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The Red Bulletin France - Décembre 2017

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ART PUBLIC<br />

LE PLASTICIEN RAPHAËL ZARKA L’ASSURE,<br />

LES SKATEURS SONT AUSSI LÉGITIMES QUE<br />

DES CRITIQUES POUR « INTERPRÉTER » L’ART.<br />

the red bulletin : Vos travaux d’art contemporain<br />

n’ont pas toujours intégré votre passion du skateboard.<br />

Comment avez-vous décidé de les réconcilier ?<br />

raphaël zarka : Je suis longtemps resté sur un format<br />

de pensée dans lequel je séparais ces deux activités.<br />

J’avais même arrêté le skate entre 1996 et 1999 pendant<br />

les Beaux-Arts, car j’avais peur que ce qui m’avait défini<br />

en tant qu’ado me définisse en tant qu’artiste. Mais<br />

à force d’avoir cette vie schizophrène entre les choses<br />

« sérieuses » et la passion ado qui ne veut pas mourir, je<br />

me retrouvais sur mon bureau avec une pile de Art Forum<br />

d’un côté, et des Thrasher (la bible américaine mensuelle<br />

du skate, ndlr) de l’autre. J’ai remarqué un jour que les<br />

couvertures de ces deux magazines auraient pu être les<br />

mêmes : je me souviens d’un Thrasher où l’on voyait un<br />

tout petit skateur en haut de l’image, et m’être dit que si<br />

j’avais vu la même photo en une de Art Forum, j’aurais<br />

pensé : «Tiens, c’est l’œuvre de tel ou tel artiste perfor-<br />

meur, soit qui la critique, soit qui lui rend hommage. »<br />

Cela a été pour moi très important de réaliser qu’il n’y<br />

avait pas que les revues d’art qui pouvaient documenter<br />

la sculpture. Je me suis mis à collectionner les photos de<br />

skateurs sur des œuvres d’art public.<br />

De quelle façon le skate est-il une façon de « lire » les<br />

œuvres d’art public ?<br />

Il fut un temps où percevoir une œuvre impliquait l’inter-<br />

prétation du spectateur, une forme de décodage. Quand<br />

le skateur interprète, ce n’est pas comme le critique d’art<br />

vieille école qui cherche l’image dans ce qui est tapi, dans<br />

le sens caché de l’œuvre. Ce n’est pas non plus comme le<br />

traducteur, bien que cela soit déjà plus proche. Le skateur<br />

joue, comme l’acteur, ou mieux encore, le musicien,<br />

il est interprète (en anglais on dirait performer).<br />

Qu’a pensé le public classique de l’art contemporain<br />

de voir des œuvres ainsi « attaquées » ?<br />

L’essence de l’art moderne ou contemporain, c’est de<br />

questionner la notion d’art. Donc pour ce public-là, il n’y<br />

a aucun problème, puisque l’enjeu c’est la question de<br />

l’art public : qu’est-ce que c’est, à quoi ça sert ? En même<br />

temps il n’y a pas d’affirmation de ma part, que des<br />

questions, je ne cherche pas à répondre aux problèmes<br />

que cela pose. Certaines personnes trouvent ça offensant<br />

ou irrévérencieux, mais il y a un aspect dadaïste.<br />

SCULPTURE<br />

«Vier kolommen onder<br />

een hoek van 45 graden»<br />

André Volten, 1972<br />

©ADAGP <strong>2017</strong><br />

SKATEUR<br />

Charles Giron<br />

PHOTOGRAPHE<br />

Guillaume Périmony<br />

Zarka, 40 ans, un artiste resté fidèle à ce skate qui a rythmé son adolescence.<br />

Il s’agit aussi de critiquer des gens<br />

qui pensent essentiellement à<br />

la forme ou pensent qu’on peut<br />

mettre un objet dans l’espace<br />

public et qu’après il faut surveiller<br />

cet objet, avec des gardiens<br />

pour être sûr que personne n’aille<br />

le toucher. Je trouve que c’est<br />

extrêmement difficile d’avoir un<br />

positionnement comme celui de<br />

l’artiste conceptuel Richard Serra,<br />

qui met un objet dans l’espace<br />

public en demandant une relation<br />

avec le corps (que les gens<br />

marchent autour), mais qui sont<br />

furieux au moindre poster ou au<br />

moindre graffiti... On veut des<br />

relations tout en contrôlant le<br />

type de relation.<br />

Richard Serra a d’ailleurs refusé<br />

que vous intégriez au livre une<br />

photo d’un skateur sur l’une de<br />

ses œuvres, alors que son neveu<br />

Ivory Serra est skateur, et que<br />

Serra le cite souvent à propos<br />

de ses vagues en fonte...<br />

En toute honnêteté, c’est son studio<br />

qui a dit non, je ne suis pas<br />

sûr que ma requête lui soit même<br />

arrivée. D’autres artistes ont refusé<br />

d’être dans le livre, mais il<br />

s’agissait plus de problèmes liés<br />

à la dégradation de l’œuvre : un<br />

artiste qui est en train de négocier<br />

avec une municipalité la restauration<br />

d’une œuvre abîmée par le<br />

skate ne peut pas vraiment donner<br />

l’illusion qu’il encourage cette<br />

pratique. Ceci dit, certains artistes<br />

étaient ravis que leur œuvre<br />

soit skatée – Werner Pokorny<br />

avait même acheté un tirage de<br />

la photo de Hendrik Herzmann<br />

que l’on montre dans le livre,<br />

Christine O’Loughlin voulait<br />

nous montrer ses maquettes...<br />

Vous créditez soigneusement le<br />

nom de chaque œuvre skatée<br />

dans le livre, comment en<br />

retrouvez-vous les noms ?<br />

C’est souvent très long... Celle<br />

qui m’a échappé le plus longtemps<br />

était la sculpture de Jean Ward<br />

skatée par Jahmal Williams, je<br />

savais juste que c’était à Miami.<br />

Coup de chance, le cliché était<br />

extrait d’une séquence et sur l’une<br />

des photos on voyait un nom de<br />

rue : 2nd Street. J’ai envoyé des<br />

dizaines de mails à des skateurs<br />

de Miami mais ça ne donnait rien.<br />

Et puis à force d’observer, cela<br />

ressemblait à un campus d’univer-<br />

sité donc j’ai croisé tous ces motsclés<br />

sur Google. Après des années<br />

de traque, je suis finalement<br />

tombé sur un post de l’Université<br />

de Miami racontant la donation<br />

de cette œuvre par Jean Ward. Ce<br />

fut un travail digne de Sherlock<br />

Holmes, mais qui le méritait !<br />

Riding Modern Art, éditions B42.<br />

22 € (<strong>France</strong>), 152 pages.<br />

ISBN 978-2-917855-87-4<br />

Raphaël Zarka: expo personnelle<br />

à la galerie Michel Rein, Paris,<br />

du 19 oct. au 9 déc. <strong>2017</strong>.<br />

THE RED BULLETIN 67

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