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Goûter_Vélo trip<br />
« Nous approchons de l’Urkiola,<br />
alertés par des panneaux anxiogènes :<br />
“Attention : pentes raides.”<br />
Et soudain, mon pneu crève. »<br />
Le plaisir de pédaler<br />
et de se régaler,<br />
entre terre et mer :<br />
« Tu sais pourquoi on<br />
fait ça ?, lance Juan<br />
Carlos à Andrew<br />
Knowlton. Pour<br />
pouvoir manger et<br />
boire tant qu’on veut<br />
après ! ». Ci-dessous,<br />
le chef du Ganbara,<br />
Amaiur Martinez<br />
Ortuzar.<br />
avant d’atteindre le lieu du déjeuner. Après être passés devant<br />
un ermitage du X e siècle dédié à Saint Jean-Baptiste, nous<br />
tournons vers l’intérieur des terres pour rejoindre le petit bourg<br />
d’Axpe, connu pour être un haut lieu de pèlerinage des dévots<br />
du chef Victor Arguinzoniz et de son grill conçu sur mesure. Cet<br />
homme est obsédé par le fumage et par les effets subtils qu’il<br />
peut produire sur les aliments, qu’il s’agisse de beurre, de fromage,<br />
de caviar ou d’huîtres. Son influence sur le métier est aujourd’hui<br />
mondiale. Notre repas dure quatre heures et provoque<br />
des chocs à chaque fois que nous goûtons un plat. Des tomates<br />
fumées accompagnées de thon blanc, des anchois fraîchement<br />
salés sur du pain grillé, d’énormes pédoncules, des gambas écarlates<br />
et une pièce de bœuf de Galice qui tient la comparaison avec<br />
celle dévorée à la Casa Juliàn. Le déjeuner dans son ensemble<br />
frappe par son profond respect du produit, une formule certes<br />
galvaudée mais qui incarne néanmoins ici mieux que nulle autre<br />
l’essence de la cuisine basque. Je me sens alors tellement grisé<br />
par mon expérience que j’en oublie que demain sera le dernier<br />
jour de notre périple. Et que nous devons gravir le mont Anboto,<br />
le plus haut sommet du massif d’Urkiola le terrible.<br />
ÉTAPE 6<br />
50 KM // 2H20 // 2 500 CALORIES<br />
Nous voici dès l’aube remontés sur nos selles et presque aussi vite<br />
en train d’arpenter le bitume. L’Anboto, déjà ? Non, c’est un bébé<br />
colline en comparaison, si j’en crois Juan Carlos. Puis nous approchons<br />
de l’Urkiola, alertés par des panneaux anxiogènes : « Attention<br />
: pentes raides ». Soudain mon pneu crève, mais Cesar le<br />
change en un clin d’œil avant de me dire que je suis bon pour continuer<br />
ma route – facile à dire pour lui qui roule en voiture. « Le<br />
voici », nous indique-t-il un peu plus tard en souriant. Un autre<br />
panneau prévient les conducteurs que l’inclinaison de la côte oscille<br />
entre 12 et 15 %. La route se fait de plus en plus à pic, jusqu’à<br />
ce que j’aie l’impression de grimper un mur. Je baisse mon braquet,<br />
mais rien n’y fait. Mes jambes flageolent. Je me contente<br />
d’appuyer sur une pédale puis sur l’autre. Je songe à zigzaguer<br />
comme je le faisais en BMX quand j’étais petit, mais il y a trop de<br />
bagnoles sur la chaussée, c’est trop dangereux. Je ne peux que<br />
subir le mur sans broncher.<br />
« Tu sais pourquoi on fait ça ?, me lance alors Juan Carlos. Pour<br />
pouvoir manger et boire tant qu’on veut après ! » Mon camarade a<br />
ralenti et m’aide à monter, en me parlant ou en m’encourageant. Je<br />
garde la tête baissée, je ne peux pas abandonner,<br />
pas après avoir fait tout ce chemin. Et au moment<br />
même où je sens que je vais chuter, nous prenons<br />
un virage et j’aperçois alors le sanctuaire<br />
de Saint Antoine. Le sommet. Je vis un moment<br />
d’une intensité telle qu’elle en est presque religieuse.<br />
Je l’ai fait. Maintenant, allons festoyer<br />
à l’Hotel Santuario Urkiola. Juan Carlos commande<br />
du txakoli et, selon la coutume basque, le<br />
verse de très haut pour qu’il mousse bien dans<br />
nos verres. Je commande vite une autre tournée,<br />
puis une troisième. Nous finissons le repas<br />
en ayant achevé six quilles et mangé une soupe<br />
de haricots agrémentée de chorizo et de boudin.<br />
Nous traînons sur place pendant des heures,<br />
car nous n’avons rien d’autre à faire, ni d’autre<br />
endroit où aller. Nous arpentons la place carrée<br />
du bourg, heureux et enfin pompettes. Notre<br />
Tour du Pays basque se termine enfin et l’Urkiola<br />
ne provoque plus en moi la moindre peur<br />
– juste de l’appétit.<br />
LIFE 100<br />
Été 2017