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J'attends le numéro 63

Laboratoire de recherches créatives

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THIERRY FAGGIANELLI

mettaient alors à se tordre de

rire, du moins celles dont les

lèvres n’étaient pas fendillées.

Certaines, par jeu, se voilaient

la poitrine pour en souligner le

galbe. Si on ne se faisait pas pipi

dessus, c’était encore pour économiser

le liquide.

La pirogue à roulettes s’arrêtait

afin que les cyclistes qui

avec leur pédalier faisaient

tourner la petite roue à aube

puissent reprendre leur souffle.

Le Monarque, sûr de lui et de

l’étanchéité de son costume

nautique, se jetait alors sur la

rive saturée de monde pour

prendre son bain de foule annuel.

Après s’être roulé au

milieu de ses sujets dans la

clameur des tambours et des

calebasses, après avoir batifolé

quelques minutes sur ses

flots humains à la verticale

des fesses, des visages et des

seins des visiteurs, après s’être

essoufflé de quelques brasses

dans la foule étanche, après

avoir fait la planche sur de robustes

partisans, il finissait par

se lasser, le distingué bougre.

Là, quelques robustes gardes

du corps venaient le tirer des

griffes d’enfants affamés qui

commençaient gentiment à le

mordre. Ils le ramenaient daredare

dans sa nef par l’élastique

de son shorty. Comme la foule

énervée par ce spectacle grondait,

les cyclistes, à qui l’on avait

promis une double ration de

flotte et de ragondin, se mettaient

en branle et l’éloignaient

dare-dare du danger. Chaque

année, on échappait à un massacre

et les traditions étaient

respectées.

Sinon, les habitants étaient assez

urbains. Il arrivait même

qu’ils se soufflent dessus en

file indienne pour s’éventer les

uns les autres. Mais au Burnika,

la file ne reste pas longtemps

indienne. Elle s’africanise. Ca

se mettait à fourmiller en tous

sens de façon atomique, pour

tenir éveillé Dieu au cas peu

probable où il les observerait au

microscope.

Cette pratique avait le mérite

d’occuper et de rafraîchir.

Quand on manque de tout,

un savoir-vivre ensemble est

une richesse renouvelable. À

Donguéville, certains n’avaient

même jamais connu « l’aqua

sin gaz ». On ne souvenait pas

de ce que c’était. Alors oui, il y

avait bien eu le concept d’eau,

la sensation d’eau, des histoires

sur l’eau. Mais les puits restaient

taris comme les mamelles

pointues des vieilles allaitantes.

Ce qui explique qu’ici les bébés

avaient la voix rauque.

Petit ou grand, chacun finissait

par palabrer à voix basse, ce qui

allait à l’encontre des traditions,

cela va sans dire - tout bas, bien

sûr -.

Les crocodiles du cru avaient

l’allure de grands lézards. Ils

rampaient à défaut de nager. A

leur voracité - crainte par tous

les opposants du régime - avait

succédé une apathie vicelarde.

Quand un vieux mâle partait,

dégoutté, épuisé, asséché

comme un vieux cuir, le troufignon

plissé comme un accordéon,

on disait qu’il gagnait

l’ « Eau-delà ». L’au-delà de

quoi, personne ne s’en souciait.

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