ICI MAG : AVRIL 2024

Contes et légendes
des Landes
L'arbre du diable
(Partie 1)
Assis paisiblement sur le banc à l'extrémité de son jardin,
Gilbe contemplait un arbre tout en lui adressant la parole.
Pour un passant étranger, cela aurait semblé de la folie. Solliciter
un arbre pour qu'il donne des fruits ? Quelle idée risible
! Au village, on se moquait de lui, car tous connaissaient le
destin de Gilbe et de son arbre. Depuis qu'il avait planté cette
jeune pousse, des événements étranges se produisaient au village.
Tout avait commencé lors d'une foire. Gilbe recherchait
de nouvelles essences à ajouter à son jardin. Il avait, comme
on dit, la main verte. De plus, son terrain était riche en tourbe,
un avantage considérable dans cette région où le sol sablonneux
rendait difficile la croissance de toute chose, à l'exception
des pins et de quelques chênes. Tout ce qui poussait ailleurs
était chétif, mais sur sa parcelle, tout prospérait. Certains
prétendaient que le Diable lui prêtait main-forte... Pendant la
foire, il rencontra un homme vendant diverses plantes. Alors
que Gilbe regardait l'étal du marchand, l'homme lui glissa une
jeune pousse dans la main en disant : « Si tu parviens à faire
pousser cet arbre et à attendre dix ans, il te donnera des fruits
à la Saint-Jean pour faire du vin et de la liqueur. À condition
que tu fasses preuve de patience et que l'arbre ne soit pas abattu
avant. » Gilbe était fort patient et dans son jardin il était
bien arrivé à faire pousser de la vigne après avoir planté des
sarments. Il examina la jeune pousse et se dit : pourquoi pas ?
Après tout, qui aurait l'idée d'abattre un arbre chez moi dans
une région où chacun respectait les arbres. L'homme vêtu de
noir lui donna l'arbrisseau sans rien demander en retour. Il
lui remit également un vieux parchemin sale, couvert d'une
écriture ancienne et de symboles inconnus. Gilbe voulut poser
une question, mais l'homme avait déjà rassemblé ses affaires
avant de disparaître en toute hâte. De retour chez lui, Gilbe
planta la jeune pousse, la soignant avec tout le soin nécessaire
à sa croissance. Mais bientôt, il remarqua quelque chose
d'anormal. Sous cet arbre, rien ne poussait. Les volailles ne
grattaient même pas à ses pieds et aucun oiseau ne se posait
jamais sur ses branches. Gilbe et son arbre commencèrent à
intriguer les villageois. Chaque fois que quelqu'un s'en approchait,
un incident survenait le jour même. Un jour, un homme
épuisé fit la sieste sous l'arbre. Il en ressortit avec un terrible
mal de tête et des nausées, restant malade plusieurs jours. Ce
n'était pas la première fois que cela se produisait. Les villageois
commencèrent à le redouter puis à le craindre. Au bout
de quelques années beaucoup l'avaient surnommé, l'arbre du
Diable. La peur avait empli le village et les âmes et à l'automne
suivant, la décision fut prise de l'abattre. Le jour venu, profitant
de l'absence de Gilbe, tout le village s'était réuni mais
alors que le premier coup de hache venait à mordre son écorce,
une brume épaisse et nauséabonde surgit de nulle part et enveloppa
l'arbre. Il semblait à tous qu'un souffle rauque émanait
de ses entrailles. Au début, on pensa qu'il s'agissait d'un écho
du bûcheron, mais plus il frappait, plus le souffle s'intensifiait.
C'est alors que Gilbe, alerté par les bruits, arriva. Voyant la
scène, il tenta d'arrêter les hommes. Le souffle devint encore
plus puissant. Les bûcherons lâchèrent leurs outils, criant que
l'arbre était hanté. Un bruit étrange s'échappa alors du cœur
de l'arbre. Un bruit étrange qui sonnait comme un rire. Puis
le souffle et la brume disparurent et chacun put constater
que malgré la puissance des coups de haches, il restait intact.
Gilbe proposa alors un pacte : s'il réussissait à concocter une
boisson décente avec les futurs fruits de l'arbre, il le garderait
dans son jardin. Sinon, il procéderait lui-même à son
abattage, promettant d'y mettre le feu si sa hache n'arrivait
pas à ses fins. L'accord fut conclu et le calme revenu, Gilbe se
précipita dans son grenier à la recherche du parchemin que
l'homme en noir lui avait remis avec l'arbre. Il passa des jours
à chercher ce maudit document. Lorsqu'il le retrouva enfin,
il mit des semaines à déchiffrer les mots. Pendant des mois,
il mena différentes expérimentations. Jusqu'à cette soirée où
une explosion retentit...
À suivre
Par Sylvie PONTIER
Correspondante ICI MAG
20 - ICI MAG avril 2024