The Red Bulletin Decembre 2020 (FR)
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<strong>FR</strong>ANCE<br />
DÉCEMBRE <strong>2020</strong><br />
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MATTHIAS DANDOIS<br />
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le VTT et le BMX<br />
THE OLD WORLD<br />
Quand la crème du vélo européen passe<br />
en mode cinématographique
MOURIR PEUT ATTENDRE, et autres logos associés à James Bond © 1962-<strong>2020</strong> Danjaq, LLC et MGM.<br />
MOURIR PEUT ATTENDRE, et autres logos marques associés associées à James à James Bond Bond © 1962-<strong>2020</strong> sont la propriété Danjaq, de LLC Danjaq. et MGM. Tous droits réservés<br />
MOURIR PEUT ATTENDRE, et autres marques associées à James Bond sont la propriété de Danjaq. Tous droits réservés
Éditorial<br />
LE PLUS VIEUX<br />
SPOT DU MONDE<br />
Des endroits et du riding de fou au bout du<br />
monde. C’est ce que proposent les meilleures<br />
vidéos dédiées aux sports d’action. Concernant le<br />
VTT, c’est généralement en Colombie-Britannique<br />
ou aux USA qu’on tourne. Cette fois, c’est en<br />
Europe, sur le « vieux » continent, que ça se passe,<br />
en Espagne, en Pologne, ou encore à Paris. Et ça<br />
va faire mal aux yeux.<br />
Malgré la pandémie, les riders blessés et le<br />
matos qui part en sucette, trois frères allemands,<br />
les Tillmann, ont achevé leur plus beau projet à<br />
date : un film de vélo tourné en Europe, avec les<br />
top pilotes européens. Dont deux Français : le<br />
coriace Vincent Tupin, un spécialiste du VTT<br />
freeride, et l’épatant Matthias Dandois, multiple<br />
champion du monde de BMX flatland.<br />
Cette union européenne qui roule sortira sur<br />
<strong>Red</strong> Bull TV sous le nom de <strong>The</strong> Old World. Nous<br />
dédions douze pages à ce film d’anthologie qui<br />
vient clôturer cette année de m**de en beauté.<br />
CONTRIBUTEURS<br />
NOS ÉQUIPIERS<br />
ALEX KING<br />
Le journaliste et documentariste<br />
britannique s’est installé<br />
à Athènes en 2017. Il y a rencontré<br />
une clique de roller<br />
girls, Chicks in Bowls, qui a<br />
fait l’objet d’un court- métrage<br />
et d’un reportage dans ce<br />
numéro. « Je voulais montrer<br />
Athènes d’une manière que<br />
les étrangers n’avaient jamais<br />
vue auparavant, dit King. Le<br />
résultat, c’est grâce aux filles.<br />
Elles ont vraiment poussé fort<br />
et ont tout donné ! »<br />
Page 58<br />
JULIAN MITTELSTAEDT(COUVERTURE), OSSI PIISPANEN, JULIAN MITTELSTAEDT<br />
Belle lecture !<br />
Votre Rédaction<br />
Ceci est le tournage d’un super film sur le vélo : dans<br />
<strong>The</strong> Old World, les top riders européens transforment<br />
le vieux continent en spot géant de VTT et de BMX.<br />
MARK BAILEY<br />
En tant que journaliste indépendant,<br />
Bailey a rencontré<br />
des alpinistes, des astronautes<br />
et des explorateurs<br />
polaires, mais pour ce numéro<br />
il a traqué ceux qui s’aventurent<br />
au centre de la Terre<br />
pour la science et des frissons<br />
d’un autre genre. « Il y a<br />
un monde extraordinaire sous<br />
nos pieds, que nous connaissons<br />
à peine, dit-il. Ces aventuriers<br />
sans peur amènent<br />
la lumière dans un monde<br />
souterrain. » Page 48<br />
THE RED BULLETIN 3
CONTENUS<br />
décembre <strong>2020</strong><br />
22<br />
<strong>The</strong> Old World : le<br />
top des riders vélo<br />
européens dans un<br />
film d’anthologie.<br />
6 Galerie : le sport comme vous<br />
ne le voyez jamais...<br />
12 L’une des plus grosses collec’<br />
de mags de skate en accès libre<br />
14 La photographe Magali Chesnel<br />
a fait de son vertige un art<br />
16 Le rappeur Benny <strong>The</strong> Butcher<br />
désosse ses classiques du rap<br />
18 Un simulateur de vol tranquille<br />
20 Comment Vinsky est passé de<br />
Fifa à Ronaldo et à manager<br />
d’une équipe de football<br />
amateur<br />
22 Tous ensemble<br />
Le vélo d’action européen à<br />
l’honneur d’un blockbuster :<br />
<strong>The</strong> Old World.<br />
34 Stefflon Don<br />
Comment la MC anglaise passée<br />
par les Pays-Bas veut élever le<br />
niveau du rap game. Vraiment.<br />
40 Besoin de personne<br />
Ce que la Française Mélusine<br />
Mallender a appris, seule sur sa<br />
moto à travers le monde. Avec la<br />
liberté pour GPS.<br />
48 Le sens du dessous<br />
Sous la surface terrestre, ces<br />
scientifiques spéléologues lisent<br />
l’avenir… et le passé.<br />
58 En roues libres<br />
Comment des filles en roller<br />
d’Athènes se bougent pour leur<br />
espace vital et du respect.<br />
66 L’eau sacrée<br />
Avec la communauté Navajo<br />
aux États-Unis pour vivre l’un de<br />
ses combats les plus acharnés :<br />
l’accès à l’eau.<br />
4 THE RED BULLETIN
48<br />
Là, sous nos pieds :<br />
ils explorent un monde<br />
où l’homme a la capacité<br />
de remonter dans<br />
le temps.<br />
JULIAN MITTELSTAEDT, ROBBIE SHONE, SALIM ADAM<br />
Stefflon Don : la baronne du rap anglais n’a pas sa langue dans sa poche.<br />
34<br />
79 Voyage : les vertus du kayak<br />
de mer en Écosse<br />
84 Gaming : manettes mania<br />
87 Gaming : la recette Min-Liang<br />
88 <strong>Red</strong> Bull TV : plein écran<br />
90 Montres : le temps fort<br />
96 Ils et elles font <strong>The</strong> <strong>Red</strong> <strong>Bulletin</strong><br />
98 Instant magique : phare ouest<br />
THE RED BULLETIN 5
<strong>FR</strong>ODE SANDBECH/RED BULL CONTENT POOL<br />
LOFOTEN, NORVÈGE<br />
Du haut<br />
niveau<br />
Quel sport vous vient immédiatement à l’esprit<br />
en voyant cette image ? C’est exact : le beachvolley.<br />
Les médaillés du championnat du monde<br />
Anders Mol et Christian Sørum – chacun sur un<br />
sommet – ont décidé le mois dernier qu’il n’y<br />
avait pas de meilleur endroit pour un entraînement<br />
d’avant-match que les Lofoten, dans leur<br />
Norvège natale. Le pilier de granit de 150 mètres<br />
de haut connu sous le nom de Svolværgeita<br />
(trad. la chèvre) et l’archipel environnant, qui se<br />
trouve à l’intérieur du cercle polaire, offrent un<br />
cadre spectaculaire pour cette photo, réalisée<br />
par leur compatriote Petter Foshaug.<br />
petterfoshaug.com<br />
7
RUSSELL ORD<br />
TEAHUPOO, TAHITI,<br />
POLYNÉSIE <strong>FR</strong>ANÇAISE<br />
Aquaman<br />
Quand l’un des meilleurs photographes<br />
de surf au monde fait équipe avec l’un<br />
des jeunes surfeurs les plus chauds de<br />
Tahiti, la magie opère. C’est lors d’un<br />
workshop à Teahupoo l’an dernier que<br />
l’Australien Russell Ord a pris cette<br />
photo du surfeur local Matahi Drollet<br />
dans un tube parfait. Drollet, qui a<br />
maintenant 23 ans, n’en avait que huit<br />
lorsqu’il a surfé la vague notoirement<br />
coriace de Teahupoo la première fois…<br />
russellordphoto.com<br />
9
CRANS-MONTANA, SUISSE<br />
L’emmuré<br />
Certains enfants ont un coin d’herbe boueuse<br />
ou un jardin à la maison pour se défouler ;<br />
pour d’autres, il faut se rendre au parc du coin.<br />
Nicolas Vuignier et son frère Anthony, autoproclamés<br />
« broyeurs professionnels d’étendues<br />
gelées », avaient en revanche le luxe de disposer<br />
à leur porte de la station de ski de Crans-<br />
Montana, dans les Alpes suisses. Ici, nous<br />
voyons le freeskieur sur son propre terrain<br />
(ou plutôt, sur le rocher) à l’âge adulte, shooté<br />
par le photographe genevois Dom Daher. Sur<br />
Instagram, Nicolas décrit modestement cette<br />
image extraordinaire comme une « séance de<br />
photos de wallride pluvieux ». Qui aurait cru<br />
que défier la gravité pourrait devenir si banal ?<br />
domdaher.com<br />
DOM DAHER
11
MÉMOIRE DU SKATE<br />
Mags à l’âme<br />
En fan de skateboard, Kevin Marks possède la plus grosse collection de<br />
magazines dédiés à cette scène, et il la partage avec les passionnés.<br />
Chez Kevin Marks, à San Diego,<br />
en Californie, se trouve la plus<br />
grande collection de revues de<br />
skateboard au monde. Son<br />
énorme bibliothèque s’étend<br />
sur plusieurs pièces, du sol au<br />
plafond, avec des numéros<br />
classés minutieusement par<br />
titre, date et pays de publication,<br />
allant des premiers zines<br />
indépendants au Thrasher du<br />
mois dernier.<br />
Cette collection est plus<br />
qu’un simple passe-temps :<br />
Marks a pour mission de trouver<br />
et de partager avec les<br />
skateurs du monde entier tous<br />
les magazines de skate de<br />
l’Histoire, afin de préserver un<br />
Marks et sa collec’ : « Celui-là, c’est un mag de… skate. »<br />
héritage imprimé de la scène.<br />
En <strong>2020</strong>, le skateboard vit en<br />
ligne. Avec des millions d’édits<br />
sur YouTube et des canaux de<br />
médias sociaux dédiés, quiconque<br />
cherche à s’immerger<br />
dans la culture du skate n’a qu’à<br />
se tourner vers son téléphone.<br />
Mais dans les années 80,<br />
c’était une autre histoire. « Mon<br />
amour des magazines de skate<br />
est né du fait que j’ai grandi<br />
en faisant du skateboard au<br />
milieu du Kansas, dit Marks.<br />
Je me sentais très loin de la<br />
culture, alors quand j’ai trouvé<br />
les publications américaines<br />
Thrasher et Transworld<br />
Skateboarding et que je m’y<br />
suis abonné, ils sont devenus<br />
ma bouée de sauvetage. »<br />
En 2015, après trente ans à<br />
constituer sa collection, Kevin<br />
lance Look Back Library, une<br />
archive publique pour les fans<br />
de skate. « L’idée n’était pas de<br />
consulter les magazines chez<br />
moi, explique Marks, qui a travaillé<br />
pour une organisation<br />
à but non lucratif promouvant<br />
le skate dans le Colorado, et qui<br />
a également chanté et joué de<br />
la guitare dans des groupes<br />
punk et metal. Il s’agissait de<br />
constituer de petites collections<br />
et de les transporter dans<br />
des endroits où ils peuvent être<br />
lus, comme les skate-shops,<br />
les skateparks indoor et les<br />
associations liées au skate. »<br />
Look Back Library est<br />
devenu une communauté<br />
tentaculaire de bibliothèques<br />
et d’expositions dans tous les<br />
USA. Au cours de ses voyages<br />
en van à travers le pays, Marks<br />
a collecté des milliers de<br />
magazines, et a mis en place<br />
de nombreuses expos et du<br />
libre accès dans les skateparks<br />
et les skate-shops, tant temporaires<br />
que de longue durée.<br />
« J’ai quitté San Diego en<br />
avril 2019, pensant que j’allais<br />
monter quatre bibliothèques,<br />
mais j’ai fini par en créer une<br />
trentaine en six mois, dit-il.<br />
Cela m’a donné la chance de<br />
me dédier à quelque chose que<br />
j’adore, avec des skateurs. »<br />
lookbacklibrary.org<br />
JEF<strong>FR</strong>EY HALLERAN LOU BOYD<br />
12 THE RED BULLETIN
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1<br />
MAGALI CHESNEL<br />
La force de<br />
l’illusion<br />
Cette artiste peintre s’est tournée vers la photographie<br />
aérienne en autodidacte, malgré son vertige. En<br />
quelques mois seulement, ses œuvres sont primées.<br />
La Française Magali Chesnel,<br />
45 ans, entraîne ceux qui la<br />
suivent à la frontière entre<br />
microcosme et macrocosme.<br />
Quatre ans plus tôt, elle-même<br />
portée par la curiosité et son<br />
intuition, elle se surprend à surmonter<br />
sa peur du vide en prenant<br />
place à bord d’un ULM,<br />
appareil photo en main. « J’arrivais<br />
depuis la terre à me dire<br />
que ça devait être hyper graphique<br />
vu d’en haut, avec ces<br />
grandes parcelles géométriques.<br />
J’aime tout ce qui est<br />
carré, propre. »<br />
L’expérience la récompense<br />
au-delà de ses attentes : les<br />
couleurs des marais salants<br />
au sol, en Camargue où elle<br />
passe ses vacances, prennent<br />
une ampleur extraordinaire<br />
à 400 mètres d’altitude. « En<br />
Magali Chesnel maîtrise l’art de<br />
sublimer la peur du vide.<br />
découvrant le monde selon une<br />
autre perspective, j’ai appris<br />
à dépasser mes limites et à<br />
suivre mon instinct. » Depuis,<br />
les salins sont devenus le sujet<br />
de prédilection de l’artiste.<br />
Elle transforme une scène de<br />
récolte de sel avec tracteur, peu<br />
glamour à hauteur d’homme,<br />
en un sublime paysage abstrait<br />
aux couleurs exceptionnelles.<br />
« En avion ou en ULM, j’ai le<br />
cordon de l’appareil photo, un<br />
Nikon D500, autour du cou,<br />
seule la ceinture de sécurité<br />
me retient. Le pilote est devant<br />
moi. Je mets ma tête et l’appareil<br />
face au sol, et je mitraille. »<br />
En gommant les échelles,<br />
elle brouille les pistes de l’illusion<br />
et de la réalité, de la peinture<br />
et de la photographie,<br />
et joue avec les perceptions.<br />
Ses photos de paysages vus<br />
du ciel (clin d’œil à Yann Arthus-<br />
Bertrand), qu’elle qualifie de<br />
painting-like, ressemblent,<br />
de près comme de loin, à des<br />
tableaux abstraits aux larges<br />
aplats de couleurs, minutieusement<br />
structurés en lignes,<br />
carrés et rectangles.<br />
Certains voient dans son<br />
travail une source de sérénité ;<br />
Magali Chesnel y ajoute une<br />
dimension « thérapeutique,<br />
relaxante, toujours gratifiante ».<br />
Pour elle, la photographie<br />
aérienne a quelque chose de<br />
« complètement électrisant ».<br />
Notamment lors des premières<br />
3<br />
5<br />
4<br />
14 THE RED BULLETIN
2<br />
6 7<br />
1 Painting-Like. L’une des photos<br />
favorites de l’artiste. Aigues-Mortes,<br />
Camargue, juillet 2017.<br />
2 Flamants roses en vol, mention<br />
honorable aux International Color<br />
Awards <strong>2020</strong>. Sète, sept. 2019.<br />
3 Pantone Vert. Marais salants<br />
de Guérande, juin 2019.<br />
4 Visite du Salin de Gruissan.<br />
Sa couleur rose/orangée vient de<br />
la Dunaliella Salina, une micro algue.<br />
Juillet <strong>2020</strong>.<br />
5 Mouette volant au-dessus d’une<br />
station d’épuration aux verts profonds.<br />
Camargue, juillet <strong>2020</strong>.<br />
6 Bassin naturel d’ostréiculture<br />
à Guérande, juin 2019.<br />
7 Récolte du sel de déneigement<br />
à Gruissan. International Photograph<br />
of the Year 2019 : 1 er prix. Sept. 2019.<br />
MAGALI CHESNEL, AUGUSTE WENGER/AÉRODROME D’ANNEMASSE<br />
CHRISTINE VITEL<br />
minutes de vol, où elle se<br />
concentre sur sa respiration et<br />
se coache pour ne pas succomber<br />
à l’angoisse du vertige. Puis<br />
lâche prise, car le temps est<br />
compté : 45 minutes pour réaliser<br />
des centaines de photos<br />
parmi lesquelles une dizaine<br />
sortiront du lot. « C’est une sensation<br />
très grisante. Je ne sais<br />
plus où donner de la tête tant<br />
je suis en alerte. Mes yeux sont<br />
de véritables radars. Il faut aller<br />
là-bas ! Je regarde devant, à<br />
droite, à gauche… Je scanne<br />
tout. J’essaie de ne pas perdre<br />
une seule miette de ces paysages<br />
à l’état brut. »<br />
Si Magali Chesnel sait<br />
concrétiser ses rêves, elle a<br />
aussi vu ses pires cauchemars<br />
devenir réalité : dernièrement,<br />
elle s’est fait voler tout son<br />
matériel photo. Elle se dit « chat<br />
noir », on pense ironie de la vie.<br />
Comme en 2017, quand elle<br />
se rend aux prestigieuses Rencontres<br />
de la Photographie à<br />
Arles, et qu’un accident de la<br />
route, dont elle est victime, la<br />
cloue au sol pendant deux ans.<br />
Mais au lieu de se laisser sombrer<br />
dans la mélancolie, la<br />
photographe investit dans un<br />
drone et déploie un nouveau<br />
champ des possibles dans son<br />
art, en attendant de pouvoir<br />
décoller à nouveau. « J’espère<br />
que mon travail incitera toutes<br />
celles et ceux qui aspirent à se<br />
dépasser. »<br />
Suite à cet accident, Magali<br />
Chesnel a remporté de nombreux<br />
concours, lui valant des<br />
expositions au niveau international.<br />
Exploiter son mental de<br />
manière positive, pour rebondir<br />
malgré l’adversité ou affronter<br />
ses peurs, donne toujours<br />
accès à des tickets pour de<br />
nouvelles aventures… quand<br />
on ose déployer ses ailes !<br />
Exposition à Gruissan jusqu’au<br />
5 déc. ; magalichesnel.com<br />
THE RED BULLETIN 15
BENNY THE BUTCHER<br />
Made in<br />
New York<br />
Le rappeur new-yorkais et<br />
membre du collectif hip-hop<br />
Griselda partage quatre classiques<br />
de la Grosse Pomme<br />
qui ont façonné sa carrière.<br />
Le hip-hop new-yorkais connaît<br />
une renaissance, et parmi ceux<br />
qui mènent la charge se trouve le<br />
rappeur Jeremie Pennick, 35 ans,<br />
alias Benny the Butcher. Benny et<br />
son collectif hip-hop Griselda, formé<br />
à Buffalo, New-York, en 2012, ont<br />
repris le flambeau des Wu-Tang Clan<br />
et Mobb Deep dans les années 90,<br />
en offrant leur propre interprétation<br />
du son hardcore de la côte est.<br />
En 2017, Eminem a signé Griselda<br />
sur son label Shady Records, et<br />
l’année dernière, Benny a signé un<br />
contrat avec l’agence de management<br />
de Jay-Z, Roc Nation. Avec<br />
plus de quinze ans d’expérience,<br />
il est temps pour Benny de briller.<br />
Ici, il rend hommage à certains des<br />
morceaux qui l’ont aidé à y parvenir.<br />
Dispo : Benny <strong>The</strong> Butcher & DJ<br />
Drama Presents: Gangsta Grillz X<br />
BSF Da Respected Sopranos ;<br />
blacksopranofamily.com<br />
Marley Marl feat<br />
Masta Ace, Craig G, Kool<br />
G Rap & Big Daddy Kane<br />
<strong>The</strong> Symphony (1988)<br />
« Mon père était l’un des plus<br />
grands fans de hip-hop au<br />
monde. Il écoutait tout, et j’ai<br />
pu tout savourer depuis le siège<br />
arrière de sa voiture. Dont ce<br />
morceau. Ce clavier que Marley<br />
Marl a pris à Otis <strong>Red</strong>ding était<br />
ouf, et la façon dont Kool G Rap<br />
fait rimer ses mots est folle.<br />
Monumental ! »<br />
<strong>The</strong> Notorious B.I.G.<br />
Juicy (1994)<br />
« Juicy a été un grand moment<br />
pour New York. Il est sorti à un<br />
moment où la côte ouest avait<br />
le jeu en main, donc nous<br />
étions heureux d’avoir un tel<br />
track. J’étais gosse, et chaque<br />
fois qu’il passait à la radio,<br />
tout le monde avait la banane.<br />
Ce n’est pas juste l’un des plus<br />
grands hymnes de New York,<br />
c’est aussi l’un des plus grands<br />
hymnes hip-hop, point final. »<br />
Nas feat Lauryn Hill<br />
If I Ruled <strong>The</strong> World (Imagine<br />
That) (1996)<br />
« Nas et Lauryn sur le même<br />
titre, c’était unique. Ça n’aurait<br />
pas été pareil sans eux. C’était<br />
tellement New York – la vidéo<br />
a été tournée à Times Square –<br />
et pourtant ce titre avait un<br />
attrait universel indéniable.<br />
Il a fini par être une référence<br />
pour tant d’artistes qui voulaient<br />
recréer cette même<br />
vibe pour les années à venir. »<br />
Puff Daddy & <strong>The</strong> Family<br />
It’s All About <strong>The</strong> Benjamins<br />
(1997)<br />
« La première fois que j’ai entendu<br />
ce truc, j’ai trouvé son<br />
beat incroyable. Puis ce couplet<br />
de Sheek (du groupe <strong>The</strong> LOX,<br />
ndlr) m’a retourné : “J’essaie<br />
simplement de me débarrasser<br />
de ces Picasso de taille colossale…”<br />
Trop fort ! Puff est tellement<br />
doué pour rassembler<br />
les gens ; ce truc a clairement<br />
influencé Griselda. »<br />
WILL LAVIN<br />
16 THE RED BULLETIN
L’A BUS D’A LCOOL EST DANGEREUX POUR L A S A NTÉ. À CONSOMMER AV EC MODÉR ATION.
Vol virtuel. Bonne nouvelle : il y a des dessins animés. Mauvaise nouvelle : voilà votre repas.<br />
EN MODE AVION<br />
Voler sans voler<br />
Préparez-vous au décollage avec un nouveau<br />
genre de simulateur de vol. Pas d’atterrissage<br />
périlleux à réaliser ou d’avions ennemis à abattre,<br />
mais ça risque de taper dans votre siège.<br />
L’avion inspire le monde du jeu<br />
vidéo depuis des décennies,<br />
avec des titres qui mettent<br />
généralement le joueur dans<br />
un cockpit pour voir comment<br />
il se comporte sous pression.<br />
Le développeur de jeux<br />
Hosni Auji (à droite) va à<br />
contre-pied avec son projet<br />
Airplane Mode (trad. en mode<br />
avion). Dans le jeu unique de ce<br />
New-Yorkais, vous ne contrôlez<br />
rien de l’action mais jouez plutôt<br />
le rôle passif d’un passager<br />
de tous les jours sur un vol<br />
long-courrier en temps réel.<br />
Airplane Mode place le<br />
joueur dans un siège de classe<br />
économique sur un vol de six<br />
heures de l’aéroport JFK de<br />
New York à Reykjavík, en<br />
Islande, ou sur un vol plus<br />
court de deux heures et demie<br />
vers Halifax, au Canada. Il n’y<br />
a pas deux vols identiques, et<br />
la seule certitude est que la<br />
banalité du jeu correspondra<br />
à la réalité qu’il imite. Des<br />
bébés peuvent pleurer, des<br />
turbulences peuvent survenir<br />
et le Wi-Fi va très probablement<br />
lâcher ; il faut recharger<br />
son smartphone, lancer des<br />
films et lire des magazines.<br />
De la nourriture et du vin sont<br />
servis à bord, et le suivi de vol<br />
sur l’écran devant vous indique<br />
la distance parcourue.<br />
« Ce que j’ai trouvé intéressant<br />
au début du processus,<br />
c’est que tout le monde semblait<br />
avoir une forte opinion<br />
sur l’avion, plus que sur toute<br />
autre forme de voyage, dit<br />
Auji, originaire de Beyrouth,<br />
au Liban. À un certain niveau,<br />
tout ce qui concerne l’avion<br />
n’est pas naturel. En tant<br />
qu’espèce, notre envie de voler<br />
a dépassé nos limites évolutives.<br />
Que nous volions tout<br />
court, c’est de la folie ; que<br />
nous volions en sirotant à<br />
contrecœur du vin sur des<br />
sièges inclinables est manifestement<br />
absurde. En mettant<br />
les joueurs dans la position<br />
où ils sont confrontés au vol –<br />
non pas comme ils sont habitués<br />
à le voir dans les jeux mais<br />
plutôt comme ils le voient dans<br />
la vie – nous espérons capturer<br />
un peu de cette absurdité. »<br />
À une époque où les déplacements<br />
sont limités, il a pu<br />
être surprenant de constater<br />
à quel point nous avions envie<br />
non seulement de visiter des<br />
destinations, mais aussi de<br />
revivre le processus pour y<br />
arriver. Le jeu d’Auji questionne<br />
notre envie pour cette nécessité<br />
fastidieuse et souvent<br />
tortueuse. « Les vols apparaissant<br />
désormais comme nostalgiques,<br />
notre intention est<br />
d’offrir aux joueurs une expérience<br />
de jeu unique. »<br />
Pour que les joueurs soient<br />
vraiment immergés dans la<br />
simulation, il n’y a pas de possibilité<br />
de faire une pause et de<br />
revenir plus tard. « Nous avons<br />
décidé que le joueur devait<br />
effectuer le vol en une seule<br />
séance car le jeu ne sauvegarde<br />
pas votre progression en<br />
milieu de vol. Mais vous obtiendrez<br />
des miles aériens une fois<br />
que vous aurez atterri. »<br />
Peut-être qu’un jour, nous<br />
pourrons jouer à ce jeu durant<br />
un vrai vol.<br />
playairplanemode.com<br />
AMC GAMES LOU BOYD<br />
18 THE RED BULLETIN
« Un club de foot,<br />
ça ne se prend pas<br />
à la légère, c’est<br />
presque un projet<br />
de vie. »<br />
20 THE RED BULLETIN
RAPHAEL SCELLIER SMAEL BOUAICI<br />
VINSKY<br />
Step by step<br />
Il y a dix ans, il gérait ses équipes sur le jeu vidéo FIFA. Aujourd’hui, il est<br />
manager d’un club amateur. Avec la plus grosse communauté football<br />
francophone sur YouTube (1,23 million d’abonnés), Vincent Maduro, ou<br />
Vinsky, n’a pas de secret : il prend les matches les uns après les autres.<br />
La vie de Vinsky est comme un grand<br />
escalier, qu’il a construit marche<br />
après marche. Star de YouTube et<br />
aujourd’hui manager du club amateur<br />
le plus connu de France, Vincent<br />
Maduro a toujours fourmillé d’idées.<br />
Et les a concrétisées. « J’ai toujours eu<br />
la fibre créative et entrepreneuriale,<br />
explique-t-il. Je ne savais pas quelle<br />
forme ça allait prendre, mais au fond<br />
de moi, je savais que j’allais créer<br />
mon propre projet. » Ou plutôt ses<br />
propres projets, tant il en a enchaînés<br />
depuis une décennie. En 2010, à<br />
19 ans, son pseudo, Vinsky, émerge<br />
sur la toile avec son site de compétition<br />
pour le plus fameux des jeux de<br />
foot, FIFA. À l’époque, il est en école<br />
d’ingénieurs du côté de Troyes,<br />
une formation qui lui apporte une<br />
« rigueur de travail et une logique »<br />
dont il a toujours l’utilité. Deux ans<br />
plus tard, il lance une chaîne You-<br />
Tube à son nom, avec l’ambition de<br />
« libérer les geeks » sur le carré vert.<br />
« J’adore surprendre et casser les<br />
codes. Je voulais montrer qu’on<br />
Un club de foot IRL<br />
Vinsky pousse le foot amateur avec le Vinsky FC,<br />
équipe de Buchelay évoluant en Ligue de Paris Île de<br />
France. À l’aube de sa 4 e saison (après une montée<br />
en 5 e division), le capitaine Vinsky a changé de rôle,<br />
et devient manager. Après avoir tenté de gérer seul<br />
sponsors, entraînements et matches, il s’est autorisé<br />
à déléguer, à une présidente, et a recruté un préparateur<br />
physique et un coach. L’objectif : une montée<br />
chaque saison. « Que puis-je apporter à ces<br />
joueurs qui pourraient évoluer au niveau régional ?,<br />
dit Vincent. On doit les faire progresser avec des<br />
vrais entraînements, pas des crossbar challenges. »<br />
pouvait aimer jouer aux jeux vidéo et<br />
être fort en sport. » Comme toujours,<br />
Vinsky fait les choses sans se presser.<br />
« Je vais d’objectif en objectif. Je<br />
me suis d’abord demandé comment<br />
augmenter ma communauté, puis<br />
le nombre de vues, etc. Et à chaque<br />
étape, de nouvelles opportunités<br />
s’ouvrent. Je ne suis pas un youtubeur<br />
qui a explosé en deux ans. C’est<br />
un projet sur le long terme, auquel<br />
j’essaye de donner du sens. »<br />
Ce positionnement d’amateur<br />
éclairé attire le public et bientôt les<br />
marques, qui lui proposent de rencontrer<br />
des joueurs et joueuses professionnel(le)s.<br />
Vinsky installe alors<br />
son personnage de grand ado qui<br />
s’amuse autour d’un ballon avec ses<br />
idoles. Un vrai plaisir, qu’il fait vivre<br />
par procuration à sa communauté.<br />
« L’une des clés pour devenir youtubeur,<br />
c’est de produire un sentiment<br />
d’identification. Je n’ai jamais proclamé<br />
être fort au foot. Au contraire,<br />
même si je fais un peu de freestyle,<br />
je suis un joueur assez lambda qui<br />
rencontre des pros et mon public vit<br />
à travers moi une espèce de rêve. »<br />
Face à Cristiano Ronaldo, Didier<br />
Drogba, Florian Thauvin, Sergio<br />
Ramos ou Eugénie Le Sommer,<br />
Vinsky enchaîne crossbar challenges<br />
(jeu dont le but est de taper la barre<br />
transversale), concours de tirs et un<br />
contre un. « C’est intéressant de montrer<br />
qu’un amateur peut rivaliser avec<br />
des pros sur des jeux de précision.<br />
En un contre un, Thauvin me met à<br />
l’amende mais je peux le battre au<br />
crossbar. Ça rappelle que les pros<br />
aussi sont des êtres humains. »<br />
Après deux ans de vidéos avec des<br />
footballeurs, Vinsky se pique d’un<br />
nouveau projet, bien plus ambitieux :<br />
sortir de YouTube pour monter un<br />
vrai club de football. Il lance en 2017<br />
le Vinsky FC, une équipe composée<br />
de copains (voir encadré). Au bout<br />
de deux saisons de matches amicaux,<br />
il l’inscrit à la Fédération française<br />
de football. « Au début, c’était une<br />
histoire très digitale. Mais on était<br />
arrivés à un tournant : c’était bien de<br />
jouer contre des youtubeurs, mais les<br />
gens avaient besoin de savoir où je<br />
voulais aller. Il fallait devenir un vrai<br />
club de foot. Ce n’est pas un choix<br />
que j’ai fait à la légère. Un club, il faut<br />
des années pour avoir des résultats,<br />
c’est presque un projet de vie. »<br />
Aujourd’hui, Vincent partage son<br />
emploi du temps entre le club et sa<br />
chaîne. Et le premier pourrait prendre<br />
l’ascendant. Le manager Vinsky,<br />
ambitieux, s’est fixé comme mission<br />
de promouvoir l’équipe, dont tous<br />
les matches sont filmés, et la marque<br />
Vinsky FC, déclinée sur une ligne<br />
sportswear. Sa marque de produits<br />
dérivés lifestyle nommée Peace and<br />
Game (sa devise sur YouTube) est<br />
mise de côté au profit de Vinsky FC.<br />
« Pour ne pas s’éparpiller. C’est la<br />
marque qui a le plus de potentiel<br />
en merchandising. » Mais il faudra<br />
des résultats, « parce qu’une équipe<br />
nulle ne vend pas de maillots ».<br />
Pour Vincent, la prochaine<br />
marche de l’escalier est déjà en vue :<br />
pour monter plus haut dans le foot<br />
français, il veut ouvrir une seconde<br />
section dans son club, dédiée aux<br />
moins de 18 ans, le cœur de sa communauté<br />
sur YouTube. « Avec deux<br />
équipes, on sera un véritable club<br />
de foot et ça va être impressionnant.<br />
Les parents qui viendront assister<br />
aux matches de leurs enfants. Là, on<br />
ne comptera plus le nombre de vues,<br />
ce sera la vraie vie. »<br />
Retrouvez Vinsky sur YouTube ;<br />
et le Vinsky FC sur tightr.com/vinsky<br />
THE RED BULLETIN 21
France, 2019 : le BMX<br />
a amené Matthias<br />
Dandois partout dans<br />
le monde. Mais rien<br />
ne vaut un spot local.<br />
22
L’union<br />
européenne<br />
Sept pays, quinze riders,<br />
huit nationalités, huit<br />
disciplines, des drones<br />
en miettes et des blessures<br />
pour un film épique…<br />
Les coulisses du plus gros<br />
film européen sur le vélo.<br />
Texte TOM GUISE, STU KENNY,<br />
PIERRE-HENRI CAMY<br />
Photos JULIAN MITTELSTÄDT
Premières heures du jour à Strandafjellet<br />
(Norvège). Nous sommes au<br />
printemps 2019 et une couverture<br />
nuageuse surplombe les pentes verdoyantes.<br />
Le rider Martin Söderström<br />
surgit de nulle part, suivi dans tous<br />
ses mouvements par une équipe de<br />
cinéma. À 28 ans, il est l’un des meilleurs<br />
freeriders de Suède. Pourtant,<br />
force est de constater qu’il s’agit là<br />
de son tout premier long métrage…<br />
Pourquoi l’un des riders les plus influents au monde n’a-t-il<br />
jamais été la vedette d’une grosse production cinématographique<br />
? L’Allemand Andi Tillmann, pilote de VTT professionnel,<br />
s’est posé la question en 2018. Pour lui, la réponse est simple :<br />
tous les grands films de sports extrêmes ont été réalisés en Amérique<br />
du Nord. « Ils choisissent leur région et leurs riders », explique<br />
Andi Tillmann qui, à 32 ans et en compagnie de ses frères<br />
Toni et Michi, a déjà produit des films de VTT dont il était la tête<br />
d’affiche et qui ont été vus par des millions de personnes. « Les<br />
grands riders européens ne sont pas mis en avant. » Ce fut le<br />
déclic pour le projet le plus ambitieux des frères Tillmann, et<br />
peut-être de tous les réalisateurs de films sur le vélo en Europe.<br />
<strong>2020</strong> : <strong>The</strong> Old World est prêt. Ce film nous fait voyager des<br />
fjords norvégiens aux spots désertiques de La Poma (Espagne),<br />
en passant par les banlieues de Berlin et de Paris, et il réunit<br />
une flopée de riders européens dans un casting inédit. Mais<br />
l’aventure n’a pas été de tout repos (blessures, problèmes techniques,<br />
pandémie mondiale). « En Europe, la fenêtre météo est<br />
très étroite. Et chaque pays applique ses propres restrictions en<br />
matière de drones et de tournage », dit Andi, qui a carrément<br />
perdu ses cheveux à cause du stress. Avec d’autres riders, il<br />
évoque le premier blockbuster européen consacré au vélo…<br />
<strong>The</strong> Old World sortira le 22 nov sur <strong>Red</strong> Bull TV ; redbull.com<br />
Le réalisateur Andi<br />
Tillmann filme<br />
Martin Söderström à<br />
Stranda (Norvège).<br />
Ci-contre : Andi<br />
Tillmann (au centre)<br />
avec ses frères Toni<br />
(à gauche) et Michi<br />
(à droite) .<br />
24 THE RED BULLETIN
STRANDA<br />
(NORVÈGE)<br />
Riders : Martin Söderström<br />
(photo), Emil et Simon<br />
Johansson (tous SWE)<br />
Discipline : trail et slopestyle<br />
Tillman : Il a fallu un an pour<br />
convaincre les autorités de<br />
nous laisser tourner : le paysage<br />
ne doit en aucun cas être<br />
endommagé, car il fait partie<br />
intégrante de leurs pistes.<br />
Nous voulions faire découvrir<br />
la parfaite maîtrise des Scandinaves,<br />
et nos trois riders se<br />
sont livrés à une magnifique<br />
démonstration du « style suédois<br />
». Nous avons développé<br />
un équipement constitué d’une<br />
caméra de cinéma Arri Alexa<br />
fixée à une armature sur un sac<br />
à dos, porté par un autre rider,<br />
en l’occurrence moi.<br />
Söderström : C’était surréaliste<br />
d’assister au lever du<br />
soleil avec mes potes, Emil<br />
et Simon, et d’avoir les pistes<br />
pour nous. Je suis le premier<br />
rider suédois à être passé<br />
pro, mais une foule d’athlètes<br />
incroyables est arrivée depuis.<br />
J’ose croire que certains se<br />
sont inspirés de ma technique,<br />
et que tout cela est devenu<br />
le « style suédois ». En hiver,<br />
on ride indoor à cause de la<br />
météo. C’est pourquoi les Suédois<br />
ont un excellent bagage<br />
technique. On fait beaucoup<br />
de barspins et de tailwhips. Je<br />
préfère faire des tricks moins<br />
compliqués mais propres plutôt<br />
que de perdre le contrôle.<br />
THE RED BULLETIN 25
Le freerider Vincent<br />
Tupin (en haut)<br />
filme sa « partie<br />
été » avec son comparse<br />
Robin Delale<br />
en Rhône-Alpes.<br />
BERLIN,<br />
ALLEMAGNE<br />
Riders : Bruno Hoffmann<br />
(ci-dessus), Mo Nussbaumer<br />
(tous deux GER)<br />
Discipline : BMX street<br />
CHÂTEL, <strong>FR</strong>ANCE<br />
Rider : Vincent Tupin (<strong>FR</strong>A)<br />
Discipline : snow freeride, downhill MTB<br />
Tillmann : À la base, ce devait être une partie filmée en<br />
hiver au snowpark de Châtel, avec un caméraman pour<br />
suivre les moves et les sauts de freeride de Vinny.<br />
Tupin : Au début mars 2019, tout allait bien. Puis j’ai<br />
planté ma roue avant dans la neige, j’ai fait un soleil et<br />
me suis démis l’épaule. On a reporté à l’hiver suivant.<br />
Tillmann : Mais le mois de février <strong>2020</strong> s’est révélé le<br />
pire de tous les temps. Les températures étaient si<br />
élevées que la descente dans la vallée était fermée.<br />
Tupin : Et avec la pandémie, les stations ont fermé.<br />
Alors on a tourné sur les pistes à côté de chez moi,<br />
à Maxilly-sur-Léman, et on a réalisé une dernière<br />
séquence à la fin de l’été, dans la boue.<br />
Tillmann : Pour le BMX, nous<br />
avons uniquement filmé avec<br />
une caméra portative afin<br />
de capturer la façon dont<br />
les pilotes de BMX street<br />
détournent les restrictions<br />
de la ville pour s’exprimer.<br />
Hoffmann : Le street riding<br />
est souvent illégal, mais cette<br />
fois-ci, nous avions des autorisations<br />
sur presque tous les<br />
spots. Cela nous a ôté un peu<br />
de pression, mais la taille de<br />
la production en a ajouté de<br />
son côté : on ne pouvait pas se<br />
contenter de rider au hasard.<br />
Je pense que le BMX street<br />
est plus accessible que le VTT :<br />
on n’a pas besoin d’investir des<br />
sommes dingues dans un vélo<br />
ou d’aller sur des pistes spéciales.<br />
Avec un BMX, on voit<br />
la ville sous un autre angle.<br />
On observe tout ce qui nous<br />
entoure : les escaliers, les<br />
rampes, les rebords. Tout<br />
devient un spot potentiel.<br />
26 THE RED BULLETIN
Bruno Hoffman,<br />
pilote de BMX<br />
street professionnel,<br />
en août 2019 :<br />
« J’adore venir<br />
à Berlin, surtout<br />
l’été. »<br />
« Avec un BMX,<br />
on voit la ville<br />
sous un autre<br />
angle. Tout<br />
devient un spot<br />
potentiel. »
« Suivre Chris en<br />
reconnaissance ?<br />
Il ride des trucs<br />
que personne<br />
ne veut rider ! »<br />
Chris Akrigg,<br />
trialiste dans les<br />
Highlands d’Écosse,<br />
en septembre 2019 :<br />
« Tous les matins, le<br />
planning changeait à<br />
cause de la météo. »
ÉCOSSE,<br />
ROYAUME-UNI<br />
Rider : Chris Akrigg (GBR)<br />
Discipline : trial<br />
Tillmann : Chris Akrigg est<br />
connu pour son humour et son<br />
style un peu fou mais engagé.<br />
Le suivre en reconnaissance<br />
est particulier : il ride des trucs<br />
que personne d’autre ne veut<br />
rider, et ça glisse tout seul !<br />
On a repéré des spots dans les<br />
Highlands et sur les îles alentour,<br />
tout ça pour rien : à notre<br />
arrivée, le mauvais temps nous<br />
a empêchés de tourner. On a<br />
donc travaillé dans l’instant<br />
pour trouver des lieux à filmer.<br />
Akrigg : Dès que j’arrive sur un<br />
spot, les idées affluent. Parfois,<br />
il me suffit de cinq minutes<br />
pour élaborer une stratégie.<br />
Mais ce n’est pas toujours facile<br />
de transmettre la technicité<br />
de choses plus complexes en<br />
vidéo. À la moitié du tournage,<br />
je me suis pris une antenne<br />
radio dans les côtes, j’ai<br />
déchaussé et je me suis<br />
ramassé, recroquevillé sur moimême.<br />
J’avais une radio, et elle<br />
était dans mon pantalon et elle<br />
s’est coincée pile entre ma<br />
cuisse et ma cage thoracique.<br />
Je ne sais pas vraiment ce qui<br />
s’est passé, mais ça ne sentait<br />
pas bon. J’ai réussi à rider pendant<br />
encore deux ou trois jours,<br />
mais à un moment donné,<br />
j’étais trop à l’ouest pour continuer.<br />
Vers la fin, je prenais de<br />
quoi assommer un éléphant<br />
pour calmer la douleur.<br />
« Pour ce genre<br />
de films, vous<br />
voulez être<br />
au sommet de<br />
votre art. »<br />
PAYS DE GALLES,<br />
ROYAUME-UNI<br />
Rider : Rachel Atherton (GBR)<br />
Discipline : downhill<br />
Tillmann : Cette partie du film<br />
était initialement consacrée<br />
à la passion, mais elle a pris un<br />
tout autre sens. Nous avions<br />
prévu d’utiliser uniquement<br />
des drones pour filmer, mais<br />
le vent et la pluie rendaient les<br />
conditions de tournage extrêmement<br />
mauvaises pour la<br />
première session sur Cadair<br />
Idris (montagne de Snowdonia,<br />
ndlr). Le drone s’est crashé dès<br />
la première prise. J’ai dû alors<br />
descendre la montagne à toute<br />
blinde pour récupérer le matériel<br />
de remplacement, et c’est<br />
à ce moment-là que je me suis<br />
rendu compte d’un problème<br />
logiciel. Puis juste avant la<br />
session de tournage suivante,<br />
Rachel Atherton s’est déchiré<br />
le tendon d’Achille…<br />
Atherton : Je m’en souviens<br />
comme si c’était hier (la blessure<br />
date de juillet 2019, ndlr).<br />
On passe par tout un processus,<br />
un peu comme un deuil.<br />
D’abord, on se sent bouleversé<br />
La pro du VTT<br />
descente Rachel<br />
Atherton en<br />
tournage aux environs<br />
de Cadair Idris<br />
(Pays de Galles).<br />
et en colère, puis juste<br />
dévasté. Avec une blessure à<br />
la mi-saison (dans le calendrier<br />
de la Coupe du monde de VTT<br />
descente UCI, ndlr), on passe<br />
des podiums au néant. Il faut<br />
une énergie titanesque pour<br />
changer d’état d’esprit et se<br />
concentrer sur le long chemin<br />
qui nous attend. Neuf mois se<br />
sont écoulés avant que je ne<br />
puisse de nouveau enfourcher<br />
un vélo. Dans ce genre de<br />
films, vous voulez être au sommet<br />
de votre art. J’ai eu l’impression<br />
de bien rider lors de<br />
la reprise du tournage. La première<br />
moitié des prises se<br />
sont déroulées en montagne,<br />
avec des rides en pleine cambrousse<br />
et sur d’énormes montagnes,<br />
pour dévoiler un sentiment<br />
de liberté totale. Ensuite,<br />
nous sommes allés sur les<br />
pistes à côté de chez moi, au<br />
Pays de Galles. Cette grosse<br />
blessure en plein milieu du<br />
tournage a un peu chamboulé<br />
les plans, mais heureusement,<br />
les efforts et l’envie de revenir<br />
ont payé. Et j’ai retrouvé ma<br />
vitesse ainsi que mes sensations<br />
en tant que rideuse.<br />
THE RED BULLETIN 29
PARIS, <strong>FR</strong>ANCE<br />
Rider : Matthias Dandois<br />
(<strong>FR</strong>A)<br />
Discipline : BMX flatland<br />
Tillmann : À Paris, Matthias<br />
nous a offert son interprétation<br />
toute en fluidité du BMX<br />
flatland. Cela n’a pas été<br />
facile de trouver un nouvel<br />
angle d’approche dans la<br />
ville, car il y avait déjà multiplié<br />
les tournages. Nous<br />
avons mis au point une nouvelle<br />
façon de le filmer avec<br />
un supertéléobjectif de<br />
600 mm sur une armature<br />
fixée à un Segway pour capturer<br />
la technicité de ses tricks.<br />
Dandois : Il faut des mois<br />
pour obtenir des autorisations<br />
de tournage à Paris,<br />
mais la production a facilité<br />
les choses. Ce film est une<br />
véritable collaboration artistique<br />
et sportive, un juste<br />
milieu avec des images de<br />
riding hors du commun. Pour<br />
ma part, ce sera l’un des plus<br />
grands moments d’une année<br />
particulière. Je suis très fier<br />
d’avoir été choisi pour en faire<br />
partie, de faire partie de cette<br />
communauté du vélo européen<br />
qui est à l’honneur dans<br />
<strong>The</strong> Old World. Le film sort<br />
au moment où la pratique<br />
du vélo explose, c’est le transport<br />
de demain : roulez tous<br />
à vélo !
Août 2019 : Matthias<br />
Dandois réalise un<br />
MC circle one-hand<br />
dans une gare du<br />
Nord en pleine effervescence<br />
à Paris.<br />
31
LA POMA, ESPAGNE<br />
Riders : Nico Scholze (GER, ci-contre), Dawid Godziek (POL),<br />
Diego Caverzasi (ITA), Bienve Aguado Alba (ESP)<br />
Discipline : dirt<br />
Tillmann : Le dirt rassemble une grande communauté sur ce<br />
bikepark (à 30 minutes de Barcelone, ndlr), un peu comme le surf.<br />
On a tourné avec un gros cable-cam et une grue. Pendant la troisième<br />
journée de tournage, Nico Scholze a été violemment projeté<br />
au sol, ce qui lui a causé plusieurs fractures au niveau des vertèbres.<br />
Heureusement, rien de grave.<br />
Scholze : C’était un trick classique, un 360 tailwhip sur un énorme<br />
saut, mais j’ai raté mon coup et je suis passé par-dessus le guidon.<br />
Quand je pense que je venais de dire à Andi : « Je sens que ça va<br />
être une bonne journée ! »… Je voulais montrer que c’était possible<br />
de faire des tricks de motocross freestyle sur un VTT.<br />
La star polonaise<br />
du dirt jump Dawid<br />
Godziek réalise<br />
un one-foot tabletop<br />
au bikepark de<br />
La Poma.<br />
« Je voulais<br />
montrer à tout<br />
le monde qu’il<br />
était possible<br />
de faire des<br />
tricks de FMX<br />
sur un VTT. »<br />
32 THE RED BULLETIN
Un manual de feu<br />
pour Nico Vink :<br />
« Andi nous a<br />
demandé d’apporter<br />
un casque supplémentaire,<br />
car il<br />
était possible qu’on<br />
nous transforme en<br />
torches humaines. »<br />
KUDOWA-ZDRÓJ,<br />
POLOGNE<br />
Riders : Nico Vink (BEL, à droite),<br />
Szymon Godziek (POL)<br />
Discipline : big air<br />
Tillmann : Nous avons filmé des performances<br />
de big air et de vitesse à l’aide d’une<br />
grue, d’un sac à dos sur lequel était fixée<br />
une caméra dont la valeur avoisinait les<br />
85 000 €, mais aussi d’une caméra Super 8.<br />
Cette course folle va éblouir les spectateurs.<br />
Et pour cause : les gars à l’écran<br />
prennent littéralement feu. En règle générale,<br />
des cascadeurs sont là pour doubler<br />
les acteurs, mais aucun ne pouvait rider<br />
à ce niveau. L’équipe responsable des cascades<br />
a donné son accord seulement après<br />
avoir constaté que les athlètes ne paniqueraient<br />
pas lorsqu’ils s’embraseraient.<br />
Vink : Nous avions des sous-couches<br />
d’équipements couverts de gel de protection,<br />
et la couche du dessus était imbibée<br />
de combustible : c’est elle qui a pris feu.<br />
Nos performances n’étaient pas hyperlongues<br />
et il y avait deux extincteurs au<br />
bout du parcours, mais si on se plantait à<br />
mi-chemin, on cramait pour de bon. Quand<br />
on ride, tout est une question de maîtrise :<br />
on prend tous les risques sans franchir les<br />
limites. C’est la ligne de conduite de tous<br />
les sportifs de l’extrême. C’est notre vie.<br />
THE RED BULLETIN 33
« Je voulais<br />
être sûre de<br />
les détruire<br />
au micro »<br />
Née à Birmingham,<br />
cette artiste à la<br />
croisée des<br />
cultures a forgé<br />
son propre style<br />
de rap, qui résonne<br />
de Londres à L.A.,<br />
STEFFLON DON<br />
parle des sages<br />
conseils de Drake,<br />
de sa maîtrise du<br />
néerlandais et du<br />
côté naze d’Insta.<br />
Texte FLORIAN OBKIRCHER<br />
Photos SALIM ADAM<br />
34
Alerte rouge :<br />
Stefflon Don,<br />
29 ans, n’a jamais<br />
l’air à moins de<br />
100 % – même<br />
lorsqu’elle inspecte<br />
votre vaisselle.
L<br />
orsque la rappeuse britannique Stefflon<br />
Don a surgi en 2016, des têtes ont<br />
tourné. Son flow sur sa première mixtape<br />
Real Ting était sans faille, avec<br />
des paroles qui mélangeaient le patois<br />
jamaïcain, l’argot de l’Est de Londres<br />
et les références au hip hop américain.<br />
Et, contrairement à l’attitude terre-àterre<br />
de la plupart des rappeurs britan-<br />
Sur<br />
niques, elle s’est présentée comme<br />
une superstar en devenir, glamour<br />
et effrontée.<br />
En novembre de la même année,<br />
elle a été sélectionnée parmi les talents<br />
de 2017 à suivre par la BBC. Quatre<br />
mois plus tard, elle a signé un contrat<br />
de 1,2 million de livres sterling avec un<br />
grand label et, en août 2017, son single<br />
Hurtin’ Me, avec le rappeur américain<br />
French Montana, a atteint la septième<br />
place du classement des singles britanniques.<br />
Depuis, la jeune femme de 28 ans<br />
– de son vrai nom Stephanie Allen – a<br />
collaboré avec des artistes tels que Sean<br />
Paul, Nile Rodgers, Charli XCX, Skepta,<br />
Drake et Mariah Carey et, en 2018, est<br />
devenue la première artiste anglaise à<br />
figurer sur la liste annuelle des nouveaux<br />
talents du légendaire magazine américain<br />
de hip-hop XXL.<br />
Née à Birmingham de parents jamaïcains,<br />
la rappeuse s’est installée avec sa<br />
famille à Rotterdam aux Pays-Bas à l’âge<br />
de cinq ans, avant de revenir au Royaume-<br />
Uni, à Hackney, à 14 ans. La musique<br />
de Stefflon Don est donc un mélange de<br />
dance hall, de grime, de R’n’B et de house,<br />
ses rimes incorporant des influences de<br />
Londres, de la Jamaïque, de la Hollande<br />
et des USA. Elle dit que le fait d’avoir<br />
grandi au milieu de différentes cultures<br />
lui a ouvert l’esprit et a élargi sa musique<br />
et, en ce sens, c’est le secret de son<br />
succès.<br />
THE RED BULLETIN : Vous avez une<br />
gouaille caractéristique de l’Est de<br />
Londres, mais vous utilisez aussi<br />
du patois jamaïcain et de l’argot<br />
américain. Vous rappez même en<br />
néerlandais…<br />
STEFFLON DON : C’est à cause de mon<br />
éducation diversifiée. J’ai passé la plupart<br />
de mon enfance à Rotterdam. Les<br />
gens y parlent l’anglais américain, et j’ai<br />
grandi dans un foyer jamaïcain. J’avais<br />
des amis blancs, turcs, marocains. Les<br />
gens y sont très accueillants, j’ai donc<br />
beaucoup appris sur leur culture, leurs<br />
traditions, leur nourriture, leur musique.<br />
Quelles influences musicales y avezvous<br />
absorbées ?<br />
Les Pays-Bas contrôlaient le Suriname<br />
(le pays sud-américain était sous domination<br />
néerlandaise entre 1667 et 1975,<br />
ndlr) et la culture surinamaise a une<br />
forte influence à Rotterdam – similaire<br />
à l’influence de la culture jamaïcaine à<br />
Londres. La langue qu’ils parlent au<br />
Suriname est un mélange d’espagnol,<br />
de français, de néerlandais et d’anglais.<br />
En étant proche de cette communauté,<br />
j’écoutais tout le temps des chansons<br />
surinamaises ; on utilisait aussi leurs<br />
mots d’argot. Je pense que cela a même<br />
marqué ma prononciation : j’étais en<br />
Espagne l’autre jour et certains habitants<br />
pensaient que j’étais de là-bas. Pourtant,<br />
je ne parle pas l’espagnol couramment !<br />
Pensez-vous que le fait de parler couramment<br />
le néerlandais a eu un<br />
impact sur vos talents de rappeuse ?<br />
Sans aucun doute. Quand je parle néerlandais,<br />
je parle très vite. C’est pour ça<br />
que je suis rapide avec ma langue quand<br />
je rappe. C’était un gros avantage quand<br />
j’ai commencé.<br />
votre nouvelle mixtape, Island 54,<br />
vous ajoutez des sons afrobeats à<br />
votre mélange déjà éclectique. Les<br />
directeurs artistiques ne préfèreraient-ils<br />
pas que vous vous en teniez<br />
à une seule chose afin de ne pas submerger<br />
votre fanbase ?<br />
J’ai l’impression qu’il y a certains artistes<br />
que l’on peut mettre sur n’importe quel<br />
morceau – que ce soit un morceau latino,<br />
un truc posé ou une chanson alternative<br />
– parce que leur voix est comme un instrument.<br />
Leur voix apporte un certain<br />
son, et j’ai l’impression que c’est le cas<br />
pour moi. Dans mon prochain single,<br />
je parle le yoruba, une langue parlée<br />
principalement en Afrique de l’Ouest.<br />
Je pense que le public va être choqué :<br />
c’est encore une fois totalement nouveau.<br />
Mais, pour moi, c’est quelque chose que<br />
j’ai toujours expérimenté. En tant qu’artiste,<br />
je me sens tellement libre.<br />
Il y a deux ans, vous êtes entrée dans<br />
l’Histoire en étant la première artiste<br />
anglaise à figurer sur la Freshman List<br />
du magazine américain XXL. Pensezvous<br />
que votre perspective globale est<br />
la raison pour laquelle le public américain<br />
vous a plus adoptée que les autres<br />
MCs britanniques ?<br />
À fond ! Je sens que c’est seulement<br />
maintenant que les Américains acceptent<br />
mieux l’accent britannique sur un morceau<br />
de rap. Avant cela, c’était du genre :<br />
« J’aime quand vous parlez, mais quand<br />
quelqu’un rappe, je ne peux pas vous<br />
36 THE RED BULLETIN
« Dans mon prochain single,<br />
je parle le yoruba, une langue<br />
parlée principalement en<br />
Afrique de l’Ouest. Je pense que<br />
le public va être choqué. »
« Dans tout ce que vous faites,<br />
que vous soyez plombier, gamer<br />
ou menuisier, vous devez<br />
toujours vouloir être le meilleur.<br />
Sinon, pourquoi le faire ? »
prendre au sérieux. J’ai l’impression<br />
que vous mangez des biscuits et que vous<br />
buvez du thé toute la journée. » Littéralement,<br />
c’est ce qu’ils me disaient ! Mais<br />
quand ils ont entendu mes chansons,<br />
ils m’ont sorti : « Tu ne sonnes pas vraiment<br />
comme une Britannique. » Encore<br />
une fois, cela vient du fait que j’ai grandi<br />
en Hollande, où je parlais l’anglais américain.<br />
Le rap avec un véritable accent<br />
britannique était en fait un défi pour<br />
moi au début.<br />
Drake vous a donné des conseils au<br />
début de votre carrière. Il vous a dit :<br />
« Assure-toi, quoi que tu fasses, que<br />
ton adversaire ait peur de toi. » Est-ce<br />
quelque chose dont vous vous inspirez<br />
encore ?<br />
Oui, à 100 %. Dans tout ce que vous<br />
faites, que vous soyez plombier, menuisier<br />
ou un gamer, vous devez toujours<br />
vouloir être le meilleur. Sinon, pourquoi<br />
le faire ? En arrivant dans le rap, je me<br />
suis retrouvée dans tellement de situations<br />
où il y avait un rythme qui jouait<br />
et où on se disait : « Qui va rapper dessus<br />
? » Et j’étais toujours prête dans ces<br />
situations. Je m’assurais toujours d’avoir<br />
beaucoup de rimes prêtes, pour être sûre<br />
de détruire qui que ce soit au micro.<br />
Impitoyable…<br />
Oui, j’ai toujours eu cette mentalité. Je<br />
veux donner envie aux gens de réécrire<br />
leurs textes. Parce que ça m’est déjà<br />
arrivé… J’entendais certaines nanas rapper<br />
et je me disais : « Oh mon Dieu, ce que<br />
j’ai écrit n’est pas aussi bon. J’ai besoin<br />
de poser là-dessus et de réécrire mon<br />
bordel. » C’est ça que je veux que les gens<br />
ressentent quand ils m’écoutent. Parce<br />
que c’est comme ça qu’on maintient une<br />
dynamique saine, c’est comme ça qu’on<br />
se pousse les uns les autres. Si les gens ne<br />
se défient pas, s’ils se contentent de faire<br />
comme les autres, alors on est foutus.<br />
Et c’est ce qui se passe depuis un certain<br />
temps. Personne n’essaie vraiment d’être<br />
le meilleur. Je vois beaucoup de suiveurs.<br />
Je vois beaucoup de gens qui se disent :<br />
« Ça marche. Laissez-moi faire quelque<br />
chose de similaire. »<br />
Pourquoi pensez-vous que c’est le cas ?<br />
En tant qu’artiste, la façon dont vous êtes<br />
critiqué aujourd’hui est différente de celle<br />
que j’ai connue à mes débuts. À l’époque,<br />
« Si les gens ne<br />
se défient pas,<br />
se contentent de<br />
faire comme les<br />
autres, alors on<br />
est foutus. »<br />
il n’y avait pas de trolls Instagram. Je<br />
n’avais pas peur d’échouer en sortant des<br />
vidéos qui n’étaient peut-être pas ce que<br />
je voulais qu’elles soient – je devais juste<br />
le faire, parce que c’est tout ce que je pouvais<br />
me permettre. Je ne peux pas imaginer<br />
comment c’est pour les jeunes artistes<br />
d’aujourd’hui avec tant de gens qui les<br />
observent ; tant d’yeux de personnes qui<br />
ne savent pas ce dont elles parlent, qui<br />
projettent leurs doutes sur les autres sur<br />
les médias sociaux. Les plateformes<br />
comme Instagram sont responsables du<br />
manque de créativité de la nouvelle génération<br />
d’artistes. Et même pour les artistes<br />
établis, il est très difficile de dire ce qu’ils<br />
veulent vraiment dire ou d’exprimer ce<br />
qu’ils ressentent.<br />
On sent que vous parlez d’après votre<br />
expérience...<br />
J’avais l’habitude d’enregistrer ma<br />
famille sur Snapchat très souvent. Je<br />
disais toujours ce que je pensais sur<br />
certains sujets qui m’ont causé des problèmes<br />
à plusieurs reprises. (En 2018,<br />
elle s’est excusée pour des tweets de 2013<br />
dans lesquels elle disait que les filles « à<br />
la peau foncée » changeraient de couleur<br />
de peau si elles le pouvaient, ndlr.) J’ai<br />
eu des ennuis pour des choses que je<br />
ne pensais pas de la façon dont je les<br />
ai dites, et les choses ont été sorties de<br />
leur contexte. Je me disais : « Est-ce que<br />
tu mérites vraiment de savoir qui je suis<br />
si tu te contentes de ne prendre que des<br />
petites séquences de ma réalité et de les<br />
utiliser pour me faire passer pour<br />
quelqu’un que je ne suis pas ? » C’est ce<br />
qu’Internet est devenu aujourd’hui. Les<br />
gens regardent votre image et se disent :<br />
« Qu’est-ce que je peux en exploiter de<br />
négatif ? » Et la deuxième chose est :<br />
« Voyons les commentaires », pour trouver<br />
quel angle exploiter. Vous n’êtes pas<br />
censé y être vous-même. Vous n’êtes pas<br />
censé y être un libre penseur. Il s’agit<br />
de jouer la sécurité, de suivre les autres.<br />
Et je veux vraiment m’éloigner de cela.<br />
Y a-t-il un moyen de refaire d’Internet<br />
un lieu de positivité à nouveau ?<br />
En fait, j’ai eu plusieurs réunions avec<br />
l’un des responsables d’Instagram, et j’ai<br />
notamment suggéré que l’on retire les<br />
likes des commentaires.<br />
C’est-à-dire ?<br />
Fut un temps où vous pouviez commenter<br />
les messages, mais vous ne le faisiez<br />
pas pour obtenir des appréciations sur<br />
votre commentaire. Désormais, les gens<br />
sont plus extrêmes et plus méchants dans<br />
leurs commentaires parce qu’ils veulent<br />
se démarquer afin d’être appréciés, c’est<br />
comme une compétition. En conséquence,<br />
vous regardez votre message et<br />
vous vous rendez compte que 3 000 personnes<br />
ont aimé un commentaire vraiment<br />
détestable à votre sujet. C’est horrible<br />
! Je ne pense pas que les gens se<br />
rendent compte à quel point Instagram<br />
est préjudiciable pour nous et la prochaine<br />
génération. Tout le monde tourne<br />
autour du pot et dit : « Oh oui, c’est mauvais.<br />
» Mais les gens sont tellement mal<br />
à l’aise à cause de cela, les gens ne créent<br />
pas à cause de cela, les gens ne partagent<br />
pas de nouvelles idées à cause de cela.<br />
C’est une chose très sérieuse et j’aimerais<br />
que plus de gens en parlent davantage<br />
et appellent au changement.<br />
Cela étant dit, quelle est votre stratégie<br />
pour rester saine d’esprit ?<br />
Je suis si chanceuse d’avoir ma famille.<br />
J’ai acheté une grande maison, et mon<br />
fils (de 11 ans, ndlr), la plupart de mes<br />
six frères et sœurs et ma mère vivent<br />
avec moi. C’est la principale raison pour<br />
laquelle je vais bien. Je me considère<br />
également chanceuse de ne pas avoir<br />
émergé dans l’ère des médias sociaux.<br />
J’ai le sens de la réalité. Je sais ce que<br />
cela signifie d’être originale. Je sais<br />
ce que cela signifie de ne pas vraiment<br />
se soucier de ce que pensent les autres.<br />
Et personne ne peut m’enlever cela.<br />
Island 54, la nouvelle mixtape de Stefflon<br />
Don, est dispo ; stefflondonofficial.com<br />
THE RED BULLETIN 39
Népal, dans la vallée<br />
des Annapurnas.<br />
Mélusine, 40 ans,<br />
avec sa moto<br />
« idéale, celle dont<br />
on accepte les<br />
défauts » !
Sur les<br />
roues de<br />
la liberté<br />
Elle a un nom d’héroïne de BD. Seule sur sa<br />
moto de 800 cm³, MÉLUSINE MALLENDER<br />
parcourt le monde en quête d’humanité, une<br />
question en tête : c’est quoi, la liberté ? En<br />
particulier celle des femmes, avec autant de<br />
réponses inspirées que de droits bafoués.<br />
De l’Asie à l’Afrique en passant par l’Amérique<br />
latine, retour sur cinq moments et rencontres<br />
clés qui ont jalonné ses expéditions, et ce que<br />
ses virées de par le monde lui ont enseigné.<br />
Texte PATRICIA OUDIT<br />
XX MALLENDER/CHRISTIAN EDITOR ILLUSTRATOR CLOT ZEPPELIN<br />
41
Dans la circulation<br />
chaotique de Dhaka<br />
(Bangladesh) et ses<br />
rickshaws, lors<br />
de son expédition<br />
de la Route du tigre<br />
en 2016.<br />
Vivre des aventures, « Mélu » en avait envie<br />
depuis son enfance. Elle commence par faire<br />
du volontariat en Afrique à 18 ans, mais c’est<br />
en 2010, à 30 ans, que cette costumière de<br />
métier enfourche sa très vieille Honda, une<br />
125 cm³ pour sa première expédition solo<br />
à moto en Asie. Quatre mois et 22 500 km<br />
qui la conduiront jusqu’à Vladivostok où<br />
« Poupy », 110 000 km au compteur finira sa<br />
vie, avant le terme du voyage initial, le Japon, sa terre natale<br />
(de la Honda, pas de Mélusine). Depuis, toujours en solo, elle<br />
n’a cessé d’arpenter l’asphalte, du Népal à l’Éthiopie, de l’Iran<br />
au Kazakhstan, de la Bolivie à la Birmanie, lors d’expéditions<br />
au long cours.<br />
Troquant sa 125 cm³ pour de plus grosses cylindrées. « C’est<br />
un vrai choix d’avoir une grosse machine, un symbole de s’être<br />
emparée d’un emblème de virilité. Dans beaucoup de pays, peu<br />
de femmes se sentent autorisées à piloter une moto, et si moi je<br />
peux le faire avec une grosse moto, cela prouve qu’une femme<br />
peut le faire ! Et puis, c’est un sésame extraordinaire qui intrigue<br />
et incite au partage. » Son credo : prendre le temps d’aller<br />
à la rencontre des gens, tenter de les comprendre en profondeur<br />
dans des pays qui n’ont souvent pas bonne réputation, à<br />
tort ou à raison. « J’ai toujours eu une fascination pour l’humain<br />
et une grande empathie pour ses contradictions, une sensibilité<br />
de justice, de féminisme, c’est-à-dire vouloir qu’une femme ait<br />
les mêmes droits qu’un homme, tout simplement », insiste<br />
Mélusine.<br />
Au fil du temps et sans que Mélusine ne s’en rende compte,<br />
cette question autour de la liberté est devenue l’axe principal<br />
de sa quête « sans fin, passionnante, où ma propre vision évolue<br />
au fil des réponses que je reçois »… Juste avant le confinement,<br />
la quarantenaire qui cumule 150 000 km à moto et 55 pays explorés<br />
sur les cinq continents était partie repérer son prochain<br />
trip, en Arabie saoudite. Avec la même approche pétrie de<br />
tolérance. « En voyageant, on s’aperçoit que l’immense majorité<br />
des gens recherche la même chose. »<br />
Elle ne sait ni quand ni où elle repartira, mais son message<br />
à l’adresse de tous, femmes et hommes, lui, ne changera pas :<br />
« Avance, tente l’aventure, fais-toi ta propre opinion, et surtout :<br />
ne te dégonfle pas ! »<br />
À lire : Les voies de la liberté, 21 €, Robert Laffont.<br />
Pour partager votre vision de la liberté, en mots, photos,<br />
films, dessins : shareyourfreedom@melusinemallender.com ;<br />
melusinemallender.com<br />
PARIS<br />
UKRAINE<br />
RUSSIE<br />
KAZAKHSTAN MONGOLIE<br />
Volgograd<br />
Oulan-Bator<br />
Almaty<br />
Samarcande<br />
VLADIVOSTOK<br />
42 THE RED BULLETIN
MALLENDER/SUMAN PAUL ZEPPELIN<br />
2010 : BACK TO JAPAN<br />
4 mois, 22 500 km<br />
Moto : « Poupy », 125 Varadero (Honda)<br />
« Je suis en Mongolie, à environ 600 km de la capitale Oulan-Bator, sur des pistes sublimes avec<br />
cette impression d’être minuscule, mais d’être à ma place. La Mongolie, j’en rêvais depuis toujours…<br />
Lors d’une pause dans une station-service, je tombe sur Sukh Oshir, un géologue japonais d’origine<br />
mongole, qui fait de la prospection, et je lui raconte ce que je fais là. Il est épaté, mais il me dit : “Quand<br />
même, tu es toute seule au milieu de rien, sans moyen de communication…” Je reprends la route et là,<br />
je le vois, arrêté avec sa camionnette sur le bas-côté… Et voilà qu’il me tend son téléphone de secours :<br />
“Au moins s’il t’arrive quelque chose, tu auras quelqu’un à qui demander de l’aide ! Tu me le rendras<br />
à Oulan-Bator.” J’ai trouvé l’acte tellement improbable, spontané, gentil. Cet inconnu qui me donne<br />
quelque chose de précieux, c’est tellement symbolique du voyage, de ces rencontres venues de nulle<br />
part, ces marques de confiance qui me font avancer. On s’est retrouvés dans la capitale, dans un pub<br />
où jouait le groupe de punk metal diaphonique Altan Urag. Je ne lui ai pas dit mais je n’ai jamais eu<br />
à me servir de son téléphone : la seule fois où j’ai essayé de l’utiliser, il n’y avait aucun réseau ! »<br />
THE RED BULLETIN 43
PARIS<br />
UKRAINE<br />
2011 : ROUTES PERSANES<br />
4 mois, 28 000 km<br />
Moto : « Shirine », 800 Crossrunner (Honda)<br />
TURQUIE<br />
IRAN<br />
ALMATY<br />
« Le choc de ce voyage, c’est l’Iran ! En France, on me dissuadait<br />
de partir dans ce pays “à risques”, et sur place à la frontière,<br />
quelqu’un me crie, joyeux : “Bienvenue en Iran !” Le déclic de<br />
parler du sort des femmes m’est venu dans ce pays. Il fallait que<br />
je montre cette réalité beaucoup plus nuancée, réparer cette<br />
forme d’injustice. Rien n’est simple là-bas, mais par rapport<br />
à d’autres pays musulmans, la femme est éduquée, autonome,<br />
elle a une place. La rencontre sur une route de montagne avec<br />
ces quatre jeunes femmes illustrent bien leur audace. En descendant<br />
de leur voiture, elles se mettent aussitôt à danser autour de<br />
ma moto, volume de leur autoradio à fond. Avant de partir, Laila,<br />
la plus exubérante d’entre elles, me glisse un petit cafard en<br />
plastique dans la main : “Nous sommes du mouvement pour la<br />
liberté me dit-elle. Nous sommes comme les cafards, on nous<br />
écrase, mais on revient toujours !” Cette scène fugace résume<br />
tout : cette envie de vivre, d’être soi, malgré tout. »<br />
Désert du Dasht-e<br />
Lut (Iran). Dans sa<br />
tente, ses essentiels<br />
: chocolat,<br />
outils, sel, sangles et<br />
bons sacs étanches.<br />
PAS DE PROBLÈMES,<br />
QUE DES SOLUTIONS !<br />
Comment faire de ses peurs et<br />
des contraintes une force. Les<br />
trucs et les mantras de « Mélu »<br />
qu’elle s’est forgés sur la route,<br />
à moto.<br />
MISER SUR<br />
L’ADAPTABILITÉ<br />
« Lors de mon premier voyage, n’ayant pas de<br />
repères par rapport à la difficulté, cette naïveté<br />
et cette spontanéité m’ont paradoxalement<br />
aidée. Comme je pensais que tout allait être<br />
très difficile, j’ai pris chaque problème l’un<br />
après l’autre, et j’envisageais de la même façon<br />
les solutions. Je me remettais constamment en<br />
question. Il m’est arrivé de fondre en larmes<br />
suite à un souci, mais j’ai vite su être réactive,<br />
en misant sur cette plasticité depuis. »<br />
SE DIRE QU’ÊTRE UNE<br />
FEMME SEULE PEUT<br />
ÊTRE UN AVANTAGE<br />
« Je suis persuadée qu’on accueille plus souvent<br />
une femme chez soi pour la nuit, que l’on<br />
rentre plus facilement dans l’intimité des gens<br />
lorsqu’on est une femme. Cela s’est vérifié,<br />
surtout dans les pays où les femmes sont<br />
considérées comme vulnérables. Les femmes<br />
elles-mêmes deviennent alors une source de<br />
protection. Ce sont aussi elles qui savent où<br />
il y a de la nourriture et de l’eau. »<br />
44 THE RED BULLETIN
À Kampala<br />
(Ouganda),<br />
Mélusine est<br />
accueillie en famille.<br />
« Être une femme<br />
seule est souvent<br />
gage d’hospitalité. »<br />
Almaty<br />
MALLENDER/CHRISTIAN CLOT ZEPPELIN, MALLENDER/MALLENDER ZEPPELIN<br />
2014 : LES GRANDS LACS D’A<strong>FR</strong>IQUE<br />
4 mois, 15 000 km<br />
Moto : « Lucy », Tiger 800 (Triumph)<br />
« Me restent gravées en mémoire ces boxeuses de Kampala (Ouganda). Parmi elles,<br />
Hélène et Diana, deux sœurs qui s’entraînent comme des dingues pour sortir de leur<br />
bidonville où elles vivent dans des conditions d’insalubrité inimaginables. Hélène s’est<br />
mise à la boxe parce qu’elle a été tabassée dans la rue et laissée pour morte… À ce<br />
moment, je me dis qu’il est possible de prendre sa vie en main. Leurs réponses sont la<br />
base de ce questionnement sur la liberté : “Je veux faire ce que je veux, sans plus avoir<br />
peur, mais cela doit être juste.” La deuxième rencontre, ce sont les tambourineuses du<br />
Rwanda. Vingt ans après le génocide, ces femmes décident de jouer du tambour, pratique<br />
réservée aux hommes. Dans le groupe, il y a des veuves de génocidaires, des femmes de<br />
génocidaires, des filles de génocidaires. En jouant ensemble, elles disent que le pardon<br />
est possible, que l’on peut construire, aller de l’avant, même après la pire des barbaries. »<br />
FAIRE FI DES PRÉJUGÉS,<br />
ÊTRE À L’ÉCOUTE<br />
« Quand Habiba l’ancienne exciseuse éthiopienne<br />
me raconte comment elle procédait,<br />
j’ai le cœur qui se soulève, mais qui suis-je pour<br />
juger et comment comprendre si on ne fait que<br />
s’indigner sans écouter ? Au fil de mes voyages,<br />
j’ai appris à laisser les gens être eux-mêmes,<br />
accepter que l’humain est hyper complexe,<br />
qu’il soit bon ou mauvais. Ne pas espérer de<br />
l’autre ce qu’il n’est pas, ne pas lui demander<br />
plus que ce qu’il peut donner. »<br />
BIEN SÉCURISER<br />
SON BIVOUAC<br />
« Soit je m’approche de la civilisation, soit je<br />
m’en éloigne. C’est le cas dans les pays considérés<br />
comme risqués : je vais là où il n’y a plus<br />
de route, et personne ne doit deviner que je suis<br />
seule. J’ai une tente deux place pour plus de<br />
confort, avec une double entrée pour pouvoir<br />
sortir par l’autre côté si quelqu’un rentre. Tout<br />
ce qui est précieux est avec moi, dans ma tente.<br />
Je dors d’un œil, un couteau à côté de moi, et<br />
mon casque peut servir d’arme redoutable. »<br />
ÉTHIOPIE<br />
TANZANIE<br />
ANTICIPER LA FUITE<br />
KENYA<br />
SOMALI-<br />
LAND<br />
DAR ES<br />
SALAM<br />
« Que je bivouaque en pleine nature ou que je<br />
campe chez l’habitant, la moto, parfois cachée<br />
sous une bâche, est toujours garée dans le sens<br />
où je peux m’échapper le plus vite possible.<br />
Si j’ai un doute sur les gens qui m’entourent,<br />
je dors tout habillée. »<br />
THE RED BULLETIN 45
2016 : JAKARTA-PARIS<br />
9 mois, 28 000 km<br />
Moto : « Mustang », Tiger 800 (Triumph)<br />
PARIS<br />
« J’ai entendu parler d’une association au Népal qui aide<br />
les gens à sortir de l’esclavage, encore légal dans le pays.<br />
J’y rencontre Sanu, jeune femme de 25 ans que l’association<br />
a formée pour devenir mécanicienne. C’est la première fois<br />
que je suis face à quelqu’un qui a été esclave durant des<br />
années. Je sens chez cette femme que tout se mesure à l’aune<br />
de cette privation de liberté. Elle n’a pas de rancœur envers<br />
sa famille, elle sait que c’est le destin réservé aux pauvres,<br />
que sa famille n’aurait pas eu de quoi la nourrir, qu’elle n’avait<br />
pas le choix. Quand elle a pu enfin sortir de cette situation,<br />
au début, elle ne savait pas quoi faire de cette liberté<br />
qu’elle n’avait jamais connue… »<br />
Istanbul<br />
Téhéran<br />
Islamabad<br />
Katmandou<br />
New Dehli Mandalay<br />
Bangkok<br />
JAKARTA<br />
Village de<br />
Tatopani (Népal).<br />
« Mustang », sa<br />
moto a une devise :<br />
« Il n’y a pas de<br />
mauvaise météo,<br />
seulement du mauvais<br />
équipement ! »<br />
POUVOIR LÂCHER PRISE,<br />
FAIRE CONFIANCE<br />
« Me faire voler, ça ne m’est arrivé qu’une fois !<br />
De manière générale, les gens sont honnêtes,<br />
j’ai appris à faire confiance et à ne plus m’en<br />
inquiéter. Il faut bien laisser la moto pour aller<br />
boire, manger et pisser. Si on est sur ses gardes<br />
en permanence, on ne vit plus. »<br />
ÉLIMINER TOUTE<br />
FORME D’AMBIGUÏTÉ<br />
« Une femme seule est naturellement étiquetée<br />
“aventurière de l’amour”, a fortiori si elle<br />
vient de France ! Je prends donc soin d’affirmer<br />
ma respectabilité de femme mariée avec une<br />
fermeté qui ne laisse aucune place au doute !<br />
J’essaie aussi de calquer mon comportement<br />
autant que possible sur celui des femmes<br />
du pays. »<br />
SAVOIR NÉGOCIER…<br />
MAIS S’IMPOSER<br />
« Si la personne insiste, comme c’est arrivé,<br />
j’essaie de comprendre ce que veut l’autre,<br />
je négocie pour trouver un compromis qui ne<br />
soit pas vexant pour l’autre mais sécurisant<br />
pour moi. Après, j’ai des bonnes bases de selfdefense<br />
: même si le langage a toujours suffi<br />
jusqu’à présent, ces sports de combat m’ont<br />
appris à m’imposer dans l’espace, à montrer<br />
que je suis dominante, pas victime. »<br />
46 THE RED BULLETIN
À gauche, à La Paz, le marché<br />
des sorcières… Ci-dessus, un<br />
graffiti du collectif anarchoféministe<br />
bolivien Mujeres<br />
Creando : « Femme, pour être<br />
libre : aime-toi ! »<br />
LOS ANGELES<br />
MEXIQUE<br />
PANAMA<br />
COLOMBIE<br />
VENEZUELA<br />
PÉROU<br />
BOLIVIE<br />
SANTIAGO<br />
2018-19 : AMÉRIQUE LATINE<br />
9 mois, 25 000 km<br />
Moto : « Tania », Tiger 800 (Triumph)<br />
« Ma rencontre avec Rosario, à La Paz (Bolivie), résume bien la rage et la<br />
difficulté de changer de vie pour une femme en Amérique latine. Cette jeune<br />
femme est modèle dans une agence de mannequins Cholitas (ces femmes<br />
de l’Altiplano qui conservent le style vestimentaire caractéristique de la<br />
tradition aymara, ndlr). Avec l’envie de montrer qu’on peut être fière de<br />
poser dans une tenue traditionnelle, de défendre ses valeurs et sauver une<br />
culture moribonde. On est aux antipodes des canons de la mode occidentale<br />
: ces femmes n’ont pas l’habitude de s’exposer et dire “Je suis là, belle,<br />
fière”. Cela va à l’encontre de cet héritage colonial qui montre les Cholitas<br />
comme les bonnes à tout faire, soumises. Rosario prouve le contraire. »<br />
CRÉDIT MALLENDER/CHRISTIAN CLOT ZEPPELIN, MALLENDER<br />
SAVOIR FAIRE PREUVE<br />
DE PATIENCE<br />
« Dans les moments d’extrême frustration,<br />
comme quand ma moto est restée bloquée<br />
quinze jours à la douane en Éthiopie à cause<br />
d’un papier pouvant compromettre la suite du<br />
voyage, ne pas s’énerver. Au contraire : c’est un<br />
jeu de psychologie et de patience pour trouver<br />
la personne ayant le pouvoir de débloquer la<br />
situation. Idem pour la mécanique, quand vous<br />
devez attendre une pièce de rechange plusieurs<br />
jours pour réparer votre moto. Patience ! »<br />
TRANSFORMER SA<br />
PEUR EN FORCE<br />
« Parce que j’ai peur, je vais analyser le pourquoi.<br />
Je garde cette peur en tête, comme un<br />
point de vigilance. C’est mon côté chercheur<br />
(Mélusine a fait des études en géographie<br />
sociale, ndlr) : je suis dans le doute, prête<br />
à accepter que ce qui va venir sera différent<br />
de ce que j’avais anticipé. Le nombre de fois<br />
où j’ai gardé le sourire, même quand je flippais<br />
à mort… Ça donne un signal : même pas peur,<br />
je ne serai pas ta victime. »<br />
SE MONTRER CRÉATIVE<br />
« Le virus m’oblige, comme tout le monde,<br />
à revoir mes projets de voyage. Qui vont,<br />
dans le futur proche, être forcément francophones<br />
! C’est peut-être le pays que je connais<br />
le moins bien… J’y réfléchis, et me dit une<br />
fois de plus que la contrainte, moins qu’un<br />
obstacle, est une façon de le contourner. »<br />
THE RED BULLETIN 47
Dans un puits circulaire<br />
de la grotte Um<br />
Ladaw en Inde, où<br />
des scientifiques<br />
ont découvert l’année<br />
dernière une<br />
nouvelle espèce de<br />
poisson souterrain.<br />
À la rencontre des<br />
« ASTRONAUTES<br />
SOUTERRAINS »,<br />
dont les aventures<br />
dans le monde<br />
sous nos pieds<br />
aident à éclairer<br />
notre passé et<br />
à façonner<br />
notre avenir.<br />
Texte MARK BAILEY<br />
ROBBIE SHONE
la Terre<br />
49<br />
Au<br />
centre<br />
de
Nous vivons notre vie au jour le<br />
jour à la surface de la planète.<br />
Mais sous cette croûte familière,<br />
il existe de mystérieux labyrinthes<br />
de grottes, crevasses, cavernes<br />
marines et lacs souterrains.<br />
C’est la frontière<br />
oubliée de l’humanité.<br />
Nous avons exploré les pôles, les montagnes et la<br />
lune. Pourtant, plus de la moitié des cavernes de<br />
la planète n’ont pas encore été découvertes. Même<br />
la plus grande grotte connue au monde, Hang So’n<br />
Đoòng au Vietnam, n’a été cartographiée qu’en<br />
2009. Avec 38,5 millions de mètres cubes, elle pourrait<br />
abriter un gratte-ciel de quarante étages. Pourtant,<br />
l’année dernière des explorateurs ont découvert<br />
que la grotte est plus grande de 1,6 millions<br />
de mètres cubes que ce que l’on pensait auparavant.<br />
Elle possède son propre système fluvial, sa jungle<br />
et son microclimat, avec des arbres de 30 mètres<br />
de haut, et des stalagmites de 70 mètres.<br />
Au plus profond du monde souterrain, des scientifiques<br />
ont découvert des organismes qui produisent<br />
des antibiotiques ; une vie microbienne apparentée<br />
aux formes de vie les plus anciennes, existant il y a<br />
des milliards d’années ; et des pierres fantastiques et<br />
des dunes aussi étrangères à nous que les déserts de<br />
Vénus. En 2017, des experts de la NASA ont fait revivre<br />
une forme de vie microbienne qui était restée<br />
endormie dans des cristaux de gypse au fond d’une<br />
grotte mexicaine pendant près de 50 000 ans, faisant<br />
émerger l’espoir que des organismes extraterrestres<br />
puissent être trouvés dans des environnements extrêmes<br />
sur des planètes éloignées.<br />
« J’ai exploré des grottes partout sur la planète et<br />
vu des choses les plus spectaculaires qui soient, dit<br />
l’exploratrice souterraine et microbiologiste Hazel<br />
Barton, qui a travaillé avec la NASA au Mexique. Et<br />
mes yeux ont été les premiers à voir ces microbes.<br />
Quand vous pensez au premier alunissage et à Neil<br />
Armstrong… L’expérience du “premier homme sur la<br />
lune” est un phénomène rare. Mais dans les grottes,<br />
c’est quelque chose qui arrive régulièrement. »<br />
Les spéléologues doivent se faufiler dans des fissures<br />
semblables à des étaux et naviguer dans l’obscurité<br />
totale. Savoir par où commencer est la première<br />
difficulté. « Les grottes sont uniques en ce sens<br />
qu’on ne peut pas les voir, dit Dr Barton. Les montagnes<br />
sont visibles, l’espace est visible. La meilleure<br />
comparaison que nous puissions faire est avec<br />
l’océan, mais on peut le cartographier à l’aide d’un<br />
sonar. Avec les radars à pénétration de sol, on peut<br />
s’estimer heureux si on récolte des résultats à 30<br />
mètres de profondeur. Le seul moyen d’obtenir des<br />
résultats, c’est d’aller sur le terrain. »<br />
Avec le changement climatique et l’accroissement<br />
de la pollution, les calottes glaciaires qui fondent<br />
et les infections résistantes aux médicaments qui<br />
prolifèrent, explorer le monde souterrain n’a jamais<br />
été aussi urgent. Les glaciologues descendent en<br />
rappel dans des trous de glace pour surveiller les<br />
taux de fonte, les microbiologistes vont en profondeur<br />
à la recherche de nouveaux antibiotiques,<br />
et les plongeurs s’enfoncent dans des grottes pour<br />
démontrer la vulnérabilité de nos réserves d’eau<br />
potable.<br />
Selon MacFarlane, le monde souterrain invite<br />
à une perspective de “temps profond” qui va bien<br />
au-delà de notre propre courte durée de vie. Les<br />
paléoclimatologues étudient les stalagmites qui<br />
éclairent sur le changement climatique d’il y a<br />
650 000 ans, alors que les astronautes de l’Agence<br />
spatiale Européenne nagent dans des grottes de<br />
lave en vue d’une éventuelle mission sur Mars.<br />
Les grottes sont donc une métaphore des failles<br />
dans nos connaissances. « Loin des yeux, loin du<br />
cœur, et donc loin de la tête – c’est là le problème,<br />
alerte l’anthropologiste environnemental Dr Kenny<br />
Broad. Nous avons du mal à concevoir que 95 % de<br />
l’eau potable du monde est stockée sous nos pieds,<br />
sous forme d’eau souterraine. » Avec moins d’1 %<br />
de l’eau douce accessible stockée dans les rivières et<br />
les lacs de surface, les eaux souterraines invisibles<br />
constituent le principal système de soutien pour<br />
toute la vie humaine et animale.<br />
Mais comme nous continuons à polluer et à empoisonner<br />
la planète, les photographies, les histoires<br />
et les découvertes exceptionnelles des spéléologues<br />
contribuent à sensibiliser à la beauté et à la fragilité<br />
du monde souterrain. Ils nous forcent à réfléchir<br />
d’où vient notre eau potable, ce que nous faisons<br />
de nos déchets, et combien il nous reste encore à<br />
apprendre. Ici, nous rendons hommage aux « astronautes<br />
souterrains » qui nous donnent des visions<br />
pour le monde de demain dans l’obscurité du<br />
monde du dessous.<br />
ROBBIE SHONE<br />
50 THE RED BULLETIN
Dr Hazel Barton a trouvé<br />
des microbes susceptibles<br />
de sauver des vies dans la<br />
grotte de Lechuguilla au<br />
Nouveau Mexique (USA).<br />
La microbiologiste<br />
Dr Hazel Barton<br />
Surnommée la Lara Croft de la microbiologie,<br />
Hazel Barton a exploré des grottes sur les six<br />
continents, de Lechuguilla au Nouveau-Mexique<br />
(USA) et ses 242 km de tunnels, à la vaste<br />
Cloud Ladder Hall dans la grotte Er Wang Dong<br />
en Chine, tellement grande qu’elle possède son<br />
propre système fluvial. « Je fais du sport tous<br />
les jours, car il faut être en forme pour faire<br />
mon métier, détaille la scientifique de 48 ans<br />
qui dirige le programme de doctorat de biosciences<br />
intégrées à l’université d’Akron (Ohio,<br />
USA). Lors d’une expédition dans la grotte<br />
Lechuguilla, on reste en général huit jours sous<br />
THE RED BULLETIN 51
terre. On porte des sacs de 17 à 20 kilos, on fait<br />
du rappel dans des tunnels étroits. J’ai traversé<br />
la jungle de Bornéo pour atteindre des grottes<br />
où il faisait 25 ou 27 °C. Elles sont pleines de<br />
sangsues, vous avez de l’eau jusqu’à la taille,<br />
les chauve-souris vous frôlent le crâne. Comme<br />
pour tout dans la vie, même en vous donnant<br />
à 100 %, vous risquez de ne récolter que 3 %<br />
en retour, mais ces 3 % en valent vraiment la<br />
peine. »<br />
Les recherches du Dr Barton portent sur la<br />
résistance aux antibiotiques. Ces dérivés de<br />
composés naturels fabriqués par des microbes<br />
dans le sol aident à combattre les maladies<br />
infectieuses. Mais leur consommation abusive<br />
a conduit les microbes nuisibles à développer<br />
une résistance, affaiblissant l’efficacité des<br />
traitements de maladies telles que la pneumonie<br />
ou la tuberculose. Les Nations Unies ont<br />
averti que le nombre de décès dus à des infections<br />
résistantes aux médicaments pourraient<br />
atteindre dix millions par an d’ici 2050, qualifiant<br />
ce phénomène de « l’une des plus grandes<br />
menaces auxquelles nous soyons confrontées ».<br />
Mais Hazel Barton a fait une découverte prometteuse<br />
dans la grotte de Lechuguilla, à<br />
près de 500 mètres de profondeur.<br />
« Je sais que personne n’est jamais passé<br />
par là, dit-elle. L’endroit est immaculé. L’eau de<br />
pluie depuis la surface met mille ans à s’infiltrer,<br />
soit depuis bien avant les années 1940, lorsque<br />
les premiers antibiotiques ont été utilisés.<br />
Nous avons testé les insectes qui vivent ici, et<br />
ils étaient résistants à tous les types d’antibiotiques<br />
utilisés en médecine. Pourtant, cette<br />
« En vous donnant à 100 %,<br />
vous risquez de ne récolter<br />
que 3 % en retour, mais ces<br />
3 % en valent la peine. »<br />
grotte est restée intacte et vierge depuis quatre<br />
millions d’années. Ce qui suggère que la résistance<br />
aux antibiotiques est solidement et<br />
anciennement ancrée. »<br />
Elle prévoie de passer au crible un million<br />
de bactéries souterraines afin de trouver de<br />
nouveaux microbes qui pourraient constituer<br />
la base de nouveaux antibiotiques.<br />
Née à Bristol, Hazel Barton a commencé<br />
la spéléologie à 14 ans et s’est enthousiasmée<br />
pour l’exploration des grottes en trois dimensions.<br />
Pendant qu’elle préparait son doctorat<br />
à l’Université du Colorado, elle est partie faire<br />
des expéditions dans des grottes du Dakota du<br />
Sud et du Nouveau-Mexique. C’est durant ses<br />
recherches postdoc qu’elle a décidé de conjuguer<br />
ses deux passions.<br />
« Peu de scientifiques aiment partir à l’aventure<br />
dans des conditions humides et effrayantes.<br />
Cela m’a donné l’opportunité de visiter des<br />
grottes qu’un microbiologiste n’avait jamais<br />
pénétrées avant moi, dit-elle. Et d’y découvrir<br />
de nouvelles choses. L’exploration souterraine<br />
est très similaire à la science car on résout des<br />
problèmes et on acquiert une forme de persévérance.<br />
»<br />
L’explorateur<br />
urbain Steve Duncan<br />
brave les égouts<br />
d’Aix-la-Chapelle<br />
près de Cologne,<br />
en Allemagne.<br />
Hazel Barton<br />
étudie une formation<br />
séculaire de<br />
gypse dans la grotte<br />
de Lechuguilla.<br />
DAVE BUNNELL, STEVE DUNCAN/UNDERCITY.ORG<br />
52 THE RED BULLETIN
L’explorateur urbain<br />
Steve Duncan<br />
Équipé d’une pontonnière, de mousquetons,<br />
de cordes et de torches, l’explorateur urbain<br />
Steve Duncan se faufile dans les égouts de<br />
Londres, derrière des portes secrètes des<br />
tunnels du métro new-yorkais, ou dans les<br />
catacombes de Paris. Ses escapades souterraines<br />
nous rappellent brutalement à la fragilité<br />
de l’écologie urbaine.<br />
« La nature est une source d’inspiration<br />
géniale, mais pour ce qui est des environnements<br />
urbains, ça reste à voir, explique Duncan,<br />
41 ans, qui vit à New York. Nous supposons que<br />
l’homme est un expert en matière de gestion<br />
de la ville. Il suffit d’ouvrir le robinet pour que<br />
de l’eau coule. Mais aller sous terre pour voir<br />
d’où vient cette eau, et où elle va, cela change<br />
tout. Si l’on coupait l’alimentation en eau de<br />
New York dans un rayon de 65 à 120 km, les<br />
habitants seraient privés d’eau en moins<br />
de 24 heures. »<br />
L’exploration des égouts a convaincu<br />
Duncan qu’il n’y a pas de distinction entre<br />
les environnements naturels et humains.<br />
Les égouts modernes suivent les anciennes<br />
rivières souterraines, les égouts des villes<br />
côtières connaissent des raz-de-marée, et<br />
l’eau obéit à la loi de la gravité. « Les inondations<br />
sont causées par l’activité humaine.<br />
Ce n’est pas l’eau qui s’infiltre là où elle ne<br />
devrait pas, ce sont les bâtiments qui ont été<br />
construits là où il ne fallait pas. Avec le changement<br />
climatique, nous allons assister à<br />
de redoutables inondations en milieu urbain.<br />
Si New York et Londres veulent perdurer<br />
quelque mille ans, il faut se débarrasser de<br />
la dichotomie monde urbain/monde naturel,<br />
et impérativement se consacrer à concevoir<br />
des infrastructures durables et des planifications<br />
intelligentes. »<br />
Duncan a grandi dans le Maryland (USA),<br />
et a commencé à explorer ce qu’il y avait<br />
sous nos pieds alors qu’il était à l’université,<br />
à New York, en se faufilant dans les galeries<br />
techniques du métro à la recherche de sensations<br />
fortes. Il a échappé de justesse à<br />
des rames de métro dans des tunnels, a été<br />
arrêté pour intrusion à New York et à Paris,<br />
et a failli se noyer dans un raz-de-marée. Il<br />
a appris à neutraliser ses peurs avec une<br />
préparation minutieuse.<br />
« J’essaye de maîtriser mes craintes en<br />
prenant des mesures intelligentes et en<br />
avançant pas à pas. Je me renseigne sur les<br />
collecteurs d’eaux pluviales et les marées.<br />
Je possède un compteur de gaz pour vérifier<br />
la présence de sulfure d’hydrogène dans<br />
les égouts. Je ne veux pas m’évanouir et me<br />
noyer dans quelques centimètres d’eau… »<br />
Duncan a dû être hospitalisé à trois<br />
reprises à cause d’infections, mais même<br />
ces maladies avaient leur utilité. « C’est un<br />
bon rappel : les agents pathogènes d’origine<br />
hydrique sont les plus grands meurtriers de<br />
l’histoire de l’urbanisation. Nos égouts sont<br />
une révolution sanitaire, certes, pourtant<br />
ces agents pathogènes ne cessent de circuler<br />
sous nos pieds. Pourquoi continuonsnous<br />
de mélanger nos eaux souillées aux<br />
eaux de précipitation propres ? Il faut<br />
rendre nos cours d’eau plus propres. »<br />
Il espère que ses photographies éveilleront<br />
la curiosité et inspireront les gens à<br />
repenser les agglomérations dans lesquelles<br />
ils habitent. « Les cartes modernes n’offrent<br />
qu’une représentation incomplète des paysages<br />
urbains, dit Duncan. La réalité, elle,<br />
est tridimensionnelle. »<br />
THE RED BULLETIN 53
L’anthropologiste<br />
environnemental<br />
Dr Kenny Broad<br />
Voilà un professeur digne d’Indiana Jones<br />
auquel le National Geographic a déjà décerné<br />
le prix de l’explorateur de l’année. À 53 ans, ce<br />
chercheur sait piloter un hélicoptère, a joué les<br />
cascadeurs à Hollywood, et adore les tenues<br />
de plongée. Il enseigne l’anthropologie environnementaliste<br />
à l’université de Miami et plonge<br />
dans toutes les grottes sous-marines qui se<br />
présentent à lui, des Bahamas au Mexique, pour<br />
étudier le changement climatique, l’évolution<br />
et la gestion de l’eau douce.<br />
« Explorer une grotte sous-marine, c’est<br />
comme pénétrer dans la cathédrale de Saint-<br />
Jacques-de-Compostelle, sauf qu’au lieu<br />
d’avancer dans la nef, vous plongez et vous<br />
glissez sous les voûtes en l’espace d’un instant,<br />
raconte Kenny Broad. C’est une explosion<br />
de beauté qui passe par tous vos sens, une<br />
sensation de flow incroyable. »<br />
Il a appris à plonger gamin ; son hobby est<br />
devenu une aptitude majeure dans ses<br />
recherches. Les sédiments et les stalagmites<br />
sous-marins renferment des indices vitaux sur<br />
les changements climatiques qui ont déjà eu<br />
lieu, sur l’environnement anoxique (ou sans<br />
oxygène) qui a permis la préservation des fossiles.<br />
Son équipe a trouvé des restes d’oiseaux<br />
et de vertébrés jusque-là non répertoriés.<br />
« En plongeant dans ces<br />
cavernes, vous revenez<br />
aux principes fondamentaux<br />
de la vie : chaque<br />
respiration compte. »<br />
Kenny Board plonge dans des trous bleus<br />
(cavernes marines submergées) aux Bahamas<br />
qui servent de comparaison avec les océans<br />
tels qu’ils existaient il y a des millénaires.<br />
« Toutes les vies sont reliées à la plus ancienne<br />
forme de vie sur Terre, il y a plus de deux milliards<br />
et demi d’années. Ils reflètent autant<br />
que possible ce qui peut se passer sur d’autres<br />
planètes. J’ai parlé à quelqu’un de la NASA,<br />
parce qu’il pourrait y avoir quelque chose<br />
d’équivalent, un océan souterrain, sous la<br />
croûte d’Europe, à l’une des lunes de Jupiter.<br />
Ils sont intéressés par les organismes extrêmophiles,<br />
qui supportent des conditions de vie<br />
normalement mortelles pour d’autres. »<br />
Le Dr Broad a fait une apparition dans la<br />
série documentaire du National Geographic,<br />
One Strange Rock (commentée par Will Smith).<br />
Il aime partager le fruit de ses recherches avec<br />
les écoles et les entreprises. Transmettre ce<br />
savoir est aussi important que la recherche<br />
pure, explique-t-il, car « ce n’est pas une nouvelle<br />
publication dans une revue scientifique<br />
spécialisée qui va faire changer la politique ni<br />
les comportements ou les habitudes en matière<br />
d’utilisation de l’eau courante ».<br />
Malgré les dangers de la plongée dans des<br />
cavernes sous-marines, il reste convaincu que<br />
les explorateurs comme lui ramènent de précieuses<br />
leçons de vie à la surface. « Vous revenez<br />
aux principes fondamentaux de la vie :<br />
chaque respiration compte. Et vous réalisez<br />
que vous nagez dans les veines de la Terre. »<br />
Dr Kenny Broad<br />
nage dans un trou<br />
bleu aux Bahamas.<br />
WES C. SKILES/NATGEO, JILL HEINERTH, ROBBIE SHONE<br />
54 THE RED BULLETIN
D’énormes stalagmites<br />
dans le<br />
spectaculaire<br />
Er Wang Dong, en<br />
Chine : un ensemble<br />
de grottes si vastes<br />
qu’elles ont leur<br />
propre système météorologique,<br />
comme<br />
l’a photographié le<br />
spéléologue et photographe<br />
britannique<br />
Robbie Shone.<br />
ROBBIE SHONE<br />
Le photographe<br />
souterrain<br />
Robbie Shone<br />
L’Anglais Robbie Shone prend de sublimes<br />
images de grottes qui, il l’espère, inspireront<br />
un sens du miracle et un profond respect<br />
pour le monde qui coexiste de l’autre côté de<br />
la croûte terrestre. Ses plus belles photos<br />
regroupent la grotte Veryovkina en Géorgie,<br />
2 212 m de fond, la plus profonde connue sur<br />
Terre et la vaste grotte Sarawak à Bornéo et<br />
ses 164 459 m 2 , assez longue pour abriter<br />
huit Boeing 747.<br />
« Quand j’ai commencé la spéléologie,<br />
c’était pour l’excitation que ça procurait.<br />
Je continue d’être grisé dès je descends le<br />
long d’une corde dans une totale obscurité,<br />
raconte Shone, 40 ans, qui vit à Innsbruck,<br />
en Autriche. Mais surtout, j’aime photographier<br />
les grottes où personne n’est jamais allé.<br />
Sur une île en Papouasie Nouvelle-Guinée, j’ai<br />
exploré des grottes formées bien longtemps<br />
avant l’apparition des dinosaures. Elles<br />
n’avaient jamais été vues par l’homme auparavant,<br />
et ne le seront peut-être plus jamais. »<br />
Shone a commencé à faire de la spéléologie<br />
dans les Yorkshire Dales (Angleterre) alors<br />
qu’il étudiait l’art et la photographie à l’université<br />
de Sheffield Hallam. « J’ai eu une vive<br />
réaction à l’obscurité et l’adrénaline déchargée<br />
par le monde du dessous », dit-il. Plus<br />
« Rencontrer tous ces<br />
scientifiques a rempli un<br />
grand vide en moi et a<br />
donné un sens nouveau<br />
à mon travail. »<br />
tard, il met ses compétences en matière de<br />
cordage à profit en nettoyant des gratte-ciels<br />
pour financer des voyages de spéléologie,<br />
avant que magazines et scientifiques ne lui<br />
passent commande.<br />
Lors de son expédition à Veryovkina en<br />
2018, il a été pris dans une étrange inondation.<br />
« Je me souviens du bruit de l’eau qui<br />
déferlait comme un train fonçant sur moi. En<br />
grimpant pour sortir de la grotte, l’eau m’emportait<br />
violemment. Il fallait que je garde ma<br />
tête à l’horizontal pour respirer. Cette expérience<br />
m’a traumatisé pendant des mois. Je<br />
me suis saoulé. Je n’arrivais plus à dormir. »<br />
Il a retrouvé confiance en dialoguant avec<br />
lui-même. « Je m’efforçais de me remémorer<br />
que les grottes sont normalement des<br />
endroits sûrs. Les murs ne s’effondrent pas<br />
comme les puits de mine construits par les<br />
hommes. Et j’ai aussi suivi un cours de plongée<br />
en eau libre pour être en confiance. »<br />
Shone aime documenter le travail des<br />
microbiologistes, des scientifiques et des<br />
géologues. Il a même accompagné des astronautes<br />
de l’ESA dans des tunnels de lave à<br />
Lanzarote, où les géologues leur ont appris<br />
à ramasser des échantillons de roches pour<br />
une éventuelle mission sur Mars. « Rencontrer<br />
tous ces scientifiques a rempli un grand vide<br />
en moi et a donné un sens nouveau à mon travail.<br />
J’espère que mes photos pourront révéler<br />
ces brillants esprits qui nous aident à comprendre<br />
notre planète, pour la sauver. »<br />
THE RED BULLETIN 55
« On se sert de la spéléologie<br />
et de l’escalade sur glace pour<br />
trouver des crevasses que les<br />
alpinistes cherchent à éviter. »<br />
La glace sur les cordes est dangereuse pour le<br />
Dr Sam Doyle lors de la descente en rappel d’un<br />
moulin vertical sur le glacier suisse du Gorner.<br />
56 THE RED BULLETIN
ROBBIE SHONE (2)<br />
Le glaciologue<br />
Dr Sam Doyle<br />
Environ 10 % de la surface terrestre<br />
est couverte de calotte<br />
glaciaire, d’inlandsis et de glaciers,<br />
dont le mouvement et la<br />
fonte sont essentiels pour l’étude<br />
du changement climatique et de<br />
l’élévation du niveau de la mer.<br />
Pour analyser les glaciers de<br />
Suisse, du Groenland et de l’Antarctique,<br />
Sam Doyle – glaciologue<br />
de terrain à l’université<br />
d’Aberystwyth (Pays de Galles) –<br />
descend en rappel des puits de<br />
glace verticaux appelés « moulins<br />
» qui se forment lorsque<br />
l’eau de fonte creuse un trou dans<br />
le glacier au fil du temps. « C’est<br />
très exigeant physiquement, il<br />
fait froid, c’est humide, précise<br />
Sam Doyle. Vous êtes dans un<br />
espace étroit, glissant, et il y a<br />
toujours un risque d’écoulement<br />
d’eau. Nous partons à 2 ou 3<br />
heures du matin en automne,<br />
alors qu’il gèle, parce qu’on ne<br />
veut pas que la glace se mette<br />
à fondre pendant qu’on est en<br />
bas. On utilise des techniques<br />
de spéléologie et d’escalade sur<br />
glace, à la recherche de crevasses<br />
que les alpinistes, eux, essaient<br />
à tout prix d’éviter. Sur le glacier<br />
du Gorner en Suisse, nous avons<br />
exploré un moulin vertical d’une<br />
profondeur de 86 mètres. Nos<br />
cordes super fines de 7 mm de<br />
diamètre étaient gelées, si bien<br />
que nos appareils de descente<br />
ont commencé à glisser de façon<br />
inquiétante. La descente est<br />
devenue très rapide et difficile<br />
à contrôler. »<br />
Doyle perce des trous à l’aide<br />
de jets d’eau chaude pour déposer<br />
des capteurs qui vont enregistrer<br />
les changements de pression<br />
et de mouvements de l’eau.<br />
« La fonte de la glace de surface<br />
s’écoule vers le lit et peut accélérer<br />
ou ralentir la progression<br />
d’un glacier, selon les conditions.<br />
Mes recherches posent la question<br />
suivante : la fonte de la glace<br />
va-t-elle s’accélérer si le climat<br />
se réchauffe ? Est-ce que plus<br />
de glace va être déversée dans<br />
l’océan ? »<br />
Travailler de nuit par des températures<br />
de − 10 °C peut être à<br />
la fois éreintant et décourageant.<br />
« Il faut contrôler sa peur en<br />
évaluant le risque et en ayant les<br />
bonnes notions, poursuit celui<br />
qui a grandi en pratiquant la spéléologie<br />
en Écosse. Se déplacer<br />
sous la glace est incroyable. Tout<br />
est d’un bleu éclatant. »<br />
Des grottes telles<br />
que Lechuguilla<br />
révèlent le passé au<br />
paléoclimatologue<br />
Dr Gina Moseley.<br />
La paléoclimatologue<br />
Dr Gina Moseley<br />
Les grottes sont des capsules temporelles qui<br />
aident les scientifiques à explorer le passé –<br />
et à prévoir l’avenir. « Elles sont connectées<br />
mais aussi préservées de la surface. Ainsi, elles<br />
peuvent conserver des informations sur le climat<br />
depuis des centaines de milliers d’années,<br />
développe Gina Moseley, paléoclimatologue<br />
à Innsbruck, en Autriche. Nous sommes les<br />
témoins d’un changement climatique rapide<br />
qui n’a pas de précédent. Nous pouvons regarder<br />
en arrière, à une époque où le climat a évolué<br />
rapidement, en libérant du gaz carbonique<br />
dans l’atmosphère, et nous demander ce qu’il<br />
s’est passé. Quelles ont été les conséquences ? »<br />
Pendant l’ère quaternaire, qui dure depuis<br />
2,6 millions d’années, la Terre a connu des<br />
variations entre des périodes glaciaires<br />
(froides) et interglaciaires (chaudes), dues<br />
à l’orbite de la planète par rapport au soleil.<br />
Les périodes chaudes déclenchent la fonte des<br />
océans et libèrent le CO 2 retenu au fond des<br />
océans dans l’air, ce qui accélère le réchauffement<br />
climatique ; l’étude de ces phénomènes<br />
permet d’anticiper le changement climatique.<br />
Gina Moseley dirige un projet sur les cavernes<br />
du Groenland. La région arctique est particulièrement<br />
vulnérable au changement climatique ;<br />
ses conséquences se font sentir partout sur<br />
le globe, notamment avec l’élévation du niveau<br />
de la mer et avec les perturbations climatiques.<br />
Pour atteindre les grottes isolées du Groenland,<br />
elle part en expédition de longue durée, enchaînant<br />
randonnées et voyages en bateau, équipée<br />
de forets, de marteaux et de cordes.<br />
« J’étudie les stalagmites – ces chandeliers<br />
qui se forment sur le sol des grottes, sculptés<br />
par les gouttes d’eau qui tombent du plafond.<br />
L’eau transporte avec elle une signature<br />
chimique qui fonctionne tel un indicateur de<br />
la température, du taux d’humidité, de la présence<br />
de végétation aux abords de la grotte,<br />
ou même d’une présence humaine. Nous coupons<br />
un bout de ces stalagmites pour analyser<br />
les informations qu’ils renferment. Notre champ<br />
d’étude couvre une période de 650 000 ans…<br />
Au Groenland, nous avons trouvé de magnifiques<br />
coulées rocheuses formées par de fines<br />
nappes d’eau. Cela prouve que malgré le permafrost<br />
qui couvre le sol, il a dû faire plus chaud<br />
et plus humide sur Terre par le passé. Ces éléments<br />
aident à prévoir ce qu’il risque d’arriver<br />
si les températures continuent de changer. »<br />
Originaire de Cannock (Angleterre), Gina<br />
Moseley s’est essayé à la spéléologie à douze<br />
ans, en famille. Plus tard, elle part explorer<br />
des grottes aux Bahamas dans le cadre de son<br />
doctorat en Sciences géographiques à l’université<br />
de Bristol. « J’ai réalisé qu’il était possible<br />
d’étudier les grottes sous un angle scientifique,<br />
et tout s’est mis en place. Si j’arrive à captiver<br />
les gens par le biais de l’aventure, et qu’ils<br />
finissent par se mobiliser au changement<br />
climatique, alors je suis comblée. »<br />
THE RED BULLETIN 57
Les patins<br />
de l’espoir<br />
Dans la ville historique d’Athènes, de jeunes<br />
femmes grecques, les CHICKS IN BOWLS,<br />
reconquièrent l’espace, naviguent dans un<br />
avenir incertain et se bougent pour le progrès.<br />
Et ça se passe sur des patins.<br />
Texte ALEX KING<br />
Photos MARK LEAVER
Suzana Bakatsia<br />
glisse sur le tarmac<br />
miteux de l’ancien<br />
aéroport d’Hellinikon,<br />
au sud d’Athènes.<br />
59
« Après avoir commencé<br />
le patin, j’ai imaginé des filles<br />
radicales, conquérant la ville<br />
sur leurs rollers. »<br />
L orsque vous vous approchez de l’ancien<br />
aéroport d’Athènes, des panneaux de signalisation<br />
ternis par le soleil vous dirigent vers les arrivées<br />
nationales et les départs internationaux. Mais rien<br />
n’a décollé ici depuis des décennies. De vieux avions<br />
attendent dans un silence sinistre, et la tour de<br />
contrôle contemple une piste aux fissures perforées<br />
par la végétation.<br />
Cet après-midi, un groupe de patineuses s’est<br />
retrouvé dans l’ancienne salle de départ. Elles se<br />
promènent, explorent ses recoins oubliés et slaloment<br />
entre ses piliers délabrés. Pour beaucoup de<br />
ces femmes, faire du roller ici a toujours été un rêve.<br />
Alors qu’Athènes émerge timidement d’une<br />
décennie de chaos économique, de jeunes patineuses<br />
se battent pour l’espace dans leur ville. Cette génération<br />
de Grecques a grandi avec peu d’opportunités,<br />
mais cela leur a appris une leçon précieuse : si vous<br />
voulez assouvir votre passion, faites-le vous-même.<br />
Alors que l’aide et les infrastructures destinées aux<br />
jeunes ont été victimes de la crise économique historique<br />
que traverse la Grèce, les Chicks in Bowls<br />
Athens utilisent le patin à roulettes pour créer leur<br />
propre communauté, s’exprimer et forger une nouvelle<br />
relation avec leur ville. Jour après jour, elles<br />
se présentent sur les spots de skate à dominante<br />
masculine, exigeant respect et intégration. « Ici, tous<br />
les skateparks sont dominés par les hommes, point !,<br />
Depuis 2001, rien ni personne n’a décollé à l’aéroport Hellinikon d’Athènes.<br />
Le site est resté vide pendant des années, attendant d’être réaménagé.<br />
60 THE RED BULLETIN
(De gauche à droite)<br />
Stefania Malama,<br />
Suzana Bakatsia et<br />
Sofia Argyraki patinent<br />
dans le terminal vide<br />
de l’aéroport.
« Pratiquer le roller nous aide<br />
à sortir de ce qui est, pour<br />
la plupart des gens, une réalité<br />
vraiment difficile. »<br />
62 THE RED BULLETIN
Ci-dessous : le team<br />
en virée freestyle<br />
autour du parking<br />
vide près du sommet<br />
du mont Lycabette<br />
d’Athènes,<br />
juste avant le lever<br />
du soleil.<br />
Page opposée :<br />
(de gauche à droite)<br />
Suzana Bakatsia,<br />
Constantina Xafi<br />
et Lydia Panagou<br />
attendent le lever<br />
du soleil au sommet<br />
du Lycabette<br />
après avoir ridé<br />
toute la nuit.<br />
dit Constantina Xafi, 28 ans. Quel que soit votre<br />
niveau et le type de personne que vous êtes, vous<br />
méritez une place au skatepark. » Xafi est l’une des<br />
forces motrices du groupe. Elle travaille dans le<br />
monde du théâtre, a fondé sa propre entreprise de<br />
sérigraphie et est bénévole en tant qu’enseignante<br />
pour Free Movement Skateboarding, qui offre des<br />
cours gratuits de skateboard à de jeunes Grecs et à<br />
des réfugiés. Xafi travaille à la réalisation de son rêve<br />
de créer un skatepark rempli de bowls adaptés aux<br />
pratiquants du patin à roulettes, mais ouvert à tous.<br />
Même si chaque type de rider considère que le skatepark<br />
est le sien – sur un skate, une BMX, une trottinette<br />
ou des rollers en ligne – les patineuses sont<br />
presque toujours des femmes. Et la construction<br />
d’une communauté forte a changé la donne.<br />
« Après avoir commencé le patin à roulettes, je me<br />
suis mise à imaginer des filles radicales, conquérant<br />
la ville sur leurs rollers », se souvient Sofia Argyraki,<br />
31 ans, co-fondatrice de Chicks in Bowls Athens. En<br />
janvier 2015, Sofia est allée patiner sur la rampe de<br />
BMX de Vrilissia, aujourd’hui démolie, une ville de<br />
la banlieue nord d’Athènes, avec ses amies Christina<br />
Rodopoulou et Akylina Palianopoulou. Le trio a<br />
passé la plus grande partie de l’après-midi à attaquer<br />
la rampe ensemble, s’encourageant mutuellement à<br />
y aller plus fort. Épatées par leur propre motivation,<br />
elles ont créé un team pour encourager d’autres<br />
femmes à partager leur passion. Le groupe compte<br />
aujourd’hui environ trente à quarante filles qui<br />
se réunissent régulièrement pour rider dans leurs<br />
parks favoris et explorer la ville ensemble.<br />
métropole d’Athènes n’est pas un<br />
paradis pour riders ; c’est une ville à la planification<br />
chaotique, très dense, dispersée sur de<br />
L’ancienne<br />
nombreuses collines escarpées, et truffée de<br />
nids de poule et de trottoirs cabossés, particulièrement<br />
dangereux pour les petites roues en uréthane<br />
des patins. Si vous voulez rider une rampe de skate<br />
à Athènes, il n’y a pas beaucoup d’options ; la ville<br />
ne dispose pas de skateparks municipaux somptueux<br />
ni d’une administration encline à tolérer les spots<br />
faits maison. Certaines banlieues disposent de petits<br />
parks, mais les meilleurs spots ont été construits<br />
par les riders eux-mêmes, qu’il s’agisse du vaste<br />
park indépendant de Galatsi ou de l’unique bowl<br />
d’Athènes, l’espace expérimental de skate/art<br />
Latraac du côté de Kerameikos. Mais, malgré ces<br />
conditions défavorables, la ville abrite une communauté<br />
de plus en plus dynamique de skateurs, de<br />
BMXers et, plus récemment, de roller girls.<br />
Lydia Panagou, 23 ans, l’une des rideuses les<br />
plus accomplies du groupe, est l’un des moteurs de<br />
cette scène en progression. « Ce que j’aime le plus<br />
dans le roller, c’est qu’il me permet de me rapprocher<br />
des autres, dit-elle. Nous organisons des rencontres,<br />
nous avons notre musique et nous nous déplaçons<br />
dans la ville vers nos endroits préférés. Chacun se<br />
déplace et s’habille comme il le souhaite. Il est<br />
important de ne faire qu’un avec ses patins : le style,<br />
l’esthétique, le rythme. C’est ce qui ressort quand<br />
il y a une harmonie et que vous vous sentez à l’aise<br />
avec vous-même et avec les gens qui vous entourent.<br />
Vos amis vous encouragent et vous élèvent. »<br />
N’importe qui peut connecter avec les Chicks in<br />
Bowls Athens sur Instagram et participer à l’une de<br />
leurs sessions régulières, de la nouvelle rideuse à la<br />
fille de passage en quête de relations locales. « Avoir<br />
une communauté est vraiment important, déclare<br />
l’artiste et architecte Foteini Korre, 29 ans. De nombreux<br />
spots sont éloignés, ce qui motive moyennement<br />
à y aller seule. Mais lorsqu’on bouge et ride<br />
ensemble, on s’aide et se soutient mutuellement,<br />
on se nourrit de l’énergie des autres. »<br />
Korre n’a pas souvenir d’avoir pratiqué le patin<br />
à roulettes quand elle était gamine. « Ma génération<br />
de filles n’a pas eu l’occasion de faire ça. On nous<br />
demandait de jouer à la poupée ou de rester à la<br />
maison pour les tâches ménagères, pendant que nos<br />
frères jouaient dans la rue. J’ai commencé le roller<br />
à 28 ans, et j’aurais aimé en avoir eu la possibilité<br />
à six. C’est difficile quand on réalise qu’à vingt ans,<br />
on veut récupérer le temps perdu. »<br />
Les skateparks à dominance masculine ne sont<br />
pas uniques à Athènes. Partout dans le monde, des<br />
efforts énormes ont été faits ces dernières années<br />
pour rendre la culture du skate plus inclusive, mais<br />
cela reste en grande partie un territoire d’hommes.<br />
« Aller dans cet espace en tant que femme alors que<br />
la majorité des riders sont des garçons crée une<br />
division, automatiquement, explique la fondatrice<br />
de Chicks in Bowls, Samara Buscovick, alias Lady<br />
Trample. Que ce soit intentionnel ou non, on a<br />
THE RED BULLETIN 63
l’impression que tous les yeux sont tournés vers<br />
nous. Cela peut être vraiment intimidant, surtout<br />
si vous êtes nouvelle. La majorité des interactions<br />
que j’ai eues dans les parks ont été en fait très positives,<br />
mais il y a toujours le sentiment que vous<br />
êtes un extraterrestre dans leur espace – vous devez<br />
prouver que vous y avez votre place. »<br />
Originaire d’Auckland, en Nouvelle-Zélande,<br />
et désormais basée à Kremmling, dans le Colorado<br />
(USA), la pro du roller derby Lady Trample a été initiée<br />
aux patins dans des bowls par son amie Michelle<br />
« Cutthroat » Hayes en novembre 2012. Elle en est<br />
immédiatement devenue accro. Au cours d’une session<br />
quelques semaines plus tard, une amie s’est<br />
exclamée : « “C’est tellement cool de voir toutes ces<br />
poulettes dans des bowls !”, et le nom est resté. »<br />
Sept ans après que Trample a commencé à construire<br />
cette communauté inclusive, Chicks in Bowls (CIB)<br />
compte plus de 300 clubs dans le monde.<br />
« Une des belles choses que vous permet le CIB,<br />
c’est de connecter avec votre section locale et de ne<br />
plus vous sentir isolée, dit Trample. Un changement<br />
culturel a eu lieu ; les femmes et les patins de type<br />
quad sont désormais plus nombreux dans les parks<br />
– et ces parks sont devenus des espaces plus sûrs. »<br />
Pourtant, il reste du travail à faire, notamment<br />
en Grèce, historiquement l’un des pays les plus<br />
La jungle de béton tentaculaire qui constitue la capitale grecque,<br />
vue du sommet du mont Lycabette.<br />
conservateurs d’Europe, où les attitudes patriarcales<br />
ont la vie dure. Pour les femmes du CIB<br />
Athènes, il y a parfois des rappels frustrants que<br />
la ville est encore en train de rattraper son retard.<br />
« L’espace public est principalement occupé par les<br />
hommes, et c’est un fait, déclare Korre. On le voit<br />
dans la rue : s’il n’y a de la place que pour une personne<br />
sur le trottoir, un homme va simplement<br />
marcher droit et on attend de vous que vous bougiez.<br />
C’est l’héritage des femmes qui sont restées<br />
enfermées dans leur maison pendant tant d’années<br />
sans aucun droit. Ici, les femmes n’ont obtenu le<br />
droit de vote qu’en 1952. »<br />
Les skateparks grecs reflètent la situation de la<br />
société en général, qui évolue lentement, mais<br />
pas assez vite pour beaucoup. « Je sais que je<br />
suis loin d’être une pro du patin, mais certains<br />
jeunes hommes du park m’ont complètement manqué<br />
de respect, dit Korre avec un sentiment d’exaspération.<br />
Une grande partie de notre pratique<br />
consiste à récupérer de l’espace. Pour moi, c’est<br />
politique en soi – c’est une question de féminisme<br />
et d’autonomie en tant que femme. La plupart des<br />
gens dans les skateparks sont cool, mais vous devez<br />
parfois faire face à des comportements sexistes et<br />
misogynes. Plus on se présente là où les gens rident,<br />
plus on est acceptées. Maintenant, la plupart ont<br />
commencé à se rendre compte que nous sommes<br />
là pour rester. »<br />
Pour les jeunes rideuses de la ville, il y a bien<br />
d’autres raisons pour lesquelles il est si important<br />
d’avoir une section athénienne du CIB et la communauté<br />
qu’elle contribue à construire. « La vérité est<br />
que j’aime la Grèce, j’aime Athènes et j’aime l’endroit<br />
où j’ai grandi, dit Panagou. D’une certaine<br />
manière, nous nous sommes habituées à vivre<br />
comme ça, mais les choses sont difficiles pour la<br />
jeune génération. »<br />
La crise de la dette grecque a éclaté fin 2009 et<br />
est devenue la pire catastrophe économique de l’histoire<br />
de l’Union européenne. Avec un taux de chômage<br />
avoisinant les 60 %, les jeunes ont été particulièrement<br />
touchés. Après des années d’austérité et<br />
de réductions des dépenses, de nombreux services<br />
sur lesquels les jeunes comptent – écoles, universités,<br />
installations sportives – ont un besoin urgent<br />
de rénovations et d’investissements.<br />
Les politiciens ont annoncé à plusieurs reprises<br />
que la crise était terminée, mais les jeunes Grecs<br />
n’ont guère vu leurs perspectives s’améliorer. La plupart<br />
des emplois disponibles, généralement dans le<br />
tourisme, sont mal payés. Cela laisse donc Panagou,<br />
qui est sur le point de terminer son diplôme de<br />
l’École des beaux-arts d’Athènes, face à un choix<br />
déchirant : « C’est difficile pour quelqu’un de mon<br />
âge qui a des espoirs et des rêves pour l’avenir. Pour<br />
trouver du travail dans les arts, je vais probablement<br />
devoir partir à l’étranger. Mais j’aimerais trouver<br />
quelque chose qui me permette de rester en Grèce<br />
et participer au changement. »<br />
64 THE RED BULLETIN
Le terminal négligé<br />
d’Hellinikon est un<br />
terrain de jeu pour<br />
l’équipe des CIB<br />
Athènes : un endroit<br />
pour se retrouver et<br />
essayer de nouveaux<br />
mouvements en<br />
totale liberté.<br />
Avec son économie si dépendante du tourisme,<br />
la Grèce est sévèrement touchée par<br />
la pandémie de COVID-19. Le désastre financier<br />
plane au-dessus des Athéniens comme<br />
une épée de Damoclès. Tandis que Panagou essaie<br />
de se concentrer sur la fin de ses études et ce qu’elle<br />
fera ensuite, le roller lui procure un réconfort salutaire.<br />
« Il ne s’agit pas seulement d’étudier ; je ressens<br />
le stress et la pression de la ville et du rythme<br />
dans lequel nous vivons, explique-t-elle. Le patin<br />
m’aide à m’éloigner de tout cela. Sortir avec des<br />
amis pour faire notre truc, faire des figures, ou simplement<br />
rire et parler de choses anodines... Tout<br />
cela me fait du bien. Pratiquer le roller nous aide<br />
à sortir de ce qui est, pour la plupart des gens, une<br />
réalité vraiment difficile. »<br />
Xafi et sa pote de roller Eva Balasi, trente ans, se<br />
sont retrouvées pour une soirée à la mini-rampe de<br />
Vyronas, nichée dans la forêt sous le mont Hymette.<br />
Après avoir dépensé toute leur énergie, elles<br />
« Chacun appartient au<br />
putain d’endroit auquel<br />
il veut appartenir,<br />
où il se sent libre. »<br />
reprennent leur souffle au pied de la grande rampe<br />
en béton. « La plupart des rampes d’Athènes sont<br />
construites pour les skateurs et sont grandes,<br />
glissantes et dangereuses pour les quads, comme<br />
celle-ci », raconte Balasi, qui s’est cassé le tibia en<br />
deux endroits après être tombée ici en mars dernier.<br />
Pourtant, même avec une tige en titane de 34 cm<br />
dans la moelle osseuse, deux vis dans le genou et<br />
deux autres dans la cheville, la photographe de<br />
mode ne pouvait pas s’empêcher de rider : six<br />
semaines après l’opération, elle patinait à nouveau,<br />
bien qu’on lui ait dit de se reposer pendant six mois.<br />
« Patiner, c’est tomber, ajoute Xafi, philosophiquement.<br />
Quand tu tombes, tu dois te relever et te<br />
remettre sur pied. »<br />
Elle poursuit : « Le féminisme consiste à répandre<br />
l’égalité ; je ne vois pas de frontières dans le roller.<br />
Quand vous voyez des garçons et des filles qui se<br />
soutiennent mutuellement, c’est là que la magie<br />
opère. Il n’est pas nécessaire de dire qui appartient<br />
et qui n’appartient pas à cet endroit. Chacun appartient<br />
au putain d’endroit auquel il veut appartenir,<br />
où il se sent libre. En Grèce, nous n’avons pas les<br />
infrastructures ni les opportunités pour les jeunes.<br />
Mais c’est la beauté du “fais-le toi-même” : nous<br />
avons des rues et nous pouvons nous rassembler<br />
pour construire ce que nous voulons. Nous pouvons<br />
être le changement que nous voulons voir arriver. »<br />
Le CIB d’Athènes en action, c’est dans le documentaire<br />
court Athena Skates, sur redbull.com<br />
THE RED BULLETIN 65
La vie du peuple<br />
navajo est définie par le<br />
besoin d’eau potable.<br />
Leurs membres qui<br />
alimentent le Navajo<br />
Water Project sont<br />
donc des héros.<br />
L’ E AU SAC R É E<br />
Dans cette réserve navajo aux États-Unis, l’association caritative<br />
NAVAJO WATER PROJECT procure l’eau quotidienne et essentielle à<br />
une communauté indienne sévèrement touchée par la pandémie.<br />
Texte BILL GIFFORD<br />
Photos JIM KRANTZ<br />
67
A<br />
u cœur de la nation Navajo, à une dizaine<br />
de kilomètres de la route goudronnée la<br />
plus proche, Donovan Smallcanyon pilote<br />
un Ford F350 blanc sur une voie sableuse.<br />
Devant lui, la terre s’éloigne vers le Little<br />
Colorado River, qui rejoint bientôt son<br />
grand frère pour former le Grand Canyon.<br />
Mais ici, tout est sec. La seule eau à disposition<br />
s’agite dans un énorme réservoir<br />
en plastique sur une remorque derrière<br />
le camion de Smallcanyon.<br />
Pour un observateur local, Smallcanyon<br />
et son partenaire, Steven Chief,<br />
ressemblent à une paire de « transporteurs<br />
d’eau » navajos, transportant le<br />
précieux liquide vers les réservoirs<br />
d’abreuvement du bétail ou vers les<br />
maisons de la famille ou des amis. Les<br />
camionnettes qui s’affaissent sous le<br />
poids des barils d’eau sont un spectacle<br />
courant dans la réserve. Mais celle-ci<br />
a une mission différente.<br />
Enfin, la route s’enfonce dans un<br />
creux et on aperçoit une petite enceinte,<br />
avec une habitation traditionnelle en<br />
terre ronde appelée hogan, et un logement<br />
plus moderne en pierre et en<br />
brique. Derrière, un corral en bois est<br />
occupé par des moutons et des chèvres.<br />
Howard et Lily Dugi, éleveurs de moutons<br />
navajos octogénaires, s’occupent<br />
de leurs animaux à notre arrivée. Emma<br />
Robbins et Shanna Yazzie, deux femmes<br />
navajos d’une trentaine d’années, sortent<br />
de leur véhicule suiveur et s’approchent<br />
du couple, portant des masques et les<br />
saluant en navajo : « Yá’át’ééh ! »<br />
chantent-elles.<br />
Emma est la directrice du Navajo<br />
Water Project, une association novatrice<br />
à but non lucratif dont la mission est<br />
d’apporter de l’eau courante et propre<br />
aux habitants de la nation Navajo qui<br />
en manquent, comme les Dugi. Sa camarade<br />
Shanna est la coordinatrice du<br />
projet pour cette zone de la réserve,<br />
qui s’étend à travers l’Arizona, l’Utah et<br />
le Nouveau-Mexique, occupant un territoire<br />
plus grand que la Virginie occidentale.<br />
Toutes deux ont grandi à proximité.<br />
Howard ouvre un portail et ses animaux<br />
sortent du corral, se précipitant<br />
vers un abreuvoir à une cinquantaine<br />
de mètres de là. Leur pelage est hirsute,<br />
prêt à être tondu. Un mouton boite dans<br />
une autre direction, et Howard soupire,<br />
attrape un lasso et saute sur son quad<br />
pour le poursuivre. En faisant tourner<br />
la corde avec grâce, il attrape le fuyard<br />
avec un lancer d’expert. « Ces animaux,<br />
c’est la richesse des Navajos », plaisante<br />
Shanna, les yeux pétillants.<br />
Nous sommes le 11 septembre <strong>2020</strong>,<br />
six mois après le début de la pandémie,<br />
et les nations Navajo et Hopi comptent<br />
parmi les régions les plus touchées du<br />
pays. Plus de 10 000 Navajos ont été diagnostiqués<br />
avec la maladie, et 540 sont<br />
morts, parmi lesquels un employé du<br />
Navajo Water Project qui a probablement<br />
contracté la maladie lors d’une cérémonie<br />
sacrée en Arizona. Le nombre de nouveaux<br />
cas a fortement diminué, pour<br />
atteindre presque zéro, mais la communauté<br />
est toujours confinée, avec des<br />
couvre-feux nocturnes. L’économie locale<br />
a été écrasée. Des panneaux sur les routes<br />
invitent à rester chez soi : « PROTÉGEZ<br />
NOS AÎNÉS ! » Howard et Lily ont reçu<br />
à l’occasion des livraisons de leurs<br />
enfants, mais pas de longues visites.<br />
Nous sommes les premiers visiteurs<br />
extérieurs qu’ils ont vus depuis des mois.<br />
Pour compliquer les choses, il n’a pas<br />
plu depuis deux mois, raconte Lily Dugi à<br />
Shanna, en navajo. Leur ancienne citerne<br />
d’eau, située au sommet d’une petite élévation<br />
à côté de leur maison, est presque<br />
à sec. Son mari vieillit, poursuit- elle, et<br />
a du mal à suivre les travaux de leur<br />
ranch. Maintenir leur troupeau en vie<br />
est devenu leur seul objectif de vie. Notre<br />
cargaison – un réservoir en plastique tout<br />
neuf rempli de 1 000 litres d’eau – est la<br />
68
PLUS QUE TOUTE AUTRE DES<br />
« COMMODITÉS » MODERNES,<br />
L’EAU DÉFINIT UNE CIVILISATION.<br />
Donovan Smallcanyon, qui<br />
travaille avec le Navajo<br />
Water Project, remplit une<br />
citerne dans la réserve.
Talents locaux : Emma Robbins (à gauche)<br />
et Shanna Yazzie ont de profondes racines<br />
locales et dirigent le Navajo Water Project.<br />
bienvenue. Donovan Smallcanyon et son<br />
collègue Steven Chief, les transporteurs<br />
d’eau, manœuvrent leur remorque en<br />
position, et se mettent au travail.<br />
Il y a cinq ans, Emma Robbins travaillait<br />
dans une galerie d’art à Chicago lorsqu’elle<br />
a lu un article de journal sur une<br />
association à but non lucratif appelée<br />
DigDeep qui commençait à s’attaquer au<br />
problème de l’accès à l’eau dans la réserve<br />
navajo. Elle était elle-même intimement<br />
liée à la question de l’eau, ayant grandi<br />
dans la réserve. Son père est navajo, mais<br />
sa mère était juive, et a déménagé de<br />
Chicago, faisant de Robbins une « Nava-<br />
Juive » autoproclamée.<br />
Bien que sa galerie et sa carrière artistique<br />
soient florissantes, une part d’elle<br />
s’est senti attirée par un retour au bercail.<br />
Elle a donc envoyé un courriel au fondateur<br />
de DigDeep, un millénial nommé<br />
George McGraw, lui proposant de faire<br />
du bénévolat. « Pour les gens qui viennent<br />
de la réserve, il y a ce désir constant de<br />
rentrer à la maison, soit pour aider notre<br />
peuple, soit pour revenir et être avec<br />
votre famille », dit-elle.<br />
McGraw était un profil improbable<br />
pour monter un projet caritatif visant<br />
à aider les Navajos : il avait grandi sur<br />
un lac dans le nord du Wisconsin, aussi<br />
loin de la nation Navajo qu’il est possible<br />
de l’être. « J’ai passé ma vie entourée<br />
d’eau, à jouer avec l’eau, à vivre par<br />
l’eau, raconte le jeune homme de 33 ans.<br />
Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé<br />
qu’un milliard de personnes dans le<br />
monde n’en ont pas. »<br />
Issu d’une famille riche, conservatrice<br />
et religieuse, il a vécu comme enfermé<br />
jusqu’à la fin de sa vingtaine, étant<br />
homosexuel. « Je n’ai pas grandi dans<br />
un environnement qui m’a pleinement<br />
soutenu ou qui a préservé mon bonheur<br />
et ma dignité, dit-il. Fondamentalement,<br />
cela m’a conduit à être plus empathique<br />
avec d’autres, qui étaient confrontés à<br />
des défis insurmontables. » La vie sans<br />
eau représentait le défi ultime. Après<br />
avoir étudié le développement de l’eau<br />
dans une école supérieure, il a fondé<br />
DigDeep alors qu’il n’avait que 25 ans,<br />
en se concentrant sur des projets au<br />
Sud-Soudan. « C’est la partie qui est<br />
un peu embarrassante, dit-il. J’ai pris<br />
l’avion et me suis rendu en Afrique pour<br />
résoudre le problème de quelqu’un<br />
d’autre. Je n’avais même pas pris la<br />
peine de gérer les miens. »<br />
Un don de 50 dollars l’a incité à changer<br />
d’orientation. En 2013, il a reçu un<br />
appel d’une femme nommée Karen<br />
Reynolds, qui avait aidé à construire<br />
des maisons dans la réserve navajo, où<br />
elle a été surprise de constater que les<br />
maisons n’avaient ni cuisine ni salle de<br />
bain. Cela s’expliquait par le fait que<br />
ces maisons n’avaient pas l’eau courante,<br />
lui a-t-on dit. Elle s’est renseignée sur les<br />
organisations caritatives dédiées au sujet<br />
de l’eau et est tombée sur le projet de<br />
McGraw. Elle a proposé de lui donner<br />
50 dollars, mais seulement si McGraw<br />
les utilisait pour améliorer la situation<br />
de l’eau dans la réserve.<br />
Le fils de bonne famille s’est rendu<br />
au Nouveau-Mexique et Reynolds lui a<br />
permis de connecter avec ses relations<br />
dans la réserve. McGraw a réalisé que<br />
DigDeep devait monter en puissance, et<br />
le Navajo Water Project est né. Son premier<br />
projet consista à améliorer un puits<br />
pour une communauté proche de Grants,<br />
au Nouveau- Mexique, pour alimenter<br />
70 THE RED BULLETIN
La nation Navajo<br />
a été durement<br />
touchée par la pandémie,<br />
ce qui a rendu<br />
la question de l’approvisionnement<br />
en eau<br />
encore plus critique.<br />
THE RED BULLETIN 71
leur camion d’eau qui faisait des livraisons<br />
aux maisons qui n’étaient pas raccordées<br />
à l’eau municipale. Lors d’une<br />
réunion municipale pour discuter du projet,<br />
une femme s’est levée pour le remercier<br />
de son effort : « Elle a dit, merci, c’est<br />
super, je suis sûre que cela aidera ces<br />
familles à avoir 1 200 litres par mois au<br />
lieu de 800 litres », se souvient- il. Mais<br />
elle a ajouté : « Mes enfants vont à l’école<br />
avec des enfants qui ont pris une seule<br />
douche ce mois-ci. Nous n’avons pas<br />
besoin de plus d’eau dans un baril à notre<br />
porte d’entrée. Nous avons besoin d’eau<br />
courante chaude et froide dans nos<br />
maisons. »<br />
Selon un rapport de DigDeep et<br />
de la Water Alliance datant de<br />
2018, quelque 2,2 millions<br />
d’Américains, d’El Paso aux<br />
Appalaches, n’ont pas l’eau courante ni de<br />
toilettes à chasse d’eau dans leur maison.<br />
Dans des endroits comme Flint, dans le<br />
Michigan, 44 millions d’autres n’ont pas<br />
accès à une eau potable fiable. Dans la<br />
nation Navajo, le problème est particulièrement<br />
grave : peu de foyers de la réserve<br />
aride ont leur propre puits, et les puits<br />
des communautés locales sont souvent<br />
inconstants ou contaminés. Environ un<br />
tiers des foyers navajos ne disposent pas<br />
de plomberie intérieure, et doivent donc<br />
faire venir de l’eau et la stocker pour un<br />
usage ultérieur, y compris celle de Yazzie.<br />
Plus de cent ans après la création de la<br />
nation Navajo, les revendications tribales<br />
concernant les précieux droits sur l’eau<br />
n’ont toujours pas été finalisées. Les<br />
Navajos ont conclu un accord avec le<br />
Metric Smith remplit un<br />
réservoir neuf de mille<br />
litres. Les bénéficiaires<br />
en seront propriétaires<br />
et responsables.<br />
ENVIRON UN TIERS DES<br />
MÉNAGES NAVAJOS NE<br />
DISPOSENT PAS DE<br />
PLOMBERIE INTÉRIEURE.<br />
Nouveau-Mexique en 2010, mais les poursuites<br />
judiciaires continuent ; les négociations<br />
avec l’Utah et l’Arizona n’ont pas<br />
encore été inscrites dans la loi. Ainsi, alors<br />
que la réserve est bordée par l’énorme lac<br />
Powell, les Navajos ne sont pas autorisés<br />
à utiliser une partie de son eau. Et alors<br />
qu’une grande partie de l’Amérique rurale<br />
a bénéficié de projets d’eau massifs financés<br />
par l’État qui ont vu le jour dans le<br />
cadre du New Deal dans les années 1930,<br />
ces projets n’ont pas été retenus dans la<br />
réserve – ni d’ailleurs dans de nombreuses<br />
autres régions noires et brunes du pays.<br />
Ainsi, de nombreux habitants de la<br />
réserve sont obligés de forer des puits<br />
dans des aquifères en déclin ou de se fier<br />
à des transporteurs d’eau.<br />
Le projet Navajo Water de DigDeep<br />
a trouvé une solution créative au problème,<br />
en s’inspirant de certaines choses<br />
que les locaux faisaient déjà, et en les<br />
améliorant. Avant la pandémie, DigDeep<br />
aurait aidé un ménage comme les Dugi<br />
à obtenir une nouvelle citerne souterraine<br />
d’une capacité de 4 500 litres,<br />
reliée à la maison par des tuyaux en PVC<br />
et une pompe électrique à 30 dollars,<br />
comme celle utilisée dans les véhicules<br />
de loisirs. Il suffit d’appuyer sur un bouton<br />
pour avoir de l’eau courante. De<br />
façon permanente. L’ingrédient-clé,<br />
cependant, est intangible : la propriété<br />
locale. Après son expérience en Afrique,<br />
McGraw a réalisé que le projet Navajo<br />
Water lui-même devait être détenu et<br />
géré par le peuple navajo. « Ce n’était<br />
évidemment pas idéal pour moi de venir,<br />
en tant que gay blanc, riche et cisgenre<br />
qui vit à Los Angeles, et de leur dire<br />
comment résoudre leur problème,<br />
expose McGraw. Nous avons commencé<br />
à embaucher sur la nation Navajo dans le<br />
but d’en faire une organisation indigène,<br />
dirigée par une personne indigène. Et<br />
cette personne était Emma Robbins. »<br />
Quelques semaines après avoir rencontré<br />
McGraw, Robbins et son concubin<br />
avaient déménagé à Los Angeles, et elle<br />
inaugurait un poste de directrice et de<br />
première employée à plein temps du tout<br />
jeune projet Navajo Water de DigDeep.<br />
À l’époque, Emma Robbins n’avait même<br />
pas de permis de conduire ; aujourd’hui,<br />
la jeune femme de 34 ans fait l’allerretour<br />
entre Los Angeles et la réserve<br />
dans un pick-up F150 qu’elle appelle le<br />
Truckasaurus, portant le slogan de Dig-<br />
Deep : « Chaque Américain mérite d’avoir<br />
accès à de l’eau courante propre. » Elle<br />
constate souvent qu’elle a des liens personnels<br />
avec les gens qu’elle sert, soit<br />
par le biais de sa famille, soit parce que<br />
beaucoup d’entre eux connaissent son<br />
père, un employé local de longue date<br />
du Bureau des affaires indiennes qui<br />
conseille les petits éleveurs sur les questions<br />
de pâturage.<br />
En collaboration avec les sections<br />
locales et les aides sanitaires de la communauté,<br />
Robbins et son équipe ont<br />
identifié les foyers dans le besoin et ont<br />
installé plus de 200 systèmes de citernes<br />
dans les foyers de la réserve, en commençant<br />
par le Nouveau-Mexique, puis<br />
en s’installant en Arizona et dans une<br />
partie de l’Utah. Les résidents sont propriétaires<br />
de leurs systèmes d’eau et<br />
responsables de leur entretien. L’eau<br />
est fournie par des « sections » locales,<br />
comme les organes de gouvernance<br />
locaux connus dans la réserve, pour un<br />
prix symbolique. « Nous ne faisons pas<br />
de travaux de secours, explique Emma<br />
Robbins, qui va à l’essentiel, discrètement.<br />
Nous faisons des projets d’accès<br />
à l’eau à long terme. »<br />
Mais la pandémie a frappé, et tout a<br />
été revu.<br />
Notre journée dans ce monde des<br />
Navajos a commencé au champ<br />
de foire de Tuba City, où Smallcanyon<br />
et Chief étaient en train<br />
de charger leur remorque quand je suis<br />
arrivé à 9 heures du matin. En temps<br />
normal, ce site aurait dû être occupé par<br />
72 THE RED BULLETIN
Dans la culture navajo, les moutons sont<br />
un symbole de prospérité, mais maintenir<br />
un troupeau hydraté et en bonne santé de<br />
nos jours est un sacré défi.<br />
Alberta Yuzzie (à l’extrême gauche), Metric Smith et<br />
Kaitlin Harris font partie de la petite équipe du Navajo<br />
Water Project qui change la vie des familles de la réserve.
les préparatifs de la foire annuelle des<br />
Navajos de l’Ouest, l’un des plus grands<br />
événements de l’année dans toute la<br />
réserve. Au lieu de cela, il a été transformé<br />
en un lieu de logistique pour<br />
diverses organisations d’aide aux<br />
populations.<br />
Dans un local, Robbins nous montre<br />
des tas de caisses de bouteilles d’eau<br />
Arrowhead, vestiges d’un énorme don<br />
de Nestlé du début de la pandémie, qui<br />
a obligé DigDeep à cesser d’installer ses<br />
systèmes d’eau. Il ne semblait plus sûr<br />
pour les plombiers et les techniciens de<br />
travailler chez les gens pendant des<br />
heures d’affilée. Dans le même temps,<br />
la pandémie n’avait fait qu’accroître les<br />
besoins en eau. « Le don d’une tonne de<br />
bouteilles d’eau par Nestlé fut le bienvenu,<br />
explique Robbins, mais il n’a pas<br />
résolu le problème sous-jacent : comment<br />
se laver les mains avec de l’eau<br />
embouteillée ? »<br />
DigDeep s’est positionné comme un<br />
astucieux bouche-trou : au lieu d’installer<br />
des systèmes d’eau dans les maisons<br />
des gens, comme ils le faisaient auparavant,<br />
ils ont placé des réservoirs d’eau<br />
temporaires à côté des maisons des<br />
Navajos. Des réservoirs en plastique<br />
de forme cubique logés dans des cages<br />
métalliques, une méthode déjà largement<br />
utilisée sur ce territoire. Ils<br />
contiennent mille litres, sont durables<br />
et faciles à empiler sur un camion. Dig-<br />
Deep a amélioré la conception existante,<br />
en ajoutant un robinet qui peut être<br />
Pré-pandémie, le programme<br />
installait des citernes qui<br />
donnaient l’eau courante aux<br />
bénéficiaires, mais il a pivoté sur<br />
ce système de citernes pour<br />
minimiser les risques sanitaires.<br />
allumé et éteint, et en élevant le réservoir,<br />
pour faciliter le remplissage des<br />
seaux. Mille litres représentent moins<br />
de deux jours de consommation par<br />
l’Arizonien moyen, non navajo, mais<br />
cela devrait suffire pour l’instant. « Nous<br />
sommes en train d’apprendre énormément<br />
de choses », dit Robbins.<br />
Plus tard, au ranch du couple Dugi,<br />
Smallcanyon nivelle un carré de terre<br />
avec une pelle, et Chief, le plus grand,<br />
le plus fort et le moins expérimenté des<br />
deux, fait passer des parpaings et une<br />
plaque de contreplaqué du camion pour<br />
construire une petite plate-forme sur<br />
laquelle le réservoir pourra être posé.<br />
Ensemble, ils soulèvent le réservoir de<br />
la remorque et le mettent en place, puis<br />
ils font passer un gros tuyau bleu sur le<br />
dessus, en le vaporisant d’abord avec<br />
une solution d’eau de javel pour éviter<br />
la contamination.<br />
Yazzie présente au couple un accord<br />
à signer, qu’elle explique patiemment<br />
en navajo : le réservoir leur appartiendra,<br />
et ils seront responsables de son nettoyage<br />
et de son entretien. Il sera rempli<br />
par DigDeep toutes les deux ou trois<br />
« LES VISAGES DES<br />
DUGI S’ILLUMINENT.<br />
QUI N’AIME PAS<br />
LE BRUIT DE L’EAU<br />
COURANTE ? »<br />
semaines, ou peut-être tous les mois,<br />
jusqu’à la fin décembre. Après cela, ils<br />
devront fournir leur propre eau. Elle<br />
leur conseille de couvrir le réservoir avec<br />
une bâche, pour empêcher la croissance<br />
des algues, et de le rincer au moins une<br />
fois par mois. Ensuite, Smallcanyon met<br />
en marche une petite pompe à essence<br />
qui donne vie à la cuve et fait jaillir de<br />
l’eau pure et claire. Les visages des Dugi<br />
s’illuminent. Qui n’aime pas le bruit de<br />
l’eau courante ?<br />
Les Dugi vivent dans un luxe<br />
relatif par rapport à certains<br />
des endroits que nous visitons<br />
ce jour-là. Leur maison est en<br />
dur, pas une caravane accidentée, ils<br />
ont des fenêtres intactes et une porte<br />
qui fonctionne -– et des moutons, bien<br />
sûr. La richesse des Navajos. Au fur et<br />
à mesure que la journée avance, nous<br />
voyons des situations bien pires. J’ai<br />
voyagé et fait des reportages en Afrique<br />
et en Amérique du Sud, mais j’ai rarement<br />
été témoin d’une pauvreté aussi<br />
désespérée que pendant les deux jours<br />
où j’ai suivi les équipes de DigDeep dans<br />
les coins les plus reculés de la réserve.<br />
Nous concevons souvent la pauvreté<br />
comme un manque d’argent, mais le<br />
manque d’eau représente un niveau<br />
de besoin bien plus profond.<br />
« Quand vous vivez sans eau, c’est<br />
un souci qui détermine, dit McGraw.<br />
Cela détermine la façon dont vous organisez<br />
votre journée. Vous vous réveillez<br />
en pensant : comment vais-je avoir assez<br />
d’eau pour moi et ma famille ? »<br />
De nombreuses personnes de la<br />
réserve, comme les Dugi (et même les<br />
Yazzie), ont des problèmes d’eau structurels<br />
à long terme. Ils vivent dans des<br />
endroits reculés où il n’y a pas beaucoup<br />
d’eau. Ou si elle est disponible, elle est<br />
chère : une famille peut dépenser près<br />
de 300 dollars par mois pour l’eau transportée,<br />
des douches façon camping<br />
et l’essence pour le camion-citerne,<br />
explique Shanna Yazzie. Les besoins<br />
dans la réserve sont énormes : rien que<br />
dans la petite communauté de Dilkon,<br />
en Arizona, il y a une liste d’attente de<br />
près de 200 foyers qui ont besoin d’un<br />
système d’approvisionnement en eau.<br />
DigDeep a réussi à en installer neuf<br />
avant l’arrêt dû à la pandémie.<br />
Pour d’autres personnes que nous<br />
rencontrons, leurs problèmes d’eau sont<br />
conjoncturels. Quelques mauvaises<br />
passes dans la vie, et leur accès à cette<br />
ressource vitale est soudainement mis<br />
en danger. C’est le cas de notre premier<br />
client aujourd’hui. Juste à la sortie de<br />
74 THE RED BULLETIN
« Quand vous vivez<br />
sans eau, c’est un souci<br />
qui détermine », dit<br />
George McGraw, le fondateur<br />
de DigDeep, l’organisme<br />
qui finance le<br />
Navajo Water Project.
Lily Dugi, qui a 80 ans, vit avec<br />
son mari dans un ranch de<br />
moutons isolé. Ils ont reçu peu<br />
de visiteurs depuis le début de<br />
la pandémie.<br />
Tuba City, nous quittons la route principale<br />
pour nous rendre dans une petite<br />
cabane, d’environ 3 mètres sur 4, peinte<br />
en marron. Homer Bancroft en émerge,<br />
une queue de cheval grise serpentant<br />
sous une casquette bleu turquoise. Son<br />
pantalon est maintenu par une jolie ceinture<br />
en cuir avec une boucle argentée,<br />
mais sa situation est difficile. Sa caravane<br />
a été brûlée par un pyromane l’année<br />
dernière. Il a ensuite été blessé par<br />
un conducteur ivre lors d’un délit de<br />
fuite, qui a détruit sa voiture et l’a laissé<br />
pour mort. Il est allé rendre visite à ses<br />
enfants dans le sud de l’Utah pour récupérer,<br />
et maintenant il est de retour,<br />
vivant dans cette cabane. D’autres<br />
proches s’occupent de lui.<br />
Bancroft me montre son tonneau<br />
d’eau en plastique bleu, à l’intérieur<br />
d’un hangar en contreplaqué à côté de<br />
sa maison. Un mur de la remise est<br />
adossé à une série de vieux appareils :<br />
un réfrigérateur, un lave-vaisselle et<br />
quelques cuisinières. Un ami livre de<br />
l’eau toutes les semaines environ. Un<br />
court chemin mène à une remise en bois<br />
d’apparence vieillie, face à l’autoroute.<br />
Maintenant que sa voiture n’est plus là,<br />
il se rend à pied sur la route pour faire<br />
du stop jusqu’à la ville, ce qui n’est guère<br />
sûr en cas de pandémie. Il peut survivre<br />
sans sa voiture ou sans un lave-vaisselle<br />
en état de marche, mais pas sans eau.<br />
Pendant deux jours, en sillonnant la<br />
nation Navajo, je vois différentes facettes<br />
d’une certaine Amérique. Les Navajos qui<br />
travaillaient ou vivaient hors réserve sont<br />
retournés chez eux, vivant avec leurs<br />
parents et d’autres membres de la famille,<br />
et mettant à rude épreuve les ressources<br />
disponibles, liquides ou autres. Lionel<br />
Nebitsi travaillait dans une raffinerie près<br />
de Salt Lake City lorsqu’il a été diagnostiqué<br />
avec un cancer et est revenu à la maison<br />
; aujourd’hui, il se sert d’un déambulateur,<br />
incapable de travailler, vulnérable<br />
au virus à cause de sa maladie sous-<br />
76 THE RED BULLETIN
jacente. À quelques kilomètres de là, Roy<br />
Hale avait fait du bon travail en installant<br />
des systèmes de plomberie et de climatisation<br />
dans les hôtels et les supermarchés<br />
Walmart du Sud-Ouest.<br />
« Mon patron n’aime pas embaucher<br />
des Blancs, seulement des Navajos,<br />
précise-t-il. Il dit que les Blancs fument<br />
trop. » Mais son patron ne l’a pas appelé<br />
au travail depuis six mois. Maintenant,<br />
il est retourné vivre avec sa mère et<br />
d’autres membres de sa famille dans leur<br />
ancienne ferme, près d’une petite butte<br />
cramoisie que les gens du coin appellent<br />
<strong>Red</strong> Rock. « J’ai travaillé dix-sept ans,<br />
me dit-il. Dix-sept putain d’années. »<br />
« L’UNE DES PIRES<br />
CHOSES QUE L’ON<br />
PUISSE FAIRE À UN<br />
NAVAJO ? L’ÉLOIGNER<br />
DE SA TERRE. »<br />
Il fait une pause. « Tu veux un morceau<br />
de pain frit ? »<br />
La réserve elle-même reste en état de<br />
fermeture prolongée, ce qui rend presque<br />
impossible la recherche d’un emploi.<br />
Dans la ville de Kayenta, Arizona, près<br />
de Monument Valley, normalement un<br />
haut lieu pour les touristes du monde<br />
entier, je séjourne dans un hôtel de trois<br />
cents chambres avec peut-être une douzaine<br />
d’autres clients seulement. Tous les<br />
parcs tribaux et les sentiers sont fermés,<br />
et de nombreuses routes de terre en<br />
dehors des autoroutes principales sont<br />
bloquées par des panneaux annonçant :<br />
« FERMÉ. PAS DE VISITEURS. »<br />
Il n’a pas plu depuis deux mois. Les<br />
lavoirs et les lits de ruisseaux sont tous<br />
secs, et même le Little Colorado River<br />
est une tache boueuse. Le coronavirus<br />
a entravé les livraisons d’eau, et certaines<br />
personnes avec lesquelles je parle n’ont<br />
pas eu d’eau depuis des mois. Les animaux<br />
souffrent tout autant : sur le chemin<br />
du retour, nous croisons un cheval<br />
sauvage couché dans la terre au bord de<br />
la route, les hanches et la colonne vertébrale<br />
saillantes, haletant et mourant de<br />
soif. Nous continuons. Nous ne pouvons<br />
lui apporter aucune aide.<br />
Notre dernier arrêt est une habitation<br />
ronde en bois au bout<br />
d’une autre longue route rocailleuse<br />
– un hogan, une maison<br />
navajo typique, modifiée et moderne,<br />
dit Yazzie. Un panneau collé sur la porte<br />
avertit : « LE PATIENT A UNE MALADIE<br />
RESPIRATOIRE. VEUILLEZ NE PAS<br />
ENTRER. MERCI. »<br />
Shanna Yazzie et Emma Robbins font<br />
le tour de la maison pour évaluer la<br />
situation. Il y a une citerne souterraine,<br />
mais son niveau d’eau semble bas. Elles<br />
décident d’installer la dernière citerne<br />
d’eau, au cas où. Smallcanyon et Chief<br />
se mettent au travail. Finalement, la<br />
porte s’ouvre et une vieille femme apparaît,<br />
portant un masque. Elle s’approche<br />
timidement, et Yazzie se dirige vers elle.<br />
Ils parlent, et il s’avère qu’elle connaît<br />
la famille de Yazzie. La porte s’ouvre à<br />
nouveau, et le mari émerge, se déplaçant<br />
lentement, serrant son déambulateur,<br />
courbé par l’âge, en direction des<br />
toilettes extérieures. Ce sont les Netzsosie,<br />
Bessie et David. L’homme a récemment<br />
été à l’hôpital, explique-t-elle, d’où<br />
le panneau sur la porte. Leur fille vit<br />
dans une caravane voisine, mais elle est<br />
au travail maintenant. En se traînant,<br />
David s’installe lourdement sur une<br />
chaise, la tête en bas. Nous gardons nos<br />
distances alors que, d’une voix forte,<br />
Bessie commence à expliquer ce que<br />
nous faisons. Elle se met à pleurer. Le<br />
réservoir d’eau est la première bonne<br />
nouvelle qu’ils ont eue depuis des mois.<br />
Nous continuons de parler, et il<br />
s’avère que David a cent ans, ou presque,<br />
en tout cas. Les certificats de naissance<br />
ont tendance à être quelque peu vagues,<br />
et un agent du gouvernement a marqué<br />
son anniversaire comme étant le jour de<br />
Noël 1926, ce qui est probablement<br />
inventé. Ce qui est plus certain, c’est que<br />
David était un coureur dans sa jeunesse<br />
– les Navajos sont des coureurs de fond<br />
réputés, qui parcourent des dizaines de<br />
kilomètres sur ce terrain rude et sec.<br />
« Pas possible !, dit Yazzie. Mon grandpère<br />
était aussi un coureur. » Il s’avère<br />
qu’ils couraient ensemble, autrefois,<br />
avec des mocassins en cuir. David sourit<br />
à présent, il vit dans ses souvenirs. Tout<br />
comme Yazzie.<br />
Je repense à quelque chose que<br />
Robbins me disait : « Chaque fois que<br />
nous perdons un aîné, nous perdons<br />
une grande partie de notre culture. »<br />
Pendant que nous parlons, un cheval<br />
noir maigre s’agite, comme pour se<br />
joindre à la conversation. « Il s’appelle<br />
Sweetie Boy », nous dit Bessie, et il a<br />
quinze ans. D’après ce que l’on voit, il<br />
n’a plus beaucoup de temps à vivre : sa<br />
colonne vertébrale s’affaisse et ses côtes<br />
dépassent. Je m’éloigne, effrayé par son<br />
regard. Mais Robbins décide de passer<br />
à l’action. Elle retourne à son camion<br />
et prend une grande cruche d’eau Arrowhead,<br />
provenant du don de Nestlé. Elle<br />
la vide dans un seau en plastique blanc<br />
et la donne à Sweetie Boy, qui s’en<br />
délecte. En se frappant joyeusement les<br />
lèvres, il se retourne vers son corral.<br />
« La première question est souvent :<br />
pourquoi ne déménagent-ils pas ?, dira<br />
Robbins plus tard. S’ils devaient déménager,<br />
pourraient-ils avoir leur mode de<br />
vie traditionnel, et leur cheval ? Non,<br />
bien sûr que non. L’une des pires choses<br />
que l’on puisse faire à un Navajo est de<br />
l’éloigner de sa terre, après qu’il se soit<br />
tant battu pour elle. C’est comme mourir<br />
d’une autre façon. »<br />
L’eau leur permettra de rester ici, dans<br />
cette terre silencieuse, belle et sèche, au<br />
moins un peu plus longtemps.<br />
THE RED BULLETIN 77
ALPHATAURI.COM
PERSPECTIVES<br />
Expériences et équipements pour une vie améliorée<br />
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LE KAYAK<br />
TRANQUILLE<br />
Îles Summer, au<br />
nord de l’Écosse<br />
79
PERSPECTIVES<br />
voyage<br />
« Le plaisir du kayak de mer,<br />
c’est d’être dans l’eau plutôt que<br />
sur l’eau. Vous serez au plus<br />
près de la faune et de la flore. »<br />
Will Copestake, aventurier et guide<br />
Il est six heures du matin et, à l’horizon,<br />
le soleil s’étend sur un panorama<br />
de montagnes déchiquetées<br />
et fait miroiter la mer. Je suis éveillé<br />
avant les autres participants qui commencent<br />
à remuer dans leurs sacs de<br />
couchage. Un matin d’été typique dans<br />
les îles Summer en Écosse : tout est<br />
calme, une brise légère amène une<br />
odeur de mer, le grondement régulier<br />
du ressac roule contre les falaises à<br />
proximité, les phoques chantent mélodieusement<br />
depuis les rochers.<br />
Depuis 2013, je poursuis des aventures<br />
autour du monde, à la fois personnelles<br />
et en tant que guide, tant pour<br />
des virées d’une durée d’un an qui<br />
incluent kayak, vélo et escalade à travers<br />
l’Écosse que pour des expéditions<br />
de mille kilomètres en kayak à travers<br />
la Patagonie. Mais je considère les îles<br />
Summer comme mon chez-moi. En tant<br />
que responsable de notre entreprise,<br />
Kayak Summer Isles, c’est à la fois mon<br />
boulot et mon plaisir d’encourager les<br />
gens à s’aventurer hors des sentiers<br />
battus et à marquer une pause. Nous<br />
fournissons la confiance et les compétences<br />
nécessaires afin de profiter de<br />
ce qui nous entoure tout en visitant des<br />
endroits reculés et en renouant avec<br />
la nature. Je passe la plupart de mes<br />
journées à enseigner puis à mener des<br />
groupes le long de voûtes naturelles,<br />
de grottes, de falaises et de plages de<br />
sable sauvages au milieu de paysages<br />
à couper le souffle.<br />
C’est une pratique qui va de pair<br />
avec le concept croissant de « tourisme<br />
doux », la contrepartie de la liste d’endroits<br />
à visiter que l’on raye au fur et<br />
à mesure. L’industrie du voyage est<br />
actuellement animée par une volonté,<br />
en partie alimentée par les médias<br />
sociaux, d’accumuler le plus d’expériences<br />
possible tout en prenant le<br />
moins de temps possible. C’est certes<br />
un moyen rapide de voir beaucoup<br />
de choses formidables et cela s’inscrit<br />
dans la vie active que beaucoup d’entre<br />
nous mènent. Mais les voyages rapides<br />
ont aussi d’énormes limites. Rares<br />
sont ceux qui prennent le temps de<br />
réellement découvrir les communautés<br />
locales, les paysages et les merveilles<br />
qu’ils survolent lorsqu’ils courent vers<br />
la prochaine attraction. En fait, le trajet<br />
importe autant que la destination.<br />
Plus tôt cette année, pendant le<br />
confinement, il était inspirant de voir<br />
tant de nos voisins découvrir les joyaux<br />
locaux qu’ils avaient jusqu’ici rarement<br />
explorés, encouragés par la nécessité<br />
d’explorer plus près de chez eux.<br />
C’est le dernier jour de notre aventure<br />
de plusieurs jours et, avant de partir,<br />
nous discutons de la façon de préparer<br />
un kayak, de charger le bateau également<br />
avec le poids centré sur la coque, de<br />
préparer plusieurs petits sacs plutôt<br />
qu’un seul grand, de garder les objets<br />
L’écrivain Will Copestake connaît les îles Summer comme sa poche.<br />
WILLIAM COPESTAKE<br />
80 THE RED BULLETIN
PERSPECTIVES<br />
voyage<br />
Comment<br />
s’y rendre<br />
L’archipel compte<br />
environ vingt îles,<br />
rochers et îlots et se<br />
trouve au large de la<br />
côte nord-ouest des<br />
Highlands écossais.<br />
On peut y accéder<br />
par bateau depuis<br />
le port d’Achiltibuie,<br />
qui se trouve à un peu<br />
moins de 2 h 30 de<br />
voiture d’Inverness.<br />
Le kayak de mer au milieu des paysages pittoresques des îles d’Été est l’antithèse du « voyage rapide ».<br />
Les couchers de soleil impressionnants sont monnaie courante dans cette partie du pays.<br />
métalliques loin du compas du pont.<br />
Nous terminons en comblant les espaces<br />
restants avec les détritus ramassés sur le<br />
bord de mer, un flux infini de plastique en<br />
provenance des océans charrié par les<br />
vagues, ce qui suscite une discussion sur<br />
l’impact de l’humain sur ces zones sauvages<br />
et sur la façon dont nous laissons<br />
notre empreinte partout où nous voyageons.<br />
Nous avons déjà fait en sorte d’éliminer<br />
les traces de nos tentes et de nos<br />
sacs de déchets mais il reste encore<br />
quelques traces de pas. En tant qu’entreprise,<br />
nous ne reviendrons plus sur ce site<br />
pendant quelques mois afin de permettre<br />
une régénération entre nos visites.<br />
Une vague déferle sur la proue alors<br />
que je pousse mon kayak depuis le rivage<br />
THE RED BULLETIN 81
PERSPECTIVES<br />
voyage<br />
TRAPPE ARRIÈRE<br />
Nourriture, sac de couchage, tapis<br />
de sol, piquets de tente, set de cuisine<br />
(casserole, couverts, bol et tasse).<br />
TRAPPE VIDE-POCHE<br />
Crayon et bloc-notes, boussole, lampe<br />
frontale, kit de pagaie de nuit, couteau,<br />
fusées éclairantes, chocolat.<br />
Chargé, le kayak !<br />
La formule : bien répartir son<br />
approvisionnement.<br />
TRAPPE DE PONT<br />
Trousse médicale, sac d’hypothermie,<br />
sac bothy, kit de réparation d’urgence,<br />
thermos, bâche, réchaud et gaz.<br />
TRAPPE AVANT<br />
Nourriture, vêtements de rechange,<br />
bottes, toile de tente (aucun objet<br />
métallique n’est autorisé sous le pont).<br />
Poids léger<br />
Poids moyen<br />
Poids moyen<br />
à lourd<br />
Poids moyen<br />
à lourd<br />
Poids moyen<br />
Poids léger<br />
avec un murmure d’algues sous ma<br />
coque. L’eau fraîche me saisit la main<br />
alors que je plonge ma pagaie pour le<br />
premier coup d’une nouvelle journée<br />
qui s’annonce. Un phoque fait surface<br />
derrière moi alors qu’il nous escorte<br />
hors du camp. Le plaisir du kayak de<br />
mer, c’est d’être dans l’eau plutôt que<br />
sur l’eau. Vous êtes au plus près de la<br />
faune et de la flore, ce qu’il est difficile<br />
de faire depuis un autre bateau. Ce lien<br />
éveille l’attention puis, par la suite, naît<br />
un sentiment de responsabilité face à<br />
l’environnement dont nous profitons.<br />
Lorsque je travaillais en Patagonie<br />
pendant mes saisons d’hiver, j’admirais<br />
l’approche chilienne de la gestion du<br />
tourisme d’aventure durable qui, tout<br />
comme le nord de l’Écosse, a connu<br />
une croissance exponentielle plus rapide<br />
que les infrastructures nécessaires<br />
pour l’assurer. Flux, friction, rythme :<br />
ralentir le flux, réduire la friction, prévoir<br />
le rythme. Encourager les visiteurs à<br />
une journée d’aventure en kayak ou<br />
en randonnée les siphonne vers une<br />
zone plus importante et ralentit le flux<br />
en provenance de la voie principale.<br />
Là où il existe des attractions plus fréquentées,<br />
les frictions sont gérées par<br />
des installations et des infrastructures.<br />
Comprendre les rythmes des boums<br />
de l’été et du calme hivernal permet<br />
d’adapter et de récupérer.<br />
Les oiseaux marins s’envolent des<br />
falaises voisines dans un claquement<br />
d’ailes, apportant une odeur de guano<br />
frais qui me pique le nez. Mon sens<br />
olfactif n’est pas meilleur après quelques<br />
nuits loin du luxe de la maison mais avec<br />
ce petit sacrifice vient une régénération<br />
de l’énergie qui se transmet à l’âme<br />
comme la houle transmet la vie à l’océan.<br />
La relation entre l’environnement et<br />
nous, en tant que pagayeurs, se développe<br />
sur l’eau. Lorsque nous rentrerons<br />
chez nous, rafraîchis par une évasion<br />
authentique, nous aurons une nouvelle<br />
histoire à raconter au moment du café<br />
du lendemain matin.<br />
Will Copestake est un aventurier, photographe<br />
et guide et mène des expéditions<br />
en plein air en Écosse et en Patagonie.<br />
Suivez-le sur willcopestakemedia.com ;<br />
et apprenez comment voyager avec lui<br />
sur kayaksummerisles.com<br />
En faisant du kayak en Patagonie, vous aurez des<br />
glaciers et des icebergs entiers pour vous.<br />
Nouveau rythme<br />
Embrassez le slow travel.<br />
EXPLOREZ LE LOCH BROOM ET LES<br />
ÎLES SUMMER<br />
Les villes voisines d’Ullapool et d’Achiltibuie<br />
constituent le point de départ idéal<br />
pour découvrir certains des endroits<br />
sauvages, un géoparc de l’UNESCO et un<br />
centre d’arts et de musique traditionnels.<br />
L’AVENTURE DANS LES CAIRNGORMS<br />
Tout au long de l’année, ski en hiver et randos<br />
à n’en plus finir en été. Les activités<br />
s’adressent aux débutants et aux experts,<br />
de la montagne aux sports nautiques.<br />
LES CÔTES DES CORNOUAILLES<br />
Les côtes et des plages magnifiques et<br />
des centaines de sentiers côtiers à explorer,<br />
il y a quelque chose en Cornouailles<br />
pour chaque intérêt. Installez-vous dans<br />
l’une des nombreuses communautés<br />
locales et découvrez la culture, les arts<br />
et la musique, ainsi que les promenades<br />
et les baignades qui y sont offertes.<br />
KAYAK SUR LE LAC TYNDALL EN<br />
PATAGONIE<br />
Sans doute l’une des excursions les plus<br />
sauvages que l’on puisse faire en kayak<br />
sur la planète. Il ne faudra pas ménager<br />
les efforts dans cette nature sauvage mais<br />
vous aurez les icebergs et les glaciers pour<br />
récompense. Vous ne verrez personne<br />
d’autre que le guide pour la majeure partie<br />
de ce voyage. kayakenpatagonia.com<br />
DÉCOUVREZ REYKJAVÍK<br />
La capitale islandaise est une base d’activités<br />
fantastiques. Pour faire du snowboard<br />
dans les montagnes, se ressourcer dans<br />
un bain de boue ou apprendre à tricoter<br />
un pull pour un arbre (hé oui, cela existe),<br />
c’est un centre d’aventures méconnu.<br />
WILLIAM COPESTAKE<br />
82 THE RED BULLETIN
PROMOTION<br />
PRÊT<br />
POUR LES<br />
PISTES<br />
Compact et puissant<br />
Avec le couple maximum<br />
poussé à 85 Nm, les<br />
montées les plus raides<br />
et les sentiers les plus<br />
difficiles peuvent être<br />
surmontés.<br />
Véritable bête de trail, en montée et en descente, le<br />
Husqvarna Hard Cross 8 équipé du Shimano EP8 assure<br />
une autonomie encore plus longue sur les pistes.<br />
Plus de puissance et d’autonomie<br />
chez Husqvarna : avec<br />
un débattement de 180 mm,<br />
le nouveau Husqvarna Hard<br />
Cross 8 est fait pour les parcours<br />
exigeants ! Dotée du<br />
nouveau Shimano EP8, la<br />
nouvelle e-génération fait<br />
son entrée avec les modèles<br />
haut de gamme de VTT électriques<br />
Husqvarna. L’EP8<br />
offre puissance immédiate<br />
et contrôle optimal.<br />
Performances optimales<br />
Le mode Trail, extrêmement<br />
polyvalent, vous permet de<br />
vaincre presque tous les sentiers.<br />
Plus vous pédalez fort,<br />
plus l’EP8 fournit de la puissance.<br />
Vous êtes soutenu au<br />
moment précis où vous en<br />
avez le plus besoin avec une<br />
traction et un contrôle optimaux,<br />
vous permettant de<br />
vous concentrer pleinement<br />
sur le terrain.<br />
HUSQVARNA E-BICYCLES<br />
E-VTT pour tous<br />
De la ville aux sentiers<br />
extrêmes, Husqvarna<br />
E-Bicycles a le modèle<br />
adéquat pour<br />
chaque cycliste et<br />
chaque terrain.<br />
husqvarna-bicycles.com
PERSPECTIVES<br />
gaming<br />
MANETTES DE JEU<br />
Gardez la main<br />
En 1972, la première console de jeu commerciale, la<br />
Magnavox Odyssey, arrive sur le marché. Sa manette,<br />
un boîtier à trois boutons rotatifs, est une révolution.<br />
Les contrôleurs de jeux ont fait beaucoup de chemin<br />
depuis. Avec la sortie de la PlayStation 5 et de la Xbox<br />
Series X/S, trois experts examinent comment les<br />
manettes ont changé notre façon de jouer...<br />
DUALSHOCK 3, 2008<br />
« Avec la PS3 en 2006, Sony sort un<br />
contrôleur de mouvement sans fil, sans<br />
grand succès, mais revient finalement<br />
aux vibrations. »<br />
PLAYSTATION, 1994<br />
« La première manette de PlayStation<br />
est une icône à part entière, déclare<br />
Tailby. Les boutons triangle, cercle, X<br />
et carré sont restés à chaque version. »<br />
DUALSHOCK 2, 2000<br />
Sortie avec la PlayStation 2. « Deux<br />
baguettes facilitent la navigation dans<br />
les jeux en 3D, et la vibration rend<br />
l’action plus percutante. »<br />
DUALSHOCK 4, 2013<br />
De plus grandes poignées, une surface<br />
tactile et un bouton pour partager vos<br />
moments de jeu. « Sans hésitation, la<br />
meilleure manette de Sony à l’époque. »<br />
DUALSENSE, <strong>2020</strong><br />
« La manette de la PlayStation 5 est la<br />
plus grande nouveauté de la série. Elle<br />
délivre des vibrations plus nuancées<br />
grâce à la rétroaction haptique. »<br />
PLAYSTATION « J’ai grandi avec la manette DualShock, raconte Stephen Tailby, rédacteur en chef adjoint<br />
du site de jeux PS Push Square (pushsquare.com). Les poignées ergonomiques, qui ont donné à l’appareil une<br />
silhouette unique, ont depuis lors influencé la conception de la manette. » Toutefois, Tailby pense que la manette<br />
DualSense, qui fait ses débuts avec la PlayStation 5, va transformer l’expérience de jeu. « La rétroaction haptique<br />
et les déclencheurs L2 et R2 adaptatifs rendent la pression plus facile ou plus difficile en fonction de ce qui se<br />
passe dans le jeu, et devraient améliorer l’immersion de manière tactile. Mais les fondamentaux restent intacts :<br />
l’ADN de la première manette de Sony existe dans tous ses successeurs. » playstation.com<br />
SONY COMPUTER ENTERTAINMENT INC, MICROSOFT<br />
84 THE RED BULLETIN
PERSPECTIVES<br />
gaming<br />
XBOX, 2001<br />
La manette originale. « Un modèle plus<br />
compact est sorti peu de temps après,<br />
dit Gilbert. Mais les fans sont restés<br />
nostalgiques de la première. »<br />
XBOX 360, 2005<br />
« Le design est modernisé, des boutons<br />
sont ajoutés ainsi qu’un port pour<br />
casque et accessoires. Elle est<br />
nettement plus confortable à utiliser. »<br />
XBOX ONE, 2013<br />
« La manette de la Xbox 360 est si<br />
populaire qu’il n’est pas nécessaire de<br />
procéder à des changements<br />
radicaux. »<br />
XBOX SERIES X/S, <strong>2020</strong><br />
« Ergonomie améliorée, latence d’entrée<br />
réduite, nouveau design de la croix<br />
directionnelle : elle est aussi compatible avec<br />
Windows 10 et Android. »<br />
XBOX « La manette d’origine n’a pas eu la meilleure réception en 2001, explique Fraser Gilbert, rédacteur<br />
en chef du site de jeux Xbox Pure Xbox (purexbox.com). Elle était très volumineuse, mais elle a posé les bases<br />
de ce que nous attendons aujourd’hui dans la disposition des boutons, le placement des manettes analogiques<br />
et la conception des gâchettes. » Microsoft a adapté sa nouvelle manette à la taille de la main d’un enfant de<br />
huit ans après avoir constaté qu’elle fonctionnait aussi bien dans des mains plus petites que dans des mains<br />
plus grandes. « C’est une évolution plutôt qu’une révolution. La popularité de chaque version témoigne de la<br />
manière dont l’entreprise a perfectionné son contrôleur au cours des vingt dernières années. »<br />
THE RED BULLETIN 85
PERSPECTIVES<br />
gaming<br />
RAZER BOOMSLANG, 1999<br />
La première souris de jeu mécanique.<br />
« Avant cela, les souris avaient une<br />
sensibilité de 1 000 DPI. » En 2000<br />
sort une version à 2 000 DPI.<br />
RAZER DIAMONDBACK, 2004<br />
C’est la deuxième souris à capteur<br />
optique de Razer. « Elle est plus précise<br />
et plus fiable que la précédente »,<br />
déclare Jennings.<br />
RAZER NAGA CHROMA, 2014<br />
Une sensibilité optique de 8 200 DPI,<br />
avec des boutons que les joueurs<br />
peuvent associer à des actions de jeu.<br />
RAZER MAMBA, 2015<br />
Une sensibilité optique de 16 000 DPI<br />
qui permet aux joueurs d’ajuster la force<br />
des clics de leurs doigts.<br />
RAZER DEATHADDER, <strong>2020</strong><br />
Les souris sans fil peuvent souffrir<br />
de latence, et peuvent changer de<br />
fréquence pour une connexion rapide.<br />
LA SOURIS DE JEU Il est difficile de se souvenir de l’époque où les jeux se jouaient avec une souris<br />
de bureau mécanique, comme lors du lancement de Boomslang. « Elle est née de la nécessité, dit le<br />
journaliste Mike Jennings (mike-jennings.net), qui a écrit pour Tech Radar, Wired, Custom PC, etc. Comme<br />
les jeux PC devenaient plus complexes, il fallait plus de boutons et une plus grande précision. » Depuis, les<br />
souris de jeu se sont diversifiées. « Les boutons supplémentaires de Naga sont parfaits pour les jeux en ligne<br />
multijoueurs ; la sensibilité améliorée de Mamba pour les tireurs nerveux et rapides. Les exigences des<br />
joueurs ont conduit à l’innovation. Ces souris de jeu excellent là où les souris de bureau sont défaillantes. »<br />
RAZER<br />
86 THE RED BULLETIN
RAZER TOM GUISE<br />
JOUER AUTREMENT<br />
Changer<br />
la donne<br />
La nécessité d’un gamer d’aller<br />
de l’avant a bouleversé les codes.<br />
Min-Liang Tan joue présentement<br />
à Fall Guys: Ultimate<br />
Knockout, un jeu multijoueur<br />
qui a pris le monde d’assaut.<br />
Son avantage ? Le matériel<br />
avec lequel il joue a été conçu<br />
par lui et réalisé par Razer,<br />
sa société de jeux. Cette<br />
entreprise lui vaut de figurer<br />
parmi les quarante personnes<br />
les plus puissantes dans le<br />
monde du jeu vidéo en 2012.<br />
Cinq ans plus tard, à 40 ans,<br />
il est le plus jeune milliardaire<br />
parti de rien de Singapour.<br />
Et pourtant, le succès de<br />
cet ancien avocat n’est né que<br />
du simple désir d’être un meilleur<br />
joueur. « Tout ce que je<br />
voulais, c’était une meilleure<br />
souris. Alors on en a construit<br />
une. » C’était en 1999, et le<br />
résultat a été la Boomslang,<br />
la première souris au monde<br />
dédiée au jeu.<br />
Aujourd’hui, Razer fabrique<br />
des ordis portables, des<br />
casques et des smartphones.<br />
On voue à la firme un culte de<br />
la personnalité. « Nous recevons<br />
des milliers de photos<br />
de gens qui se sont fait<br />
tatouer le logo de Razer, dit<br />
Tan. Quelqu’un s’est même<br />
fait tatouer mon visage. »<br />
Pour Tan cependant, la<br />
réussite de l’entreprise<br />
compte moins que la communauté.<br />
« Je ne me suis jamais<br />
considéré comme un PDG,<br />
dit-il. Je suis un gamer. Et je<br />
cherche l’avantage qui me<br />
fera gagner. »<br />
J’ai appris à me fier<br />
à mon instinct<br />
« Nous n’avons pas cherché<br />
à gagner beaucoup d’argent<br />
avec le Boomslang. Je me<br />
disais que comme j’en avais<br />
besoin, j’étais sûr que d’autres<br />
en auraient besoin aussi.<br />
Quand nous avons redessiné<br />
l’ordi portable destiné au jeu<br />
afin qu’il soit super fin, les<br />
réactions furent très négatives<br />
: “Ce n’est pas ce que<br />
veulent les gamers ; ils veulent<br />
quelque chose de massif et<br />
de solide.” Mais nous avons<br />
persévéré dans notre idée en<br />
faisant appel à des ingénieurs<br />
thermiques. Maintenant, la<br />
plupart des portables de<br />
gaming sont fins et puissants.<br />
»<br />
Une mauvaise idée<br />
est une bonne idée<br />
mal exécutée<br />
« Nous avons été les premiers<br />
à choisir le noir mat qui est<br />
devenu la couleur des gamers.<br />
Nous avons ensuite ajouté<br />
des LEDs en commençant<br />
par une seule couleur puis un<br />
éclairage RGB. Créer avec des<br />
lumières est incroyablement<br />
difficile : si vous en utilisez<br />
trop peu, ça ne sert à rien ;<br />
trop et c’est criard. Nous<br />
PERSPECTIVES<br />
gaming<br />
Min-Liang Tan, 43 ans : gamer, milliardaire et zombie<br />
(dans le film dérivé du jeu Dead Rising : Watchtower).<br />
faisons des réunions pour<br />
décider combien de millimètres<br />
de lumières nous<br />
allons mettre dans l’escalier<br />
de notre nouveau bâtiment :<br />
il fait quatre étages et nous<br />
faisons plusieurs modèles<br />
pour obtenir l’intensité lumineuse<br />
parfaite. »<br />
Le Razer BlackShark V2 Pro,<br />
un casque de jeu sans fil à la<br />
pointe de la technologie.<br />
Si ça marche avec les<br />
gamers, c’est gagné<br />
avec les autres<br />
« C’est cool de voir d’autres<br />
utilisateurs que des gamers<br />
opter pour nos produits.<br />
Nous avons des professionnels<br />
de la santé qui les utilisent<br />
pour leur précision, j’ai<br />
vu un programme spatial qui<br />
utilisait nos tapis de souris<br />
à la télé. Nous avons aussi<br />
reçu des demandes de l’industrie<br />
financière : ”Nos traders<br />
utilisent des souris et des claviers<br />
Razer. Pouvez-vous faire<br />
des produits pour le bureau ?”<br />
Nous n’allons pas vers le<br />
client ; c’est le client qui<br />
vient à nous. »<br />
L’excellence est<br />
toujours demandée<br />
« Récemment, je me suis fait<br />
une hernie discale. Des tas<br />
de gamers m’ont dit qu’ils<br />
avaient eu le même problème<br />
parce qu’ils jouaient trop.<br />
J’ai convoqué mon chef ingénieur<br />
et lui ai demandé ce qu’il<br />
comptait faire. Il m’a répondu<br />
qu’on devrait s’adresser à un<br />
chirurgien orthopédique, pour<br />
concevoir quelque chose car<br />
la demande sera forte pour<br />
la solution à ce problème<br />
apparemment courant. »<br />
Parfois, je ferais<br />
mieux de me taire<br />
« Un gamer tenait absolument<br />
à avoir un grille-pain Razer.<br />
Je lui ai lancé un défi : “si vous<br />
récoltez un million de likes,<br />
je le fais.” Je me renseignais<br />
de temps en temps. Un autre<br />
m’a dit qu’il allait se faire<br />
tatouer un grille-pain Razer.<br />
J’ai eu la bêtise de lui lancer<br />
un défi similaire au précédent<br />
: “Trouvez dix personnes<br />
qui se tatouent avec vous, je<br />
le fais.” Aujourd’hui, ils sont<br />
quinze à porter le tattoo.<br />
J’ai promis de le faire… mais<br />
je n’ai pas dit quand ! Nous<br />
avons réalisé quelques prototypes<br />
préliminaires, mais<br />
ce n’est pas encore ça. Je<br />
travaille donc toujours làdessus.<br />
Ce sera un pur<br />
grille-pain de compète ! »<br />
razer.com<br />
THE RED BULLETIN 87
PERSPECTIVES<br />
au programme<br />
déjà disponible<br />
ONE DAY, 4061 M & 4478 M<br />
Ces chiffres font référence aux hauteurs du Grand Paradis et du Cervin, deux sommets des Alpes<br />
que l’ultrarunner Fernanda Maciel a atteint en un jour (le 20 août <strong>2020</strong>), le premier lui faisant gagner<br />
le titre féminin du Fastest Known Time (FKT). L’exploit est d’autant plus remarquable que la colocataire<br />
de la Brésilienne de 40 ans a perdu la vie sur le Cervin un an plus tôt et que Maciel a eu les yeux<br />
gelés lors de sa tentative d’ascension deux ans auparavant. Un jour seulement après son ascension,<br />
25 grimpeurs étaient coincés dans un glissement de terrain. Un film exaltant sur le dépassement<br />
des limites physiques et la victoire sur ses démons personnels. redbull.com<br />
déjà<br />
disponible<br />
ENTRETIEN<br />
AVEC<br />
CHARLI XCX<br />
Pour Charli XCX,<br />
comme pour le reste<br />
du monde, l’année<br />
<strong>2020</strong> ne s’est pas déroulée<br />
comme prévu.<br />
Ayant dû reporter des<br />
projets, la pop star anglaise<br />
a décidé d’enregistrer<br />
un album de<br />
confinement, How I’m<br />
Feeling Now, qu’elle a<br />
annoncé sur Zoom en<br />
avril et qui a été salué<br />
par la critique un mois<br />
plus tard. Avant que<br />
la distanciation sociale<br />
n’entre en vigueur,<br />
elle a donné une interview<br />
au journaliste<br />
Wilbert L. Cooper, en<br />
public et en direct au<br />
Hammer Museum de<br />
Los Angeles. A Conversation<br />
with Charli XCX,<br />
une discussion ouverte<br />
sur le travail et la carrière<br />
de la musicienne.<br />
redbull.com<br />
déjà disponible<br />
PUSHING<br />
PROGRESSION : RED<br />
BULL STREET STYLE<br />
La scène du foot freestyle a<br />
explosé ces dix dernières années,<br />
passant de l’art de la performance<br />
au sport pro et culminant<br />
avec la finale mondiale du<br />
<strong>Red</strong> Bull Street Style (le 14 nov.).<br />
Mêlant acrobaties, danse et<br />
contrôle de balle éblouissant,<br />
le Street Style est une forme<br />
d’expression pour ses adeptes.<br />
Ce film examine l’évolution de la<br />
scène, de la rue au stade en passant<br />
par Internet, pour découvrir<br />
ce qu’il faut pour être le ou la<br />
meilleur(e), comme Mélanie<br />
Donchet (photo). redbull.com<br />
MATHIS DUMAS/RED BULL CONTENT POOL, SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL, MARK HUNTER<br />
88 THE RED BULLETIN
HORS DU COMMUN<br />
Retrouvez votre prochain numéro le 28 janvier avec et le 4 février avec<br />
dans une sélection de points de vente et en abonnement.<br />
LITTLE SHAO / RED BULL CONTENT POOL
PERSPECTIVES<br />
montres<br />
Le facteur temps<br />
Retour vers le futur ? Les grandes marques horlogères<br />
remettent l’esprit pionnier au goût du jour. Des montres<br />
destinées aux aventuriers, artistes, agents secrets,<br />
aviateurs, astronautes et… tous les autres.<br />
Texte WOLFGANG WIESER<br />
JEU DE LIGNES<br />
Un chef-d’œuvre de<br />
précision : 45 mm<br />
de diamètre et un<br />
amour du détail<br />
superbement assumé.<br />
COMME UN TATOUAGE<br />
Lignes éternelles<br />
Hublot Big Bang Unico Sang Bleu II<br />
Psychologue, graphiste et tatoueur :<br />
Maxime Plescia-Büchi est un véritable<br />
touche-à-tout, et sa collaboration avec Hublot<br />
particulièrement réussie. Pour preuve,<br />
cette version « en 3D » de la Sang Bleu, avec<br />
un design géométrique tout en relief. Hublot<br />
semble nous rappeler que l’art de maîtriser<br />
le temps, c’est avant tout… de l’art.<br />
hublot.com
PERSPECTIVES<br />
montres<br />
DROIT DE REGARD<br />
MIDO COMMANDER GRADIENT<br />
Son cadran transparent permet à la Mido<br />
Commander Gradient d’afficher sans<br />
complexe la beauté de sa mécanique interne.<br />
Original, le cadran s’assombrit sur<br />
les bords, ce qui confère à la montre un<br />
côté mystérieux… tout en faisant apparaître<br />
la date en clair, grâce au contraste.<br />
midowatches.com<br />
COSMOPOLITE<br />
Globe-trotteuse<br />
Carl F. Bucherer Manero Flyback<br />
Depuis sa fondation en 1888, la maison Bucherer a toujours mis son savoirfaire<br />
au service des aviateurs et des aventuriers. C’est cette passion du<br />
voyage qui a inspiré le joli bleu de la Manero. Autre atout apprécié des pilotes :<br />
la fonction Flyback (trad. retour en vol), qui permet d’enregistrer plusieurs<br />
laps de temps sans manipulation. carl-f-bucherer.com<br />
TOUR DE FORCE<br />
PANERAI LUMINOR MARINA<br />
Petit bijou de légèreté et de solidité,<br />
la nouvelle venue dans la gamme Luminor<br />
ne pèse que 96 g : fidèle à l’esprit d’innovation<br />
de la maison italienne, la Marina<br />
est conçue dans un matériau de haute<br />
technologie ultra-résistant, le Carbotech,<br />
qui résulte de la compression de fibres<br />
de carbone. panerai.com<br />
SOUVENIR<br />
IWC BIG PILOT’S BIG DATE SPITFIRE<br />
Août 2019 : une montre, un avion de<br />
légende et un tour du monde. 43 000 km<br />
parcourus en quatre mois par les pilotes<br />
Steve Boultbee Brooks et Matt Jones, à<br />
bord d’un Silver Spitfire de l’année 1943.<br />
Pour commémorer l’événement, IWC<br />
a sorti sa Big Date Spitfire, une édition<br />
limitée à 500 exemplaires. iwc.com<br />
UNE POUR TOUS<br />
TISSOT T-TOUCH CONNECT SOLAR<br />
Tissot poursuit dans l’innovation avec une<br />
montre qui se connecte via Bluetooth<br />
à tous les téléphones portables (iOS,<br />
Android, Harmony) grâce à un système<br />
d’exploitation baptisé SwALPS. Les affichages<br />
classiques (calendrier perpétuel,<br />
météo, altimètre, etc.) sont disponibles<br />
hors connexion. tissotwatches.com<br />
THE RED BULLETIN 91
PERSPECTIVES<br />
montres<br />
LOOK VINTAGE<br />
Le retour<br />
du marin<br />
Rado Captain Cook<br />
Elle fait son grand retour,<br />
58 ans après sa première<br />
« mise à l’eau », la montre de<br />
plongée qui porte le nom du<br />
célèbre navigateur anglais<br />
Thomas Cook. Cette fois-ci<br />
en version automatique avec<br />
un joli bracelet en titane et<br />
acier, elle conserve son<br />
diamètre de 42 mm et son<br />
charme d’antan. Pour faire<br />
honneur à son nom, elle est<br />
évidemment taillée pour les<br />
profondeurs marines, avec<br />
une étanchéité à 30 bar.<br />
rado.ch<br />
ESPRIT PIONNIER<br />
LONGINES SPIRIT<br />
Que ses montres ornèrent le poignet<br />
de légendes comme Amelia Earhart,<br />
Paul-Émile Victor ou Howard Hughes<br />
prouve que Longines est une marque faite<br />
pour les aventuriers. C’est cet esprit<br />
de conquérant qui est célébré dans<br />
la toute nouvelle collection Spirit.<br />
longines.ch<br />
BAROUDEUSE<br />
VICTORINOX I.N.O.X. CARBON LE<br />
Opération camouflage réussie pour la<br />
I.N.O.X. Carbon LE, qui exhibe avec fierté<br />
le logo mythique de son fabricant.<br />
La marque persiste et signe dans son<br />
amour des détails pratiques : les chiffres<br />
du cadran Super-LumiNova brillent dans<br />
le noir et son bracelet est fabriqué en cordelette<br />
de survie. victorinox.com<br />
AÉRIENNE<br />
G-SHOCK GRAVITYMASTER<br />
La marque G-Shock équipe les militaires<br />
britanniques, en service et hors service,<br />
dans le monde entier. Conçue en étroite<br />
collaboration avec la Royal Air Force,<br />
cette G-Shock Gravitymaster a été étudiée<br />
pour s’adapter aux environnements<br />
les plus difficiles des pilotes.<br />
g-shock.eu<br />
ICONIQUE<br />
HAMILTON PSR<br />
Elle fut la première montre à affichage<br />
digital au monde. Cinquante ans après sa<br />
création, alors que la marque Hamilton<br />
ressort son modèle fétiche, on comprend<br />
l’engouement qu’elle a suscité à l’époque,<br />
y compris chez des stars hors du commun<br />
comme Elton John.<br />
hamiltonwatch.com<br />
92 THE RED BULLETIN
PERSPECTIVES<br />
montres<br />
LE CALIBRE QU’IL<br />
VOUS FAUT<br />
Il est fabriqué avec les<br />
meilleurs fournisseurs<br />
suisses, qui utilisent<br />
des techniques industrielles<br />
de pointe.<br />
EN MOUVEMENT<br />
Un temps<br />
très fort<br />
Oris Aquis Date Calibre 400<br />
Entièrement conçue par<br />
les ingénieurs hautement<br />
qualifiés de la société horlogère<br />
suisse indépendante<br />
Oris, l’Aquis Date Calibre<br />
400 (nouvelle référence<br />
en matière d’horlogerie<br />
mécanique) est la première<br />
montre dotée du mouvement<br />
automatique révolutionnaire<br />
d’Oris. Il offre à<br />
ce modèle de plongée une<br />
réserve de marche de cinq<br />
jours et une forte résistance<br />
antimagnétique. oris.ch
PERSPECTIVES<br />
montres<br />
SUR LA VAGUE<br />
L’Instinct Solar Surf<br />
Edition offre des<br />
données de marée et<br />
un profil d’activité surf,<br />
pour une pratique<br />
optimisée.<br />
PERFORMANCE<br />
Du genre<br />
physique<br />
Garmin Instinct Solar Surf<br />
Cette gamme de montres GPS connectées<br />
de Garmin, dotées de la technologie Power<br />
Glass, offre une autonomie généreuse<br />
dans les modes smartwatch et expédition.<br />
Fréquence cardiaque, niveau de stress,<br />
analyse du sommeil et profils d’activités<br />
sportives préchargés… votre corps appréciera<br />
ses fonctionnalités et sa compagnie.<br />
garmin.com
PERSPECTIVES<br />
montres<br />
PARTENAIRE FIABLE<br />
CERTINA DS SUPER PH500M<br />
Ce modèle se rapporte à son prédécesseur<br />
de 1969 qui a accompagné l’expédition<br />
subaquatique Tektite : quatre scientifiques<br />
ont vécu deux mois dans un caisson<br />
immergé. La Certina fit ses preuves.<br />
Aujourd’hui, elle reste une marque très<br />
appréciée des plongeurs (étanchéité :<br />
50 bar). certina.com<br />
UNDERCOVER<br />
Celle de 007<br />
Omega Seamaster Diver 300M<br />
On le sait : pour James Bond, une montre est bien plus qu’une simple<br />
montre. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’agent 007 alias Daniel Craig ait<br />
lui-même participé au design de sa montre, pour l’opus 25 Mourir peut<br />
attendre. « Le résultat est magnifique », paraît-il. Ce dont elle est capable ?<br />
Réponse prochainement, sur les écrans. omega.com<br />
INNOVANTE<br />
BLANCPAIN FIFTY FATHOMS<br />
Dans les années 60, Blancpain était le<br />
fournisseur de la Marine américaine. Les<br />
bracelets de la collection Fifty Fathoms<br />
sont fabriqués dans un titane nouvellement<br />
breveté, gage de fiabilité et de<br />
nouveauté, car les vis ne sont pas sur<br />
les côtés, mais au dos du boîtier.<br />
blancpain.com<br />
ASTRONAUTE<br />
RAKETA BAÏKONOUR<br />
803 jours dans l’espace : un record établi<br />
par le cosmonaute russe Sergueï Krikalev.<br />
La manufacture Raketa a pensé à lui en<br />
mettant au point une montre faite pour la<br />
vie spatiale, avec un cadran 24 heures<br />
permettant de distinguer le jour et la nuit,<br />
et un mécanisme automatique de grande<br />
fiabilité. La classe. raketa.com<br />
MESSAGÈRE<br />
SWATCH<br />
“Don’t be too late!” Cette montre ne<br />
vous dit pas simplement l’heure qu’il est,<br />
elle vous délivre aussi d’importants<br />
messages, à prendre au sérieux… ou pas !<br />
Sont également disponibles les versions<br />
“Tell me more”, “Call to action” et “Same<br />
same but different”. Qu’on se le dise !<br />
swatch.com<br />
THE RED BULLETIN 95
MENTIONS LÉGALES<br />
THE RED<br />
BULLETIN<br />
WORLDWIDE<br />
<strong>The</strong> <strong>Red</strong> <strong>Bulletin</strong><br />
est actuellement<br />
distribué dans six pays.<br />
La Une de l’édition<br />
américaine met les stars<br />
de la WNBA Natasha<br />
Cloud et Renee Montgomery<br />
à l’honneur.<br />
Le plein d’histoires<br />
hors du commun sur<br />
redbulletin.com<br />
Les journalistes de SO PRESS n’ont pas pris<br />
part à la réalisation de <strong>The</strong> <strong>Red</strong> <strong>Bulletin</strong>.<br />
SO PRESS n’est pas responsable des textes,<br />
photos, illustrations et dessins qui engagent<br />
la seule responsabilité des auteurs.<br />
Rédacteur en chef<br />
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TRBMAG
Pour finir en beauté.<br />
L’incroyable remontada<br />
En aéronautique, une ressource est une manœuvre de redressement de l’avion<br />
à la suite d’un piqué : un changement vertical de trajectoire. C’est également<br />
applicable à la wingsuit, notamment grâce à Fred Fugen et Vince Reffet, un duo<br />
français d’hommes volants : les Soul Flyers. Cette photo issue de leur récente<br />
vidéo montre Vince en ressource, après un piqué à 270 km/h sur le phare de la<br />
Coubre de La Tremblade (Charente-Maritime). À voir sur redbull.com<br />
Le prochain<br />
THE RED BULLETIN<br />
sera disponible<br />
dès le 28 janvier<br />
2021<br />
MAX HAIM/RED BULL CONTENT POOL<br />
98 THE RED BULLETIN
PEU IMPORTE LA RAISON,<br />
Le tableau<br />
Persos<br />
FORERUNNER<br />
945<br />
- NOUVEAU -<br />
FORERUNNER<br />
745<br />
du matin<br />
entre amis<br />
FORERUNNER<br />
245<br />
FORERUNNER<br />
45<br />
<br />
COUREZ AVEC UNE FORERUNNER & LES MAGASINS<br />
RÉSEAU SPÉCIALISÉ RUNNING TRAIL MARCHE NORDIQUE TRIATHLON SWIM&RUN ATHLÉ<br />
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