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Happinez n°47

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ÉVEIL<br />

tout le contraire. Ce que j’ai caché au plus profond<br />

de moi a forgé ma personnalité. Mais cette stratégie<br />

ne marche plus. Garder le contrôle me demande trop<br />

d’énergie. Et puis, je veux vivre.<br />

Pour accepter petit à petit le chagrin, l’analyser et<br />

le ressentir, j’écris des mots de pardon au nom de<br />

mes parents et de mes sœurs, et je me les lis. Des<br />

images de Berna, ma petite sœur morte à 7 ans dans<br />

un accident de la circulation, surgissent dans mes<br />

cauchemars. Je suis toujours à ses côtés. Je veux<br />

l’aider, mais je me fige, mes jambes semblent en<br />

béton… Je me réveille en hurlant.<br />

Dès que je commence<br />

à ressentir quelque<br />

chose, je l’étouffe<br />

dans l’œuf par mes<br />

pensées.<br />

Au bout de quelques mois, une grosse bulle de<br />

chagrin m’enveloppe. Pour la première fois en<br />

quarante ans, je pleure, je fais le deuil de ma sœur.<br />

Mais je pleure aussi sur moi. Sur tout ce qui m’a<br />

manqué lorsque j’étais enfant. Sur mes parents, à<br />

qui je ne pourrai plus jamais raconter que ma sœur<br />

me manque toujours autant. Sur tout ce qui aurait<br />

pu se passer différemment dans ma vie. Je pleure<br />

à n’en plus pouvoir. Mes enfants remarquent ma<br />

peine et viennent me faire des câlins à tout bout de<br />

champ. Un soir, avec mon mari, je leur parle de la<br />

tante qu’ils n’ont jamais connue. « Oh, c’est pour ça<br />

que tu paniques toujours autant quand on traverse<br />

une route avec beaucoup de circulation… » Après<br />

cette conversation, je ressens une pointe de joie.<br />

Quelque part entre les larmes, et sans le chercher, j’ai<br />

réussi à me pardonner. Quelque chose, quelqu’un<br />

ou peut-être moi-même, a ôté la culpabilité de mes<br />

épaules.<br />

Je rends visite à ma sœur aînée à Berlin. Lorsque<br />

nous sommes assises sur le balcon, profitant du<br />

coucher de soleil, je lui demande si elle pense<br />

souvent à Berna. Nous partageons nos souvenirs<br />

et je lui raconte comment, à partir de cette journée<br />

noire, j’ai décidé de ne plus rien ressentir. Je lui dis<br />

que j’avais décidé de me construire une armure et<br />

de tenir à l’écart toute émotion. Elle me regarde<br />

et dans ses yeux, je lis aussi bien du chagrin que<br />

de la joie. « Ma chérie, dit-elle. Je comprends enfin<br />

pourquoi je sens souvent de la distance entre nous.<br />

Viens que je t’embrasse. Et arrête avec ces bêtises. Une<br />

victime, c’est déjà bien suffisant. »<br />

Je fais de nombreux pas dans la bonne direction.<br />

Petit à petit, j’ose indiquer plus clairement<br />

mes limites. Être en colère contre un collègue<br />

et le lui faire remarquer : quelles en sont les<br />

conséquences ? Je me rends alors compte que<br />

cela renforce nos liens. Lorsque je parle de<br />

mes ambitions, je reçois immédiatement une<br />

promotion. Mes meilleurs amis remarquent que<br />

je rayonne. Avant, je ne leur accordais toute mon<br />

attention que dans le but de pouvoir répondre<br />

le mieux possible à leurs attentes. À présent, je<br />

me permets, dans de plus en plus de domaines,<br />

d’agir librement, de penser et de ressentir ce<br />

que je veux. Ça me rend joyeuse et détendue. Je<br />

prends l’habitude de me retirer dans le grenier<br />

plusieurs fois par semaine. J’y ai installé un fauteuil<br />

confortable et j’y fais tout simplement ce qui<br />

me chante. Je lis un livre, j’écoute de la musique,<br />

je vernis mes ongles ou je surfe sur Internet. Je<br />

retrouve enfin ce qui m’a tant manqué :<br />

du temps pour moi, pendant lequel je suis<br />

heureuse d’exister.<br />

Certains événements et noms ont été modifiés<br />

par respect pour la vie privée des personnes<br />

interviewées.<br />

Voulez-vous vous aussi partager votre “Éveil” ?<br />

Envoyez un courriel à redaction@happinez.fr en<br />

indiquant “Éveil” en objet et racontez en 150 mots<br />

maximum quelle prise de conscience ou rencontre, quel<br />

événement ou pas franchi vous a changé durablement.<br />

Si votre témoignage est sélectionné, un membre de la<br />

rédaction vous interviewera pour recueillir l’histoire<br />

complète.<br />

happinez | 85

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