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Illustration: Noyau<br />
BERNARD PIVOT<br />
OU MARILYN MONROE?<br />
Je me souviens, comme disait l’autre, d’une<br />
émission qui s’appelait Apostrophes et passait,<br />
il n’y a pas si longtemps, le vendredi soir sur la<br />
deuxième chaîne française à une heure située<br />
après le repas et les journaux télévisés. Je me<br />
souviens aussi qu’une musique de Rachmaninov<br />
accompagnait le générique de l’émission,<br />
mais je n’ai plus la mélodie en tête, au contraire<br />
de celle qui annonce, chaque dimanche soir,<br />
sur France-Inter, après les informations et la<br />
météo marine, Le Masque et la plume, une<br />
autre émission qui passait déjà en ce tempslà<br />
depuis très longtemps sur France-Inter et y<br />
passe toujours, contrairement à Apostrophes<br />
qui, elle, a passé à la trappe.<br />
Je me souviens qu’en ce temps-là – où j’étais<br />
en mon adolescence et habitais à cinquante<br />
lieues du lieu de ma naissance, une distance<br />
alors bien insuffisante à mes yeux – je regardais<br />
Apostrophes avec un mélange de réprobation<br />
savante – ou pseudo-savante – et d’admiration<br />
inavouable. C’est que la chose écrite<br />
et ses suppôts, les écrivains, me préoccupaient<br />
au-delà du raisonnable et qu’influencé par certaines<br />
lectures – dont celle de Maurice Blanchot<br />
– j’envisageais l’écriture comme une quête<br />
infinie, ce qui me faisait dédaigner, en apparence,<br />
toutes les opérations visibles de promotion<br />
du livre. Il s’agissait là, sans nul doute,<br />
d’une théologie dualiste, privilégiant l’âme<br />
(l’esprit, la lettre) sur le corps de l’écrivain, sur<br />
sa vie même, qu’elle vouait à l’inexistence pure<br />
et simple. Or que peut montrer l’autre théologie,<br />
la cathodique, si ce ne sont des corps? Une<br />
émission comme Apostrophes fut la négation<br />
en acte de ces conceptions sévères, la manifestation<br />
ostentatoire des auteurs en gloire, au<br />
point de faire oublier le caractère secret, quasi<br />
clandestin, de cette activité qui les amenait<br />
parfois sur le devant de la scène. Au point que<br />
l’activité littéraire elle-même risquait alors, à<br />
travers ce culte des images, de se confondre<br />
avec la rutilance de sa propre célébration,<br />
l’écrivain de n’être non plus celui qui arrachait<br />
des pages au silence mais celui qui passait<br />
chez Pivot. Mais j’avoue qu’à cette époque où<br />
je regardais Apostrophes, je me rêvais tout<br />
aussi bien en avatar de Franz Kafka qu’en invité<br />
brillant des télévisions, comme si le second<br />
rêve avait dû constituer la récompense, certes<br />
dérisoire mais enfin pas tant que ça tout de<br />
même, des sacrifices engendrés par le premier.<br />
No comment.<br />
Il y eut sur le plateau d’Apostrophes certains<br />
moments mémorables que je vis en direct, avec<br />
quelques autres millions de téléspectateurs, et<br />
d’autres que je vis avec un certain décalage<br />
temporel puisqu’il m’arriva, après la disparition<br />
de l’émission, de regarder, éditées sur cassette<br />
vidéo, quelques-unes des émissions<br />
réalisées en tête-à-tête par Pivot avec ses<br />
invités les plus importants. C’est ainsi que je<br />
me souviens, et je ne suis pas le seul, j’imagine,<br />
de Simenon évoquant le suicide de sa fille<br />
DOSSIER VIDEO<br />
IVAN FARRON,<br />
ECR IVAIN<br />
<strong>MEMORIAV</strong><br />
M EMORIAV <strong>BULLETIN</strong> NR.1 4 21