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JEUX OLYMPIQUES DESCENTEHOMMES<br />

SKI ALPIN<br />

Lavictoireestenlui<br />

Sous son abord placide et bonhomme, Antoine Dénériaz est un gagneur-né. Portrait.<br />

SESTRIÈRES –<br />

de notre envoyé spécial<br />

PERSONNE n’avait eu le cœur de le<br />

retenir. Le 11 janvier dernier, au bas<br />

d’un premier entraînement calamiteux<br />

sur le Lauberhorn, à plus de<br />

quatre secondes de Fritz Strobl,<br />

Antoine Dénériaz avait traversé le<br />

cordon de journalistes sans s’arrêter,<br />

le regard porté loin vers la Jungfrau.<br />

Le lendemain, alors que ça n’allait<br />

guère mieux, il s’était avancé pour<br />

s’excuser de son attitude de la veille.<br />

Et il avait répondu sans biaiser aux<br />

inévitables questions que ses performances<br />

en berne (35 e et quatrième<br />

Français seulement, au final) suscitaient<br />

alors. Il est tout là, « le<br />

Grand », comme le Cirque blanc<br />

l’appelle affectueusement, poli, respectueux,<br />

sans faux fuyant, profondément<br />

humble et honnête. Il est là<br />

aussi dans l’amitié, quand il fallut se<br />

relever de ce désastreux résultat à<br />

moins d’un mois des Jeux. «Au<br />

retour de cette course à Wengen, on<br />

a bu deux, trois bières et tâcher<br />

d’oublier ce week-end, se souvient<br />

Pascal Lemoine, dit Moineau, son<br />

grand pote et son grand technicien.<br />

Là-haut, il avait brûlé ses skis, mais<br />

pas son envie. »<br />

« Antoine a fait une croix sur l’épisode<br />

et il est passé à autre chose,<br />

rappelle papa Dénériaz, Alain. Il s’est<br />

forgé, avec la maturité de ses bientôt<br />

trente ans et à coups de préparation<br />

mentale, une formidable capacité à<br />

rebondir. »<br />

Alors, avec le paquet de linge sale<br />

qu’il confie chaque semaine, en passant,<br />

à sa maman, Tonio a balancé<br />

ses doutes. Tous ces doutes qui<br />

avaient retardé son éclosion, quand<br />

il avait dû repasser, en panne de<br />

résultats, par la Coupe d’Europe<br />

2001. Tous ces doutes doucement<br />

balayés par les liens si serrés noués<br />

avec Moineau, l’homme qui choisit<br />

ses skis pour lui, par l’ambiance «de<br />

famille » voulue dans l’équipe par<br />

Mauro Cornaz, l’entraîneur qui a cru<br />

en lui, et par «ses facultés<br />

incroyables de bosseur », « son travail<br />

acharné de tous les instants »,<br />

célébrés d’une même voix par son<br />

copain d’écurie, Nicolas Burtin, et<br />

son moniteur de père. Tous ces<br />

doutes qui ne reviendront plus.<br />

« Àl’attaque ! À l’attaque ! Fais-le,<br />

fais-le ! Tu sais le faire ! Tu vas le<br />

faire ! », se martelait intérieurement<br />

le futur champion olympique dans la<br />

cabane de départ. « Il a toujours été<br />

comme ça, depuis ses premières<br />

courses, sourit Alain Dénériaz.<br />

Quand il fallait gagner une sélection<br />

en minimes ou un critérium départemental,<br />

ce jour-là, il trouvait tou-<br />

Un concert de potets<br />

Morillon, le village de Dénériaz, a basculé après le titre olympique<br />

dans un bonheur total.<br />

MORILLON –<br />

de notre envoyé spécial<br />

MORILLON, 500 HABITANTS, un<br />

champion olympique. Depuis hier et le<br />

titre de l’enfant du pays, Antoine<br />

Dénériaz, rien ne sera plus pareil pour<br />

ce petit village situé au-dessus de<br />

Cluses, entre Taninges et Samoëns.<br />

« Tonio » a rempli de fierté tous ses<br />

concitoyens. « Le Puzze » – qui signifie<br />

« la pause », celle que faisaient les<br />

vaches durant la transhumance – ne<br />

désemplit pas. Dans ce bar-restaurant,<br />

où le patron, Jean-Philippe, héberge le<br />

fan-club d’Antoine, la bière coule à<br />

flots. Manuel, son drapeau tricolore<br />

posé sur l’épaule, est venu en voisin<br />

des Gêts. Il suit la carrière « du p’tit »<br />

depuis 1997. « On a regardé la descente<br />

à la maison, puis on est venus en<br />

famille fêter ça à Morillon », racontet-il.<br />

Sous le bras, sa femme serre un<br />

paquet de sweat-shirts à l’effigie<br />

d’Antoine Denériaz. « C’est de la folie,<br />

s’exclame le patron du « Puzze ». À<br />

jours l’énergie ! » « Moi, j’ai toujours<br />

eu confiance, appuie son<br />

épouse, Dominique, mère en or,<br />

comblée. Dès qu’il a eu sept ou huit<br />

ans, ilarêvédes Jeux.Jesavais qu’il y<br />

arriverait, il suffisait de ne pas le freiner.<br />

»<br />

Rien n’a freiné Tonio, ni ses déboires<br />

sportifs, ni son genou brisé il y a un<br />

an. Tonio s’est remis de tout, de ses<br />

hésitations de débutant sur le circuit,<br />

« quand il avait toujours une patte<br />

tendue vers l’extérieur », rigole Luc<br />

Aphand, qui l’a vu arriver à ses côtés,<br />

timide, en 1996-1997 ; de ses appréhensions<br />

lorsqu’il avait skié relevé,<br />

effrayépar laglace vive de Garmisch,<br />

en février 2003 ; et, donc, de son<br />

récent passage à vide de janvier,<br />

quand il peinait à refaire surface.<br />

« Comme il s’est envoyé ici, sur un<br />

terrain gelé, a priori pas fait pour<br />

lui ! », s’extasiait Pierre-Emmanuel<br />

Dalcin. « C’est un monstre du ski !,<br />

explose Yannick Bertrand, admiratif.<br />

Seul un monstre peut gagner<br />

l’entraînement la veille, et déchirer<br />

la course olympique comme ça le<br />

lendemain ! Il ne l’étale pas Tonio,<br />

mais il l’a, le feu sacré ! » Et les deux<br />

cadets de ce fonceur doré sur carres<br />

lui rendent un hommage unanime :<br />

« Il nous a beaucoup aidés, il nous<br />

montre la voie, il a encore beaucoup<br />

à nous apprendre ! »<br />

« On ne lui parlera<br />

pas trop de ski »<br />

Son approche de l’événement fut<br />

exemplaire, depuis que deux Bleus<br />

triés sur le volet (Bertrand et lui) ont<br />

été discrètement invités, beau geste<br />

desItaliens, juste avant Noël dernier,<br />

à tester la Kandahar Banchetta. «Ce<br />

jour-là,il yaeuun déclicdans satête,<br />

il a décidé qu’il voulait y arriver, qu’il<br />

aurait une chance unique à saisir »,<br />

révèle Cornaz. Et sa placidité a fait la<br />

différence. « Antoine a su rester<br />

calme, remettre de la sérénité au<br />

moment où la pression montait,<br />

explique Gilles Brenier, le patron des<br />

messieurs. Il a fait preuve d’une maîtrise<br />

phénoménale, mis enplace tous<br />

les éléments en sachant ce qu’il voulait<br />

faire, se redonner la confiance<br />

progressivement et au bon moment.<br />

Il a franchi un palier. »<br />

« Dédramatiser et tenir le cap. »<br />

c’est ainsi que Dénériaz revisite sa<br />

philosophie du ski, qui a su se relancer<br />

dès le lendemain de sa trentième<br />

placede Garmisch, fin janvier en descente,<br />

par un super-G à trois<br />

dixièmes du podium. Qui a négligé le<br />

contretemps de Chamonix, la<br />

semaine dernière, où sur « sa »<br />

Verte des Houches et devant son<br />

public, l’annulation de l’épreuve<br />

l’avait privé d’une occasion de se<br />

midi, plein de gens avaient réservé<br />

pour pouvoir déjeuner à l’heure de la<br />

descente. Quand ce fut le tour de<br />

’’Tonio’’, j’ai laissé les fourneaux, arrêté<br />

le fût de bière. Et je me suis tu…<br />

enfin pas vraiment vu le boucan.<br />

Après, ce fut du délire. J’ai dû enlever<br />

les tables et les chaises, par précaution<br />

! Il ne reste plus une casquette,<br />

plus un béret, plus un seul tee-shirt à<br />

l’effigie d’Antoine. Il va falloir en commander.<br />

»<br />

Dans le bar, verre de bière à la main, le<br />

fan-club entonne une Marseillaise<br />

endiablée, rythmée par un concert de<br />

potets, ces grosses cloches que l’on<br />

mettait autour du cou des vaches,<br />

autrefois. Un peu plus loin, au pied de<br />

la télécabine, un écran géant repasse<br />

pour la énième fois les images de la<br />

descente olympique qui a fait roi<br />

Antoine Denériaz. Des centaines de<br />

personnes hurlent de joie, après avoir<br />

écouté Robert, l’oncle d’Antoine,<br />

interpréter l’incontournable Étoile des<br />

neiges. Hier, l’étoile avait un nom bien<br />

payer du bon temps. « Il n’est pas<br />

compliqué, répète son père. Quand il<br />

vient faire un tour à Morillon (Dénériaz<br />

habite désormais à Martigny, en<br />

Suisse), il accepte facilement de<br />

boire un coup avec les gens du village,<br />

il n’a pas la grosse tête. »<br />

Et son exploit historique n’y changera<br />

rien. « Il gardera sa chambre à la<br />

maison, il mettra les pieds dans les<br />

pantoufles et on ne lui parlera pas<br />

trop de ski. » Pas trop, mais quand<br />

même…<br />

PATRICK LAFAYETTE<br />

Avec l’amour de Cornaz<br />

L’Italien, entraîneur des Français depuis dix ans, a hissé Alphand,<br />

Crétier et… Dénériaz au sommet.<br />

SESTRIÈRES –<br />

de notre envoyé spécial<br />

POUR PARLER D’EUX, il a toujours<br />

des mots tendres. Même quand il<br />

s’agace, quand ses descendeurs, ses<br />

« poussins » comme il dit, ne sont pas<br />

à la hauteur, l’amour n’est jamais loin.<br />

Au fond, c’est un grand sentimental,<br />

Mauro ! Qui pleure quand ça gagne,<br />

qui souffre quand ça casse. Mauro,<br />

c’est Mauro Cornaz, bientôt quarantesix<br />

ans dont dix passés à couver les<br />

descendeurs français, à leur ouvrir les<br />

portes de la gloire.<br />

Depuis qu’il a quitté l’Italie au printemps<br />

1995, l’ancien descendeur du<br />

Val d’Aoste a en effet tout connu, tout<br />

gagné. La Coupe du monde générale<br />

avec Alphand en 1997, l’or olympique<br />

avec Crétier et maintenant Antoine<br />

Dénériaz. « J’ai déjà fait pas mal,<br />

reconnaît-il. Mais celui-ci a un goût<br />

particulier. » Sans doute parce qu’il a<br />

« seulement » aidéAlphand et Crétier,<br />

dont il a pris les carrières en cours, à<br />

trouver la lumière alors qu’il a façonné<br />

Dénériaz. Avec sa méthode « claire<br />

comme l’eau » : du travail technique<br />

évidemment mais surtout un sens aigu<br />

de la relation humaine. « J’essaie tou-<br />

jours de mettre l’accent sur l’esprit de<br />

groupe, que l’on soit une famille et que<br />

chacun ait le temps de s’épanouir. La<br />

France, ce n’est pas l’Autriche. On n’en<br />

a pas dix mille et on ne peut pas se permettre<br />

d’en jeter à la poubelle… »<br />

Roberto Fiabane, un de ses adjoints,<br />

« son meilleur copain », résume :<br />

« Mauro, c’est un homme honnête et<br />

sérieux qui, dans la vie et quoi qu’il se<br />

passe, avance toujours. Il a cette énergie<br />

et cette force d’entraîner les gens<br />

derrière lui. » Marc Pirard, un autre de<br />

ses coaches, renchérit : « Les coureurs,<br />

on les accompagne, on leur donne<br />

beaucoup d’amour. »<br />

SESTRIÈRES. – Gros bosseur,<br />

Antoine Dénériaz a<br />

découvert la Kandahar<br />

Banchetta avant Noël. Il a<br />

alors su qu’il pouvait<br />

dompter la piste italienne.<br />

(Photo Wolfgang Rattay/Reuters)<br />

Plusieurs fois, Mauro a eu l’occasion<br />

de quitter un ski français en crise. Mais<br />

il a tenu. « J’aurais pu partir pour<br />

beaucoup d’argent. Mais je suis resté<br />

pour les gars. » Malgré les critiques.<br />

« On nous avait déjà préparé les<br />

valises pour nous renvoyer à la maison<br />

», dit-il. Peut-être qu’au printemps,<br />

Mauro retraversera la frontière.<br />

Mais ce sera son choix. Et pour<br />

l’instant, il savoure. « Je suis le plus<br />

heureux des hommes », dit-il simplement,<br />

du bonheur plein les yeux.<br />

« Tout à l’heure, j’ai pleuré vraiment<br />

fort. » Et tant qu’il y aura des hommes<br />

pour pleurer… – B. L.<br />

ILS ONT DIT<br />

● Gilles BRENIER (directeur des équipes de France hommes) : « On savait que<br />

c’était un grand champion, il l’a prouvé aujourd’hui. Ce n’était pas facile de partir<br />

avec ledossard 30, d’attendre. La différence, il l’afaite dans la tête. C’est la preuve<br />

que le ski français ne va pas si mal que ça, qu’il faut faire confiance aux coureurs.<br />

Les critiques nous ont fait mal parce qu’elles touchaient les athlètes et ça, je ne<br />

l’accepte pas. »<br />

● Roberto FIABANE (entraîneur français) : « C’est une joie immense, une émotion<br />

incroyable. J’ai aussi une pensée pour Seve (Bottero, l’entraîneur des géantistes<br />

français décédé en janvier dans un accident de voiture). Peut-être que de<br />

là-haut, il nous a filé un coup de main. »<br />

● Stéphane SORREL (entraîneur français) : « Il a sorti la course parfaite. Il y a<br />

mis la manière. C’est un grand jour. Un grand bonheur. »<br />

Saint Sa<br />

Scionz<br />

Morillon Mo<br />

i l<br />

(Hau ( Haute-Savoie)<br />

ute-<br />

a oie)<br />

SUIISSE<br />

de Morillon, Dénériaz, « Tonio » pour<br />

ses potes du « Puzze ». « Un mec bien,<br />

répétaient-ils en chœur, Monsieur<br />

Tout-le-Monde. » Plus vraiment. Tout<br />

le monde n’est pas champion olympique<br />

!<br />

GILLES NAVARRO<br />

LUNDI 13 FÉVRIER 2006 PAGE 5

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