<br />
Mais on peut se contenter de préserver<br />
l’unité de l’œuvre au prix d’une indigence<br />
fastidieuse. Des compositeurs qui furent,<br />
ou restent, célèbres nous lassent souvent<br />
par d’interminables «rosalies». C’est ce que<br />
Boulez appelle très justement «la musique<br />
au kilomètre», qui n’est pas l’apanage de<br />
notre époque de chanteurs-compositeurs au<br />
langage sommaire ! Une musique ne capte<br />
l’intérêt qu’en étant vivante, donc en perpétuel<br />
mouvement.<br />
En Afrique, par exemple, il existe des musiques<br />
qui se veulent systématiquement répétitives<br />
et litaniques, mais il faut alors remarquer<br />
qu’il s’agit de musiques fonctionnelles<br />
liées soit à une célébration religieuse ou magique,<br />
soit à la répétition des gestes du travail.<br />
En Occident où la musique veut exister<br />
pour elle-même, ce système de courts noyaux<br />
sonores constamment répétés ne traduit souvent<br />
qu’une absence d’imagination chez celui<br />
qui en use ou un désir de s’enfermer et de<br />
<strong>Henri</strong> <strong>Jarrié</strong> [1924-2004]<br />
se réfugier dans quelques sons pour y trouver<br />
l’évasion d’une drogue.<br />
En même temps qu’elle doit être une, l’œuvre<br />
doit donc être constamment diverse, et c’est<br />
sans doute pour cette raison que Schoenberg<br />
fait de la «non répétition» un principe fondamental<br />
de composition.<br />
De fait, l’ambition du musicien est de créer<br />
un espace sonore qui joue dans la durée à<br />
la manière d’un organisme vivant : toujours<br />
identique à lui-même et sans cesse mouvant.<br />
En ce qui concerne notre méthode,<br />
après deux ans d’expériences avec des jeunes,<br />
des adultes, et même des enfants de 5 à<br />
6 ans, nous avons pu constater les quelques<br />
résultats suivants :<br />
Sur le plan musical<br />
Chez les enfants tout jeunes on voit se développer<br />
très vite et d’une manière complémentaire,<br />
une habileté et une imagination rythmique.<br />
Chez certains enfants particulièrement éveillés,<br />
une ingéniosité se manifeste rapidement dans<br />
l’utilisation ou la recherche du matériau sonore.<br />
Chez l’ensemble des participants, quel que<br />
soit leur âge, on assiste à la naissance d’un<br />
langage musical qui, refusant d’emblée la répétition<br />
litanique, parvient à une construction<br />
sur plusieurs plans sonores.<br />
Lorsque ce langage a été suffisamment assimilé,<br />
c’est-à-dire après une dizaine d’heures<br />
de séances, les groupes deviennent capables,<br />
sans avoir une écriture complexe, et sans<br />
avoir à faire un gros effort de mémoire, de<br />
jouer le même morceau de musique, à plusieurs<br />
semaines d’intervalle.<br />
On a pu constater aussi qu’avec les moyens<br />
très simples mis à sa disposition, le compositeur-leader,<br />
qui pour un moment dirige le<br />
groupe, en obtient un résultat dans lequel il<br />
s’exprime vraiment lui-même.<br />
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