ZESO_04-19_F
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SKOS CSIAS COSAS<br />
Schweizerische Konferenz für Sozialhilfe<br />
Conférence suisse des institutions d’action sociale<br />
Conferenza svizzera delle istituzioni dell’azione sociale<br />
Conferenza svizra da l’agid sozial<br />
<strong>ZESO</strong><br />
ZEITSCHRIFT FÜR SOZIALHILFE<br />
<strong>04</strong>/<strong>19</strong><br />
DAGMAR RÖSLER<br />
La nouvelle présidente<br />
de l’Association des<br />
enseignants<br />
PRAXIS<br />
Quand les dettes sontelles<br />
prises en charge par<br />
les services sociaux ?<br />
LA MARAUDE<br />
Aide aux sans-abris à<br />
Lausanne avec des<br />
méthodes inhabituelles<br />
L’ENCOURAGEMENT<br />
PRÉCOCE VAUT LA PEINE<br />
Afin que les enfants de familles démunies puissent échapper<br />
au piège de la pauvreté
COMMENTAIRE<br />
Travailleurs âgés : l’un de va pas sans l’autre !<br />
En février 2018, la CSIAS a présenté ses propositions<br />
pour une amélioration durable des<br />
conditions de vie des chômeurs et bénéficiaires<br />
de l’aide sociale âgés de plus de 55<br />
ans. L‘idée de prestations complémentaires<br />
pour les chômeurs âgés de 58 ans et plus<br />
constituait à ce titre l’élément central. En<br />
décembre, le Conseil des Etats se penchera<br />
sur les rentes transitoires à partir de 60<br />
ans. Etonnement vite, une proposition de loi<br />
a vu le jour pour répondre à une évolution<br />
sociale identifiée prématurément par l‘aide<br />
sociale : la perte d’emploi et le déclin vers<br />
la pauvreté après de nombreuses années<br />
de travail. Lors de la première session, au<br />
cours de laquelle je représente le canton<br />
du Jura en tant que conseillère d’Etat, je<br />
défendrai donc une cause étroitement liée à<br />
ma vice-présidence au sein de la CSIAS.<br />
Les détracteurs du projet de loi soutiennent<br />
que les prestations transitoires peuvent<br />
inciter les employeurs à licencier plus rapidement<br />
les employés âgés. Avant la perte<br />
d’emploi, il serait, à leur sens, bien plus utile<br />
d‘investir dans la formation continue<br />
que dans les futures<br />
prestations sociales. A mes yeux, une<br />
évidence s’impose : l’un ne va pas sans<br />
l’autre ! Dans notre monde du travail en rapide<br />
mutation, l‘apprentissage tout au long<br />
de la vie est essentiel. Des études montrent<br />
que la formation continue constitue avant<br />
tout une opportunité et un privilège pour<br />
les personnes les plus qualifiées. Afin<br />
que l‘économie dispose d’un nombre de<br />
travailleurs suffisant dans 10 ou 20 ans,<br />
nous devons aujourd‘hui investir dans la<br />
formation continue, notamment pour ceux<br />
qui n‘occupent pas une fonction dirigeante.<br />
En même temps, les personnes qui perdent<br />
leur emploi les dernières années de leur vie<br />
professionnelle ont besoin d‘une solution<br />
viable qui assure leur existence. Cela profite<br />
non seulement aux personnes concernées,<br />
mais aussi à l’ensemble de la société. En<br />
effet, cette démarche permet d’éviter que<br />
les chômeurs âgés consomment prématurément<br />
leur prévoyance-vieillesse pour<br />
ensuite dépendre de prestations complémentaires.<br />
Les nouvelles prestations transitoires ne<br />
résoudront certes pas tous les problèmes.<br />
Il existera toujours des personnes qui ne<br />
parviendront plus à intégrer le premier<br />
marché de l’emploi durant la seconde moitié<br />
de leur carrière professionnelle, soit parce<br />
que leurs qualifications sont obsolètes, soit<br />
parce qu‘elles subissent un coup du sort ou<br />
tombent malades. Le dernier rapport sur les<br />
indicateurs de l’Initiative des villes montre<br />
que ce risque augmente déjà nettement<br />
plus tôt, soit à partir de 46 ans – même en<br />
période de très faible chômage.<br />
Il est important que toutes les parties<br />
impliquées collaborent dès à présent : les<br />
personnes concernées, les employeurs,<br />
les offices de placement régionaux,<br />
l‘assurance-invalidité et l‘aide sociale. Les<br />
premiers souhaitent en général retrouver<br />
un emploi. Si nous parvenons à optimiser<br />
la coopération interinstitutionnelle dans ce<br />
domaine, nous pouvons nourrir l’espoir de<br />
ne plus avoir besoin de prestations transitoires<br />
en 2030.<br />
Elisabeth Baume-Schneider<br />
Vice-Présidente CSIAS<br />
4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
5
Les dettes sont-elles prises en<br />
charge par l'aide sociale ?<br />
PRATIQUE Mme Winkler est arrivée en fin de droit, a de nombreux retards de paiement et s’adresse à<br />
présent au service social. En règle générale, l'aide sociale ne couvre que les besoins actuels. Toutefois,<br />
elle peut prendre en charge certaines dettes pour éviter une situation de détresse imminente.<br />
Madame Winkler est arrivée en fin de<br />
droit à l’assurance-chômage et s’adresse<br />
aujourd’hui au service social de sa ville.<br />
Séparée, mère de deux adolescents, elle<br />
a accumulé de nombreux retards de<br />
paiement durant ses années de chômage,<br />
notamment auprès des impôts et de<br />
l’assurance-maladie. Elle a également une<br />
carte de crédit en négatif qu’elle n’arrive<br />
pas à rembourser. Il y a une année de cela, à<br />
la faveur d’un emploi temporaire, elle avait<br />
contracté un crédit à la consommation<br />
de 20'000 francs dans l’objectif d’éviter<br />
des poursuites. Elle n’arrive plus à en<br />
payer les mensualités. Enfin, elle a tardé<br />
à pousser la porte du service social et se<br />
retrouve avec un mois de loyer en retard.<br />
QUESTIONS<br />
• Le service social prendra-t-il les dettes<br />
en charge ?<br />
• Que peut entreprendre le service social<br />
en présence d’usagères et usagers surendettés<br />
?<br />
PRATIQUE<br />
Dans cette rubrique, la <strong>ZESO</strong> publie des questions<br />
ex-emplaires de la pratique de l'aide sociale qui ont<br />
été adressées à la « CSIAS-Line », une offre de conseil<br />
en ligne que la CSIAS propose à ses membres.<br />
L'accès pour vos questions se fait dans l'espace<br />
membressur le site interent : www.csias.ch espace<br />
mem-bres (se connecter) CSIAS-Line.<br />
BASES<br />
L’un des principes de l’aide sociale<br />
(Normes CSIAS A.4), est que celle-ci<br />
couvre les besoins actuels et ne fournit pas<br />
de prestations rétroactives (et par conséquent<br />
ne paie pas de dettes). Par principe,<br />
ni les impôts courants ni les arriérés d’impôts<br />
ne sont pris en charge par l’aide sociale<br />
(Normes CSIAS B.1). Des exceptions<br />
sont possibles en cas de détresse imminente<br />
(dans le cadre des prestations circonstancielles,<br />
Normes CSIAS C.1). Dans<br />
certains cantons, l’aide sociale est remboursable<br />
et constitue elle-même une dette.<br />
Dans cette situation, les normes CSIAS prévoient<br />
d’appliquer une limite de revenu généreuse<br />
et de limiter la durée des remboursements<br />
(Normes CSIAS H.9).<br />
Au-delà de la prise en charge des dettes<br />
par l’aide sociale, la prise en compte de la<br />
thématique de l’endettement pendant l’accompagnement<br />
social peut faire partie de<br />
l’aide personnelle. En effet, même si les<br />
revenus des bénéficiaires de l’aide sociale<br />
ne sont, en règle générale, pas susceptibles<br />
d’être saisis, les personnes surendettées<br />
sont soumises à une pression constante qui<br />
influence négativement leur santé et leurs<br />
possibilités de réinsertion socio-professionnelle.<br />
Sans analyse précise de sa situation,<br />
sans perspectives, quelle est la motivation<br />
d’une personne fortement surendettée<br />
de reprendre une activité professionnelle ?<br />
Un conseil en matière de gestion de dettes<br />
peut s’avérer également judicieux, notamment<br />
dans le cas de créances ouvertes qu’il<br />
vaut parfois mieux laisser se transformer en<br />
actes de défaut de biens afin de suspendre<br />
la production d’intérêts.<br />
La nature et l’ampleur de l’endettement<br />
d’une personne suivie pourrait être<br />
connu, de la même manière que l’est son<br />
état de santé, sa formation ou son parcours<br />
professionnel. En effet, l’éventuel traitement<br />
des dettes va dépendre de leur nature<br />
: s’agit-il de créances « ordinaires »,<br />
comme des dettes fiscales ou de primes<br />
d’assurance-maladie ? Est-on en présence<br />
de dettes « urgentes », auquel cas se pose la<br />
question de leur prise en charge ? A-t-on enfin<br />
à faire à des dettes « douteuses », contestables,<br />
comme celles émanant de certaines<br />
maisons de recouvrement ou qui découlent<br />
de la signature d’un prêt personnel dont le<br />
contrat devrait être vérifié ? Si l’analyse et,<br />
le cas échéant, la contestation du contrat<br />
de prêt requiert les connaissances spécialisées<br />
d’un service de désendettement, un<br />
premier triage peut être entrepris dans les<br />
services sociaux.<br />
En effet, même si Madame Winkler ne<br />
peut pas se désendetter tout de suite, une<br />
analyse professionnelle de ses dettes, avec<br />
comme objectif dans un premier temps de<br />
stabiliser sa situation financière, lui permettra<br />
peut-être de porter un autre regard<br />
sur sa situation.<br />
Lorsque l’endettement est de peu d’ampleur,<br />
des démarches d’assainissement<br />
peuvent également être entreprises. Néanmoins,<br />
dans de nombreuses situations, l’assainissement<br />
débutera lors de la sortie du<br />
débiteur de l’aide sociale, en cas de besoin<br />
avec l’appui d’un service spécialisé. En matière<br />
de surendettement, des connaissances<br />
professionnelles spécifiques sont requises<br />
et un partenariat – qui existe dans de nombreux<br />
cantons – entre le service social et le<br />
service de gestion de dettes et de désendettement,<br />
se révèle précieux<br />
RÉPONSES<br />
• En règle générale, non, car l’aide sociale<br />
ne couvre que les besoins actuels. Des<br />
exceptions existent en cas de détresse<br />
imminente. Dans la situation de Mme<br />
Winkler, le mois de loyer en retard pourrait<br />
être pris en charge.<br />
• Parler des dettes, dans un climat de<br />
confiance et de non-jugement, est le<br />
premier pas vers la recherche de solutions.<br />
Toutefois, un assainissement, tout<br />
comme des démarches de vérification et<br />
de contestation de créances douteuses<br />
demande un savoir spécialisé. Dans la<br />
plupart des cantons, l’assistant-e social-e<br />
peut s’adresser à un service de désendettement<br />
non-lucratif membre de l’association<br />
faîtière Dettes conseil suisse. •<br />
Paola Stanic<br />
Commission Normes et pratique CSIAS<br />
6 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong>
« Un emploi grâce à une<br />
formation » : c'est parti !<br />
AIDE SOCIALE En 2018, la CSIAS et la FSEA ont lancé l’offensive de formation « Un emploi grâce à une<br />
formation » pour les bénéficiaires de l’aide sociale. La mise en œuvre pose des défis à certains services<br />
sociaux de petite taille ou de taille moyenne. La CSIAS et la FSEA ont donc lancé un projet pilote.<br />
L’objectif de l’offensive est de maximiser le<br />
potentiel de la formation continue à titre de<br />
mesure d’insertion sur le premier marché<br />
du travail. La formation constitue une base<br />
importante, à la fois pour l’intégration sociale<br />
et l’insertion professionnelle. La personne<br />
qui ne possède pas les compétences<br />
de base suffisantes<br />
• a de la difficulté à se débrouiller dans la<br />
vie quotidienne,<br />
• est rapidement menacée par les changements<br />
structurels du monde professionnel,<br />
• a peu de chances de réintégrer le monde<br />
du travail en cas de chômage,<br />
• ne dispose pas des conditions préalables<br />
à l’apprentissage tout au long de la vie,<br />
• a souvent une faible estime de soi quant<br />
à ses aptitudes professionnelles et ses<br />
capacités d’apprentissage,<br />
• est en général en moins bonne santé<br />
que la population moyenne.<br />
La conséquence : bon nombre de ces<br />
personnes dépendent, tôt ou tard, de l’aide<br />
sociale pour survivre. En l’absence d’une<br />
formation suffisante, les bénéficiaires de<br />
l’aide sociale aptes au travail sont ensuite<br />
placés dans des offres du second marché<br />
du travail ou dans des emplois précaires.<br />
Cependant, il s’agit souvent d’une solution<br />
à court terme qui n’entraîne pas une<br />
amélioration durable des conditions de vie<br />
et des revenus des personnes concernées.<br />
Un changement de paradigme est donc<br />
nécessaire, en investissant dans des mesures<br />
à plus long terme pour améliorer la<br />
formation. Aujourd’hui, les domaines de<br />
la formation et de l’aide sociale ne sont<br />
que partiellement interconnectés. C'est<br />
là qu’intervient l’offensive de formation<br />
continue.<br />
Plusieurs grandes villes ont déjà mis en<br />
place des projets et des offres dans le domaine<br />
de la formation. Cependant, la mise<br />
en œuvre de l’offensive de formation continue<br />
pose des défis aux services sociaux de<br />
petite taille et de taille moyenne. La FSEA<br />
et la CSIAS ont donc lancé un projet pilote<br />
pour les soutenir et les accompagner dans la<br />
mise en place d’une structure d’encouragement<br />
opérationnelle. L’offre comprend:<br />
• Mise à disposition d’outils pratiques,<br />
p.ex. pour réaliser des états des lieux et<br />
élaborer des plans de formation;<br />
• Conseil et accompagnement par des experts<br />
pour la mise en place de structures<br />
et collaborations avec l’économie, les<br />
centres de conseil et les fournisseurs de<br />
cours de formation continue;<br />
• Ateliers, ainsi que réunions de réseautage<br />
et d’échange pour les cadres et les<br />
conseillers des services sociaux.<br />
Objectif du projet pilote<br />
D’une part, le projet pilote a pour objectif<br />
d’offrir aux bénéficiaires de l’aide sociale la<br />
possibilité d’acquérir des qualifications<br />
professionnelles par une formation continue<br />
ciblée. Au niveau institutionnel, il<br />
conviendra de développer des exemples de<br />
bonnes pratiques qui pourront être adoptés<br />
par d’autres services sociaux et communes.<br />
Les objectifs suivants doivent également<br />
être atteints par les dix services<br />
sociaux participant au projet pilote. Ceuxci<br />
:<br />
• disposent des outils pratiques et<br />
connaissances nécessaires à la réalisation<br />
des états des lieux et à l’élaboration<br />
de plans de formation pour les bénéficiaires<br />
de l’aide sociale et les appliquent<br />
dans la pratique ;<br />
• disposent d'un réseau régional de relations<br />
avec les prestataires de formation,<br />
les centres de conseil et les représentants<br />
des milieux économiques ;<br />
• ont réalisé des états des lieux accompagnés<br />
de plans de formation et de mesures<br />
associées pour un certain nombre<br />
de bénéficiaires de l’aide sociale et ont<br />
procédé à leur évaluation.<br />
Modèle de qualification<br />
Sur le plan conceptuel, le projet s’oriente<br />
au modèle de qualification suivant, qui<br />
comporte trois niveaux:<br />
• Niveau 1 : les participants acquièrent suffisamment<br />
de compétences de base, de<br />
compétences quotidiennes et de compétences-clés<br />
;<br />
• Niveau 2 : les participants acquièrent<br />
des qualifications professionnelles à bas<br />
seuil, inférieures au niveau de la formation<br />
professionnelle initiale formelle ;<br />
• Niveau 3 : les participants suivent un formation<br />
professionnelle initiale conduisant<br />
à l’obtention d’une AFP ou d’un CFC.<br />
La procédure se subdivise en quatre<br />
étapes :<br />
1. Clarification initiale approfondie des<br />
capacités et aptitudes individuelles, y<br />
compris les compétences de base, clés<br />
et quotidiennes (évaluation).<br />
2. Sur la base de la clarification, les personnes<br />
concernées, conseillées et accompagnées<br />
par des experts, déterminent<br />
leur propre objectif de formation, éventuellement<br />
en plusieurs étapes. Un plan<br />
de formation individuel est ainsi établi<br />
pour chaque objectif.<br />
3. Sur la base du plan de formation, les<br />
personnes concernées, avec l’aide d’experts,<br />
recherchent une offre de formation<br />
appropriée. Le service social compétent<br />
aide à établir le budget et, si<br />
nécessaire, à discuter avec les services<br />
ad hoc des bourses.<br />
4. La personne concernée est accompagnée<br />
et coachée par le service social tout<br />
au long du parcours de formation. La<br />
responsabilité de l’aide sociale perdure<br />
jusqu’à l’atteinte de l’objectif de formation<br />
et l’entrée dans le monde du travail.<br />
<br />
•<br />
Ernst Schedler<br />
Co-responsable de projet ad interim<br />
4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
7
« Les décisions politiques génèrent<br />
souvent de fausses attentes »<br />
INTERVIEW Dagmar Rösler est la nouvelle présidente centrale de l’Association faîtière des<br />
enseignantes et enseignants de Suisse (LCH). Elle souhaite fusionner la LCH avec le Syndicat des<br />
enseignants romands (SER) pour former «Bildung Schweiz – Formation Suisse» d'ici à 2023. Elle<br />
espère que la politique de l’éducation accordera une écoute et une importance accrues à la nouvelle<br />
structure.<br />
« <strong>ZESO</strong> » : Mme Rösler, pourquoi avoir<br />
décidé de prendre la présidence de la<br />
LCH ?<br />
Dagmar Rösler : L’éducation est un<br />
thème social clé qui me tient très à cœur.<br />
Parallèlement à mon activité d’enseignante,<br />
j’ai travaillé pendant 18 ans pour l’Association<br />
des enseignantes et enseignants du<br />
canton de Soleure, dont 8 ans comme présidente<br />
cantonale. A un moment donné, vous<br />
en arrivez à vous interroger sur votre avenir<br />
professionnel et vos priorités. Le passage au<br />
niveau national m’a beaucoup attiré.<br />
Vous êtes maintenant la cheffe des<br />
enseignants suisses. Mais vous êtes<br />
surtout le porte-parole du corps<br />
enseignant. Comment comptez-vous<br />
remplir cette mission ?<br />
J’essaie de construire un vaste réseau<br />
et d’échanger avec un grand nombre de<br />
partenaires afin que notre point de vue<br />
soit intégré dans les décisions politiques.<br />
Souvent, les décisions sont prises sans te-<br />
8 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong>
nir compte de ce que leur mise en œuvre<br />
implique pour les écoles. Cela génère de<br />
fausses attentes.<br />
Pouvez-vous citer un exemple ?<br />
Le français ou l’anglais précoce, par<br />
exemple. Avec deux à trois leçons par semaine,<br />
aucun enfant n'apprend à parler<br />
couramment une langue étrangère. Les<br />
immersions linguistiques prônées initialement<br />
à maintes reprises n’existent pas, car<br />
l’argent fait défaut. En lieu et place, nous<br />
sommes invités à organiser des échanges<br />
linguistiques. Au niveau primaire, cela se<br />
limite finalement aux excursions approuvées<br />
par les communes. Il reste donc en-<br />
core du travail à faire pour accroître les<br />
échanges par-delà les frontières linguistiques.<br />
Le problème, c’est que cela ne doit<br />
rien coûter.<br />
Oui, le Tribunal fédéral a statué que<br />
l’école doit être gratuite pour les parents.<br />
Nous évoluons donc dans un cadre assez<br />
serré, qui offre peu de marge de manœuvre.<br />
Il en va de même pour l’introduction de<br />
l’intégration scolaire. Il a été décidé de supprimer<br />
les classes spéciales, mais les ressources<br />
nécessaires n’ont pas été calculées<br />
en lien avec la mise en œuvre, mais en fonction<br />
des finances cantonales. Il ne nous re-<br />
Photos: Palma Fiacco<br />
vient pas de planifier et de concevoir les réformes.<br />
Nous remplissons en général une<br />
mission, sans disposer des moyens nécessaires<br />
à cet effet. Nous ne pouvons malheureusement<br />
pas faire de miracles.<br />
A votre avis, quel thème sera le plus<br />
grand défi pour le corps enseignant<br />
ces prochaines années ?<br />
L’intégration d’enfants très différents à<br />
l’école primaire est un grand défi. L’autre<br />
thème est celui de l’égalité des chances,<br />
qui y est directement associé. Je pense qu’il<br />
est important que les élèves reçoivent une<br />
bonne éducation, au sens conservateur du<br />
terme. Par exemple, les langues étrangères,<br />
les mathématiques et les sciences naturelles.<br />
Mais les écoles ne se contentent pas<br />
d’enseigner des matières. Pour les élèves,<br />
il s’agit aussi d’apprendre à s’entendre au<br />
sein de la société, dans des groupes où cohabitent<br />
des opinions, des cultures et des<br />
mœurs très différentes. Pour moi, cela<br />
reste une tâche passionnante et fondamentale<br />
de l’école primaire.<br />
Comment décririez-vous la qualité de<br />
l’école primaire suisse ? Remplit-elle<br />
sa mission ?<br />
Oui, en principe, la qualité de l’école<br />
primaire suisse est bonne. Mais cela ne signifie<br />
pas qu’il n'y ait rien à améliorer. Je<br />
pense notamment à la numérisation. Nous<br />
n’en sommes encore qu’au tout début.<br />
Mais nous devons aussi nous ouvrir davantage<br />
à la diversité.<br />
La dernière étude de Pise sera publiée<br />
ces jours-ci. Quelle importance accordez-vous<br />
à ces tests de performance ?<br />
Je suis plutôt critique à l’égard des tests<br />
de performance. La Suisse possède bien<br />
assez de mesures de la performance. Nous<br />
participons aux études de Pise, et en mai<br />
dernier, les résultats du relevé national des<br />
compétences fondamentales ont été publiés.<br />
Je comprends que la politique de<br />
l’éducation veuille savoir où se situent les<br />
élèves en comparaison internationale, mais<br />
l’enseignement scolaire ne se limite pas<br />
à cela. Ces études de performance nous<br />
<br />
4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
9
donnent d’ailleurs une image très partiale<br />
de l’école et des compétences qu’elle enseigne.<br />
Cet instantané fournit donc une<br />
image très incomplète et unilatérale de<br />
l’école.<br />
L’environnement socio-économique<br />
détermine encore, en grande partie, le<br />
cursus scolaire d’un enfant. Pourquoi<br />
l’égalité des chances ne s’impose-t-elle<br />
pas ?<br />
C’est un fait que les enfants issus de<br />
ménages défavorisés sur le plan socio-économique<br />
arrivent à l’école avec un bagage<br />
« Nous avons<br />
souligné à plusieurs<br />
reprises que<br />
nous devrons faire<br />
face à une<br />
énorme pénurie<br />
d’enseignants. »<br />
beaucoup plus petit et ne parviennent plus<br />
à rattraper leurs déficits. Toutefois, une<br />
récente étude de l’Université de Berne a<br />
montré qu’en 2011, les enfants issus de<br />
la migration ne faisaient pas l’objet de discrimination<br />
à l’école. L’intégration a manifestement<br />
contribué à élargir la « norme ».<br />
La grande hétérogénéité des enfants a fait<br />
prendre conscience à de nombreux enseignants<br />
que chaque enfant se trouve dans<br />
un endroit différent et qu’il existe différentes<br />
voies pour arriver au but.<br />
Tout le monde parle aujourd’hui<br />
d’encouragement précoce; vous avez<br />
vous-même exigé l’obligation d'un<br />
encouragement précoce.<br />
Oui, mais pas dans le sens de visites<br />
obligatoires de tous les enfants, mais d’une<br />
offre globale. Les milieux politiques ont<br />
désormais reconnu la nécessité d’agir,<br />
car il a été établi que les enfants qui commencent<br />
l’école avec des difficultés linguistiques,<br />
socio-économiques ou sociales<br />
connaissent de longs retards d’apprentissage<br />
qu’il leur est difficile de rattraper.<br />
C'est la raison pour laquelle diverses organisations<br />
promeuvent aujourd’hui l’encouragement<br />
précoce pour les enfants de 0 à 4<br />
ans. Cela ne s’applique pas uniquement à<br />
la langue, mais aussi aux compétences sociales.<br />
Il y a des enfants qui jouent pour la<br />
première fois avec leurs pairs à la garderie,<br />
qui n'ont jamais tenu une paire de ciseaux<br />
ou qui sont à peine capables de communiquer.<br />
Vous ne pouvez bien sûr pas forcer<br />
les parents à inscrire leur enfant dans un<br />
groupe de jeu. Mais il faudrait au moins<br />
identifier les enfants concernés.<br />
Comment identifier les enfants qui<br />
auraient besoin d’un encouragement<br />
précoce ?<br />
Nous dépendons des services spécialisés<br />
et des médecins de famille. Ce sont eux<br />
qui devraient signaler les enfants.<br />
Dans le canton du Tessin, tous les<br />
enfants, dès 3 ans, peuvent fréquenter<br />
un jardin d’enfants toute la journée.<br />
70 % des enfants de 3 ans et 100 % des<br />
enfants de 4 et 5 ans vont à la crèche.<br />
Ce système vaudrait-il la peine d’être<br />
imité ?<br />
10 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong>
Bien sûr. Le Tessin et les cantons romands<br />
ont une organisation très différente<br />
de la Suisse alémanique, où la création<br />
de structures de jours est encore très<br />
laborieuse. Souvent, les mères actives sont<br />
encore qualifiées de mauvaises mères.<br />
Il est donc important de ne pas parler de<br />
crèches, mais de groupes de jeu pour l’encouragement<br />
précoce.<br />
La numérisation est aujourd’hui un<br />
grand sujet à l’école : mais nous ne<br />
savons pas encore quel bagage donner<br />
aux enfants. Qu’est-ce que cela signifie<br />
pour l’école, les enseignants?<br />
C’est vraiment un énorme défi. Tant<br />
sur le plan technique qu’au niveau du<br />
contenu, une foule de nouveaux outils et<br />
connaissances sont nécessaires. Nous ne<br />
savons pas encore réellement ce qui nous<br />
attend. C’est comme si vous vouliez atteindre<br />
une cible qui se déplace à grande<br />
vitesse. Aujourd’hui, nous demandons aux<br />
élèves de choisir un métier. Mais la plupart<br />
des métiers actuels n’existeront plus dans<br />
un proche avenir ou de nouveaux verront<br />
le jour. Nous essayons de les préparer sans<br />
vraiment connaître, à ce stade, les compétences<br />
et connaissances dont ils auront un<br />
jour besoin.<br />
Un autre défi est la pénurie annoncée<br />
d’enseignants.<br />
Nous avons souligné à plusieurs reprises<br />
que nous devrons faire face à une énorme<br />
pénurie d’enseignants. Il est grand temps<br />
de faire quelque chose. La vague de départs<br />
à la retraite approche et beaucoup opteront<br />
pour une retraite anticipée en raison de la<br />
réduction progressive des prestations chez<br />
les caisses de pension. Par ailleurs, plus de<br />
100'000 enfants supplémentaires seront<br />
scolarisés à l’horizon 2024.<br />
Pourquoi le métier d’enseignant n’attire-t-il<br />
pas assez de monde ?<br />
Le problème est que le métier d’enseignant<br />
est peu reconnu dans la société.<br />
Dans ma vie privée, je constate régulièrement<br />
que parmi mes connaissances, certaines<br />
se font une idée totalement fausse de<br />
la profession. Elles sont pleines de préjugés<br />
et ont tendance à parler avec mépris des enseignants.<br />
Cela n’a en général rien à voir<br />
DAGMAR RÖSLER<br />
Dagmar Rösler est présidente centrale de<br />
l’Association des enseignantes et enseignants<br />
LCH depuis août. Elle est la première<br />
femme à la tête de la LCH à succéder à Beat<br />
Zemp, qui a présidé l’association pendant<br />
près de 30 ans. LCH est l’organisation faîtière<br />
des enseignantes et enseignants de Suisse<br />
et compte 56'000 membres. Elle regroupe<br />
des associations cantonales d’enseignants,<br />
ainsi que des associations professionnelles.<br />
Âgée de 48 ans, Dagmar Rösler est mère de<br />
deux enfants et continue de travailler comme<br />
enseignante. Elle présidait déjà l’Association<br />
des enseignants de Soleure pendant 8 ans.<br />
avec des expériences concrètes actuelles, il<br />
s’agit bien plus d’une opinion, transmise<br />
vraisemblablement aux propres enfants, ce<br />
qui est vraiment dommage.<br />
En même temps, la formation au<br />
métier d’enseignant se rallonge. Il est<br />
même exigé qu’ils soient titulaires<br />
d’un Master. Est-ce une bonne idée<br />
d’élever la barre en période de pénurie<br />
d’enseignants ?<br />
Bien sûr. C’est exactement ce qu’il faut.<br />
Plus la formation est élevée, plus la profession<br />
sera reconnue. Nous ne voulons d’ailleurs<br />
pas d’enseignants qui choisissent<br />
cette profession parce que la formation ne<br />
dure que trois ans. Nous voulons ceux qui<br />
choisissent ce métier par conviction et qui<br />
sont à la recherche d’un défi. En outre, le<br />
métier d’enseignant pose aujourd’hui des<br />
exigences nettement plus élevées que par<br />
le passé, car de nombreux nouveaux défis<br />
sociaux et tâches sont venus s’ajouter.<br />
Avec une formation courte, cela n’est plus<br />
viable.<br />
Les enseignants de Suisse alémanique<br />
et de Suisse romande souhaitent à<br />
présent fusionner pour former l’Association<br />
Bildung Schweiz, Formation<br />
Suisse: comment progressez-vous ?<br />
La fusion devrait être achevée dans environ<br />
quatre ans. Les associations alémaniques<br />
et romandes collaborent depuis<br />
longtemps avec succès. Tout le monde s’accorde<br />
aujourd’hui sur le fait qu’il serait judicieux<br />
de regrouper les deux associations<br />
en une seule entité nationale, tout en intégrant<br />
la Suisse italienne dans la démarche.<br />
Un groupe de travail est en train d’élaborer<br />
divers modèles de la potentielle future organisation<br />
de l’association après la fusion.<br />
Quels obstacles se profilent à<br />
l‘horizon ?<br />
La décision des membres de prendre<br />
cette direction a été unanime. Nous voulons<br />
cette fusion, c’est une évidence. Mais<br />
à certains égards, la Suisse alémanique<br />
fonctionne différemment de la Suisse romande.<br />
La mise en œuvre et l’organisation<br />
concrète ne seront certainement pas dépourvues<br />
d’obstacles à franchir. Ce ne sera<br />
pas un jeu d’enfant, mais je suis certaine<br />
que nous y parviendrons.<br />
Qu’attendez-vous exactement de cette<br />
fusion ?<br />
L’organisation sera simplifiée, car les<br />
processus seront raccourcis. Mais nous espérons<br />
bien sûr que la politique et l’opinion<br />
publique accorderont encore davantage<br />
d’importance à notre voix. •<br />
Interview réalisée par<br />
Ingrid Hess<br />
4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
11
Réduire la pauvreté des enfants grâce à<br />
des prestations complémentaires pour<br />
familles<br />
La pauvreté infantile est largement répandue<br />
en Suisse et constitue un problème grave. Les<br />
prestations complémentaires pour familles<br />
peuvent nettement améliorer la situation<br />
précaire des familles touchées par la pauvreté.<br />
Caritas exige donc du Parlement nouvellement<br />
élu une loi-cadre pour l’introduction de<br />
prestations complémentaires pour familles à<br />
l’échelle nationale.<br />
Environ 1,7 million d’enfants vivent en Suisse. Quelque 103'000<br />
sont touchés par la pauvreté. Cela signifie qu’il existe, en moyenne,<br />
un enfant en situation de pauvreté dans chaque classe scolaire,<br />
trois d'’entre eux étant même menacés par la pauvreté. Un tiers des<br />
bénéficiaires de l’aide sociale sont des enfants et des adolescents.<br />
Ils forment le plus grand groupe d’âge dans l’aide sociale.<br />
Les enfants qui grandissent dans la pauvreté, en Suisse,<br />
connaissent de nombreuses restrictions dans leur vie quotidienne.<br />
Ce qui va de soi pour leurs copains peut constituer un obstacle quasi<br />
insurmontable à leurs yeux. L’argent manque souvent, même<br />
pour de petits riens. Les sommes à payer pour le camp scolaire, la<br />
photo de classe ou le cadeau d’anniversaire d’un camarade pèsent<br />
sur le budget familial. Les conditions de vie exiguës et l’absence<br />
d’un lieu où ils peuvent s’isoler ne permettent pas aux enfants de<br />
se concentrer sur leurs devoirs ou d’inviter des amis à la maison.<br />
Ils vivent souvent dans des logements bon marché, dans des rues<br />
très fréquentées, où il leur est difficile de jouer. Ceux qui peuvent<br />
grimper aux arbres ou s’amuser dans le bac à sable font de nombreuses<br />
expériences qui favorisent leur capacité d’apprentissage.<br />
Les activités récréatives, les loisirs ou les sports dans des clubs ne<br />
sont souvent pas à la portée des familles démunies. Le choix des<br />
loisirs n’est alors pas dicté par les aptitudes et intérêts des enfants,<br />
mais dépend de la capacité financière de la famille.<br />
Les raisons de la pauvreté infantile en Suisse<br />
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les enfants sont touchés<br />
par la pauvreté dans une Suisse pourtant prospère :<br />
Coûts des enfants : un enfant coûte entre CHF 7'000 et CHF<br />
14'000 par an. Un montant calculé par la Confédération dans son<br />
rapport sur la politique familiale, publié en 2015. Celui-ci n’inclut<br />
pas les coûts indirects résultant de la baisse du taux d’activité<br />
des parents, en particulier des mères, après la naissance de leur<br />
premier enfant, pour assumer le travail domestique non rémunéré.<br />
Une situation qui réduit leur contribution au revenu du ménage.<br />
Faible revenu des parents : 71'000 enfants grandissent dans<br />
des ménages de travailleurs pauvres. Cela représente près de 70 %<br />
des enfants touchés par la pauvreté en Suisse. Leurs parents travaillent<br />
soit dans des secteurs à bas salaires, soit dans des emplois<br />
précaires, y compris des postes auxiliaires, des emplois temporaires<br />
ou du travail sur appel. Malgré une activité lucrative, leur<br />
salaire ne suffit pas à couvrir les frais d’entretien de la famille. Que<br />
les familles soient pauvres ou non dépend donc largement de l’activité<br />
lucrative et du revenu des parents.<br />
Le revenu dépend de la formation des parents : le montant dont<br />
dispose une famille dépend fortement du niveau de formation<br />
le plus élevé des parents. Lorsqu’au moins un parent détient un<br />
diplôme universitaire, le taux de pauvreté des enfants est le plus<br />
faible, soit de 2,8 %. En revanche, lorsqu’aucun parent n’a suivi de<br />
formation post-obligatoire, le taux de pauvreté des enfants est d’environ<br />
10 % et le taux de risque de pauvreté grimpe à près de 40 %.<br />
La conciliation entre vie famille et vie professionnelle est insuffisante<br />
: en Suisse, les possibilités de concilier vie familiale et vie professionnelle<br />
sont encore insuffisantes. Malgré les efforts déployés<br />
au niveau fédéral, les offres de prise en charge extrafamiliale et extrascolaire<br />
abordables et accessibles sont encore rares. La flexibilisation<br />
croissante du travail, avec des horaires irréguliers, pose des défis<br />
majeurs aux familles à faibles revenus. Les crèches ne sont souvent<br />
pas finançables par les familles en situation de pauvreté. Ces offres<br />
d’accueil ne proposent aucune solution aux personnes exerçant une<br />
activité dans le secteur à bas salaires – par exemple le travail sur appel.<br />
Il existe, en outre, des lacunes au niveau de la garde des enfants<br />
pendant les vacances scolaires ou lorsqu’ils sont malades.<br />
Le risque de divorce est mal couvert : en Suisse, un mariage sur<br />
trois se solde par un divorce. Après un divorce, les familles monoparentales<br />
sont particulièrement touchées par la pauvreté. Le revenu<br />
des parents séparés doit suffire à financer deux ménages. La pension<br />
alimentaire, parfois durement obtenue, ne suffit souvent pas<br />
à assurer l’existence de la famille. Par ailleurs, ce sont surtout les<br />
mères qui continuent de réduire leur taux d’activité ou qui quittent<br />
la vie active pour s’occuper de leurs enfants. Plus tard, il leur est<br />
souvent difficile de réintégrer un marché du travail ultradynamique.<br />
L’Etat n’investit pas assez dans l’enfance et les familles: dans<br />
notre pays, les enfants sont communément considérés comme une<br />
affaire privée. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Suisse investit<br />
peu dans l’enfance et les familles. À cet égard, elle évolue<br />
nettement en-dessous de la moyenne européenne. Les dépenses<br />
consacrées à l’éducation et à la prise en charge de la petite enfance<br />
sont, en moyenne, trois fois plus élevées dans les pays de l’OCDE<br />
qu’en Suisse.<br />
Faibles perspectives de formation et d’avenir<br />
La pauvreté infantile est aujourd’hui non seulement une catastrophe,<br />
elle détermine aussi les parcours de vie des enfants concer-<br />
14 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong> DOSSIER
ENCOURAGEMENT PRÉCOCE<br />
nés. Les enfants en situation de pauvreté ont de faibles<br />
perspectives de formation et d’avenir. Dans divers domaines,<br />
le besoin d’agir est énorme. Premièrement, la<br />
couverture de l’existence matérielle doit être mieux assurée,<br />
puisqu’elle constitue la condition préalable à une<br />
croissance saine. Deuxièmement, l’accès à un encouragement<br />
précoce de qualité doit être garanti pour tous<br />
les enfants. Les premières années de vie sont décisives<br />
pour leur développement. Troisièmement, tous les enfants<br />
doivent pouvoir bénéficier d’un accueil extrafamilial<br />
et extrascolaire.<br />
Bien que la couverture du minimum vital des familles<br />
n’ait pas connu de progression ces dix dernières<br />
années, au niveau fédéral, quatre cantons ont introduit<br />
des prestations complémentaires pour familles: le Tessin<br />
(<strong>19</strong>97), Soleure (2010), Vaud (2011) et Genève<br />
(2012). Les évaluations montrent leur impact positif:<br />
les taux de pauvreté ont, dans certains cas, été fortement<br />
réduits. Le modèle vaudois est particulièrement<br />
efficace. Dans ce modèle, les prestations complémentaires<br />
pour familles sont versées jusqu’à ce que les enfants<br />
atteignent l’âge adolescent. L’octroi ne dépend<br />
pas du revenu ou du taux d’occupation. En outre,<br />
le canton de Vaud prend en charge la majeure partie<br />
des frais de garde des enfants et rembourse les frais de<br />
maladie. Les prestations complémentaires sont liées à<br />
d’autres prestations afin d'améliorer l’insertion des parents<br />
sur le marché du travail.<br />
Caritas exige du Parlement nouvellement élu, de la<br />
Confédération et des cantons une loi-cadre pour l’introduction<br />
de prestations complémentaires pour familles<br />
à l’échelle nationale. Les cantons seraient ainsi tenus de<br />
verser des prestations complémentaires pour familles,<br />
conformément aux règles du droit fédéral. Une loicadre<br />
prévoirait des mesures minimales, tout en laissant<br />
une marge de manœuvre aux cantons pour adapter<br />
les prestations aux conditions locales. Cette démarche<br />
requiert des engagements financiers fermes de la part<br />
de la Confédération.<br />
•<br />
Marianne Hochuli<br />
Caritas Suisse<br />
Prise de position de Caritas: proposition de réforme contre la<br />
pauvreté des enfants: la Suisse ne doit pas tolérer la pauvreté<br />
infantile (20<strong>19</strong> – uniquement en allemand)<br />
www.caritas.ch Ce que nous disons Nos positions <br />
Prises de position<br />
Les enfants en situation de pauvreté ont de faibles perspectives de formation et<br />
d’avenir.<br />
Photo: Palma Fiacco<br />
DOSSIER 4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
Encouragement dès la naissance –<br />
Etude Zeppelin sur la prévention<br />
Comment augmenter les chances de développement d’enfants issus de familles défavorisées? Dans<br />
la plupart des cas, les mesures arrivent bien trop tard, elles manquent d’intensité ou n’atteignent<br />
pas du tout le groupe cible. Un groupe de recherche de la Haute école intercantonale de pédagogie<br />
curative (HfH) et l’Office de la jeunesse et de l’orientation professionnelle (AJB) du canton de<br />
Zurich ont donc lancé, en 2009, l’étude Zeppelin, consacrée au thème de la prévention: les résultats<br />
montrent que l’encouragement dès la naissance, dans le cadre du programme de visites à domicile<br />
« PAT – Apprendre avec les parents », déploie ses effets sur le long terme lorsque certaines<br />
exigences de qualité sont remplies.<br />
Les enfants issus de familles démunies présentent plusieurs risques<br />
de développement. Par exemple, ceux issus de la migration sont<br />
jusqu'à trois fois plus susceptibles d’être scolarisés dans des établissements<br />
spécialisés et courent un risque deux à trois fois plus élevé<br />
de ne pas trouver une future place d’apprentissage. Il s’agit d’un<br />
problème majeur, non seulement pour les adolescents et leurs pa-<br />
rents, pour l’école et les enseignants débordés, mais aussi pour le<br />
bien-être de la société en général, au regard des répercussions économiques<br />
sur le domaine social et celui de la santé. Selon les estimations<br />
actuelles, les enfants issus de familles à faible revenu (évoluant<br />
en-dessous du 20e percentile du statut socioéconomique)<br />
présentent des lacunes considérables quant à leur capacité empi-<br />
La force de l’étude Zeppelin : elle touche les familles à atteindre au sens de la prévention sélective.<br />
Photo: zvg<br />
16 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong> DOSSIER
ENCOURAGEMENT PRÉCOCE<br />
rique d’aller à l’école. D’après les connaissances et les recherches<br />
actuelles, il est cependant connu que ces lacunes peuvent du moins<br />
être comblées en partie grâce à un encouragement précoce : selon la<br />
méta-analyse de Camilli et al. (2010), les programmes d’encouragement<br />
précoce peuvent combler au moins la moitié des lacunes<br />
liées à la performance cognitive. Cela correspond à 7 points de QI,<br />
soit une amélioration du 30e au 50e percentile. Bien que les effets<br />
de la performance diminuent avec l’âge, ils restent significatifs et<br />
suffisamment importants pour réduire d’un tiers les différences de<br />
performance entre les enfants issus de familles socialement défavorisées<br />
et ceux issus de familles socialement privilégiées.<br />
Les mesures en Suisse<br />
En Suisse, il existe aujourd’hui plusieurs programmes d’encouragement<br />
précoce visant à prévenir les problèmes de développement<br />
chez l’enfant et à favoriser l’obtention de résultats scolaires adaptés<br />
à son âge. Cependant, leur qualité varie. Il n’est pas rare d’entendre<br />
qu’une certaine offre est efficace, bien que l’évaluation ne respecte<br />
pas les normes scientifiques minimales. D’après les publications de<br />
recherche, les critères clés suivants s’appliquent aux interventions<br />
précoces basées sur des données probantes: Le programme doit<br />
1. être adapté aux familles à risque (p.ex. pauvreté),<br />
2. débuter tôt, si possible avant la naissance,<br />
3. avoir une intensité et une durée adaptées aux besoins de la famille,<br />
4. comporter des éléments qui renforcent les parents et encouragent<br />
directement l’enfant,<br />
5. être mis en œuvre par un personnel qualifié.<br />
En Suisse, ces critères d’efficacité sont uniquement remplis par le<br />
programme d’encouragement « PAT – Apprendre avec les parents »<br />
(cf. programme allemand dans Wikipédia). Le PAT propose des visites<br />
à domicile et des rencontres de groupe pour les parents et leurs<br />
enfants, mais ne prévoit pas d’instaurer un encouragement intensif<br />
de l’enfant dans les centres. Néanmoins, les effets du PAT sont modérément<br />
positifs, d’après les études internationales réalisées à ce<br />
jour, qui incluent des comparaisons avec des groupes témoins.<br />
L’étude Zeppelin, soutenue par le Fonds national et plusieurs<br />
fondations en Suisse, examine actuellement si et dans quelle mesure<br />
un encouragement précoce avec le PAT se répercute à long terme sur<br />
le développement des enfants et la réussite scolaire. En comparaison<br />
internationale, Zeppelin devrait livrer des résultats positifs, puisque<br />
la mise en œuvre du programme et les conditions cadres sont plus<br />
favorables. Dans le canton de Zurich, les familles bénéficient par<br />
exemple d’un soutien plus intensif et plus long, et celles qui quittent<br />
le programme sont nettement moins nombreuses.<br />
Toucher les parents difficilement atteignables<br />
L’un des principaux défis de la pratique et de la recherche consiste<br />
à toucher les groupes cibles les plus concernés, à savoir ceux qui<br />
profiteraient le plus des mesures de soutien dans le domaine de<br />
l’éducation de la petite enfance. Il s’agit de familles socialement<br />
UNESCO: INVESTIR DANS L’AVENIR<br />
Ces dernières années, la Confédération, les cantons et<br />
les communes, mais aussi des initiatives privées et fondations<br />
indépendantes, ont œuvré à l’amélioration des<br />
conditions-cadres du développement des enfants par des<br />
concepts, études et programmes d’encouragement. En 2008,<br />
la Commission suisse de l’Unesco, en collaboration avec divers<br />
partenaires, a commandé une étude de base et un cadre<br />
d’orientation pour l’EAJE (Réseau d’accueil extrafamilial et<br />
Commission suisse de l’Unesco 2016). Elle a en outre soutenu,<br />
pendant des années, les acteurs sur le terrain et a offert des<br />
plateformes de coopération. Mais la nécessité d’agir reste<br />
grande. Si nous ne parvenons pas à instaurer une politique cohérente<br />
aux différents échelons étatiques avec le concours de<br />
la société civile, les mesures prises à ce jour s’apparenteront<br />
à un patchwork dénué d’impact. Cette publication vise une utilité<br />
pratique: elle se veut inspirante et propose des arguments<br />
pour créer les bases légales de l’encouragement de l’EAJE, qui<br />
font défaut à ce jour. Les responsables politiques, à tous les<br />
échelons des parlements et organes exécutifs, bénéficient de<br />
pistes d’action et de justifications concrètes pour la mise en<br />
œuvre d’une politique de la petite enfance. Les représentants<br />
de la société civile disposent ainsi d’un panel de possibilités<br />
pour la mise en œuvre de leurs ressources.<br />
défavorisées en situation de risque (notamment la pauvreté). Le<br />
développement de leurs enfants est potentiellement menacé. Cela<br />
ne signifie pas qu’une déficience doive obligatoirement survenir si<br />
la famille ne prend pas, avec ou sans aide extérieure, les précautions<br />
nécessaires pour créer des conditions cadres propices au développement<br />
de l’enfant.<br />
Voilà le point fort de l’étude Zeppelin associée au programme<br />
PAT: elle touche exactement les familles concernées au sens d’une<br />
prévention sélective, à l’aide des précautions suivantes, visant à<br />
améliorer la qualité de l’accès :<br />
1. Le programme s’appuie sur des structures d’intervention précoce<br />
existantes telles que les maternités, les sages-femmes et les<br />
services de conseil aux mères et pères ;<br />
2. elle crée des réseaux interdisciplinaires, notamment avec des<br />
pédiatres ou travailleurs sociaux ;<br />
3. elle combine des structures intra- et extra-muros, càd. des visites<br />
à domicile avec des réunions de groupe ;<br />
4. elle encourage la participation des familles, ce qui requiert des<br />
efforts particuliers, p.ex. pour initier les premiers contacts ;<br />
5. elle «garde» les familles dans le programme, grâce à des incitations<br />
telles que des petits cadeaux pour l’anniversaire de l’enfant<br />
;<br />
6. enfin, le PAT ne part pas d’une logique de suspicion, mais<br />
cultive une culture de reconnaissance.<br />
Qualité scientifique<br />
Le concept de recherche utilisé par Zeppelin, qui recourt à des<br />
comparaisons de groupes témoins randomisées (RCT : Randomized<br />
Controlled Trial), correspond à la référence absolue de la<br />
mesure scientifique de l’efficacité. Unique en Suisse, l’étude est<br />
également longitudinale, càd. que les mesures ont lieu peu après la<br />
naissance et aux alentours des trois premiers anniversaires des en-<br />
DOSSIER 4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
17<br />
fants. Des examens de suivi sont réalisés au moment de la scolarisation<br />
et du passage au degré secondaire. Avec 250 familles participantes,<br />
Zeppelin est aussi l’une des plus grandes études « RCT »<br />
d’Europe, réalisée dans le domaine de l’encouragement précoce.<br />
Environ la moitié des familles a bénéficié d’un soutien dans le<br />
cadre du PAT, l’autre moitié des habituelles aides pré- et post-natales<br />
disponibles dans les communes (treatment as usual).<br />
Les questions principales de l’étude Zeppelin sont les suivantes:<br />
est-il possible de constater les effets sur le développement de l’enfant?<br />
La compétence éducative des parents augmentera-t-elle? Les<br />
familles parviennent-elles à s’intégrer socialement? La réussite scolaire<br />
des enfants avec PAT est-elle supérieure à celle des enfants<br />
sans programme d’encouragement?<br />
Les résultats des cinq premiers temps de mesure sont aujourd’hui<br />
disponibles (0 à 5 ans) : les réponses aux trois premières<br />
questions sont positives au sens d’une efficacité éprouvée. Quant<br />
à la quatrième question, à savoir si un encouragement précoce<br />
augmente à long terme les chances d’accéder à une formation, la<br />
réponse se présentera en 2021 après analyse des données du premier<br />
suivi (école enfantine à la troisième année primaire – Zeppelin<br />
5-9) puis en 2023/24 après le deuxième suivi (passage au<br />
degré secondaire I – Zeppelin 12-13).<br />
Principaux résultats de 0 à 3 ans<br />
251 familles ont été « recrutées » pour l’étude dans différentes<br />
communes du canton de Zurich présentant un indice social élevé.<br />
Jusqu’au quatrième temps de mesure, soit à l’âge de trois ans,<br />
seules 34 familles étaient sorties de l’étude en raison d’un déménagement,<br />
d’un manque de temps, d’une maladie ou d’un autre motif<br />
non précisé. La réduction de l’échantillon s’élève donc à moins<br />
de 5 % par an et est donc nettement inférieure à celle d’études internationales<br />
comparables.<br />
Les effets les plus notoires peuvent être observés dans le développement<br />
de l’enfant, notamment au niveau de la cognition,<br />
du langage et du comportement. Les enfants encouragés par PAT<br />
présentent des avantages significatifs par rapport aux enfants du<br />
groupe témoin. Ils ont un vocabulaire plus riche et peuvent mieux<br />
s’exprimer. Ils sont moins anxieux et dorment mieux. Des expériences<br />
ont montré que les enfants contrôlent mieux leurs impulsions<br />
avec PAT.<br />
Les études mettent par ailleurs en exergue que ces effets positifs<br />
sont avant tout liés à une meilleure compétence éducative<br />
des parents et plus particulièrement à une meilleure stimulation<br />
dans l’environnement domestique. Après une seule année de<br />
programme d’encouragement, les mères avec PAT font en outre<br />
preuve d’une plus grande sensibilité que celles sans programme<br />
d’encouragement. Diverses autres informations plaident, elles aussi,<br />
en faveur d’une amélioration des compétences éducatives des<br />
parents. Par exemple, le téléviseur est allumé deux fois plus souvent<br />
chez les familles sans PAT. De plus, les parents avec PAT ont<br />
développé un meilleur réseau social. Ils s’intéressent nettement<br />
plus à des services tels qu’une ludothèque ou une bibliothèque que<br />
les familles du groupe témoin. Les mères avec PTA se sentent aussi<br />
mieux soutenues par leur partenaire que celles du groupe témoin.<br />
Suivi: premières tendances observées<br />
Les effets positifs du PAT constatés en fin de programme, soit à<br />
l’âge de trois ans, ressortent à nouveau à l’âge préscolaire au niveau<br />
ENCOURAGEMENT PRÉCOCE : MOTION<br />
DEPOSÉE<br />
Lors de la session d’automne, le Parlement a déposé une motion<br />
du président de la CSIAS, Christoph Eymann. Elle invite le Conseil<br />
fédéral à examiner – avec le soutien de la Confédération – les<br />
modalités d’un soutien linguistique précoce à l’échelle nationale<br />
avant l’entrée à l’école enfantine. Les deux conseils s’accordent<br />
sans conteste sur le fait que le soutien linguistique précoce est<br />
primordial à l’instauration de bonnes conditions de formation<br />
pour les enfants. L’administration dispose à présent de deux ans<br />
pour mettre en œuvre la motion et rédiger un projet de loi. Le<br />
projet de loi de la Commission nationale « Egalité des chances<br />
dès la naissance » est également en bonne voie. Celui-ci exige<br />
que la Confédération s’engage davantage en faveur de l’encouragement<br />
précoce (IH ).<br />
des stimuli d’apprentissage au sein de la famille et des compétences<br />
linguistiques des enfants. Dans d’autres domaines, des valeurs<br />
globalement positives sont constatées pour le groupe d’intervention<br />
(p.ex. un comportement moins problématique). A l’âge de<br />
cinq ans, aucune différence notoire n’est observée au niveau des<br />
compétences mathématiques et de la cognition entre les groupes.<br />
Pour préparer la scolarisation et augmenter le succès de l’apprentissage<br />
en 1 ère et 2 ème année, une nouvelle intervention a été<br />
conçue et initiée pour environ 100 familles. Elle se présente sous<br />
forme de cinq séances de groupe, en collaboration avec l’Office de<br />
la jeunesse et de l’orientation professionnelle (AJB) de la Direction<br />
de l’instruction publique du canton de Zurich. Nous appelons ce<br />
nouvel élément du processus d’encouragement « Lernort Familie<br />
5+ » (La famille, lieu d’apprentissage 5+).<br />
Mise en œuvre et durabilité<br />
A plus long terme, le PAT ne fonctionne qu’avec l’intensité et la<br />
qualité déployées pour l’étude ZEPPELIN, càd. lancement au moment<br />
de la naissance, deux visites à domicile PAT et une réunion<br />
mensuelle avec les parents sur une durée d’au moins deux, si possible<br />
trois ans. L’accompagnement est assuré par des formateurs<br />
spécialisés dans la parentalité, dûment qualifiés et supervisés. Le<br />
défi d’une mise en œuvre globale (scaling-up) est le coût annuel<br />
relativement élevé d’environ CHF 7'000 pour une famille dont<br />
tous les enfants sont âgés de moins de trois ans. Pour une mise en<br />
œuvre avec dix familles dans une commune, il convient d’allouer<br />
environ CHF 200'000 sur toute la durée du programme de trois<br />
ans. En 20<strong>19</strong>, il a néanmoins été possible de transférer le PAT au<br />
sein des structures régulières d’aide à la jeunesse et aux familles<br />
des cantons de Saint-Gall et du Tessin. La mise en place du programme<br />
d’encouragement, dans plusieurs communes du canton<br />
de Zurich, est assurée par l’organisation responsable « zeppelin –<br />
familien startklar » : www.zeppelin-familien.ch. Le projet de recherche<br />
est placé sous le patronage de la Commission suisse pour<br />
l’Unesco. <br />
•<br />
Prof. Dr. Andrea Lanfranchi<br />
Haute école intercantonale de pédagogie curative (HfH),<br />
Zurich<br />
18 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong> DOSSIER
L’encouragement précoce, tâche invisible<br />
de l’aide sociale ?<br />
Les familles bénéficiaires de l’aide sociale échappent souvent au dépistage de l’encouragement<br />
précoce. Telle est la conclusion d’une étude de la Haute école spécialisée de Lucerne et de<br />
l’Université de Graz. Les besoins des familles défavorisées étant trop peu connus, un manque de<br />
soutien spécifique est à déplorer.<br />
Même en Suisse, l’égalité des chances n’est pas encore garantie<br />
pour tous les enfants. On le constate, avant tout, chez les enfants<br />
issus de la migration, de familles défavorisées ou à faible niveau de<br />
formation. Les milieux spécialisés ne contestent pas la nécessité<br />
d’un encouragement précoce. Par ailleurs, le consensus prévaut<br />
que les offres d’encouragement précoce revêtent une grande importance<br />
pour les enfants issus de familles défavorisées et devraient<br />
dès lors leur être accessibles. Cependant, ce sont souvent ceux qui<br />
ont le plus besoin d’un soutien préventif qui passent entre les<br />
mailles du filet.<br />
L’étude «Angebote der Frühen Förderung in Schweizer Städten<br />
AFFIS» (Offres d’encouragement précoce en Suisse) a examiné<br />
l’utilisation et l’utilité des offres d’encouragement précoce du<br />
point de vue des parents, ainsi que l’efficacité de ces offres sur<br />
le long terme. Près de 500 familles de neuf villes et communes<br />
suisses ont été l’objet d’un questionnaire. Sur une période de<br />
deux ans, l’étude de cohorte a permis de recenser la vie d’enfants<br />
âgés de 0 à 5 ans. Des entretiens personnels approfondis ont été<br />
menés, prioritairement avec les mères, parfois aussi avec les deux<br />
parents. Outre l’intégration de parents de la population globale,<br />
l’étude innove en incluant, dans une large mesure, les groupes<br />
dits à risque. L’accès, l’utilité et l’utilisation des offres diffèrent<br />
nettement entre les trois groupes interrogés, dont les conditions<br />
de vie se caractérisent par des ressources et des contraintes spécifiques:<br />
Parents de la population globale : ils possèdent, pour la plupart,<br />
une bonne formation, ont un emploi régulier et peu de problèmes<br />
financiers. Subjectivement, ils signalent un stress élevé dû à la<br />
pression temporelle, à la fatigue ou à l’épuisement.<br />
Parents défavorisés issus de la migration : la majorité ne possède<br />
pas de formation professionnelle et seules 30 % des mères<br />
exercent une activité lucrative hors du foyer. Les problèmes financiers<br />
et le souci de ne pouvoir offrir aux enfants ce dont profitent<br />
les autres constituent, subjectivement, les plus grands fardeaux.<br />
Parents bénéficiaires de l'aide sociale : ils possèdent un niveau<br />
de formation plutôt faible et seules 50 % des mères interrogées<br />
sont actives – la plupart d’entre elles ont un emploi précaire. Subjectivement,<br />
ces parents souffrent, le plus souvent, de problèmes<br />
financiers, de conditions de logement insatisfaisantes et de l’absence<br />
de réseaux sociaux.<br />
Dans l’intérêt du développement des enfants, l’encouragement<br />
précoce prévoit un soutien familial complet sur les plans de<br />
la santé, social et cognitif. Il débute donc bien en amont de l’entrée<br />
dans le système éducatif, autrement dit pendant la grossesse,<br />
l’accouchement et la période post-partum. Ces offres garantissent<br />
une égalité d’accès à toutes les familles, pour autant que les soins<br />
soient dispensés dans le cadre du système médical. Les parents<br />
bénéficiaires de l’aide sociale recourent aux examens prénataux<br />
au même titre que les autres groupes de parents interrogés. Cette<br />
Accès aux offres d’encouragement précoce<br />
Population globale Familles bénéficiaires de l’aide sociale Familles issues de la migration<br />
100 %<br />
90 %<br />
86 % 89 % 89 % 82 % 82 %<br />
80 %<br />
75 %<br />
70 %<br />
64 %<br />
64 %<br />
60 %<br />
57 %<br />
50 %<br />
40 %<br />
35 %<br />
30 %<br />
28 % 29 % 28 %<br />
20 %<br />
8 %<br />
10 %<br />
7 %<br />
4 %<br />
0 %<br />
examens prénataux<br />
Source : AFFIS (20<strong>19</strong>)<br />
Sage-femme à domicile conseil aux mères et pères crèche groupe de jeu programmes de visites à domicile<br />
22 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong> DOSSIER
ENCOURAGEMENT PRÉCOCE<br />
Les groupes de jeu favorisent le développement.<br />
Photo: Palma Fiacco<br />
situation change dès lors que les soins postnataux dispensés par<br />
des sages-femmes à domicile doivent être organisés par les parents<br />
eux-mêmes. Alors que les parents de la population globale et ceux<br />
issus de la migration présentent un accès égal à cette offre, avec un<br />
taux d’utilisation de plus de 80 %, un peu moins des deux tiers des<br />
parents à l’aide sociale recourent aux services d’une sage-femme à<br />
domicile. Or, cet accompagnement ne profiterait pas seulement<br />
aux parents défavorisés, mais revêtirait aussi un caractère préventif:<br />
les soins post-partum contribuent au bien-être, à la sécurité<br />
et à la compétence des parents. Elles ont un fort effet préventif<br />
contre la violence familiale, la dépression post-partum, la réhospitalisation<br />
des mères et des bébés, ainsi que les troubles du développement<br />
précoce. Les offres existent et sont financées par les<br />
caisses-maladie. Cependant, elles ne sont souvent pas connues des<br />
parents défavorisés, ou ceux-ci déclarent n’avoir pas pu profiter de<br />
cette offre ou d’autres (p.ex. conseil aux mères et pères) après la<br />
naissance de leur enfant, en raison de problèmes de santé personnels<br />
ou du bébé*.<br />
Faible accès aux offres éducatives et de prise en charge<br />
Dans la période post-partum, les familles bénéficiaires de l’aide<br />
sociale accèdent plus difficilement aux offres de soutien. Cependant,<br />
la plus forte baisse est constatée au niveau des offres pédagogiques<br />
et de suivi familial. Seule une famille sur cinq ou sur quatre<br />
percevant l’aide sociale a une place dans un groupe de jeu (21 %)<br />
ou une crèche (28 %) pour sa progéniture. Pour les enfants de familles<br />
défavorisées, les crèches (pour autant qu’elles se distinguent<br />
par leur excellente qualité pédagogique et une très bonne clé de<br />
répartition entre les spécialistes qualifiés et les jeunes enfants) ont<br />
un impact positif avéré sur le développement de l’enfant. Elles<br />
exercent un effet équilibrant sur le milieu familial défavorisé et<br />
peuvent assurer l’accompagnement des enfants à l’aide d’offres de<br />
soutien ciblées. Comme l’indiquent les parents dans l’étude, elles<br />
leur apportent aussi une précieuse aide éducative et favorisent les<br />
contacts avec d’autres parents. Ils apprécient les groupes de jeu qui<br />
préparent à l’école enfantine et permettent à leur progéniture de<br />
nouer les premiers contacts sociaux avec leurs camarades. Les<br />
groupes de jeu favorisent d’autant plus le développement s’ils<br />
offrent un encouragement linguistique intégré centré sur l’enfant,<br />
assuré par des spécialistes qualifiés. Il est prouvé que cela profite<br />
non seulement au développement linguistique des enfants de<br />
langue étrangère, mais mais aussi à celui des enfants parlant la<br />
langue locale..<br />
Cependant, les offres éducatives et d’accueil extra-familial ne<br />
sont pas du luxe. En l’absence de ces possibilités, les mères s'organisent,<br />
par leurs propres moyens, font appel à des mamans de jour<br />
non accréditées ou à des formes de prise en charge informelle, qui<br />
sont non seulement moins stimulantes pour les enfants de familles<br />
défavorisées, mais peuvent aussi avoir un effet néfaste. Cette réalité<br />
semble échapper à certains services sociaux. Il n'y a pas d’autre explication<br />
aux réponses données par les mères, qui indiquent dans<br />
l’étude AFFIS qu’elles auraient adoré que leur enfant fréquente un<br />
groupe de jeu, mais que les services sociaux ont rejeté la demande<br />
au motif qu’elles ne travaillent pas hors du foyer et ont suffisamment<br />
de temps pour s’occuper elles-mêmes de leur petit.<br />
Les familles particulièrement vulnérables profitent de programmes<br />
de visites à domicile au cours desquels elles bénéficient<br />
du soutien d’experts qualifiés pour créer de bonnes conditions de<br />
développement pour leur enfant et interagir de manière adéquate<br />
avec lui. Les parents ayant recouru à cette offre l’ont beaucoup appréciée<br />
: « Quelqu'un est là pour s'occuper de tous les membres<br />
de la famille », confie une participante à l’étude. Cela s’explique,<br />
d’une part, par le fait que les programmes de visites à domicile<br />
sont surtout proposés dans les grandes villes et n’existent donc pas<br />
partout. D’autre part, l’affectation des familles à ces programmes<br />
se fait toujours à l’aide d’outils de dépistage qui n’ont pas été<br />
contrôlés quant à leur capacité à identifier les familles les plus<br />
aptes à profiter de ces programmes.<br />
Dans l’ensemble, l’impression prévaut que les familles bénéficiaires<br />
de l’aide sociale échappent encore régulièrement au dépistage<br />
de l’encouragement précoce, que leurs besoins et problèmes<br />
particuliers sont en général méconnus et que, par conséquent, le<br />
soutien spécifique pour ce groupe de parents fait encore largement<br />
défaut.<br />
•<br />
Prof. Dr. Claudia Meier Magistretti & Prof. Dr. Catherine Walter-Laager<br />
Haute école spécialisée de Lucerne – Travail social / Université de Graz<br />
L'étude:<br />
Meier Magistretti, C., Walter-Laager, C., Schraner, M., & Schwarz, J. (20<strong>19</strong>):<br />
Angebote der Frühen Förderung in Schweizer Städten (AFFIS). Kohortenstudie<br />
zur Nutzung und zum Nutzen von Angeboten aus Elternsicht.<br />
www.interact-verlag.ch Neuerscheinungen<br />
Effets durables des programmes<br />
d’intégration<br />
AIDE SOCIALE Quels sont les effets des programmes d’intégration de l’aide sociale sur l’intégration sociale<br />
ou professionnelle des participants? Afin de mesurer l’impact, trois enquêtes ont été réalisées auprès<br />
des personnes concernées entre novembre 2015 et février 2017. La première, au début du programme,<br />
les deux autres, six mois et neuf mois après la fin du programme.<br />
Le but du projet était de déterminer les effets<br />
des programmes d’intégration sur les<br />
participants, ceux-ci ayant pour objectif<br />
l’intégration sociale (IS) et, à moyen terme,<br />
l’insertion professionnelle (IP). Outre les<br />
enquêtes, les résultats ont fait l’objet<br />
d’études qualitatives approfondies au sein<br />
de quatre groupes de discussion avec le<br />
concours des participants aux programmes.<br />
Les résultats de la mesure quantitative de<br />
l’impact ont permis de définir le retour social<br />
sur investissement (Social Return on<br />
Investment, SROI) des programmes d’intégration.<br />
ticipants à l’IP de 13,3. Dans le canton de<br />
Berne, le scénario de référence, pour la sortie<br />
de l’aide sociale, est le taux de sortie<br />
moyen des bénéficiaires de l’aide sociale<br />
âgés entre 18-55 ans, sur la même période<br />
que les participants aux programmes d’intégration.<br />
Dans le cas d’autres facteurs<br />
d’impact forts (hard impact), tels que le<br />
montant des dettes ou le nombre d’entretiens<br />
d’embauche, quelques améliorations<br />
sont constatées pendant la mise en œuvre<br />
du programme. Toutefois, il n’est plus possible<br />
de les identifier neuf mois après la fin<br />
du programme.<br />
Facteurs d’impact doux<br />
Les facteurs d’impact doux (soft impact)<br />
montrent que les changements observés<br />
chez les participants à l’IS sont plus variés<br />
et tendent à être plus importants que ceux<br />
constatés chez les participants à l’IP. Les<br />
participants à l’IS sont plus satisfaits de<br />
leur état de santé pendant la durée du programme<br />
et consultent moins souvent un<br />
Facteurs d’impact forts<br />
L’analyse d’impact montre que le taux de<br />
sortie de l’aide sociale des participants à<br />
l’IS et à l’IP est supérieur aux valeurs de<br />
référence de groupes comparables dans<br />
l’aide sociale qui n’ont pas participé à un<br />
programme d’intégration. Le taux de sortie<br />
des participants à l’IS enregistre une hausse<br />
de 12 points de pourcentage, celui des parmédecin.<br />
En moyenne, ils se lèvent une<br />
heure plus tôt et prennent plus de repas, le<br />
signe d’une routine quotidienne bien<br />
structurée. Les participants à l’IS bénéficient<br />
aussi d’un soutien social accru et de<br />
meilleures perspectives d’avenir à l’issue<br />
du programme. Ils sont également plus<br />
motivés à retrouver un emploi, ce qui se traduit<br />
bien sûr par une meilleure insertion<br />
professionnelle.<br />
Quant aux participants au programme<br />
d’insertion professionnelle, ils ne perçoivent<br />
aucun changement (à moyen<br />
terme) quant à leur état de santé et à leur<br />
satisfaction à l’égard de leur santé. Cependant,<br />
l’analyse d’impact montre qu’en<br />
plus d’une meilleure intégration sociale,<br />
les attentes des participants augmentent<br />
nettement et durablement quant à leur<br />
auto-efficacité, un facteur important dans<br />
le cadre du processus de candidature. Sur<br />
le long terme, les participants à l’IP pratiquent<br />
moins de sport qu’avant leur participation<br />
au programme d’intégration,<br />
Effets des programmes d'intégration à la sortie et 9 mois après (Cohen's d)<br />
Situation professionnelle<br />
et matérielle<br />
0.75<br />
Part. IP (15 mois après début)<br />
Part. IP (6 mois après début)<br />
Ligne zéro<br />
Situation professionnelle<br />
et matérielle<br />
0.75<br />
Part. IS (15 mois après début)<br />
Part. IS (6 mois après début)<br />
Ligne zéro<br />
0.50<br />
0.50<br />
Motivation et perspectives<br />
d'avenir<br />
0.25<br />
0.00<br />
Santé physique<br />
et mentale<br />
Motivation et perspectives<br />
d'avenir<br />
0.25<br />
0.00<br />
Santé physique<br />
et mentale<br />
-0.25<br />
-0.25<br />
-0.50<br />
-0.50<br />
-0.75<br />
-0.75<br />
Compétences clés sur<br />
le marché du travail<br />
Etat de santé et<br />
structure quotidienne<br />
Compétences clés sur<br />
le marché du travail<br />
Etat de santé et<br />
structure quotidienne<br />
Intégration sociale<br />
Intégration sociale<br />
Source : HESB & socialdesign<br />
24 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong>
Tableau : bilan coût-utilité des programmes d'intégration dans l'aide sociale, CHF<br />
ce qui pourrait être lié au temps consacré<br />
au programme et, selon les cas, à l’emploi<br />
occupé ultérieurement. Les participants à<br />
l’IP prennent plus souvent des repas et se<br />
lèvent plus tôt, un effet qui perdure après<br />
le programme. Les participants à l’IP estiment<br />
par ailleurs que leurs perspectives<br />
d’avenir se sont légèrement améliorées.<br />
Retour social sur investissement<br />
(SROI)<br />
L’analyse SROI consiste en une comparaison<br />
des coûts du programme et des bénéfices<br />
pour l’Etat (prestations d’aide sociale<br />
économisées), pour les consommateurs<br />
(achat de produits créés dans le cadre des<br />
programmes d’intégration) et pour les participants<br />
au programme (amélioration de<br />
leur état de santé, intégration sociale, compétences<br />
et motivation, cf. tableau). L’analyse<br />
SROI ne tient pas compte de la hausse<br />
du revenu des participants après une insertion<br />
professionnelle réussie. Les calculs<br />
sont effectués conjointement pour les participants<br />
à l’IS et à l’IP – ils incluent à ce titre<br />
environ un tiers de places d’IS et deux tiers<br />
de places d’IP.<br />
Les avantages des facteurs d’impact<br />
forts se sont traduits sous forme de recettes<br />
en espèces ou ont pu être calculés au moyen<br />
d’un scénario de comparaison à titre d’économies<br />
sur les coûts d’aide sociale octroyée<br />
à des cas d’assistance moyens. Pour sa part,<br />
l’évaluation des avantages des facteurs<br />
d’impact doux a été réalisée via des proxies<br />
(biens ou services alternatifs dont la valeur<br />
est connue et qui présentent une utilité<br />
identique ou comparable). En matière de<br />
santé, le niveau de satisfaction le plus élevé<br />
– après six séances de conseils de santé – a<br />
ainsi été estimé à un prix de CHF 100 par<br />
séance.<br />
En tenant compte des facteurs d’impact<br />
doux, l’analyse SROI montre que les programmes<br />
d’intégration présentent déjà un<br />
bilan coût-utilité de 1:1,7, neuf mois après<br />
leur fin. Le coût du programme s’élève à<br />
CHF 7316 pour un participant avec un<br />
taux d’activité moyen de 59 %. Le calcul<br />
tient compte du fait que <strong>19</strong> % des participants<br />
ont prolongé le programme après<br />
Coût/avantage<br />
Utilité<br />
Facteurs forts (A)<br />
Réduction des dépenses d'aide sociale (cd)<br />
Recettes d'activités du programme (t)<br />
Coûts<br />
Coûts du programme par semestre/place (t)<br />
pour un taux d'activité de 59%, y.c. prolongation<br />
Bilan<br />
Utilité nette (utilité – coût)<br />
Ratio SROI (utilité/coûts)<br />
six mois. Les facteurs d’impact forts représentent<br />
environ les deux cinquièmes de<br />
l’utilité totale. Parmi les facteurs d’impact<br />
doux, les meilleures perspectives d’avenir,<br />
le meilleur soutien social et le respect des<br />
délais revêtent une importance primordiale.<br />
L’analyse SROI établit une distinction<br />
entre les effets temporaires, les effets ponctuels<br />
durables et les effets cumulatifs durables.<br />
Les effets temporaires se produisent<br />
INSTRUMENT DE MESURE<br />
WIME-INT©<br />
La Haute école spécialisée bernoise (HESB) a<br />
réalisé l’étude en collaboration avec la société de<br />
conseil socialdesign ag, ainsi que cinq fournisseurs<br />
de programmes du canton de Berne. Basé<br />
sur les résultats obtenus, un instrument de mesure<br />
de l’impact des programmes d’intégration est<br />
désormais disponible. WiMe-Int© est commercialisé<br />
et utilisé par socialdesign (www.socialdesign.<br />
ch/de/wime-int). Depuis janvier 2018, il sert à<br />
tester l’efficacité des programmes d’intégration<br />
des institutions sociales et des entreprises de la<br />
ville de Zurich.<br />
www.socialdesign.ch, www.bfh.ch/soziale-arbeit<br />
Moment de l'impact<br />
6 mois<br />
réalisation<br />
9 mois<br />
après<br />
1,5 ans<br />
après<br />
1858 4236 9932<br />
396<br />
1462<br />
2494<br />
1742<br />
5603<br />
1806<br />
Facteurs doux (B) 1849 8379 11 102<br />
Satisfaction plus élevée par rapport à la santé (t)<br />
Réduction des visites médicales (t)<br />
Fréquence des repas (v)<br />
Moins de sport (t)<br />
Respect des délais (cd)<br />
Plus de soutien social (cd)<br />
Meilleures perspectives d'avenir (pd)<br />
600<br />
109<br />
438<br />
-131<br />
833<br />
0<br />
0<br />
600<br />
109<br />
438<br />
-131<br />
2071<br />
1485<br />
3808<br />
600<br />
109<br />
438<br />
-131<br />
3309<br />
2970<br />
3808<br />
Total utilité (A + B) 3707 12 615 18 510<br />
10 291<br />
6<strong>04</strong>7<br />
-2341<br />
0,6<br />
10 291<br />
7316<br />
5299<br />
1,7<br />
Source : calculs HESB : effets temporaires (t), effets ponctuels durables (pd), effets<br />
cumulatifs durables (cd)<br />
10 291<br />
7470<br />
11<strong>04</strong>1<br />
2,5<br />
uniquement pendant la durée du programme<br />
(p.ex. réduction des visites médicales,<br />
davantage de repas, moins d’exercice<br />
physique), tandis que les effets ponctuels<br />
durables ne se produisent que neuf mois<br />
après la fin du programme pour disparaître<br />
à nouveau. Dans le cas des effets cumulatifs<br />
durables, nous partons du principe<br />
qu’ils durent par-delà le moment de la troisième<br />
mesure (p.ex. respect des délais, soutien<br />
social) et ce, pendant au moins neuf<br />
mois supplémentaires. Si les avantages<br />
associés sont également pris en compte,<br />
le ratio SROI est de 1 à 2,5 et les coûts<br />
d’aide sociale économisés compensent<br />
déjà, à ce stade, les coûts du programme.<br />
Les programmes d’intégration contribuent<br />
donc non seulement à l’intégration sociale<br />
et à l’insertion professionnelle des bénéficiaires<br />
de l’aide sociale, mais soulagent<br />
aussi les caisses de l’État.<br />
•<br />
Prof. Dr. Tobias Fritschi, Prof. Dr. Peter<br />
Neuenschwander HESB, Travail social<br />
Samuel Wetz, socialdesign ag<br />
4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
25
Des vœux de noël pour les sans abris.<br />
Photos: la Maraude<br />
26 <strong>ZESO</strong> 4/<strong>19</strong>
La Maraude pour les sans abris<br />
à Lausanne<br />
REPORTAGE A la tombée de la nuit, un collectif citoyen parcourt les rues lausannoises pour « aller<br />
vers » les sans-abris. Cette action collective se distingue par une organisation souple ainsi que des<br />
engagements multiples et flexibles.<br />
Depuis maintenant trois ans, un collectif<br />
de citoyennes et citoyens engagés se mobilise<br />
plusieurs fois par semaine pour aller à<br />
la rencontre de personnes précarisées se<br />
trouvant dans les rues lausannoises à la<br />
tombée de la nuit. Nourriture, couvertures,<br />
mais également soutien et réconfort, sont<br />
offerts aux plus démunies et démunis. La<br />
Maraude Lausanne se définit comme « un<br />
groupe de citoyens apolitique et a-religieux<br />
qui agit auprès des sans-abris lausannois<br />
sans distinction de personnes, de statuts,<br />
d’origines, de confessions ».<br />
Entièrement bénévole et sans attache<br />
étatique, cette action citoyenne se démarque<br />
par un mode de fonctionnement<br />
innovant, notamment en utilisant le réseau<br />
social Facebook comme lieu d’organisation,<br />
de régulation et de visibilisation. Une<br />
équipe de recherche de la Haute école de<br />
travail social et de la santé de Lausanne ·<br />
EESP · HES-SO s’est immergée dans le<br />
quotidien de ce collectif par une double<br />
enquête ethnographique, dans la rue et en<br />
ligne, afin d’appréhender son fonctionnement<br />
mais aussi les formes d’engagement<br />
qui s’en dégagent.<br />
WWW.MARAUDELAUSANNE.WORDPRESS.COM<br />
Une souplesse organisationnelle<br />
La pratique de maraude consiste à sillonner<br />
les rues et aller à la rencontre des personnes<br />
précarisées afin de leur apporter<br />
une aide matérielle et un soutien moral.<br />
Forme d’action sociale particulière, cette<br />
pratique guidée par les principes d’inconditionnalité<br />
et du « aller vers » répond aux<br />
modalités de l’intervention de « l’urgence<br />
sociale » telles que décrites notamment par<br />
Daniel Cefaï et Edouard Gardella. Si certaines<br />
grandes villes ont professionnalisé<br />
un tel dispositif, le collectif lausannois se<br />
démarque par son caractère entièrement<br />
bénévole et son organisation novatrice, qui<br />
prend place tant sur la toile que la nuit au<br />
cœur de la ville.<br />
En communiquant sur le réseau social<br />
Facebook, la Maraude Lausanne s’est dotée<br />
d’une capacité d’organisation souple,<br />
réactive et ouvrant à des formes d’engagements<br />
diverses et variées. Ce support offre<br />
la possibilité aux bénévoles de s’inscrire à<br />
l’avance, mais également de réagir la veille<br />
pour participer à une maraude, laissant<br />
ainsi libre cours à un engagement quasiment<br />
spontané, ce qui est fréquemment le<br />
cas. En plus de cette souplesse pour les inscriptions<br />
aux maraudes, l’utilisation de Facebook<br />
octroie la possibilité aux bénévoles<br />
d’échanger facilement et en temps réel, par<br />
exemple sur le déroulement organisationnel<br />
d’une tournée à venir.<br />
Cette action citoyenne se caractérise<br />
ainsi par une réelle plasticité en termes<br />
d’organisation et d’engagement des bénévoles,<br />
sous-tendue par un principe d’inconditionnalité.<br />
Celui-ci, fondateur de<br />
l’activité du groupe, se décline certes dans<br />
l’action déployée en faveur des bénéficiaires,<br />
mais également dans l’engagement<br />
des bénévoles : à l’exception de l’adhésion<br />
à la charte, aucune condition n’est requise<br />
pour devenir bénévole et aucun engagement<br />
minimum n’est exigé. Un citoyen<br />
ou une citoyenne peut s’engager pour<br />
une soirée unique ou plusieurs, pour une<br />
tâche ou une autre, ce qui donne lieu à des<br />
formes et des modalités d’engagement plurielles.<br />
Cette plasticité dans l’engagement<br />
engendre, par ailleurs, une modification<br />
constante du nombre de personnes [4] qui<br />
forment le collectif. Cela influence également<br />
le nombre de tournées réalisées, qui<br />
peut varier d’aucune à sept par semaine.<br />
La saison est aussi un facteur d’influence<br />
important, la mobilisation de bénévoles se<br />
donnant à voir principalement en hiver,<br />
permettant ainsi la réalisation de maraudes<br />
presque quotidiennes.<br />
Réguler l’action sur la toile et dans la<br />
rue<br />
Si cette action citoyenne se démarque par<br />
une faible structure organisationnelle, les<br />
membres du collectif ont, au fil du temps et<br />
de leur expérience, mesuré l’importance de<br />
définir quelques lignes directrices communes,<br />
afin d’assurer le bon déroulement<br />
des maraudes, éviter les conflits entre bénévoles,<br />
et ainsi penser la pérennité de l’action.<br />
Ces dernières se retrouvent dans la <br />
4/<strong>19</strong> <strong>ZESO</strong><br />
27
Cette action collective propose<br />
ainsi une vision et des pratiques de<br />
l’intervention sociale alternatives<br />
et novatrices, qui méritent l’attention<br />
et l’intérêt du champ professionnel.<br />
charte, mais s’incarnent également dans<br />
des rôles-clés qui permettent de structurer<br />
l’action. Deux rôles se démarquent particulièrement<br />
par leur caractère indispensable<br />
au bon fonctionnement du collectif et leur<br />
existence depuis les débuts : le rôle de planificateurs<br />
ou planificatrices et celui de<br />
parrain ou marraine de soirée. Les premières<br />
et premiers, au nombre de cinq actuellement,<br />
pilotent principalement la gestion<br />
des ressources matérielles et humaines,<br />
via Facebook. Quant aux marraines et parrains<br />
de soirée, elles et ils ont la mission de<br />
gérer l’organisation de la soirée pour laquelle<br />
elles et ils endossent ce rôle, et de<br />
veiller à son bon déroulement.<br />
Au-delà de ces quelques principes-clés, le<br />
collectif revendique une régulation souple<br />
laissant place aux initiatives des individus.<br />
Si cela peut être source de créativité, un<br />
malaise se donne toutefois à voir chez certaines<br />
ou certains bénévoles qui ne savent<br />
pas à quels motifs de «discrimination» se<br />
fier. A ce propos, Carole Gayet-Viaud distingue<br />
l’expérience vécue par des passantes<br />
ou passants ordinaires qui sont confrontés<br />
à devoir déterminer « que donner, en fonction<br />
de quoi ? » de l’expérience des professionnelles<br />
et professionnels pour qui<br />
ce dilemme est atténué. Des engagements<br />
visibles et politiques<br />
Malgré le fait qu’il ne se revendique pas<br />
explicitement militant, le collectif met en<br />
exergue les besoins de populations précarisées,<br />
souvent sans toit fixe, et pointe ainsi<br />
les manquements du dispositif institutionnel<br />
existant. Des discours médiatiques à<br />
ceux des citoyennes et citoyens, en passant<br />
par les personnalités politiques et les professionnelles<br />
et professionnels de l’urgence<br />
sociale, le collectif et son action occupent<br />
régulièrement le débat public lausannois.<br />
Sa visibilité dans l’espace public, réel et<br />
virtuel, s’articule ainsi inévitablement avec<br />
une dimension politique.<br />
En effet, en devenant membre de la page<br />
Facebook, les individus montrent curiosité<br />
et/ou intérêt pour la problématique sociale<br />
visée. Même si elles et ils restent passifs ou<br />
passives, les membres de la page attestent,<br />
par leur simple présence, du crédit accordé<br />
au mouvement par la population citoyenne.<br />
En postant des informations sur les thématiques<br />
du sans-abrisme, de la précarité ou<br />
encore de la migration, mais également en<br />
affichant des prises de position politique,<br />
le collectif se fait « entendre » par un large<br />
public. Il expose ainsi des points de vue<br />
sur des problématiques sociales, parfois en<br />
désaccord avec les discours politiques et/<br />
ou professionnels, et soutient de facto la<br />
possible création de modes de pensées et<br />
d’agir alternatifs.<br />
Un collectif en perpétuel mouvement<br />
Par son fonctionnement et ses modes de<br />
régulation ouverts, la Maraude Lausanne<br />
produit non seulement des formes d’engagements<br />
multiples, souples et spontanés,<br />
mais se donne également la possibilité<br />
d’intégrer un environnement en perpétuel<br />
mouvement. Plus encore, c’est sa plasticité,<br />
son adaptation constante à ce qui l’entoure,<br />
qui donne sens à son action et la pérennise<br />
sans pour autant ni la stabiliser ni la figer.<br />
Cette action collective propose ainsi<br />
une vision et des pratiques de l’intervention<br />
sociale alternatives et novatrices, qui<br />
méritent l’attention et l’intérêt du champ<br />
professionnel. <br />
•<br />
Les bénévols de la Maraude offrent aux plus démunis de la nourriture, des couvertures mais<br />
aussi du réconfort.<br />
Charlotte Jeanrenaud, Maëlle Meigniez,<br />
Prof. Dominique Malatesta<br />
Haute école de travail social et de la santé de<br />
Lausanne<br />
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