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5.2. Tensions ethniques – un deuxième génocide

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Tables des Matières<br />

PRÉFACE 3<br />

1. INTRODUCTION 5<br />

2. CONNAISSANCES GENERALES POUR NOTRE TRAVAIL 7<br />

2.1. PRÉSENTATION DU RWANDA 7<br />

2.1.1. LA CAPITALE KIGALI 10<br />

2.1.2. UNE SUISSE AFRICAINE AUX RELATIONS MULTIPLES 11<br />

2.1.3. LA DIVERSITÉ CULTURELLE 11<br />

2.1.4. TERMES « TUTSI » ET « HUTU » : SENS ORIGINEL ET ÉVOLUTION DU SENS 12<br />

3. HISTOIRE MARQUANTE AVANT LE GENOCIDE EN 1994 16<br />

4. LE ROLE DE LA FRANCE ET DE L’ONU DANS LE GENOCIDE RWANDAIS 26<br />

4.2. LE ROLE DE LA FRANCE 30<br />

4.2.1. HISTOIRE DE LA RELATION ENTRE LE RWANDA ET LA FRANCE 32<br />

4.2.2. LE REPROCHE ADRESSÉ À LA FRANCE 37<br />

4.2.3. LA FRANCE SE DÉFEND 40<br />

4.3. LE ROLE DE L’ONU 44<br />

4.3.1. LA MINUAR ET L’IMPOSSIBILITÉ D’AGIR 44<br />

4.3.2. DÉCLARATIONS PUBLIQUES DE L’ONU 55<br />

4.4. À QUI ALORS LA CULPABILITE? 57<br />

5. SITUATION D’AUJOURD’HUI 61<br />

5.1. SITUATION POLITIQUE D’AUJOURD’HUI 62<br />

5.1.1. RELATIONS INTERNATIONALES D’AUJOURD’HUI 62<br />

5.1.2. DÉVELOPPEMENT DE LA POLITIQUE NATIONALE 68<br />

<strong>5.2.</strong> LA SITUATION DE L’AIDE HUMANITAIRE AUJOURD’HUI 78<br />

<strong>5.2.</strong>1. AIDE HUMANITAIRE NÉCESSAIRE 78<br />

<strong>5.2.</strong>2. LA RECHERCHE DE LA JUSTICE <strong>–</strong> LES GACACA 83<br />

5.3. TENSIONS ETHNIQUES <strong>–</strong> UN DEUXIÈME GÉNOCIDE ? 88<br />

6. ÉPILOGUE 90<br />

BIBLIOGRAPHIE 92<br />

7. APPENDICE 97


- 3 -<br />

Préface<br />

Pourquoi avons-nous choisi <strong>un</strong> thème de travail de maturité concernant le<br />

Rwanda? Pourquoi voulions-nous traiter pendant plus de cinq mois de travail <strong>un</strong><br />

thème d’<strong>un</strong> pays que nous n’avons jamais visité et dont nous avons rarement<br />

entendu parler ?<br />

L’expérience déterminante était le film « Hôtel Rwanda » du régisseur Terry<br />

George.<br />

Toutes les deux, nous l’avons vue pour la première fois en printemps 2006, avec la<br />

conséquence d’<strong>un</strong>e consternation profonde et durable. Le fait que nous n’avons<br />

rien entendu de ce <strong>génocide</strong> avant avoir vu le film, nous rendait pensives, même<br />

effrayées. Cette consternation relative au <strong>génocide</strong> rwandais en 1994, nous<br />

l’avons conservée et maintenue jusqu’à aujourd’hui, avec le changement<br />

considérable qu’elle est devenue encore plus profonde et plus bouleversante par<br />

<strong>un</strong>e recherche approfondie sur les machinations et les circonstances dans le<br />

<strong>génocide</strong>.<br />

Notre travail n’aurait pas été réalisable de telle manière, sans le support précieux<br />

par nos informateurs concernant la situation d’alors et d’aujourd’hui dans le<br />

Rwanda. Monsieur Edouard Bizumuremyi et encore plus tard, Madame Margrit<br />

Fuchs et Monsieur Alessandro « Bizimana » Fattorini nous ont aidées<br />

énormément, même supportées d’<strong>un</strong>e façon extraordinairement utile et sacrifiant.<br />

A cette occasion, nous aimerions bien les remercier pour leur effort inoubliable.<br />

Surtout Monsieur Bizumuremyi, qui travaille à l’ambassade et la mission<br />

permanente de Rwanda à Genève, nous a donné beaucoup de temps et<br />

d’investissement en offrande, en ce qui concerne la contemplation critique mais<br />

souteneur de notre travail. Monsieur Bizumuremyi nous a aussi donné la possibilité<br />

de participer à <strong>un</strong>e conférence-débat sur « la responsabilité de la comm<strong>un</strong>auté<br />

internationale dans le <strong>génocide</strong> des Tutsi perpétré au Rwanda en 1994 » à<br />

Genève, qui était très informative et intéressante.


- 4 -<br />

De même notre remerciement est valable pour les experts de notre travail de<br />

maturité, Monsieur Thomas Wohler et Monsieur Martin Berger, qui nous ont offert<br />

toujours la possibilité de les contacter et nous ont manifesté de l’intérêt pour notre<br />

travail.<br />

Nous vous souhaitons bonne lecture et <strong>un</strong> cœur ouvert pour faire entrer des<br />

réflexions critiques sur <strong>un</strong> des crimes les plus graves contre l’humanité. Un crime<br />

permis par l’abandon collectif d’<strong>un</strong> pays et de sa population.


1. Introduction<br />

- 5 -<br />

La question, comment <strong>un</strong>e population entière est capable de commettre <strong>un</strong><br />

<strong>génocide</strong> et comment c’est possible que la comm<strong>un</strong>auté internationale n’agisse<br />

que par <strong>un</strong>e indifférence dangereuse envers les problèmes d’<strong>un</strong> pays, nous a<br />

poursuivies pendant le developpement de notre travail.<br />

Une question, à laquelle on n’est pas capable, de livrer <strong>un</strong>e réponse et <strong>un</strong>e<br />

excuse, mais peut-être <strong>un</strong>e explication à titre d’essai et <strong>un</strong> sentiment subtil de<br />

compréhension en considérant les informations de fond.<br />

Avec notre travail de maturité nous avons l’intention :<br />

• de donner <strong>un</strong>e vue approfondie dans les machinations pendant le <strong>génocide</strong><br />

rwandais.<br />

• d’illustrer l’effort plus ou moins couronné de succès de se remettre d’<strong>un</strong>e<br />

situation économiquement, démographiquement et politiquement détruite.<br />

• d’exposer la situation actuelle dans les domaines politiques et <strong>ethniques</strong> et<br />

son succès remarquablement stable.<br />

Nous aimerions atteindre ces buts en démontrant, comment le <strong>génocide</strong> s’est<br />

passé dans les coulisses, ce qui ne se révélait pas du tout facile. Il fallait venir à<br />

bout de toutes les sources, qu’on avait à disposition. Les contradictions étaient à<br />

juger d’<strong>un</strong>e façon critique, il fallait les insérer dans le travail, pour construire <strong>un</strong><br />

texte intéressant et impartial.<br />

Ainsi, la difficulté consistait à rajouter les sources ensemble dans <strong>un</strong> seul texte qui<br />

soit bien structuré, et clair dans sa déclaration.<br />

De cette manière, le lecteur devrait être initié à <strong>un</strong> point de vue critique non<br />

seulement concernant le <strong>génocide</strong> rwandais, mais aussi relatif aux actes souvent<br />

douteux et détachés de la comm<strong>un</strong>auté internationale.


- 6 -<br />

Il nous importe beaucoup, que la sensibilisation de nos lecteurs à ce thème<br />

réussisse. Il faut être curieux et rechercher profondément dans les sources de<br />

différents partis, pour qu’on puisse se sentir informé au sujet des actes politiques<br />

dans notre monde. Il ne suffit pas, qu’on fasse confiance aux informations données<br />

par les médias filtrés.<br />

De même, nous aimerions empêcher que le destin de la population rwandaise soit<br />

oublié. Grâce à notre travail de maturité, nous espérons susciter la pensée aux<br />

victimes du <strong>génocide</strong> rwandais en 1994, qui étaient trop humiliées pour qu’on<br />

puisse justifier <strong>un</strong>e ignorance envers ce thème.<br />

La population du Rwanda a mérité qu’on traite son histoire bouleversante et son<br />

effort à se retaper dans notre monde occidental. On s’est déjà trop tu sur le<br />

<strong>génocide</strong> et l’implication de la comm<strong>un</strong>auté internationale, déjà trop on a oublié les<br />

crimes incroyables qu’on a commis contre <strong>un</strong>e race humaine.<br />

C’est pourquoi nous aimerions dédier ce travail à tout le peuple rwandais, qui se<br />

sentait abandonné pendant ce temps d’humiliation amer. A tout le peuple<br />

rwandais, peu importe, s’ils ont tué ou s’ils étaient blessés, car tous les deux partis<br />

ont souffert d’<strong>un</strong> abandon tragique par les pays et les organisations mondiaux.


- 7 -<br />

2. Connaissances générales pour notre travail<br />

2.1. Présentation du Rwanda<br />

Le nouveau drapeau du Rwanda a été adopté le 1er janvier 2002 1 en<br />

remplacement du drapeau tricolore vert-ja<strong>un</strong>e-rouge portant <strong>un</strong> « R » dans son<br />

centre.<br />

Le drapeau national rwandais n'est plus <strong>un</strong> symbole de trahison et de déséquilibre<br />

ethnique comme c’était considéré pendant tous les massacres durant l’histoire<br />

rwandaise. Redessiné suite au <strong>génocide</strong> de 1994 qui a fait <strong>un</strong> million de morts, il<br />

est plus moderne et plus beau que jamais. La couleur rouge, qu’on interprétait<br />

comme la couleur du sang est remplacée par des couleurs vivantes. Formé de<br />

trois bandes horizontales de couleur bleu ciel, ja<strong>un</strong>e et verte, il arbore dans le coin<br />

supérieur droit <strong>un</strong> soleil à 24 rayons, symbolisant l'importance de chaque heure de<br />

la journée. Cet emblème annonce des jours meilleurs. 2<br />

La couleur verte symbolise l'espoir de la prospérité, la couleur ja<strong>un</strong>e le<br />

développement économique et la couleur bleue le bonheur et la paix. Le soleil et<br />

ses rayons de couleur ja<strong>un</strong>e doré symbolisent la lumière qui éclaire<br />

progressivement tout le peuple. Ceci traduit l'<strong>un</strong>ité, la transparence et la lutte<br />

contre l'ignorance. 3<br />

1 Flags online, drapeau Rwanda<br />

http://www.flagsonline.it/asp/drapeau.asp/drapeau_rwanda/rwanda.html (17.01.2007)<br />

2 Nations Unies, chronique, la levé du drapeau rwandais,<br />

http://www.<strong>un</strong>.org/french/pubs/chronique/2006/numero3/0306p70.htm (17.01.2007)<br />

3 Flags online, drapeau Rwanda


- 8 -<br />

Le Rwanda (nommé en français Ruanda dans les atlas d'avant 1970), surnommé<br />

le pays des milles collines, est <strong>un</strong> pays d'Afrique centrale.<br />

Il partage des frontières avec :<br />

• l'Ouganda au nord;<br />

• la Tanzanie à l'est;<br />

• le Bur<strong>un</strong>di au sud;<br />

• la République démocratique du Congo à l'ouest.<br />

Les Rwandais parlent <strong>un</strong>e même langue nationale, le Kinyarwanda, <strong>un</strong>e chose<br />

plutôt rare en Afrique. Ils vivent entre les collines qui constituent la localisation de<br />

référence des habitats. Le pays est l'<strong>un</strong> des plus densément peuplés au monde. 5<br />

4 Wikipedia Ruanda, http://fr.wikipedia.org/wiki/Drapeau_du_Rwanda (12.01.2007)<br />

5 Wikipedia Ruanda; http://fr.wikipedia.org/wiki/Rwanda (12.01.2007)<br />

4


6 Wikipedia Ruanda<br />

- 9 -<br />

Langue nationale Kinyarwanda<br />

Langues officielles Kinyarwanda (95% de<br />

la population),<br />

Français (5%) et<br />

Anglais<br />

Capitale Kigali<br />

Président Paul Kagame<br />

Superficie 26'338 km²<br />

Population totale<br />

(2003)<br />

8'387'000 hab.<br />

Population densité 320 hab./ km²<br />

Indépendance<br />

Déclarée<br />

de la Belgique, 1 er<br />

juillet 1962<br />

6


2.1.1. La capitale Kigali<br />

- 10 -<br />

Kigali est la capitale du Rwanda et le centre économique et administratif du pays.<br />

Sa population compte environ 600 000 habitants. La ville est construite sur<br />

plusieurs collines.<br />

Après 1994 la ville s'est développée rapidement, de très nombreux Rwandais s'y<br />

sont installés, en particulier les exilés Tutsi qui sont revenus au pays, certains<br />

après plus de trente ans d’exil. Beaucoup de nouveaux bâtiments ont été<br />

construits ou sont en construction.<br />

Kigali est constituée de quatre pôles géographiques, correspondant à d'anciennes<br />

comm<strong>un</strong>es : Nyarugenge, Kanombe, Mutamba et Butamwa. 7<br />

7 Rwanda <strong>–</strong> Au coeur de l’Afrique 1970/9 p. 269<br />

8 Carte Rwanda, http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Carte_Rwanda.png (12.01.2007)<br />

8


- 11 -<br />

2.1.2. Une Suisse africaine aux relations multiples<br />

Un horizon de collines vertes, de montagnes caressées par les vents frais, de lacs<br />

clairs et profonds, de rivières et ruisseaux bruissants à travers les roches. Le<br />

Rwanda est <strong>un</strong>e oasis, situé au cœur de la région des grands lacs. Le pays a <strong>un</strong>e<br />

vocation de carrefour géographique des grands circuits touristiques de l’Est et du<br />

Centre africain.<br />

Le petit pays est connu pour sa ressemblance avec la Suisse, ainsi qu’avec la<br />

Méditerranée par ses montagnes et ses lacs. Comme en Suisse on peut y faire de<br />

l’alpinisme, escalader sur les grands volcans qui dressent leurs sommets à plus de<br />

4000 m. Plus de 23 lacs sont disséminés dans le pays et 18 rivières importantes.<br />

On peut y pratiquer tous les sports nautiques. La qualité des eaux est excellente.<br />

Mais il ne s’agit tout de même pas de la Suisse, ni de la Méditerranée, il s’agit d’<strong>un</strong><br />

pays à moins de cent kilomètres de l’Equateur. Les grands fauves africains sont<br />

tout proches. On peut les étudier et les photographier dans les deux grands Parcs<br />

nationaux.<br />

Le Rwanda a <strong>un</strong> climat idéal : quatre saisons mais toujours la même température<br />

moyenne : 18°, ni trop chaud, ni trop froid.<br />

2.1.3. La diversité culturelle<br />

Dans le Rwanda il y a trois comm<strong>un</strong>autés, les Twa (1%), les Hutu (80%) et les<br />

Tutsi (18%). D’après <strong>un</strong>e certaine historiographie, mais sans base scientifique<br />

établie, les Twa seraient les plus anciens. Les plus nombreux, les Hutu, seraient<br />

venus du sud et se seraient installés au cours des siècles. Enfin, peu avant le XV e<br />

siècle, dit-on, les Tutsi, qui seraient d’origine éthiopienne, seraient entrés dans le<br />

pays, et auraient adopté la langue des Hutu et la majeure partie de leur culture.<br />

Ces trois populations, malgré leurs origines différentes et leurs oppositions<br />

internes, ont la chance de parler la même langue, le Kinyarwanda. Le fait, qu’il n’y<br />

a pas de vrais dialectes pour plus de huit millions d’habitants, est plutôt étonnant<br />

en Afrique.


- 12 -<br />

Chez les voisins du Congo, il y a <strong>un</strong>e foule de dialectes, à côté des langues<br />

principales. Le Kinyarwanda, alors la langue des gens simples, est aussi la langue<br />

de la poésie lyrique, pastorale et guerrière. 9<br />

Grâce à cette langue comm<strong>un</strong>e, il paraissait clair que pour l’avenir ces populations<br />

fonderaient <strong>un</strong>e culture rwandaise et donc <strong>un</strong>e nation rwandaise. 10<br />

2.1.4. Termes « Tutsi » et « Hutu » : sens originel et<br />

évolution du sens 11<br />

Les termes „Twa“ „Tutsi“ et „Hutu“ existaient déjà même avant le temps de colonie.<br />

L’appartenance à telle ou telle comm<strong>un</strong>auté (Hutu, Tutsi ou Twa) relevait de la<br />

catégorie sociale. Les Tutsi étaient éleveurs, les Hutu agriculteurs et les Twa<br />

chasseurs. En effet, les Hutu payaient leurs tributs (impôts) au chef du village en<br />

produits agricoles, les Tutsi en produits laitiers ou en peaux de vaches et les Twa<br />

en produits de la chasse. Le groupe des Twa est de type pygmoïde et n’a jamais<br />

eu d’importance politique.<br />

L’appartenance à la catégorie « Tutsi » ou «Hutu» était d’abord transmise<br />

héréditairement. Mais cette appartenance a varié au cours des siècles car elle était<br />

liée à la réussite sociale des gens. Ainsi, <strong>un</strong> Hutu qui arrivait à se procurer<br />

beaucoup de vaches bénéficiait de l’ascension sociale et était classé dans la<br />

catégorie sociale des Tutsi car de toute façon il devait payer son tribut en produits<br />

de vache. Un Tutsi qui perdait ses vaches, devait cultiver la terre pour survivre et<br />

payer son tribut en produits agricoles était donc identifié dans la catégorie des<br />

«Hutu». L’on comprend alors que la vache constituait <strong>un</strong>e valeur à la fois<br />

économique, sociale et dans <strong>un</strong>e certaine mesure politique. Gagner <strong>un</strong>e vache ou<br />

la perdre occasionnait <strong>un</strong> changement social. Etre Hutu ou Tutsi était donc flexible<br />

et aléatoire. Seul le roi et les familles princières appartenaient de façon régulière<br />

9 Rwanda <strong>–</strong> Au coeur de l’Afrique 1970/9 p. 265<br />

10 Ibid, p. 269<br />

11 Tiré d’informations reçues par Edouard Bizumuremyi, Doctorant en science politique, Université<br />

de Genève, et collaborateur à l’ambassade de Rwanda à Genève.


- 13 -<br />

et fixe à leurs familles et n’étaient pas inclus dans ces procédés de changement de<br />

catégorie sociale. Ce qui nous importe ici c’est de comprendre le sens originel de<br />

ces deux termes, hutu et tusi. Et comme le dit si bien Patient Kanyamacumbi, cité<br />

par Edouard Bizumuremyi, Hutu et Tutsi étaient des «Catégories déterminées pour<br />

les besoins du fisc» 12 .<br />

Seulement voilà, à l’arrivée des colonisateurs, ces termes ont gagné de<br />

l’importance politique et ont fini par être figés. Les Tutsi étaient décrits comme des<br />

hommes grands et clairs de peau. Et ceci est vrai. Pour certains analystes,<br />

l’alimentation en produits laitiers aurait joué <strong>un</strong> grand rôle. Mais le problème avec<br />

les colonisateurs n’était pas cette description. Ils sont allés plus loin. Les<br />

colonisateurs, d’abord les allemands et puis les belges, sont arrivés à conclure<br />

<strong>un</strong>animement que ces tutsi n’étaient pas des « nègres », mais au contraire<br />

d’origine européenne 13 qui auraient transité en Ethiopie avant de décendre au<br />

Rwanda. Les Hutu, eux, étaient décrits comme race obséquieuse avec moins<br />

d’entêtement. La puissance coloniale, avec son idéologie raciale, a même procédé<br />

à des mesures de certaines parties du corps pour s’assurer que la théorie raciale<br />

appliquée aux Rwandais était vérifiable. Avec des mesures de la tête, du nez et de<br />

la taille, sur des échantillons bien choisis, les colonisateurs ont donné aux Hutu et<br />

Tutsi des signes caractéristiques et intellectuels. Les Tutsi devenaient alors<br />

intelligents, nés pour commander et les Hutu d’éternels enfants. Une méthode, qui<br />

était aussi utilisée dans le III Reich et avec laquelle l’homme aryen était conçu 14 .<br />

Or, depuis les temps immémoriaux, quoique Hutu, Tutsi et Twa, les populations<br />

rwandaises partageaient les clans. Même pendant le temps des colonies la plupart<br />

des habitants se sentaient comme faisant partie d’<strong>un</strong> des 18 clans, dont 70%<br />

comprenaient tous les trois groupes Tutsi, Hutu et Twa.<br />

12 Edouard Bizumuremyi, Genèse d’<strong>un</strong> genocide. Racialisation, ethnisation et comm<strong>un</strong>ication au<br />

Rwanda, Mémoire de DEA, Comm<strong>un</strong>ication et Médias, Université de Genève, 2001, p.7<br />

13 La théorie des Hamiten dit, que les Tutsi sont <strong>un</strong> peuple de nomade du nord du pays et qu’ils ont<br />

soumis le peuple des paysans Hutu.<br />

14 Hoering Uwe, Zum Beispiel: Hutu <strong>un</strong>d Tutsi, S. 18-22


- 14 -<br />

A l’époque coloniale, la thèse «Hamite» qui sous-tendait la prétendue origine<br />

européenne des Tutsi a été utilisée pour favoriser les Tutsi mais dans l’intérêt de la<br />

puissance coloniale. En effet, la puissance belge, en étroite collaboration avec<br />

l’Eglise Catholique, avait fini par conclure que les « Tutsi étaient nés pour diriger le<br />

pays» et qu’il était nécessaire de s’appuyer sur eux pour mieux gouverner. On<br />

écarta petit à petit des Hutu qui avaient <strong>un</strong> certain pouvoir dans certaines régions,<br />

mais c’est en 1926 qu’<strong>un</strong>e loi a été mise en place pour chasser tous les Hutu du<br />

pouvoir. Dans la foulée, <strong>un</strong>e école d’administration a été mise en place, le Groupe<br />

scolaire d’Astrida (alors reine de Belgique), <strong>un</strong>iquement pour ceux qui sont<br />

appelés à gouverner, c’est à dire les Tutsi. Les Hutu fréquentaient à peine le<br />

séminaire et n’étaient même pas encouragés à étudier. En 1932, la puissance<br />

coloniale belge institua <strong>un</strong>e carte d’identité avec mention «Tutsi» ou «Hutu», le<br />

critère étant la possession ou non de 10 vaches respectivement. Dès cette<br />

époque, être Tutsi ou Hutu ne relève plus du rang social. Ça devient<br />

héréditairement invariable.<br />

Trente ans plus tard, en 1957, <strong>un</strong>e génération d’Hutu, dont la majorité avait<br />

fréquenté le grand séminaire, a commencé à critiquer le régime en place. Dirigé<br />

par Grégoire Kayibanda, qui sera plus tard le premier président du pays, ce groupe<br />

d’Hutu a mis en place <strong>un</strong> parti politique raciste, le Parmehutu ou Parti pour<br />

l’Emancipation du Peuple Hutu. Ce parti disait clairement que les Tutsi étaient des<br />

étrangers, qu’ils étaient d’<strong>un</strong>e race différente de celle des Hutu et qu’ils venaient<br />

d’Ethiopie. Le Parmehutu demandait la décolonisation du pays envahi et asservi<br />

par les Tutsi.<br />

Comme c’était l’époque des indépendances, les Tutsi qui étaient au pouvoir ont<br />

commencé à revendiquer l’indépendance à l’instar d’autres pays africains. La<br />

puissance coloniale belge se fâcha contre ces «ingrats» qui ne savaient pas<br />

remercier leur maîtres. Mais mieux, la Belgique comprit qu’il fallait changer de<br />

tactique afin de maintenir son influence dans le Rwanda futur. La puissance<br />

coloniale se mit alors activement à aider les Hutu à prendre le pouvoir. La thèse du<br />

Hutus = peuple ; et Tutsis = colonialistes, féodaux et étrangers fut beaucoup plus<br />

défendue par les Flamands, dont le nombre avait beaucoup augmenté au Rwanda


- 15 -<br />

et qui se sentaient socialement plus proches des Hutu. Le Parmehutu assimila<br />

ainsi tous les Tutsi, y compris des pauvres paysans, à ce petit groupe de<br />

dirigeants tutsi, auxiliaires des colonisateurs. Les Tutsi, petit à petit, devenaient<br />

des étrangers, des ennemis ; alors que les Hutu se sentaient réduits en esclavage<br />

par ce groupe d’intrus qu’on ne tardera pas à chasser.<br />

De 1959 à 1961, le Parmehutu, aidé par la puissance coloniale, opéra <strong>un</strong>e<br />

révolution en renversant la monarchie et en chassant et tuant <strong>un</strong>e grande partie<br />

des chefs et de simples paysans Tutsi. Les premiers réfugiés d’Afrique<br />

s’éparpillaient ainsi dans toute l’Afrique des grands lacs (Bur<strong>un</strong>di, Congo <strong>–</strong><br />

Kinshasa, Tanzanie et Uganda). L’indépendance du pays fut obtenue en 1962 et<br />

le Parmehutu prit le pouvoir avec toujours des idées raciales héritées de la<br />

colonisation. Ainsi l’idéologie raciale importée d’occident s’implanta au pays des<br />

milles collines ! Le sens originel des termes Hutu, Tutsi et Twa n’est plus le même.<br />

Ce changement entraînera l’<strong>un</strong>e des catastrophes du 20 ème siècle.


- 16 -<br />

3. Histoire marquante avant le <strong>génocide</strong> en<br />

1994<br />

Ce chapitre sert comme connaissance de base sur lequel nous construirons notre<br />

travail. En outre, nous aimerions bien donner <strong>un</strong> aperçu de l’histoire rwandaise<br />

avant que le <strong>génocide</strong> ait commencé. Ainsi, on peut se faire <strong>un</strong>e idée de ce fossé<br />

qui s’est installé déjà depuis longtemps entre les deux «ethnies» Tutsi et Hutu.<br />

C’est <strong>un</strong> fossé construit par l’intervention abrupte de la colonisation, comme on<br />

vient de le voir, au moyen des caractéristiques <strong>ethniques</strong> superficielles, mais qui<br />

ont, de plus en plus, gagné de l’importance. Ce chapitre devrait livrer <strong>un</strong>e<br />

explication pour la haine, sur laquelle se base <strong>un</strong> des massacres les plus cruels<br />

dans l’histoire mondiale, à savoir le <strong>génocide</strong> des Tutsi du Rwanda en 1994, dont<br />

le nombre de morts s’élève à plus de 800'000.<br />

Le pouvoir colonial de l’Allemagne<br />

En 1899 les Allemands déclaraient officiellement le Rwanda comme colonie de<br />

l’Allemagne. 15 A ce temps-là le pays était <strong>un</strong>e royauté qui restait imperturbable en<br />

ce qui concerne le droit étranger à son propre territoire. Le roi Musinga n’y voyait<br />

pas de danger sérieux pour son pouvoir, mais le pris simplement comme situation<br />

momentanée.<br />

L’Allemagne en revanche dressait <strong>un</strong> poste militaire et instituait ses propres<br />

hommes comme administrateurs des terres. Juste au sud, les postes des chefs<br />

étaient occupés par des Tutsi, qui voulaient agrandir leur influence à l’aide du<br />

pouvoir colonial. En 1908 la « Residentur » Rwanda a été fondée sous le ministre<br />

colonial Bernhard Dernburg. Richard Kandt était le Résident à Kigali, le siège<br />

central 16 .<br />

15 Harding, „Ruanda der Weg zum Völkermord“, S. 22-26<br />

16 Partnerschaft Rheinlan-Pfalz-Ruanda,Geschichte,<br />

http://www.rlp-ruanda.de/laenderinfo.ggeschichte.html (12.01.2007)


- 17 -<br />

La puissance coloniale allemande fut frappée de trouver sur place au Rwanda <strong>un</strong><br />

pouvoir centralisé, alors inexistant dans la région. Les chercheurs commencèrent<br />

à s’imaginer <strong>un</strong>e origine extra africaine des Tutsi au pouvoir. La théorie raciale se<br />

développa davantage comme nous l’avons vu plus haut.<br />

Richard Kandt, dans son administration plutôt «indirecte» (c'est-à-dire <strong>un</strong>e<br />

administration coloniale qui permet au roi local de gouverner son territoire),<br />

s’investit pour la consolidation du mwami (roi, qui se trouvait à la tête de l’ancienne<br />

royauté). Pourtant, la présence des Allemands ne convenait pas du tout à la<br />

population perturbée, à tel point qu’on décidait de chasser les intrus à l’aide de<br />

rituels magiques.<br />

Les Allemands de leur coté commençaient à construire des monocultures, comme<br />

du coton, du tabac, de la cacahuète et du riz, parce qu’ils espéraient des revenus<br />

des biens d’exportation. Il s’avérait que le café était le meilleur investissement.<br />

La première guère mondiale a mis fin au pouvoir colonial des Allemands. Ainsi en<br />

mai 1916, les Allemands devaient rompre les rangs en faveur de la Belgique après<br />

plusieurs petits combats.<br />

La Belgique reprend le territoire Rwanda-Ur<strong>un</strong>di<br />

La Belgique reprenait le système administratif des Allemands ainsi que leurs idées<br />

racistes.<br />

Les Belges agissaient plus ou moins au hasard, sans projet réel et d’<strong>un</strong>e manière<br />

pleine d’incompréhension envers <strong>un</strong>e culture différente. Ils décidèrent,<br />

contrairement aux Allemands, d’appliquer <strong>un</strong>e administration coloniale «directe»<br />

(c'est-à-dire sans donner auc<strong>un</strong> pouvoir au Roi. C’est eux qui dirigent le pays). Ils<br />

affaiblissaient Musinga en lui enlevant le droit de décider sur la vie ou la mort de<br />

ses sujets. Dans la foulée, on destitua son conseiller important qui avait <strong>un</strong>e<br />

grande influence sur lui. Un autre signe de leur attitude sans but était qu’ils<br />

n’avaient auc<strong>un</strong>e idée sur les ordres sociaux qui existaient au Rwanda.<br />

L’administration coloniale, obéissant à ses convictions raciales et convaincue que


- 18 -<br />

le Tutsi était le meilleur pour diriger, destitua, déjà en 1923, les chefs locaux du<br />

nord, qui étaient hutu, et nomma les Tutsi comme administrateurs. On voyait<br />

clairement que les Belges voulaient <strong>un</strong>e concentration du pouvoir dans les mains<br />

des petits groupes de Tutsi. Ceci se généralisa dans tout le pays, comme on l’a vu<br />

plus haut, avec la loi de 1926.<br />

L’Eglise catholique qui travaillait de concert avec l’administration coloniale entama<br />

<strong>un</strong>e campagne visant à convertir la majorité des Rwandais à la religion catholique.<br />

Le Mwami Musinga y était farouchement opposé. Tout comme il était opposé à<br />

l’administration directe de la puissance coloniale. Le bras de fer devenait<br />

insupportable. Musinga fut destitué et déporté au voisin Congo. Il sera remplacé<br />

par son fils Rudahigwa, <strong>un</strong> catéchiste bien formé. Le nouveau Mwami reçut le nom<br />

de règne de Mutara III.<br />

Après la déportation du roi Musinga et l’intronisation de son fils, la conversion au<br />

christianisme, en particulier au catholicisme a augmenté rapidement. A la fin de<br />

1934, 90% de Tutsi étaient convertis. La raison était double. Il y a d’abord l’activité<br />

missionnaire des Pères Blancs, mais aussi et surtout l’opinion des Tutsi, selon<br />

laquelle on pouvait seulement monter en grade lorsqu’on était chrétien. Ce qui ne<br />

se révélait pas faux, car la sympathie des Belges envers les Tutsi était favorable<br />

et augmentait de plus en plus.<br />

Les Hutu, quant à eux, étaient de plus en plus relégués au second plan. Les<br />

paysans constituaient la classe en bas de l’échelle dans l’hiérarchie sociale. Ils<br />

étaient presque automatiquement opprimés. Ils restaient fidèles à la religion<br />

traditionnelle et résistaient au catholicisme.<br />

En 1946, <strong>un</strong> événement va précipiter l’adhésion massive au catholicisme au<br />

Rwanda. Le roi Rudahigwa va se convertir au catholicisme. Toute la masse, Hutu<br />

et Tutsi confondus, adhéra au catholicisme seulement quelque temps plus tard.<br />

Les protestants qui avaient peu de missionnaires sur place auront peu de fidèles.<br />

Mais c’est l’islam qui resta le plus marginalisé au Rwanda. Les colonnes de<br />

marchands musulmans n’avaient pas pu pénétrer au Rwanda depuis toujours. La<br />

garde à la frontière les avait de tout temps repoussés. Même actuellement, il y en


- 19 -<br />

a très peu dans le pays des milles collines.<br />

Des délégations de l’ONU, qui fréquentaient le pays, accusaient l’injustice et<br />

exigeaient que la Belgique agisse. Peu après, en 1949, la Belgique abrogeait le<br />

statut officiellement élevé des Tutsi. Néanmoins l’injustice sociale restait valable.<br />

Au milieu des années 50 la concentration du pouvoir des Tutsi arrivait à l’apogée.<br />

À cette époque presque 60% des administrations politiques étaient aux mains des<br />

deux clans des Tutsi.<br />

Dès le départ on a donné plus de privilèges aux Tutsi. Ceci pouvait être vu dans la<br />

formation des écoles séparées, comme nous l’avons vu plus haut. Les Tutsi<br />

étaient préparés aux travaux administratifs et ils apprenaient le Français<br />

contrairement aux Hutu 17 (à part peu d’entre eux qui fréquentaient le Séminaire)<br />

Après la <strong>deuxième</strong> guerre mondiale des missionnaires surtout d’origine flamande,<br />

venaient au Rwanda. Ils étaient plus solidaires envers les Hutu. Aussi, les Hutu<br />

participaient aux leçons missionnaires, et certains d’entre eux avaient pu faire des<br />

écoles poussées notamment au Grand Séminaire. Ceci était effectivement le seul<br />

chemin d’arriver à <strong>un</strong>e formation plus élevée.<br />

Révolution et la première république : de 1959 jusqu’à 1973<br />

Dans les années 50, l’image de la société rwandaise a massivement changé.<br />

L’existence d’<strong>un</strong>e conscience ethnique menait à des tensions à l’interieur de la<br />

population. Il se formait <strong>un</strong>e élite des Hutu qui se constituait complètement en<br />

contrepartie des Tutsi. Cette élite n’était plus prête à négocier. Ceci fut nettement<br />

clair dans le manifeste des Hutu en 1957 qui demandait le maintien d’<strong>un</strong>e<br />

séparation ethnique dans les passeports 18 . Ils réussissaient à mobiliser le peuple.<br />

Ce mécontentement contre la suprématie des Tutsi finissait en 1959 dans <strong>un</strong><br />

17 Harding, Leonhard, Ruanda <strong>–</strong> der Weg zum Völkermord, S. 33<br />

18 Ibid, S. 50


- 20 -<br />

soulèvement sanglant 19 . La révolution se terminait en 1962 avec l’indépendance<br />

du Rwanda. À la tête de la première république était <strong>un</strong>e direction des Hutu. Le<br />

vieux système du patron - client entre les Tutsi et Hutu était enlevé, en échange,<br />

les paysans hutus étaient indépendants. Le gouvernement savait profiter de cette<br />

situation et mobilisait la masse contre les Tutsi, contre la monarchie. Comme ça, la<br />

haine contre les Tutsi était encouragée de plus en plus. Comme nous l’avons vu<br />

plus haut, la révolution a tué et chassé beaucoup de Tutsi. En 1962 déjà 350'000<br />

Tutsi vivaient comme réfugiés dans les pays de la région des grands lacs<br />

(l’habilitation de la Belgique était restreinte à ce temps-là, parce qu’elle n’était alors<br />

que l’administrateur de l’ONU et plus <strong>un</strong> pouvoir colonial).<br />

Le 15 septembre 1961 il y eut des élections parlementaires par décret de la<br />

ré<strong>un</strong>ion de l’ONU. Le vainqueur était le parti des Hutu MDR-PARMEHUTU<br />

(Mouvement Démocratique Républicain <strong>–</strong> Parti du Mouvement de l’Émancipation<br />

des Bahutu) avec leur dirigeant Grégoire Kayibanda. Celui-ci fut élu en octobre<br />

1961 par le Conseil national comme président du pays. En juin 1962 <strong>un</strong> corps<br />

armé de Tutsis, qui avaient fui vers la république du Congo, attaqua la frontière du<br />

Rwanda. Le gouvernement en place réussit à repousser les guerriers, mais la<br />

haine contre les Tutsi qui se trouvaient déjà dans le pays, s’aggravait. Le<br />

gouvernement des Hutu entreprit des représailles contre la population tutsi qui<br />

était restée sur place au Rwanda. Ces représailles contre les tutsi de l’intérieur ont<br />

coûté la vie à 20'000 Tutsi, particulièrement des hommes politiques.<br />

Le Gouvernement commençait déjà à appliquer les lois discriminatoires et raciales<br />

contre les Tutsi. Il s’agissait notamment de spoliations de biens et de l’exclusion<br />

des Tutsi de toute l’administration du pays. Un article bien documenté en fait la<br />

synthèse : Tous les biens des réfugiés (terres, vaches, mobiliers et immobiliers)<br />

furent distribués et partagés entre les nouveaux responsables politiques du<br />

pays. 20 En plus des réfugiés, certains Tutsi restés au Rwanda furent chassés de<br />

19 Ibid, S. 57-70<br />

20 Jean Mukimbiri, « Les sept étapes du <strong>génocide</strong> des Tutsis du Rwanda », Journal of International<br />

Criminal Justice 3, 2005, 823-836. Oxford University Press


- 21 -<br />

leurs terres et déportés à l’intérieur du pays, notamment dans <strong>un</strong>e région insalubre<br />

et sauvage comme Nyamata où la mouche tsé-tsé faisait rage. Ceux-ci aussi<br />

seront spoliés de leurs biens.<br />

Quant à l’exclusion, elle fut catégorique. A tel point que jusqu’en 1990, auc<strong>un</strong> Tutsi<br />

n’a accédé au poste de préfet de préfecture. L’exclusion était même dans les<br />

postes subalternes. Quelques exemples. Jusqu’en 1990, le ministère des affaires<br />

étrangères a employé <strong>un</strong>iquement deux Tutsi ; <strong>un</strong> seul Tutsi sera ambassadeur ;<br />

l’armée comptera <strong>un</strong> seul officier supérieur ; sur 55 directeurs de toute<br />

l’administration, il y avait deux Tutsi, et ceci grâce à leurs relations d’amitié avec<br />

les Hutu 21 .<br />

Malgré sa défense de la morale chrétienne, l’ancien séminariste, Grégoire<br />

Kayibanda, premier président du Rwanda a poussé trop loin son autoritarisme. Il<br />

sera lâché par l’occident. Car non seulement il opprimait les Tutsi mais aussi il<br />

favorisait les Hutu du sud, sa région natale, au détriment des Hutu du nord. En<br />

1973 enfin, Kayibanda, qui était faible à ce temps-là, était remplacé par son<br />

ministre de la défense, Juvénal Habyarimana, originaire du nord et ainsi la<br />

première république est terminée.<br />

Le gouvernement militaire sous Habyarimana : Deuxième république (1973 <strong>–</strong><br />

1994)<br />

Au début de son règne, le président Habyarimana interdit le MDR-PARMEHUTU. Il<br />

fonda son parti, le parti MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le<br />

Développement). Il organisa l’armée, qui repoussait toujours les rebelles Tutsi et<br />

intimidait ou éliminait d’autres adversaires possibles dans ses propres rangs 22 .<br />

Jusqu’aux années 1988, le Rwanda répandait l’impression d’<strong>un</strong> état plus ou moins<br />

bien développé. Le renforcement de l’infrastructure et la fourniture médicale a<br />

marché. En plus la monnaie était relativement stable et aussi les dettes étrangères<br />

21 Ibid, 8<br />

22 Harding, Leonhard, Ruanda <strong>–</strong> der Weg zum Völkermord, S. 71-82


- 22 -<br />

n’étaient pas trop grandes. Le Rwanda était <strong>un</strong> but très apprécié en ce qui<br />

concerne l’aide au développement des pays de l’ouest.<br />

Habyarimana continua, par contre, la politique de discrimination envers les Tutsi. Il<br />

institua même <strong>un</strong>e politique, jusque-là informelle et non écrite, celle de l’équilibre<br />

ethnique. Cette politique exigeait <strong>un</strong> quota ethnique dans toute la vie du pays.<br />

Pour accéder par exemple à l’école secondaire ou à n’importe quel poste de<br />

l’administration, la règle exigeait <strong>un</strong> quota de 85% pour les Hutu, 14% pour les<br />

Tutsi et 1% pour les Twa. En plus de l’équilibre ethnique, Habyarimana appliqua<br />

aussi l’équilibre régional. Le slogan était que la région du nord avait été<br />

désavantagée lors de la première république. Il fallait alors <strong>un</strong> quota avantageux<br />

pour rattraper le sud. Ceci créa <strong>un</strong> mécontentement des Hutu du sud.<br />

Quand les réfugiés Tutsi étaient chassés d’Ouganda en 1982, ce pays considéré<br />

comme modèle du développement en Afrique était secoué. Habyarimana refusa<br />

d’accueillir ces réfugiés en disant que la barque était pleine. Or, le président<br />

d’Ouganda, Milton Obote, qui considérait les réfugiés rwandais comme traîtres,<br />

avec la justification qu’ils avaient supporté son prédécesseur, Amin DADA, avait<br />

ordonné de brûler leurs maisons, occasionnant ainsi <strong>un</strong>e masse de réfugiés (pour<br />

la <strong>deuxième</strong> fois mais cette fois-ci vers leur pays) à la frontière rwandaise. Dix<br />

mille Rwandais franchissaient la frontière. Mais ils furent repoussés et les<br />

frontières fermées.<br />

Alors, les réfugiés étaient prisonniers entre les deux pays Rwanda et Ouganda.<br />

Les ONG mettaient des camps à la disposition d’<strong>un</strong>e grande partie des réfugiés,<br />

mais beaucoup d’entre eux, surtout les je<strong>un</strong>es, s’engageaient déjà pour la NRM,<br />

National Resistance Army, de Museveni, l’actuel président d’Ouganda. L’actuel<br />

président du Rwanda, Paul Kagame, était parmi ces je<strong>un</strong>es recrues. Ces<br />

Rwandais engagés dans la guérilla profiteront de cette expérience pour fonder le<br />

FPR (Front Patriotique Rwandais), <strong>un</strong>e organisation clandestine des rebelles Tutsi<br />

qui attaquera le régime de Habyarimana en 1990.<br />

La chute globale du prix de café déstabilisait l’économie du Rwanda.<br />

Particulièrement les paysans étaient concernés, car le café était souvent la seule


- 23 -<br />

source de revenu. En 1990 l’état était forcé d’accepter le « programme<br />

d’ajustement structurel » (PAS), qui veut dire concrètement <strong>un</strong>e dévaluation du<br />

« Franc Rwandais ». Comme ça les prix pour la nourriture et l’approvisionnement<br />

médical augmentaient de nouveau dans le pays. Ainsi on percevait des taxes<br />

d’école.<br />

La pénurie de terre poussait beaucoup d’habitants dans les villes. Dans les<br />

bidonvilles les gens désespérés étaient ouverts pour la propagande de l’état qui<br />

promettait de donner <strong>un</strong>e meilleure vie au peuple. Beaucoup d’hommes adhéraient<br />

à l’armée d’Habyarimana, qui comptait au début 2'000 soldats, contrairement au<br />

commencement du <strong>génocide</strong> où l’armée était constituée de 40'000 soldats.<br />

Commencement de la guerre civile 1990 et préparation du <strong>génocide</strong><br />

Le 1 er octobre 1990, la FPR commençait à attaquer le Rwanda à partir de<br />

l’Ouganda. Les armes étaient mises à disposition par le président ougandais<br />

Museveni, qui avait renversé, avec l’aide des réfugiés rwandais, le dictateur Idi<br />

Amin en 1986 et plus tard Milton Obote 23 .<br />

L’armée de Habyarimana FAR (Forces armées rwandaises) était, avec 5'000<br />

soldats, beaucoup plus grande, mais au début avec des armes de pire qualité que<br />

celles des rebelles. En plus cette armée manquait d’expérience de guerre.<br />

Seulement avec l’aide de la France, le Zaïre et la Belgique on pouvait contenir la<br />

guérilla. Avec des efforts diplomatiques de la Tanzanie on arrivait à <strong>un</strong> cessez-le-<br />

feu. Ceci permit à Habyarimana de renforcer l’armée FAR, et le FPR aussi en<br />

profita pour renforcer son armée qui était en débandade. En réalité, l’armée<br />

gouvernementale avait réussi, avec l’aide de ses amis notamment la France, à<br />

totalement déstabiliser la guérilla. Son commandant était même mort.<br />

Ce qui a poussé Habyarimana à déclarer que la guerre était officiellement<br />

23 Journées européennes du développement,<br />

http://www.eudevdays.eu/opencms/Governance_Forum_15_17/Conference/speakers/Paul_KAGA<br />

ME_fr.html (12.01.2007)


- 24 -<br />

terminée le 30 octobre 1990, ce qui n’était pas du tout la réalité. Pour la première<br />

fois depuis les années 1960, il y avait de nouveau des massacres contre les Tutsi<br />

et on en a emprisonné des milliers de façon inhumaine.<br />

Les opinions internationales publiques étaient différentes. Plusieurs pays, y<br />

compris la Belgique, ont pris leur distance face au Rwanda, pendant que la France<br />

soutenait encore Habyarimana. Même l’église catholique, à laquelle Habyarimana<br />

était fidèle depuis longtemps, montrait sa désapprobation et condamnait l’injustice<br />

sociale.<br />

Dans l’année 1991 le FPR essayait de nouveau de pénétrer dans le pays. Mais<br />

c’est seulement en 1992 que les rebelles pouvaient se fixer dans le nord. En 1991<br />

les trois partis MDR, PSD (Parti Social Démocratique) et PL (Parti Libéral)<br />

fondaient <strong>un</strong>e alliance, constituant par conséquent l’opposition forte au MRND. Il<br />

faut noter que ces partis d’opposition sont principalement formés par les Hutu du<br />

sud du pays, longtemps marginalisés par le pouvoir de Habyarimana.<br />

Après plusieurs discussions avec l’opposition, Habyarimana était prêt à accepter<br />

<strong>un</strong> premier ministre à côté de lui. Nsengiyaremye, qui venait du MDR, proclamait,<br />

qu’il apportait de la démocratie et de la paix. Mais Habyarimana faisait encore<br />

fonction d’<strong>un</strong> dirigeant, bien que sa capacité d’agir soit limitée.<br />

Entre temps, le FPR avait recommencé les combats en provoquant <strong>un</strong>e masse de<br />

déplacés de l’intérieur. A peu près 350'000 de personnes fuyaient vers le sud.<br />

Au milieu de l’année 1992 on a négocié <strong>un</strong> armistice, qui n’a pas abouti jusqu’à la<br />

grande offensive du FPR en février 1993, jusqu’aux portes de Kigali, mais qui a<br />

forcé environ <strong>un</strong> million de personnes à fuir. Ces déplacés au sud constituaient <strong>un</strong><br />

grand danger, parce qu’ils apportaient <strong>un</strong>e colère comm<strong>un</strong>e à cause de leur<br />

expulsion accentuant ainsi la haine ethnique. La trêve fut quand même signée<br />

Cette haine ethnique était incarnée par <strong>un</strong> parti particulier : La CDR (Coalition pour<br />

la Défense de la République). Ce parti s’était séparé, déjà en 1992, du MRND et<br />

était de toute évidence contre les négociations de paix avec le FPR. Il ne voulait<br />

rien partager avec les Tutsi. Il incitait de nouvelles attaques contre les Tutsi vivant


- 25 -<br />

à l’intérieur du pays. Ces attaques provoquaient la rupture de l’armistice.<br />

Malgré tout, les deux côtés ont signé le 4 août 1993 les accords d’Arusha, qui<br />

exigeaient <strong>un</strong> gouvernement de transition avec la participation du FPR ainsi que<br />

l’espoir d’<strong>un</strong>e paix durable 24 .<br />

Malgré cet accord, l’écrasement de Habyarimana avec son collègue bur<strong>un</strong>dais<br />

déclencha <strong>un</strong>e des plus grandes catastrophes que le monde n’ait jamais vue.<br />

24 Harding, Leonhard, „Ruanda <strong>–</strong> der Weg zum Völkermord“, S. 209f.


- 26 -<br />

4. Le rôle de la France et de l’ONU dans le<br />

<strong>génocide</strong> rwandais<br />

Dans ce chapitre, nous aimerions bien nous plonger dans le rôle de la France et<br />

de l’ONU pendant le <strong>génocide</strong> rwandais en 1994 et donner <strong>un</strong>e vue d’ensemble<br />

des incidents concernant les actions (ou les actions présumées) de la France et de<br />

l’ONU dans le <strong>génocide</strong>. Encore aujourd’hui, douze ans plus tard, c’est <strong>un</strong> thème<br />

assez délicat et difficile à traiter. Tous les deux côtés (ONU, France) sont<br />

concernés par des reproches graves. Il en résulte donc des opinions, et des<br />

défenses différentes à examiner. Ces opinions divergentes causent certains<br />

problèmes pour trouver la réalité. Car jusqu’à aujourd’hui on est en train de vérifier<br />

l’exactitude des déclarations concernant comment on avait agi pendant le<br />

<strong>génocide</strong> et de quelles missions et devoirs les différents antagonistes étaient<br />

chargés.<br />

Rwanda, le « Darling » de la comm<strong>un</strong>auté internationale<br />

Le Rwanda pouvait se nommer le « Darling » de la comm<strong>un</strong>auté internationale.<br />

Juvénal Habyarimana, le président d’alors, avait, après vingt ans de pouvoir, des<br />

relations cordiales et personnelles avec des politiciens et diplomates partout dans<br />

le monde.<br />

Plus particulièrement, il entretenait des relations les plus fortes avec la France,<br />

inclus le président, François Mitterrand.<br />

Une tragédie impardonnable pour les Tutsi de Rwanda était que la comm<strong>un</strong>auté<br />

internationale, plus précisément la France, la Belgique et l’ONU, ont échoué de<br />

faire <strong>un</strong> pas simple pour arrêter le <strong>génocide</strong>, alors que tout le monde savait qu’il<br />

était en cours. Malgré tous les indices précoces, l’intervention était largement<br />

inadéquate et truffée par les propres intérêts politiques.


Ce que le monde savait<br />

- 27 -<br />

« I will take the words of General Dallaire, he said, "The whole<br />

comm<strong>un</strong>ity ... international comm<strong>un</strong>ity has blood on his hands,"<br />

and I feel the same ... Because during the month of May it was<br />

obvious for the whole world what was going on in Rwanda » 25<br />

Déjà avant 1994, il n’y a pas de doute que la comm<strong>un</strong>auté internationale était<br />

avertie des faits précédents : que déjà depuis longtemps, les Hutus étaient en train<br />

de massacrer les Tutsi, que quelque chose de terrible et de plus immense qu’à ce<br />

temps-là était en train de se préparer au Rwanda, et qu’il fallait beaucoup plus de<br />

protection internationale. Il y a assez de preuves, que le monde aurait dû savoir ce<br />

qui se passerait, si rien et personne n’intervenait :<br />

• Le 27 décembre 1993, le service secret belge a annoncé que « les<br />

Interahamwe sont armés jusqu’aux dents et alerté… chac<strong>un</strong> d’entre eux a<br />

de la m<strong>un</strong>ition, des grenades, des mines et des couteaux… Ils sont tous en<br />

attendant le moment juste pour agir. »<br />

• Le 27 janvier 1994, la « Radio Télévision Libre des Milles Collines »<br />

(RTLMC) diffusai <strong>un</strong> appel aux Hutu de se défendre eux-mêmes jusqu’au<br />

dernier homme. La radio chargeait les rwandais de prendre la responsabilité<br />

de ce qui s’était passé, ou bien les soldats belges donneraient le pays aux<br />

Tutsi.<br />

• Le 4 avril 1994, Theoneste Bagasora, le leader de « Hutu Power »<br />

expliquait à <strong>un</strong> groupe, y compris des hauts officiels de l’ONU que « la seule<br />

solution plausible pour le Rwanda serait l’élimination des Tutsi. »<br />

• Roméo Dallaire, général canadien de l’ONU, avait déjà essayé depuis<br />

longtemps d’attirer l’attention internationale sur le cas du Rwanda. Il avait<br />

averti plusieurs fois l’ONU de la situation précaire au Rwanda. 26<br />

25 Frontline Interview avec colonel Luc Marchal,<br />

http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/evil/interviews/marchal.html (15.12.2006)<br />

26 Frontline Interview avec colonel Luc Marchal,


- 28 -<br />

Ce sont là des exemples choisis sur ce que la comm<strong>un</strong>auté internationale savait,<br />

et dont elle avait été avertie bien avant le <strong>génocide</strong>. 27<br />

James Woods, US Deputy Assistant Secretary for African Affairs du département<br />

de la défense de 1986 à 1994, admet, que la comm<strong>un</strong>auté internationale savait<br />

assez pour intervenir :<br />

« I think the people who were following the cable traffic, the press<br />

reports, the radio intercepts, yes, I think we all knew it. Now, I<br />

think we did not know, in fact, for many months after, the full<br />

scale that tens of thousands of people were being killed. It was<br />

known that this was planned, premeditated, carefully planned,<br />

was being executed according to a plan with the full connivance<br />

of the then Rwandan government. This was known. » 28<br />

Ainsi, on était averti par les médias. Particulièrement la radio jouait <strong>un</strong> rôle clé<br />

dans le <strong>génocide</strong>. On y a proclamé les noms des gens, qui se trouvaient sur la liste<br />

des morts et on a lancé <strong>un</strong>e campagne de dénigrement contre les Tutsi. Dans <strong>un</strong><br />

pays, dont presque la moitié des gens sont des analphabètes, la radiodiffusion<br />

était la méthode la plus effective pour mobiliser la masse. Concernées sont la<br />

« Radio Rwanda » (étatisée) et la « Radio Télévision des Milles Collines » (RTLM)<br />

(privée, mais appartenant au parti CDR) qui étaient les instigateurs de la haine<br />

anti-tutsi. Les accords d’Arusha, alors les accords de paix entre le FPR et le<br />

gouvernement d’Habyarimana, n’étaient pas du tout pris en compte en ce qui<br />

concernait le programme de diffusion. Le 6 Avril 1994 à 18 heures, la RTLM<br />

encourage à <strong>un</strong> massacre, après l’écrasement de l’avion de Habyarimana 29 . Des<br />

appels comme « Rottet die Tutsi aus, ehe sie <strong>un</strong>s ausrotten! Es sind inyenzi,<br />

Kakerlaken! Arbeitet weiter, die Gräber sind noch nicht voll! » 30 , frappaient le<br />

monde. De le seriner chaque jour de nouveau à la population portait l’effet, qu’on<br />

27 Rwanda, the preventable genocide, chapter 9: The eve of the genocide: what the world knew.<br />

http://www.aegistrust.org/images/stories/oaureport.pdf (18.12.2006)<br />

28 Frontline interview avec James Woods,<br />

http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/evil/interviews/woods.html (15.12.2006)<br />

29 Harding Leonhard, Ruanda <strong>–</strong> der Weg zum Völkermord<br />

30 Die Zeit, 51/2002, Tötet! Tötet! Tötet!, http://www.zeit.de/2002/51/LB-P-Ruanda (27.12.2006)


- 29 -<br />

finissait à y croire, et à éprouver cette haine, qui était répandue partout. Le journal<br />

raciste du CDR, Kangura, a ainsi publié les « Dix commandements des Bahutu »,<br />

<strong>un</strong>e sorte de code de conduite des Hutu vis-à-vis des Tutsi. Toute cette diffusion<br />

de haine était alors accessible à la comm<strong>un</strong>auté internationale.


- 30 -<br />

4.2. Le rôle de la France<br />

«“Vive la France !”, criaient les tueurs embarqués dans le<br />

véhicule. “Vive les Français”, reprenait la foule. (…) Comme si<br />

les troupes américaines avaient été accueillies en fanfare par les<br />

gardiens de Treblinka, en 1945. » 31<br />

En avril 1991, Immaculée Cattier fuit les massacres <strong>ethniques</strong> du nord-est du<br />

Rwanda dans <strong>un</strong> minibus appartenant à des canadiens religieux. Le minibus arrive<br />

à Ruhengeri, grande ville au nord-est du Rwanda. L’extrait précédent résulte d’<strong>un</strong><br />

témoignage comme ils en existent encore beaucoup d’autres. Un témoignage qui<br />

accuse la participation des Français au <strong>génocide</strong> :<br />

« Là il y avait <strong>un</strong>e queue de véhicules qui attendait <strong>un</strong> contrôle.<br />

La tension était à vous couper le souffle. De loin j’ai aperçu les<br />

autos blindées prêtes à attaquer. Avec comme chauffeurs des<br />

militaires blancs. Mes amis canadiens ont chuchoté : « les<br />

Français »… Nous avons vu les militaires qui contrôlaient, les<br />

miliciens qui tenaient les barrières en agitant les machettes dans<br />

tous les sens. Mon vieux protecteur m’a regardé dans le<br />

rétroviseur d’<strong>un</strong> œil qui me rappelait que je devais garder le<br />

calme et le sang froid comme le jour où je suis arrivée chez eux<br />

sous <strong>un</strong>e pluie de lances et de bambous bien aiguisés.<br />

Les prières ne venaient plus en moi, je me croyais déjà morte.<br />

On avançait d’<strong>un</strong> ou deux mètres après le départ d’<strong>un</strong>e voiture.<br />

Je me suis rendue compte que parmi les militaires il y avait aussi<br />

des Français qui demandaient aussi les cartes d’identités des<br />

Rwandais où figurait la mention « hutu, tutsi, twa ». Les tutsi se<br />

faisaient sortir de la voiture et les militaires français les<br />

remettaient aux mains des miliciens agacés qui les coupaient à<br />

coups de machettes et les jetaient dans <strong>un</strong>e rigole (canalisations<br />

d’eau) au bord de la grande route asphaltée de Ruhengeri-Kigali.<br />

Après le couvre-feu <strong>un</strong> camion benne de la comm<strong>un</strong>e venait<br />

charger les cadavres et les mettre je ne sais où (probablement<br />

dans <strong>un</strong>e des fosses comm<strong>un</strong>es que la FIDH a découvert en<br />

janvier-février 93 dans la comm<strong>un</strong>e Kigombe-Ruhengeri).<br />

Malgré les consignes des frères de faire semblant de ne rien<br />

craindre, j’ai tout de même jeté <strong>un</strong> coup d’œil dans le rétroviseur<br />

de notre Hiace-minibus pour voir ce qui se passait dans d’autres<br />

voitures et j’ai vu <strong>un</strong> tutsi qui se faisait sortir d’<strong>un</strong>e voiture <strong>un</strong> peu<br />

plus loin de la nôtre et après la vérification de sa carte d’identité,<br />

31 Patrick de Saint-Exupéry, L'inavouable, La France au Rwanda, éd. Les Arènes, 2004, p. 26


- 31 -<br />

<strong>un</strong> militaire français et <strong>un</strong> autre officier rwandais l’ont donné aux<br />

miliciens qui ont commencé tout de suite devant ces voitures à le<br />

frapper, de leurs machettes et de toutes autres armes comme<br />

Ntampongano (gourdins) qu’ils avaient pour le jeter après dans<br />

la rigole (tout cela vite fait pour s’attaquer aux suivants).<br />

Quand j’ai vu cela j’ai regardé autour de nous dans la rigole où<br />

j’ai aperçu quelques corps qui gisaient sans bruit (ils meurent<br />

tous sans bruit). J’ai fermé mes yeux jusqu’à ce que notre moteur<br />

ait tourné longtemps sans s’arrêter et j’ai compris que nous<br />

avions eu l’autorisation de partir sans perte puisque j’étais la<br />

seule à être visée. Personne de notre voiture n’a commenté ce<br />

qui s’est passé, juste le frère directeur qui a demandé <strong>un</strong>e petite<br />

prière dans nos cœurs pour ces gens qui se faisaient tuer. » 32<br />

Ce témoignage date de l’année 1991. Trois ans plus tard, le <strong>génocide</strong> commence,<br />

le 7 avril 1994, <strong>un</strong> jour après l’écrasement de l’avion du président d’alors,<br />

Habyarimana.<br />

C’était la France qui jouait <strong>un</strong> rôle principal parmi les pouvoirs internationaux<br />

concernés par les massacres contre les Tutsi. Dès l’invasion du FPR en 1990<br />

jusqu’à la fin du <strong>génocide</strong> en 1994, la France était le plus proche allié militaire,<br />

politique et diplomatique du régime en place. Les deux présidents d’alors,<br />

Habyarimana et Mitterrand cultivaient <strong>un</strong>e relation proche et sincère. Les Français,<br />

en soutenant les milices et les FAR, fournissaient des armes et de l’argent au<br />

gouvernement rwandais. De ce fait, l’avion abattu de Habyarimana, <strong>un</strong> Mistère-<br />

Falcon 50, était <strong>un</strong> cadeau de Mitterrand. Ainsi, en été 1993, <strong>un</strong>e commande pour<br />

des millions de machettes était envoyée à la république populaire de la Chine. Un<br />

fac-similé apparaissait à Paris l’année précédente. Ce qui se passait dès le 7 Avril<br />

1994 était préparé déjà bien avant grâce à l’aide de la France, plus précisément<br />

grâce au soutien militaire, politique et diplomatique. Dans <strong>un</strong> rapport<br />

d’investigation de l’ONU du novembre 1998 on peut trouver que la France avait<br />

livré des armes aux FAR jusqu’au mois de mai 1994 (<strong>un</strong> mois après le<br />

commencement du <strong>génocide</strong>). Encore après, l’armée française a couvert le reste<br />

du régime « Hutu-Power » quand les milices ont dû fuir vers l’Est du Zaïre.<br />

32 Présomption de complicité militaire : 1.1. Complicité avec les tueurs<br />

http://nuit.rwandaise.free.fr/CEC/CECresume1.htm (12.12.06)


- 32 -<br />

4.2.1. Histoire de la relation entre le Rwanda et la France<br />

Les relations entre le Rwanda et la France ont leurs racines dans les années 1975.<br />

Le 18 juillet de cette année-là, Valéry Giscard d’Estaing, ancien premier ministre<br />

français, signe des accords de coopération pour la formation de la gendarmerie<br />

rwandaise avec le Président rwandais Juvénal Habyarimana. Dès 1983, <strong>un</strong><br />

changement de l’accord de 1975 permet aux militaires français, chargés de la<br />

formation de la gendarmerie rwandaise, de servir sous l’<strong>un</strong>iforme rwandais. A<br />

cause de l’invasion des Tutsi exilés venus de l’Ouganda le 1 octobre 1990, la<br />

France sert comme soutien militaire aux côtés de Habyarimana, précisément aux<br />

côtés des FAR. Tout cela, bien que les accords signés entre les deux pays ne<br />

soient pas des accords de défense, mais seulement de formation de la<br />

gendarmerie rwandaise.<br />

Opération Noroît<br />

Dès 1990, l’armée française est placée à Kigali sous le nom d’opération Noroît. Le<br />

devoir consiste à défendre le régime de Habyarimana contre les rebelles du FPR.<br />

Cette opération autorise d’organiser, d’entraîner et d’encadrer les militaires<br />

rwandais. Ceux-ci, pour leur part, arment les milices Interahamwe, si les Français<br />

ne le font pas encore directement eux-mêmes dans les camps de Gabiro et<br />

Bigogwe. Ce que les témoignages rwandais leur reprochent. Ainsi Jean<br />

Carbonare de la Commission internationale sur les violations des Droits de<br />

l’homme au Rwanda (1993) :<br />

« J’ai eu deux grands chocs dans ma vie. Le premier lorsque j’ai<br />

découvert, qu’en Algérie, on avait institutionnalisé la torture. Le<br />

<strong>deuxième</strong>, en janvier 1993, quand j’ai vu des instructeurs<br />

français dans les camps militaires de Bigogwe, situés entre<br />

Gisenyi et Ruhengeri. C’est là qu’on amenait des civils par<br />

camions entiers. Ils étaient torturés et tués, puis enterrés dans<br />

<strong>un</strong>e fosse comm<strong>un</strong>e que nous avons identifiée près du cimetière<br />

de Gisenyi ». 33<br />

33 Jean Carbonare, Interviewé par Le Nouvel Observateur du 04.08.1994,<br />

http://nuit.rwandaise.free.fr/CEC/CECresume1.htm (12.12.06)


- 33 -<br />

Au juillet 1992, la France et le Rwanda régularisent l’accord d’assistance militaire<br />

de 1975 pour qu’il concerne aussi la formation des FAR et non seulement la<br />

« gendarmerie rwandaise ».<br />

Parallèlement à l’accord d’assistance militaire, la France soutient officiellement le<br />

processus de paix des négociations des accords d’Arusha. Cet accord est signé le<br />

3 août 1993 en Tanzanie, car Habyarimana était forcé d’accepter des négociations<br />

de paix, à cause de l’état brisé économique et politique du pays. Les accords<br />

d’Arusha visaient <strong>un</strong> cessez-le-feu entre le FPR et le gouvernement<br />

d’Habyarimana, <strong>un</strong> état de droit, le partage de pouvoir et l’intégration des rebelles<br />

du FPR dans l’armée rwandaise sous la surveillance de la MINUAR (Mission des<br />

Nations Unies pour l’assistance au Rwanda).<br />

Le FPR n’a signé les accords d’Arusha qu’à la condition que les troupes françaises<br />

quittent le Rwanda. Avec l’arrivée de la MINUAR, la France retire ses troupes du<br />

Rwanda.<br />

L’opération Amaryllis<br />

Le 8 avril 1994, la France déclare l’opération Amaryllis pour permettre l’évacuation<br />

sécurisée de 1500 ressortissants occidentaux, ainsi que des membres de la famille<br />

du président tué Habyarimana. Le point critiquable se trouve dans le fait que cette<br />

opération n’incluait pas l’évacuation des Rwandais menacés par les massacres. Le<br />

rapport des députés français mentionne que le premier avion décolle de Kigali le 9<br />

avril 1994 avec 43 français et 12 membres de la famille Habyarimana. Auc<strong>un</strong> Tutsi<br />

ni Hutu modéré menacé ne se trouve à bord de cette machine. Le Colonel Luc<br />

Marchal, commandant du contingent Belge de la MINUAR, était à l’aéroport de<br />

Kigali quand les trois premiers avions français atterrissaient :<br />

«Two of those three planes were carrying personnel. And one<br />

was carrying amm<strong>un</strong>ition… for the Rwandan army… [T]hey just<br />

remained a few minutes in the airfield, and immediately after [the<br />

amm<strong>un</strong>ition] was loaded in the vehicles they moved to the<br />

Ikonombe [army] camp.” 34<br />

34 Colonel Luc Marchal, interview BBC Panorama television, “When Good Men do Nothing”, 1994


- 34 -<br />

Après que les armes sont déchargées, et l’évacuation est complète, les troupes<br />

françaises abandonnent le Rwanda. Pour la première fois depuis 1990, il n’y avait<br />

auc<strong>un</strong> soldat français dans le Rwanda. Le 14 avril, l’opération Amaryllis se<br />

termine.<br />

Opération turquoise<br />

Du 22 juin au 22 août 1994, la France demande et obtient la permission de l’ONU,<br />

pour conduire l’opération turquoise. De différents facteurs influençaient cette<br />

décision d’intervenir de nouveau dans les événements génocidaires déjà devenus<br />

quotidiens. Des pressions considérables de différents groupes sociaux en France,<br />

qui exigeaient la fin de la bataille au Rwanda se faisaient jour. Entre-temps, le<br />

<strong>génocide</strong> attirait <strong>un</strong>e attention étendue des médias, dont beaucoup se basaient sur<br />

la question de la responsabilité de la France. C’était alors le temps de démontrer<br />

que la France restait <strong>un</strong>e force puissante sur laquelle on pouvait compter en<br />

Afrique.<br />

Le but annoncé de l’opération turquoise est de protéger dans <strong>un</strong>e zone<br />

humanitaire sûre les populations menacées par les génocidaires. 2'500 troupes<br />

françaises et sénégalaises aménagent les « zones humanitaires sures » (ZHS)<br />

dans la région Cyangugu-Kibuye-Gikongoro dans le sud-ouest de Rwanda.<br />

Il surgit beaucoup de critique envers cette opération. Le DPKO (Department of<br />

Peacekeeping Operations) regrette, qu’on ne la confie pas à la MINUAR.<br />

Le Général Dallaire, commandant des troupes MINUAR était furieux de cette idée:<br />

“If they land their planes here to deliver their damn weapons to the government, I'll<br />

have their planes shot down.” 35 Un peu plus diplomatiquement, il envoie <strong>un</strong><br />

message à New York, mentionnant les problèmes que l’opération turquoise pourra<br />

causer à la MINUAR. Les différents mandats (ceux de l’opération turquoise et ceux<br />

de la MINUAR) se mettent en travers de leur chemin. “To have two operations<br />

35 Gérard Pr<strong>un</strong>ier, The Rwanda Crisis: History of a Genocide 1959-1994


- 35 -<br />

present in the same conflict area with the authorization of the Security Co<strong>un</strong>cil but<br />

with such diverging powers was problematic.” 36<br />

Enfin, plus qu’<strong>un</strong> million de gens, inclus <strong>un</strong> certain nombre de Tutsi trouvent le<br />

chemin dans les ZHS. La conséquence de la prédilection des Français envers les<br />

milices de Habyarimana est, qu’ils ne désarment pas les Hutu, vu que les ZHS ne<br />

sont jamais démilitarisées. Ça mène au fait que les gens dans les ZHS ne sont pas<br />

protégés, et que les Hutu continuent à massacrer les Tutsi et Hutu modérés.<br />

Citation d’<strong>un</strong> témoignage de J…, ancien milicien Interahamwe :<br />

« Nous avons donc rassemblé les Interahamwe et sommes<br />

montés à Nyarushishi où nous avons encerclé le camp […]<br />

lorsque est arrivé <strong>un</strong> Français, j’ignore si c’était le supérieur des<br />

autres, mais il nous a dit : « Etant donné que ces gens (Tutsi)<br />

sont si nombreux rassemblés ici, les satellites ont dû les<br />

photographier, la comm<strong>un</strong>auté internationale risque de les avoir<br />

repérés, vous ne pouvez plus les tuer ici. Par contre, tous ceux<br />

qui se cachent, vous pouvez les débusquer et les liquider… ». 37<br />

La France déclare qu’elle empêcherait les actes de violences du FPR dans les<br />

zones. Alors que l’avancée du FPR ne pouvait pas être évitée, les militaires<br />

français protègent les membres du «Hutu Power » et facilitent leur fuite vers le<br />

Zaïre. Par ailleurs, les Français ne mettent auc<strong>un</strong>ement fin aux émissions de la<br />

Radio des milles collines, qu’on considère aujourd’hui comme l’appareil<br />

extrêmement dangereux en ce qui concerne la publicité et l’appel à l’assassinat<br />

des Inyenzi (« cancrelats », surnom de déshumanisation donnée aux Tutsi).<br />

Témoignage d’A..., rescapé du camp de Nyarushishi :<br />

« Je leur reproche de n’avoir rien fait pour sauver les gens. Ils<br />

sont arrivés en plein <strong>génocide</strong>, ils auraient pu sauver des vies et<br />

des biens, mais ils n’ont rien fait de tout cela, ils n’ont même pas<br />

désarmé les milices. Ce n’est pas la capacité qui leur a manqué,<br />

personne n’a voulu nous sauver, c’est tout. (…) »<br />

Mais l’opération turquoise a aussi des bénéfices à répertorier. Premièrement elle<br />

réussit à arrêter les masses de réfugiés vers le Zaïre, lequel est en train de se<br />

36 “United Nations Independent Inquiry,” December 1999, 47<br />

37 Géraud de la Pradelle, Imprescriptible, éd. Les Arènes, Paris, 2005, p.168


- 36 -<br />

déstabiliser de plus en plus. En outre l’opération protège quand même 13'000 à<br />

14'000 personnes mis en danger (mais pas « des dizaines de milles personnes »,<br />

comme le Président Mitterrand à prétendu). 38<br />

Le 22 août 1994 l’opération se termine et est remplacée par les forces de la<br />

MINUAR.<br />

Une opération pareille aurait certainement pu protéger encore plus de personnes,<br />

et avec plus de présence dans le pays entier, la chance de mettre <strong>un</strong> point final<br />

aux massacres aurait été emvisageable.<br />

38 David Millwood (ed.), “The International Response to Conflict and Genocide: Lessons from<br />

the Rwanda Experience”, Study 2, 54 - 55


- 37 -<br />

4.2.2. Le reproche adressé à la France<br />

Tiré d’<strong>un</strong> témoignage de C., <strong>un</strong>e dame rescapée du camp de Nyarushishi :<br />

« Ils (les Français) venaient et nous proposaient de les suivre<br />

pour recevoir du riz et de lentilles. Nous y allions et, arrivées làbas,<br />

ils nous prenaient de force, dans leurs tentes, ou parfois<br />

même dans la forêt à côté. » 39<br />

Dans toutes ces investigations sur le rôle de la France, on devrait distinguer entre<br />

la France en générale et ceux qui ont agi au nom du pays, soient les soldats,<br />

soient les officiers militaires, soit toute <strong>un</strong>e organisation pro Hutu. Ce n’est pas « la<br />

France » qui à violé des femmes, ce n’est pas « la France » qui a donné des<br />

instructions militaires pour massacrer les Tutsi, ce n’est pas « la France » qui a fait<br />

des contrôles de passeports pour différencier les Hutu et les Tutsi. Mais c’est sans<br />

doute <strong>un</strong> « défaut français » de ne pas avoir été informé de tout ce qui s’était<br />

passé au Rwanda. « “La France” est <strong>un</strong> commode bouclier. » 40 C’est <strong>un</strong> bouclier<br />

qui permet de se cacher là-derrière. Mais le défaut de l’information, ou bien d’avoir<br />

voulu cacher les informations, n’est pas à nier. La confiance, qu’on avait donnée<br />

aux Généraux, qui acceptaient, qu’on supporte le parti FAR, venait du<br />

gouvernement français. « La France » n’est qu’<strong>un</strong> bouclier présumé.<br />

La neutralité perturbante<br />

Juste après le <strong>génocide</strong>, le nouveau régime à Kigali exige l’extradition et la<br />

condamnation des instigateurs du <strong>génocide</strong>. La France n’est pas d’accord avec<br />

cette exigence. Les raisons données par le ministère des affaires étrangères à<br />

Paris étaient : « Our mandate does not authorize us to arrest them on our own<br />

authority. Such a task could <strong>un</strong>dermine our neutrality, the best guarantee of our<br />

effectiveness. » 41<br />

39 De la Pradelle, p.179<br />

40 Ibid, p. 9<br />

41 Assemblée nationale, Mission d'information comm<strong>un</strong>e, Tome 1 Rapport, 325.


- 38 -<br />

Ce raisonnement n’était pas du tout convaincant. Premièrement, la France n’était<br />

jamais neutre (le parti pris pour les FAR). Deuxièmement, s’ils voulaient, ils<br />

auraient pu changer leur mandat, ainsi comme le changement de l’accord de 1975.<br />

Troisièmement, la « Convention pour la prévention et la répression du crime de<br />

<strong>génocide</strong> » mentionne dans l’article V:<br />

« Les Parties contractantes s'engagent à prendre,<br />

conformément à leurs constitutions respectives, les mesures<br />

législatives nécessaires pour assurer l'application des<br />

dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir<br />

des sanctions pénales efficaces frappant les personnes<br />

coupables de <strong>génocide</strong> ou de l'<strong>un</strong> quelconque des autres actes<br />

énumérés à l'article III. » 42<br />

Ainsi dans l’article VII :<br />

« Le <strong>génocide</strong> et les autres actes énumérés à l'article III ne<br />

seront pas considérés comme des crimes politiques pour ce qui<br />

est de l'extradition. Les Parties contractantes s'engagent en<br />

pareil cas à accorder l'extradition conformément à leur<br />

législation et aux traités en vigueur. » 43<br />

La convention sur le <strong>génocide</strong> garantit donc la légalité de l’arrestation des<br />

génocidaires accusés. Les militaires français en revanche organisent l’évacuation<br />

des membres des FAR à travers les zones sûres. Le Colonel Tadele Selassie,<br />

commandant d’<strong>un</strong> contingent éthiopien, a vu des voitures françaises, utilisées<br />

comme moyens de fuite pour les soldats rwandais dans le Zaïre 44 . Les ZHS<br />

servent maintenant comme zones sûres pour les fuites des FAR et beaucoup<br />

d’autres génocidaires. Même le Premier ministre du gouvernement intérimaire,<br />

Jean Kambanda (que le Trib<strong>un</strong>al pénal international pour le Rwanda (TPIR) a<br />

condamné pour participation au <strong>génocide</strong> le 4 septembre 1998) était exfiltré le 17<br />

juillet par des soldats français vers le Zaïre, où il retrouvait d’autres dignitaires,<br />

dont le général Augustin Bizim<strong>un</strong>gu et le colonel Théoneste Bagosora, aujourd’hui<br />

42 Convention pour la prévention et la répression du crime de <strong>génocide</strong>, article V<br />

http://www.preventgenocide.org/fr/droit/convention/texte.htm (27.12.06)<br />

43 Ibid, article VII<br />

44 Chris McGreal, “French accused of protecting killers,” The Guardian (London), 27<br />

August 1994.


- 39 -<br />

en cours de jugement devant le même TPIR. 45 Des relations entre Bizim<strong>un</strong>gu et<br />

les Français étaient visibles déjà avant son exfiltration. Le Général Roméo Dallaire<br />

indique qu’il a rencontré le général Bizim<strong>un</strong>gu le 16 juillet 1994 à Goma, conduit<br />

par le général Lafourcade au milieu du camp de l’opération Turquoise. Lafourcade<br />

demanda à Dallaire d’être discret sur la façon dont la rencontre avait été<br />

arrangée : « Cela pourrait paraître suspect que le dirigeant de l’AGR [Armée<br />

gouvernementale rwandaise, plus connue sous le sigle FAR] soit à l’intérieur du<br />

camp militaire français ». 46<br />

Pendant toute cette période, la France continue à livrer des armes aux ex-FAR,<br />

bien que les officiels français assurent d’avoir arrêté les livraisons dès le<br />

commencement du <strong>génocide</strong> le 6 avril 1994. Des indices montrent <strong>un</strong>e autre<br />

vérité. Gérard Pr<strong>un</strong>ier, africaniste français, reçoit l’information de Philippe<br />

Jehanne, ancien homme du service de sécurité : « We are busy delivering<br />

amm<strong>un</strong>ition to the FAR through Goma. But of course I will deny it if you quote me<br />

to the press. » 47 Même « Human Rights Watch Arms Project » a découvert grâce à<br />

des recherches détaillées que cinq livraisons d’armes étaient envoyées à partir de<br />

la France en mai et juin 1994, quand le <strong>génocide</strong> battait encore son plein. Le<br />

consul français l’explique comme respect des négociations antérieures. 48<br />

Un autre comportement irresponsable de la France se déroule en 1995. Une<br />

année après le <strong>génocide</strong>, les autorités rwandaises craignent la reconstruction<br />

militaire des ex-FAR dans les ZHS, tels qu’ils demandent à les fermer. Le FPR a<br />

l’intention d’assumer cette mission, ce qui mène de nouveau à <strong>un</strong> nombre de<br />

morts significatif. Le « Independent International Commission of Inquiry » a montré<br />

que le FPR a exécuté de milliers d’IDP (Internally Displaced Persons). Au même<br />

45 De la Pradelle, p. 35<br />

46 1.2. Continuation après le 7 avril 1994 de l’alliance militaire antérieure<br />

http://nuit.rwandaise.free.fr/CEC/CECresume1.htm (12.12.2006)<br />

47 Pr<strong>un</strong>ier, 278<br />

48 Human Rights Watch (Arms Project), “Rearming with imp<strong>un</strong>ity: International support for the<br />

perpetrators of the Rwandan genocide,” 1995.


- 40 -<br />

temps que tous ces gens étaient tués dans les ZHS, la France a bloqué<br />

l’élargissement des demandes d’asile de réfugiés rwandais avec la justification,<br />

qu’ils étaient déjà protégés dans leur propre pays par les ZHS.<br />

Patrick de Saint-Exupéry, journaliste français qui était stationné au Rwanda<br />

comme correspondant du « Figaro » à ce temps là, a rendu publiques les réactions<br />

des politiciens actuels et il les a critiquées acerbement. Le président français<br />

François Mitterrand a déclaré en été 1994 : « Un <strong>génocide</strong> dans <strong>un</strong> tel pays<br />

[comme le Rwanda], n’est pas tellement important. » Ainsi la politique d’Edouard<br />

Balladur, premier ministre de la France de 1993 à 1995, laisse entendre la formule<br />

toute faite : « Dans ces pays, les gens n’ont pas la même relation avec la mort que<br />

nous. » 49 L’irresponsabilité qui se cache derrière ces citations est inouïe et tout à<br />

fait blâmable.<br />

La conséquence de la politique française ne peut pas être surévaluée. La fuite des<br />

têtes génocidaires devait mener à la déstabilisation de la région des grands lacs,<br />

et étendait le conflit <strong>un</strong> peu partout dans l’Afrique centrale. 50 Ce qui manquait le<br />

plus après le <strong>génocide</strong>, était la volonté internationale de faire enfin des pas en<br />

avant, pour interrompre la série des massacres incessants. Chaque désastre<br />

après le <strong>génocide</strong> était le résultat de l’échec comm<strong>un</strong> de savoir s’y prendre avec<br />

les événements précédents. Ce qu’il aurait fallu, était <strong>un</strong>e sincérité, responsabilité<br />

et l’abandon comm<strong>un</strong> du mot «indifférence».<br />

4.2.3. La France se défend<br />

Malheureusement, nous n’avons pas eu la possibilité de prendre contact avec<br />

l’ambassade de la France, ni avec le service administratif qui est compétent pour<br />

les liens entre la France et le Rwanda concernant le <strong>génocide</strong>. Bien que nous<br />

49 Leugnen <strong>un</strong>d Vertuschen, 01.12.2006<br />

http://www.heise.de/tp/r4/artikel/24/24109/1.html (19.12.2006)<br />

50 David Newbury, “Convergent Catastrophes in Central Africa,” Nov. 1996.


- 41 -<br />

ayons contacté l’ambassade française, elle ne nous a pas répondu.<br />

Le ministère des affaires étrangères de la France exprime <strong>un</strong>e prise de position<br />

concernant les évènements en 1994. Ce qui est frappant, c’est l’évidence qui y est<br />

décrite, que la France était le pays le plus responsable de toute la comm<strong>un</strong>auté<br />

internationale. 51<br />

« (…) En juin 1994, la France est le premier pays, qui condamne le <strong>génocide</strong>, et<br />

qui se décide de lancer <strong>un</strong>e intervention humanitaire». Déjà cette affirmation<br />

contient des points remarquables. Bien avant le lancement de l’opération<br />

turquoise, la MINUAR sous le commandement du Lieutenant Général Roméo<br />

Dallaire, était sur place au Rwanda. Et aussi, si la France pouvait se féliciter d’<br />

<strong>un</strong>e intervention « rapide » (le 4 juillet, après trois mois de <strong>génocide</strong>), il y a quand<br />

même ces points suspects appuyés par des centaines de témoignages que nous<br />

avons indiqués dans les sous-chapitres précédents. En outre le ministère des<br />

affaires étrangères mentionne : « (…) la France installe <strong>un</strong>e Zone humanitaire,<br />

pour protéger la population concernée des conflits dévastateurs au sud (Butare) et<br />

à l’ouest (Kibuye) du pays. » Inopport<strong>un</strong>ément, la France n’est pas neutre (comme<br />

elle insiste), mais aide les FAR à fuir, et abandonne les Tutsi et le FPR. La<br />

« population concernée » est constituée alors par des Hutu, alors menacés par la<br />

rage du FPR. En même temps, la « population concernée» devrait aussi être<br />

constituée par les Tutsi et Hutu modérés, qui sont, sous la « protection » des<br />

Français, encore menacés par les massacres génocidaires des Hutu. Mais cette<br />

protection ne se met jamais en marche efficacement.<br />

« (…) mais elle (la ZHS) permettait d’évacuer des gens par centaines de milliers et<br />

d’offrir de l’aide et de prise en charge médicale. » Cette affirmation n’est pas<br />

fausse en soi, car les Français ont pu évacuer effectivement des centaines de<br />

milliers de gens, avec le défaut considérable, que les instigateurs et les exécutants<br />

du <strong>génocide</strong> y étaient compris (voir ci-dessus : Jean Kambanda, Augustin<br />

Bizim<strong>un</strong>gu et Théoneste Bagosora). En plus, la France mentionne, qu’elle<br />

51 Citations suivantes tiré de : France diplomatie, Rwanda, Politische Bezieh<strong>un</strong>gen.<br />

http://www.diplomatie.gouv.fr/de/dossiers-nach-land_1/ruanda_96/index.html (06.01.2007)


- 42 -<br />

supporte aujourd’hui la MONUC (Mission des Nations Unies en République<br />

démocratique du Congo) avec le but de disposer d’<strong>un</strong>e puissance militaire qui est<br />

en mesure de faire le désarmement des groupes armés à l’est congolais en<br />

exécution. Également comme les autres points indiqués, la France ne peut pas se<br />

vanter avec <strong>un</strong>e telle déclaration. S’ils ont l’intention de désarmer l’ex-FAR, qui se<br />

trouvent à présent armés à l’est du Congo, ils auraient dû intervenir bien avant le<br />

<strong>génocide</strong>, pour éviter les massacres. Ce point n’apparaît que comme preuve<br />

présumée qu’ils font tout pour lutter contre l’injustice qui s’est consituée dans la<br />

région des grands lacs.<br />

« La France non seulement n’a pas à rougir de ce qu’elle a fait au Rwanda, mais<br />

elle doit au contraire en tirer fierté. » 52 Edouard Balladur y persiste et signe sur<br />

France 3, le 27 novembre 2004. Avant la diffusion d’<strong>un</strong> documentaire consacré à<br />

l’implication française au Rwanda 53 , Balladur défend la France sous la forme d’<strong>un</strong><br />

long monologue, avec l’intention de persuader les téléspectateurs d’<strong>un</strong> complot<br />

contre la France.<br />

« À quoi correspond cette volonté systématique de tenter de<br />

décrédibiliser l’action de notre pays ? […] Quels sont les mobiles<br />

qui font agir ceux qui se livrent à <strong>un</strong>e campagne qui est <strong>un</strong>e<br />

véritable campagne de diffamation contre la France ? » 54<br />

Il y a assez de mobiles menant à la méfiance, comme les témoignages qu’on a<br />

comme preuves des actions suspectes de la France au Rwanda, comme les<br />

indices qu’on a trouvés dans le Rwanda (armes françaises), ainsi que les<br />

informations déconcertantes et contradictoires reçues de différents partis.<br />

Patrick de Saint-Exupéry, du Figaro, dans son livre « l’Inavouable » :<br />

« Il nous a fallu du temps, Monsieur, pour comprendre que notre<br />

tic-tac avait <strong>un</strong> nom. Il s’appelait “crise de confiance”. Quand les<br />

responsables d’<strong>un</strong> pays entretiennent le silence autour d’<strong>un</strong><br />

<strong>génocide</strong>, nourrissent <strong>un</strong>e atmosphère de conspiration, se refusent<br />

52 Paroles d’Edouard Balladur, France 3, le 27 novembre 2004. (de la Pradelle, p.9)<br />

53 Tuez-les tous! Histoire d’<strong>un</strong> <strong>génocide</strong> sans importance, Raphaël Glucksmann, David Hazan et<br />

Pierre Mezerette, passé sous silence, France 3, 27 novembre 2004<br />

54 De la Pradelle, p. 9


- 43 -<br />

à toute explication, masquent des pans entiers de la réalité et en<br />

viennent à se contredire eux-mêmes, il est difficile de ne pas y<br />

céder. Il est tout aussi difficile de renouer. » 55<br />

55 L’inavouable. La France au Rwanda, Les Arènes, 2004


4.3. Le rôle de l’ONU<br />

- 44 -<br />

Si on parle du rôle de l’ONU au Rwanda en 1994, avant et pendant le <strong>génocide</strong>, ce<br />

sont surtout trois personnages principaux, qui y sont impliqués. Le Secrétaire<br />

général de l’ONU d’alors, Boutros Boutros-Ghali, le responsable du « Domp »<br />

(Département des opérations de maintien de la paix), Kofi Annan, et le Général<br />

Roméo Dallaire, commandant de la MINUAR.<br />

Le rôle de l’ONU a été critiqué, surtout par la France et le Rwanda, concernant la<br />

négligence de l’enquête sur l’attentat contre l’avion de Habyarimana, dont on dit,<br />

que c’était le signal de départ du <strong>génocide</strong>. Pendant des semaines, la<br />

comm<strong>un</strong>auté internationale a laissé se passer les tueries sans intervenir. La<br />

MINUAR, sous le Général Dallaire, a dû se débrouiller pendant cette période avec<br />

les mains liées et dans des conditions insupportables.<br />

4.3.1. La MINUAR et l’impossibilité d’agir<br />

Le 12 mars 1993, le Conseil de sécurité de l’ONU décide d’envoyer <strong>un</strong>e force au<br />

Rwanda pour soutenir la dynamique des accords d’Arusha. La MINUAR, Mission<br />

des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, reçoit son quartier général à<br />

Kigali. Elle se compose à moitié par des soldats belges. A la fin 1993 la MINUAR<br />

arrive au Rwanda avec la conséquence que les forces françaises de l’opération<br />

Noroît se retirent. La fonction principale de la mission était, comme prévu par le<br />

conseil de sécurité de l’ONU, l’assistance dans l’application de l’Accord de paix<br />

d’Arusha, signé par les parties rwandaises le 4 août 1993.<br />

Informations précoces<br />

Le 11 janvier 1994, Dallaire envoie <strong>un</strong> télégramme au Général Maurice Baril,<br />

conseilleur militaire aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, à New York.<br />

Ce télégramme contenait des informations sur le contact avec <strong>un</strong> leader des<br />

Interahamwe, <strong>un</strong> certain « Jean Pierre » :


- 45 -<br />

« Jon [Jean] Pierre told us that he had no objection to make war<br />

[with the] RPF people because RPF was the enemy ... but his<br />

mission was now to prepare the killings of civilian and Tutsi<br />

people... to make lists of Tutsi people, where they lived, to be<br />

able, at a certain code name, to kill them. Kigali City was divided<br />

in a certain number of areas, and ... each area was manned by,<br />

let's say, 10 or maybe more people. Some were armed with<br />

firearms, some with other kind of tools like machetes, and the<br />

mission of those persons was just to kill the Tutsis. Another<br />

aspect of his mission was to distribute weapons to the<br />

[Interahamwe] militia, and so during this first meeting he told me<br />

that in the area of Kigali there were a lot of arms caches and<br />

some ... of the weapons, the firearms were in those caches. » 56<br />

Après avoir transmis le télégramme contenant l’information ci-dessus à Kofi Annan<br />

et Iqbal Riza, directeurs du DPKO (Department of Peacekeeping operations), rien<br />

ne se passe.<br />

Dallaire est instruit d’informer le président Habyarimana des informations reçues.<br />

« Not only was I not allowed to conduct deterrent operations in<br />

support of UNAMIR, but in the interests of transparency, I was to<br />

provide the information that Jean-Pierre had given to us to<br />

President Habyarimana immediately. I was absolutely beside<br />

myself with frustration. » 57<br />

De nouveau, rien ne se passe, Habyarimana ne prend pas de mesures, ni à<br />

dissoudre les dépôts d’armes dont on est mis en connaissance, ni à nettoyer les<br />

quartiers des personnes armées, prêtes à tuer. Un autre élément d’information<br />

obtenu par « Jean Pierre » concernait <strong>un</strong>e stratégie dont le but était de provoquer<br />

le meurtre de soldats belges de la MINUAR et le retrait de leur bataillon.<br />

« … et les troupes belges devaient elles aussi faire l’objet de<br />

provocations. Si les Belges répondaient par la force, <strong>un</strong> certain<br />

nombre d’entre eux seraient alors assassinés, ce qui garantissait<br />

que la Belgique retirerait son contingent du Rwanda. » 58<br />

56 Frontline Interview avec colonel Luc Marchal<br />

57 Roméo Dallaire, Shake hands with the devil, Arrow Books, 2004, p. 146<br />

58 United Nations Independent Inquiry,” December 1999, II. Les principaux événements,<br />

http://daccessdds.<strong>un</strong>.org/doc/UNDOC/GEN/N99/395/48/PDF/N9939548.pdf?OpenElement,<br />

(05.12.2007)


- 46 -<br />

L’attitude inactive de l’ONU face à ces informations peut avoir été interprétée par<br />

les Hutu comme signal d’indifférence soit face à l’existence d’armes, soit face aux<br />

meurtres imminents. L’avertissement précoce par Dallaire n’est pas pris au<br />

sérieux.<br />

Peu de temps après l’écrasement de l’avion de Habyarimana, le commandant de<br />

la MINUAR, le Général Roméo Dallaire écrit à New York : « Give me the means<br />

and I can do more. » 59 Mais rien ne se passe, auc<strong>un</strong>e autorisation d’agir n’est<br />

envoyée, et auc<strong>un</strong> moyen pour <strong>un</strong>e intervention n’est permis. La mission n’est pas<br />

planifiée et instruite de façon qu’elle puisse assumer <strong>un</strong> rôle actif et décisif, face à<br />

<strong>un</strong> processus de paix sérieusement menacé.<br />

Inactivité dévastatrice<br />

Selon James Woods, Dallaire voyait plus tôt que tous les autres ce qui pourrait se<br />

passer: « I think he would have played a more vigorous, helpful, possibly decisively<br />

positive role had he been given authority permitting him to do that. » 60<br />

Ce refus d’autorité menait au fait, qu’auc<strong>un</strong>e intervention de la part de la MINUAR<br />

n’était possible. En plus, MINUAR est rarement équipée, non seulement de<br />

nourriture et d’armes, mais encore de gens et soldats en général.<br />

« It is nonsense to open fire to save one life if you lose 10, 20 or<br />

30 other lives, and that was our problem at that moment. We<br />

were a minority on the gro<strong>un</strong>d. Their [FAR] army was better<br />

equipped and armed than UNAMIR. » 61<br />

Le problème de la minorité et de la faiblesse des troupes de la MINUAR<br />

est apparent. Il manque de pouvoir, et il manque de très peu, à savoir la<br />

permission d’agir, pour marquer <strong>un</strong> signe de négation aux massacres de<br />

59 Alison DesForges, “Defeat is the Only Bad News: Rwanda <strong>un</strong>der Musinga, 1896-1931,”<br />

Yale University, Ph.D. thesis, 1972, 598<br />

60 Frontline Interview avec James Woods<br />

61 Frontline Interview avec colonel Luc Marchal


- 47 -<br />

la part de la comm<strong>un</strong>auté internationale, représentée par la MINUAR.<br />

Qu’est-ce qu’on aurait pu faire si on recevait <strong>un</strong> mandat pour agir ?<br />

« Oh, it was not very difficult because in the first day after the<br />

coup there were killings, but not on a great scale so we had just<br />

to occupy the terrain and for us it was enough, just show to the<br />

population that UNAMIR was active, show to the Rwandan army<br />

that our objective was to save the peace, because don't forget<br />

with the president, the chief of staff of the army was also killed ...<br />

[the president] was considered a "god" in Rwanda, and the chief<br />

of staff of the army was also a kind of god for the Rwandan. And<br />

it means that the whole co<strong>un</strong>try was without any leader and they<br />

were really waiting for a sign from us, and we didn't give that kind<br />

of sign. » 62<br />

Le signe, que le Rwanda n’était pas abandonné de l’extérieur manquait alors. Le<br />

signe, que ce n’était pas indifférent au monde, si on massacrait 800'000 gens.<br />

Mais comment envoyer ce signe, s’il semblait à ce temps-là qu’il y avait cette<br />

indifférence concernant le Rwanda. Comment envoyer <strong>un</strong> signe que le Rwanda<br />

n’était pas abandonné du monde, s’il l’était en vérité ?<br />

« Ruander zählten für die Welt damals einfach nicht. Die<br />

internationale Gemeinschaft sortierte ihre Prioritäten nach<br />

nationalen Interessen. [...] bei den Entscheid<strong>un</strong>gsprozessen zu<br />

Ruanda ergab sich, dass Ruanda handl<strong>un</strong>gsfähigen Ländern<br />

nicht wert war, Opfer zu riskieren" [...] Die internationale<br />

Gemeinschaft hat den f<strong>un</strong>damentalen Fehler, dass sie nicht in<br />

der Lage ist, Eigeninteresse zu überwinden <strong>un</strong>d jeden Menschen<br />

als Menschen zu sehen, als genau gleich. » 63<br />

Après la reprise des combats en 1994, le mandat de la MINUAR vient d’être<br />

modifié de manière qu’elle puisse agir comme intermédiaire entre les partis<br />

rwandais, pour essayer de maintenir <strong>un</strong> cessez-le-feu et pour faciliter les<br />

opérations de secours humanitaires. Mais tout cela toujours est encore sans la<br />

possibilité et la permission d’agir directement pour <strong>un</strong>e amélioration de la situation<br />

en place.<br />

62 Ibid<br />

63 Roméo Dallaire, taz, 7.4.04, Jeder Mensch zählt. Kein Mensch auf der Welt ist mehr wert als ein<br />

anderer. In Ruanda wurde das vergessen


Empêchement d’efficacité<br />

- 48 -<br />

À part de l’inactivité, <strong>un</strong> autre grave problème apparaît. Sur place il y a beaucoup<br />

de troupes de différentes nationalités. Non seulement l’ONU est stationnée mais<br />

encore la France, l’Italie, la Belgique et les Etats-Unis organisent des évacuations<br />

de leurs propres expatriés. Ainsi, beaucoup de troupes sont stationnées au<br />

Rwanda, avec le défaut de se trouver sous différents commandements.<br />

Le 9 avril, Kofi Annan donne des instructions à Dallaire de coopérer avec les<br />

Français et les Belges pour faciliter l’évacuation de leurs expatriés :<br />

« You should make every effort not to compromise your<br />

impartiality or to act beyond your mandate but may exercise your<br />

discretion to do [so] should this be essential for the evacuation of<br />

foreign nationals. This should not, repeat not, extend to<br />

participating in possible combat, except in self-defence. » 64<br />

Cette autorisation d’agir au-delà du mandat s’il était nécessaire pour l’évacuation<br />

des étrangers au Rwanda, est la seule pendant toute l’existence de la MINUAR.<br />

Jamais on n’a autorisé <strong>un</strong>e telle marge de manœuvre concernant la protection des<br />

Rwandais menacés.<br />

Dès que les étrangers sont sauvés à l’extérieur du Rwanda, les troupes qui<br />

n’appartiennent pas à l’ONU, laissent la MINUAR et ainsi le destin du pays<br />

Rwanda seuls dans des circonstances misérables.<br />

À l’exemple de l’abandon de Don Bosco, l’école technique officielle à Kigali, et de<br />

ses deux mille réfugiés venus se mettre sous la protection des soldats belges<br />

installés sur place, le problème du désaccord des troupes stationnées au Rwanda<br />

se manifeste. Après la retraite des troupes belges, due à l’expiration de la mission<br />

de l’évacuation des expatriés belges, Don Bosco n’est plus protégé, et les deux<br />

milles réfugiés sont assassinés par les Interahamwe qui rodaient déjà à l’extérieur<br />

depuis quelques jours en attendant le moment venu pour commettre le meurtre.<br />

64 United Nations Independent Inquiry,” December 1999, III. Conclusions, 17. Opération turquoise


- 49 -<br />

« So there were enough troops on the gro<strong>un</strong>d to have saved the<br />

lives of the people at Don Bosco? Yes, there were enough<br />

troops on the gro<strong>un</strong>d in Kigali at that time. And you couldn't<br />

have given them orders because they were not <strong>un</strong>der your<br />

command, is that right? Of course, because (…) Because they<br />

were not United Nations troops. Yes, they were national troops<br />

because Italy, France and Belgium, organized their own<br />

evacuation of their own expatriates. » 65<br />

Ce qui faisait alors obstacle à l’<strong>un</strong>ion des troupes, et ainsi à la possibilité de<br />

stabiliser la situation et de garantir <strong>un</strong>e protection des personnes menacées, était<br />

la quantité des troupes de différents pays et le manque de coordination entre<br />

leurs différents mandats.<br />

Cette difficulté se montre par l’exemple de l’opération turquoise, qui est lancée le<br />

22 juin 1994. Elle cause <strong>un</strong> tas de problèmes à la MINUAR, surtout à cause des<br />

différents mandats, qui permettent de différentes missions. Un « jeu » comm<strong>un</strong> ne<br />

peut pas être construit, ainsi qu’<strong>un</strong> travail complémentaire et <strong>un</strong>i.<br />

« In the clearest, most objective and rational terms I could muster, I described all of<br />

the reasons why the French should not deploy and what I estimated would happen<br />

if they did. » 66<br />

Le Général Roméo Dallaire propose trois options à l’ONU concernant le mandat de<br />

l’opération turquoise, dont l’<strong>un</strong>e comporte les phrases suivantes :<br />

« It is strongly recommended that the French-led initiative be<br />

encouraged only if the RPF agrees to French troops on the<br />

gro<strong>un</strong>d, or if this force comes with personnel and equipment but<br />

not with any French troops. Should this not be possible, in order<br />

to avoid an escalation of the conflict, both inside Rwanda and in<br />

the region… the French-led initiative should be let to r<strong>un</strong> its<br />

course alone and permit UNAMIR to build itself up in a secure<br />

environment … after which the Mission could redeploy with the<br />

effective forces planned for in its mandate.» 67<br />

Le danger de l’opération turquoise consiste alors au fait, que le FPR ne souhaite<br />

65 Frontline Interview avec colonel Luc Marchal<br />

66 Roméo Dallaire, p. 433<br />

67 Ibid, p. 433


- 50 -<br />

pas la bienvenue aux troupes françaises qui ont toujours collaboré avec les FAR.<br />

La stabilisation branlante construite par la MINUAR est alors menacée par le<br />

recours de l’opération turquoise française.<br />

Diminution des soldats<br />

Le 7 avril 1994, la Garde présidentielle rwandaise assassine le Premier Ministre,<br />

Agathe Uwilingiyimana, et les dix casques bleus belges qui tentaient de la<br />

protéger. La consternation des Belges, résultant de cet assassinat entraîne le<br />

désengagement de la MINUAR. La Belgique retire son contingent d’environ 1200<br />

soldats et divise ainsi l’effectif de la MINUAR en deux. Le 13 avril, le DPKO offre<br />

deux possibilités au Conseil de Sécurité de l’ONU. Soit laisser la MINUAR au<br />

Rwanda pour trois semaines sans les soldats belges (sous la condition d’<strong>un</strong><br />

cessez-le-feu), soit réduire la MINUAR et maintenir seulement <strong>un</strong>e présence<br />

maigre dans le pays. C’est alors la <strong>deuxième</strong> décision que le Conseil de Sécurité<br />

de l’ONU prend, sous la pression des Etats-Unis et de la Grande Bretagne. L’ordre<br />

de la diminution de 2500 à 270 hommes est mis en exécution le 21 avril 1994.<br />

«Nach meiner Ansicht waren die Vereinten Nationen während<br />

des Völkermordes nicht nur nutzlos. Sie waren schlimmer als<br />

nutzlos. Es wäre <strong>un</strong>s besser ergangen, wenn es sie überhaupt<br />

nicht gegeben hätte, denn sie erlaubten es der Welt zu glauben,<br />

dass etwas geschieht, dass sich eine verantwort<strong>un</strong>gsbewusste<br />

Institution um die Ereignisse kümmert. So entstand die fatale<br />

Illusion von Sicherheit. In Rwanda blieben weniger als 300<br />

schlecht ausgebildete UN-Soldaten, denen noch nicht einmal<br />

gestattet war, Gebrauch von ihren Waffen zu machen, wenn ein<br />

Kind direkt vor ihren Augen abgeschlachtet wurde. Ein<br />

vollkommener Rückzug wäre besser gewesen als diese<br />

Farce.» 68<br />

Malgré tout, l’effet secondaire de l’intérêt des médias apparaît par la<br />

présence de l’ONU au Rwanda, par conséquent le monde est informé de<br />

ce qui se passe au Rwanda, même si les informations sont maigres et<br />

rares.<br />

68 Paul Rusesabagina, „Ein gewöhnlicher Mensch“ Berlin Verlag 2006, p. 135


- 51 -<br />

Une nouvelle résolution du Conseil de sécurité étend le 17 mai la mission de la<br />

MINUAR à la protection des populations et autorise ainsi le déploiement de 5500<br />

casques bleus au Rwanda (MINUAR II). Comme prévu, cette résolution cause de<br />

nouveaux problèmes :<br />

« On J<strong>un</strong>e 19, the date that UNAMIR 2 should have had 4,600<br />

soldiers in Rwanda, my troop strength stood at 503, and we were<br />

still living with all of the problems and shortages that had plagued<br />

and <strong>un</strong>dermined us in April. […] UNAMIR 2 would not be<br />

operational for at least three months. » 69<br />

Seulement le 10 août la MINUAR II entre en action et la France se retire. La<br />

nouvelle mission permet, de contribuer à la sécurité et à la protection des<br />

personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger, et de favoriser le retour<br />

des populations déplacées ainsi que le rapatriement des réfugiés en toute sécurité.<br />

Le mandat de la MINUAR se termine le 8 mars 1996.<br />

« We need to be seen to be neutral » 70<br />

À part l’échec de la Comm<strong>un</strong>auté Internationale en ce qui concerne la réaction au<br />

<strong>génocide</strong>, la négation du mot <strong>génocide</strong> contribue à la thèse que les massacres ne<br />

sont que le fruit de la guerre qui règne déjà depuis longtemps au Rwanda. La<br />

thèse d’<strong>un</strong> <strong>génocide</strong>, indépendant de la guerre incessante, n’est pas envisagée. Il<br />

ne suffit pas, d’arrêter la guerre ; c’est la pensée au nettoyage ethnique, qu’il faut<br />

arrêter. Ce n’était plus <strong>un</strong>e guerre entre FPR et le régime de Habyarimana, c’était<br />

<strong>un</strong> <strong>génocide</strong>, <strong>un</strong>e partie d’<strong>un</strong>e population exterminant <strong>un</strong>e autre. Ainsi, <strong>un</strong> cessez-<br />

le-feu entre les deux partis n’aurait pas forcément contribué à <strong>un</strong> arrêt des<br />

massacres.<br />

Human Rights Watch faisait remarquer à l’ONU le fait que:<br />

« Keeping the peace is not a goal of the authorities in Kigali, and that a cease-fire<br />

between the warring parties is largely irrelevant to the mass slaughter of non-<br />

combatants being carried out throughout Rwanda... by the army and militia. » 71<br />

69 Roméo Dallaire, p. 432<br />

70 African Rights, Death, Despair, 1120<br />

71 Cité in US Committee For Refugees, “Rwanda: Genocide and the Continuing Cycle of


- 52 -<br />

L’hésitation d’utiliser le mot « <strong>génocide</strong> » reposait aussi sur le manque de bonne<br />

volonté d’agir. La dénomination de la situation au Rwanda comme <strong>génocide</strong> aurait<br />

provoqué <strong>un</strong>e attente que la comm<strong>un</strong>auté internationale agisse et intervienne dans<br />

les machinations au Rwanda.<br />

« They did not want to admit what was going on or that they<br />

knew what was going on because they didn't want to bear the<br />

onus of mo<strong>un</strong>ting a humanitarian intervention <strong>–</strong> probably<br />

dangerous <strong>–</strong> against a genocide... » 72<br />

Ce qui n’est pas à oublier, c’est que juste avant le <strong>génocide</strong> rwandais, de 1992 à<br />

1994, les Nations Unies, ensemble avec les Etats-Unis, étaient stationnés en<br />

Somalie pour réprimer la guerre civile. Le cas d’<strong>un</strong> soldat américain traîné par terre<br />

à travers la ville de Mogadishu provoquait <strong>un</strong> changement de la politique<br />

extérieure des Etats-Unis, et <strong>un</strong>e prudence renforcée des Nations Unies. Les<br />

conséquences étaient sensibles au <strong>génocide</strong> rwandais.<br />

La prudence devant <strong>un</strong>e prise de responsabilité due à la perte de 18 soldats<br />

américains en Somalie s’exprime dans le point de vue américain : « We're not<br />

going to intervene in this mess, let the Africans sort themselves out. » 73<br />

Ainsi, il en résulte le souci de maintenir l’impartialité de l’ONU, pour garder la<br />

menace de ses propres troupes à <strong>un</strong> niveau minimal. Cette neutralité est non<br />

seulement difficile à garder, mais encore gênante pour <strong>un</strong>e intervention efficace et<br />

active. Toujours, les informations des médias contiennent des phrases comme:<br />

« we need to be seen to be neutral » ou bien « we must not be seen to be taking<br />

sides » 74<br />

Quelques années plus tard, le Secrétaire Général Kofi Annan écrit dans <strong>un</strong><br />

rapport concernant le cas Srebrenica en 1995 qu’<strong>un</strong> des problèmes principaux<br />

Violence,” May 5, 1998<br />

72 Ibid<br />

73 Ibid<br />

74 African Rights, Death, Despair, 1120.


pendant cette période terrible était :<br />

- 53 -<br />

« …An institutional ideology of impartiality [on the part of the UN]<br />

even when confronted with attempted genocide… Certainly<br />

errors of judgement were made [by the UN], errors rooted in a<br />

philosophy of impartiality and non-violence wholly <strong>un</strong>suited to the<br />

conflict in Bosnia. » 75<br />

Bien que ce ne soit pas <strong>un</strong> rapport relatif au <strong>génocide</strong> rwandais, il apparaît quand<br />

même <strong>un</strong> aveu des fautes commises concernant l’acharnement sur la neutralité.<br />

Les camps de réfugiés<br />

Juste après le <strong>génocide</strong>, <strong>un</strong> exode d’<strong>un</strong>e grande partie du peuple rwandais<br />

marquait le pays du Rwanda. En tout, environ deux millions de personnes ont fui<br />

du Rwanda. Les premiers réfugiés étaient des Tutsi qui ont eu le bonheur<br />

d’échapper aux massacres. Pourtant, la plupart des réfugiés se constituait des<br />

Hutu.<br />

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour Réfugiés (UNHCR) a décrit cet<br />

Exode comme onde de réfugiés avec le plus grand nombre jamais existant.<br />

Pendant <strong>un</strong>e période de 24 heures, du 28 au 29 avril, 250'000 Rwandais fuient le<br />

pays par <strong>un</strong> pont étroit à Rusumo, menant en Tanzanie. 76<br />

L’UNHCR et les différentes organisations humanitaires (plus de 200 ONG et<br />

Médicins sans frontières) ont agi sans <strong>un</strong> grand savoir sur la situation politique de<br />

l’époque. Ainsi apparaissaient des problèmes de collaboration entre l’UNHCR et<br />

les ONG. Mais on doit aussi tenir compte du fait que les organisations<br />

humanitaires avaient <strong>un</strong>e grande pression, chaque jour il y avait des images à la<br />

télé montrant des gens en train de mourir de faim. Oui, le monde occidental lançait<br />

<strong>un</strong>e vague d’aide extraordinaire, qu’on n’a jamais vue avant : Des coupables, ils en<br />

ont fait les victimes. La misère des réfugiés recouvrait l’horreur du <strong>génocide</strong>.<br />

75 Report of the Secretary-General pursuant to General Assembly Resolution 53/35: The<br />

Fall of Srebrenica, 15. November 1999, 110-111.<br />

76 Des Forges, p. 636


- 54 -<br />

En peu de temps ils ont construit des camps énormes, qui se trouvaient vite sous<br />

la direction des extrémistes Hutu. Ceux-ci ont su qu’ils pouvaient compter sur<br />

l’aide humanitaire. Par conséquente, les extrémistes Hutu, en prenant en otage les<br />

réfugiés et en les obligeant de fuir, ont contribué à <strong>un</strong>e grande misère pour ces<br />

réfugiés. Mais la stratégie des extrémistes marchait. Les organisations<br />

humanitaires agissaient de manière très irréfléchie. Elles ont ainsi remis la<br />

direction des camps à ceux qui ont planifié et mis en marche le <strong>génocide</strong>.<br />

Par conséquent, il était plus difficile de condamner les responsables du <strong>génocide</strong>,<br />

parce qu’on dépendait d’eux, en ce qui concerne la distribution de l’aide, entre<br />

autre. Beaucoup de collaborateurs des organisations humanitaires ont dit qu’ils<br />

sont seulement responsables de s’occuper de la nourriture. Il n’était pas important<br />

si les bénéficiaires de l’aide avaient commis des crimes avant.<br />

Pourtant, les activités militaires continuaient après le <strong>génocide</strong> dans les camps de<br />

réfugiés.<br />

Des meurtres, des chantages et des prises d’otages étaient fréquents dans les<br />

camps de réfugiés. Même ceux qui voulaient retourner dans leur pays ont été<br />

contraints de rester dans les camps.<br />

Le Conseil de Sécurité lançait par conséquente <strong>un</strong>e commission internationale de<br />

recherche, pour examiner la présence d’armes aux mains du gouvernement<br />

ancien. 77<br />

Dans <strong>un</strong> rapport en 1996, la commission a confirmé trois résultats : Il existait <strong>un</strong><br />

réarmement intensif dans les camps ; Les Ex-FAR et les Interahamwe entraînaient<br />

des nouveaux recrues ; et le Zaïre, la Belgique, la France, la Bulgarie, la Chine et<br />

l’Afrique du Sud étaient impliqués dans la livraison d’armes.<br />

La culpabilité de ces pays n’a jamais pu être prouvée. Comme le monde a refusé<br />

d’intervenir contre la menace de la population rwandaise par <strong>un</strong> nouveau<br />

massacre, les menacés (à savoir le FPR), prenaient l’intervention dans leurs<br />

77 United Nations, “Report of the International Commission of Inquiry (Rwanda)<br />

S/1996/195,” 14 March 1996.


- 55 -<br />

propres mains. Ainsi résultaient les massacres post-génocidaires dans les camps<br />

de réfugiés, qui auraient dû être sous contrôle de l’ONU et d’organisations<br />

humanitaires.<br />

4.3.2. Déclarations publiques de l’ONU<br />

Après sept semaines de massacres, et d’ignorance de la part de la comm<strong>un</strong>auté<br />

internationale, Boutros-Ghali envoie <strong>un</strong>e mission au Rwanda pour insister sur <strong>un</strong><br />

cessez-le-feu. Le rapport de la Mission des Nations Unies au Rwanda (avec <strong>un</strong><br />

nombre de morts présumé de déjà 250'000 à 500'000) pousse Boutros-Ghali à<br />

déclarer que les massacres étaient planifiés systématiquement et qu’il y a « peu<br />

de doute » 78 que ce qui s’est passé doit être nommé <strong>un</strong> <strong>génocide</strong>.<br />

« The delay in reaction by the international comm<strong>un</strong>ity to the<br />

genocide in Rwanda has demonstrated graphically its extreme<br />

inadequacy to respond urgently with prompt and decisive action<br />

to humanitarian crises entwined with armed conflict. Having<br />

quickly reduced UNAMIR to a minimum presence on the gro<strong>un</strong>d,<br />

since its original mandate did not allow it to take action when the<br />

carnage started, the international comm<strong>un</strong>ity appears paralyzed<br />

in reacting almost two months later even to the revised mandate<br />

established by the Security Co<strong>un</strong>cil. We must all realize that, in<br />

this respect, we have failed in our response to the agony of<br />

Rwanda, and thus have acquiesced in the continued loss of<br />

human lives. » 79<br />

Même à ce temps, après la reconnaissance du <strong>génocide</strong> par l’ONU, quelques<br />

états, entre autres les Etats-Unis, refusent de prendre les mesures exigées par la<br />

convention sur le <strong>génocide</strong>, et ainsi refusent d’accepter eux-mêmes de qualifier<br />

ces massacres de <strong>génocide</strong>.<br />

En 1998, quatre années après le <strong>génocide</strong>, l’ONU, les États Unis, ainsi que deux<br />

ans plus tard la Belgique, déclarent leur culpabilité pour la catastrophe génocidaire<br />

78 United Nations Secretary-General, “Report of the Secretary-General on the situation in Rwanda”,<br />

S/1994/640 (31 May 1994), par.5<br />

79 Ibid, par. 43


et ils s’excusent officiellement.<br />

- 56 -<br />

À part cette déclaration, Kofi Annan commissionne, avec l’accord du conseil de<br />

sécurité, <strong>un</strong>e enquête totalement indépendante sur le rôle de l’ONU dans le<br />

<strong>génocide</strong> rwandais.<br />

Concernant ce rapport, le Secrétaire Général Kofi Annan écrit en 1999 :<br />

« In 1994 the whole international comm<strong>un</strong>ity -- the United<br />

Nations and its Members States -- failed to honour that<br />

obligation. […] All of us must bitterly regret that we did not do<br />

more to prevent it. There was a United Nations force in the<br />

co<strong>un</strong>try at the time, but it was neither mandated nor equipped for<br />

the kind of forceful action which would have been needed to<br />

prevent or halt the genocide. On behalf of the United Nations, I<br />

acknowledge this failure and express my deep remorse. » 80<br />

80 Kofi Annan, Statement on receiving the report of the independent inquiry into the actions of the<br />

<strong>un</strong>ited nations during the 1994 genocide in Rwanda, 16 December 1999


- 57 -<br />

4.4. À qui alors la culpabilité?<br />

Ce qu’on vivait en 1994 au Rwanda concernant l’action de la comm<strong>un</strong>auté<br />

internationale était l’abandon et l’indifférence pure envers <strong>un</strong> pays « loin de chez<br />

nous ». « Un <strong>génocide</strong> dans <strong>un</strong> tel pays [comme le Rwanda], n’est pas tellement<br />

important » 81 , c’est apparemment tout ce qu’on arrivait à dire face aux massacres<br />

au Rwanda. L’intervention effective aurait contribué beaucoup à la possibilité que<br />

les massacres n’aient pas dégénéré autant : « Si les casques bleus étaient restés<br />

sur place, il y aurait pu <strong>un</strong> nombre très limité de victimes. Il y aurait eu <strong>un</strong><br />

massacre et pas <strong>un</strong> <strong>génocide</strong> » 82<br />

Etait-ce le peuple…<br />

La question de la culpabilité se pose automatiquement, quand on est mis au<br />

courant de tous ces événements, de toutes ces machinations douteuses et peu<br />

responsables exécutées soit par la comm<strong>un</strong>auté internationale, soit par la<br />

population rwandaise.<br />

Ainsi les soldats de l’armée rwandaise, et les milices du CDR et MRND ont<br />

contribué, pour leur part au déclenchement du <strong>génocide</strong>. Ils ont formé les<br />

personnes qui surveillaient et dirigeaient les massacres sur place. Les meurtriers<br />

connaissaient très bien les victimes. Ainsi les voisins tuaient leurs voisins et les<br />

élèves faisaient la chasse aux professeurs. Les meurtres étaient planifiés par les<br />

hauts politiciens et ministres rwandais, mais ceux qui les ont exécutés, c’était le<br />

peuple quotidien, c’étaient les paysans, les artisans, simplement les voisins.<br />

Des milliers de personnes, poussées par des paroles politiques, ont commis des<br />

cruautés incroyables : Ils ont brûlé des hommes et de femmes vifs, les ont enterrés<br />

vifs, ils leur ont découpé touts les membres avec les machettes, avant de les<br />

décapiter ; et ils ont battu les enfants à mourir. Il y avait même des victimes qui ont<br />

81 Leugnen <strong>un</strong>d Vertuschen, (01.12.2006)<br />

82 Edouard Bizumuremyi, Interview du (25.09.2006)


- 58 -<br />

payé beaucoup pour être tué vite par <strong>un</strong>e balle au lieu d’<strong>un</strong>e machette.<br />

La question, de quelle manière on peut exciter et inciter des gens normaux à<br />

commettre <strong>un</strong> <strong>génocide</strong> s’impose à l’esprit inévitablement. Pendant la persécution<br />

des juifs le peuple a réagi passivement. Il n’y avait jamais <strong>un</strong> pays entier, qui<br />

devenait <strong>un</strong> coupable. Ce fait complique la tentative de trouver les responsables<br />

pour ce <strong>génocide</strong> et laisse inévitablement beaucoup de coupables, qui n’auront<br />

jamais de procès.<br />

Il y a deux explications et raisons concevables auant à cette question :<br />

La propagande humiliait les Tutsi ciblés et parle d’eux comme de la vermine. Les<br />

Hutu ne devaient pas voir des relations avec les Tutsi, mais les considérer comme<br />

facteurs dérangeants dans la société (voir notamment les dix commandements<br />

des Bahutu). La distance émotive entre les victimes et les coupables était comme<br />

ça plus grande ou même éliminée. La déshumanisation est ainsi <strong>un</strong> premier pas<br />

dans la longue marche vers <strong>un</strong> <strong>génocide</strong>, comme on le voit aussi dans le cas de<br />

l’holocauste. Comme nous l’avons vu plus haut, les Tutsi sont petit à petits<br />

devenus étrangers dans leur propre pays, et puis cancrelats et enfin sont<br />

transformés en «problème».<br />

Une autre raison encore plus inhumaine de la propagation rapide de la dérive<br />

génocidaire est, qu’on a forcé, arme à la main, plusieurs Hutu (aussi dans les<br />

propres familles) de tuer les Tutsi. Le blocage de tuer disparaît face à la menace<br />

contre sa propre vie, ainsi que la barrière de tuer <strong>un</strong>e fois de plus.<br />

…ou c’est la comm<strong>un</strong>auté internationale qui a échoué ?<br />

Comme nous venons de le voir, c’est <strong>un</strong>e partie de la population rwandaise, sous<br />

l’emprise de la haine de l’autre qui a massacré <strong>un</strong>e autre partie. Mais ce seul<br />

facteur ne nous suffit pas à comprendre <strong>un</strong>e telle ampleur du <strong>génocide</strong>. Il y a aussi<br />

l’inaction, l’indifférence de la comm<strong>un</strong>auté internationale qui y a largement<br />

contribué, comme on a vu dans le chapitre précédant.


- 59 -<br />

James Woods se demandait du point de vue des Etats-Unis, pourquoi le monde<br />

occidental n’intervenait pas, et ne se sentait pas responsable du <strong>génocide</strong>.<br />

« (…) and, secondly, a very legitimate question is: Whose<br />

responsibility? Is it in the modern-day world to deal with these<br />

kinds of problems? Why us? The argument that we're the<br />

greatest superpower; therefore, we're the world's policeman did<br />

not sell. » 83<br />

C’était peut-être la peur d’<strong>un</strong>e intervention qui a empêché la comm<strong>un</strong>auté<br />

internationale d’agir. La peur de perdre ses propres soldats, la peur de prendre la<br />

«fausse» décision. C’était le manque du mot « responsabilité » qui a contribué au<br />

non-agir. Ou bien le manque du sentiment, qu’il valait même la peine de sauver la<br />

vie d’<strong>un</strong>e population qui n’appartient pas à son propre pays, mais à notre monde. Il<br />

semble que ce sentiment d’<strong>un</strong>e comm<strong>un</strong>auté mondiale s’est perdu, effacé au profit<br />

des intérêts spécifiques des différents pays. Ainsi, le silence et l’inattention dans<br />

lesquels les massacres se sont développés, permettaient aux génocidaires d’agir<br />

et de continuer. Les génocidaires n’ont-ils pas accueilli chaleureusement les<br />

militaires français brandissant leurs machettes en l’air, couvertes de sang ! C’était<br />

le signal qui manquait, le signal qui aurait montré que le monde voyait ce qui se<br />

passait, qu’on n’était pas d’accord et qu’on en avait horreur. Ce signal ne venait<br />

pas, ni de la comm<strong>un</strong>auté internationale, ni de la population rwandaise qui s’est<br />

soumise à la haine.<br />

Qui est alors le bouc émissaire du <strong>génocide</strong> ? Est-se la France, qui n’a pas cessé<br />

de livrer des armes au FAR ? Est-se l’ONU qui n’est pas intervenue assez tôt ?<br />

Sont-ce les voisins, qui se sont perdus dans la haine. Ou bien n’est-ce la faute de<br />

personne, car <strong>un</strong>e expression comme « la responsabilité » ou « le sens de<br />

devoir » n’existe plus sur la base internationale ? Peut-être qu’on reste à la<br />

conclusion donnée par Roméo Dallaire que c’est la faute de tous, qu’il ne suffit pas<br />

de dire, qu’on a fait le mieux. Si on abandonne <strong>un</strong> pays de telle manière, le mieux<br />

n’est jamais atteint.<br />

83 Frontline interview avec James Woods


- 60 -<br />

« Wenn man bis zum Hals in Leichen steht, <strong>un</strong>d das meine ich<br />

wörtlich, wenn man also einmal ausgerutscht <strong>un</strong>d in einen Berg<br />

von Leichen gestürzt ist, dann kann man sich nicht hinstellen <strong>un</strong>d<br />

sagen: Ich habe mein Bestes gegeben. Das geht nicht. Wir<br />

haben es in ihren Augen gesehen, wir haben versagt. Ich habe<br />

es in ihren Augen gesehen, ich habe versagt. Sie haben damit<br />

gerechnet, dass wir ihnen helfen Frieden zu bringen. » 84<br />

84 Roméo Dallaire, exposé au Rwanda:<br />

http://www.3sat.de/3sat.php?http://www.3sat.de/kulturzeit/lesezeit/77558/index.html (23.12.2006)


- 61 -<br />

5. Situation d’aujourd’hui<br />

La situation au Rwanda s’est améliorée pendant tout ce temps entre 1994 et 2006.<br />

Non seulement la situation politique (nationale / relations internationales), mais<br />

aussi la situation ethnique et humanitaire a connu <strong>un</strong> changement important et<br />

effectif. Douze ans sont passés, douze ans d’<strong>un</strong> processus d’assimiler<br />

psychiquement ce qu’on a vécu, ce qu’on a fait, et surtout d’<strong>un</strong> processus de<br />

pardon au meurtrier. Le pays s’est retapé d’<strong>un</strong> niveau tout bas, à <strong>un</strong> niveau<br />

acceptable, même mieux qu’avant le <strong>génocide</strong>. Grâce à des institutions nationales<br />

de transition, le Rwanda s’est développé en <strong>un</strong> pays républicain, avec les<br />

premières élections pluralistes en 2003 et avec <strong>un</strong> nouveau record de croissance<br />

économique en 2002 de 9 %. 85<br />

Dans ce chapitre nous traitons la situation rwandaise d’aujourd’hui. L’objectif visé<br />

consiste à démontrer la rupture visible, le contraste effectif en comparaison avec la<br />

situation génocidaire en 1994. Le Rwanda mérite qu’on ne considère pas<br />

seulement son histoire brutale mais aussi son époque actuelle pacifique et<br />

remarquablement stable.<br />

85 Edouard Bizumuremyi, Interview du 25 septembre 2006


- 62 -<br />

5.1. Situation politique d’aujourd’hui<br />

La politique dans le pays du Rwanda s’est nettement améliorée depuis le<br />

<strong>génocide</strong>. Un gouvernement républicain s’est construit, ainsi que des institutions<br />

sociales. Même le drapeau et l’hymne national ont été changés le 31 décembre<br />

2002. « Conformément à la politique de l'actuel gouvernement, le nouvel hymne<br />

ne fait pas mention des composantes hutue, tutsie et twa » 86 . Ainsi la nouvelle<br />

devise rwandaise se présente : « <strong>un</strong>ité, travail, patriotisme ».<br />

Mais non seulement la politique nationale, aussi la politique internationale, plus<br />

précisément les relations internationales ont enduré des événements<br />

bouleversants. Les relations avec les pays concernés par le <strong>génocide</strong> en 1994<br />

sont différentes. Tandis qu’elles sont plutôt normales avec les Etats-Unis, la<br />

Belgique et l’ONU, il apparaissent actuellement des difficultés profondes entre la<br />

France et le Rwanda, ayant des origines dans les machinations françaises<br />

suspectes dans la page de l’histoire noire du Rwanda.<br />

5.1.1. Relations internationales d’aujourd’hui<br />

Généralement les relations rwandaises avec les autres pays impliqués au<br />

<strong>génocide</strong> sont sur <strong>un</strong> bon niveau. À l’instant, au mai 2006, le président des Etats-<br />

Unis, George W. Bush, a rencontré Paul Kagamé dans la Maison Blanche, avec<br />

des résultats de relations agréables et d’appréciations mutuelles. Ainsi avec la<br />

Belgique, les relations sont bonnes, grâce à l’aveu belge d’avoir <strong>un</strong>e culpabilité<br />

dans le cas du <strong>génocide</strong> rwandais.<br />

86 Déclaration de Désiré Nyandwi, ministre de l’administration locale et des affaires sociales,<br />

http://www.afrique-<br />

express.com/archive/CENTRALE/rwanda/rwandapol/242changementdrapeau.htm (08.01.2007)


La diplomatie détruite<br />

- 63 -<br />

Tout différemment se développent les relations entre la France et le Rwanda qui<br />

sont tendues comme jamais dans leur histoire. Récemment, le pays africain a<br />

décidé de rompre toutes les relations diplomatiques avec la France. A l’avenir, les<br />

ambassades de la Belgique et de l’Allemagne représenteront les intérêts français à<br />

la capitale rwandaise de Kigali. L’ambassadeur français a dû quitter le pays dans<br />

<strong>un</strong> délai de 24 heures ; ainsi l’ambassadeur rwandais était rappelé de Paris. 87 La<br />

rupture des relations est <strong>un</strong>e mesure exceptionnelle, la plus grave qui puisse être<br />

prise sur le plan diplomatique entre deux pays. Plus de 25000 habitants de Kigali<br />

ont protesté contre la politique française. Ils portaient des écriteaux avec des<br />

inscriptions comme : « La France <strong>–</strong> Génocidaire » ou bien, « Arrêtez de protéger<br />

les meurtriers ». 88 Dans plusieurs capitales du Monde, y compris en Suisse (à<br />

Genève), les mêmes manifestations se sont déroulées.<br />

La dissension entre les deux pays a ses racines dans le soutien français aux<br />

Forces Armées Rwandaises (FAR) du gouvernement qui a fait le <strong>génocide</strong>, et ceci<br />

avant et pendant le <strong>génocide</strong>.<br />

« Depuis des années, notre relation avec la France n'est pas<br />

bonne. Cela remonte à l'époque où le gouvernement français<br />

soutenait le gouvernement d'Habyarimana, responsable du<br />

<strong>génocide</strong>. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, Paris s'est<br />

mis à multiplier les obstructions. » 89<br />

Contrairement aux Etats-Unis, la Belgique et l’Onu, la France ne s’est jamais<br />

excusée et n’a jamais montré <strong>un</strong> aveu de responsabilité dans le <strong>génocide</strong> envers<br />

la société rwandaise. Cela contribue encore à plus de décalage entre les deux<br />

pays. Pour le gouvernement rwandais le fait est clair que la France est coupable<br />

87 Leugnen <strong>un</strong>d vertuschen (01.12.2006)<br />

88 Ibid<br />

89 Paul Kagamé, Interview avec le Figaro, « les rwandais veulent des excuses de Paris »<br />

16. décembre 2006<br />

http://www.lefigaro.fr/international/20061216.FIG000000702_paul_kagame_les_rwandais_veulent_<br />

des_excuses_de_paris.html (27.12.2006)


- 64 -<br />

du <strong>génocide</strong>, en ayant supporté le parti génocidaire FAR.<br />

La France au contraire ne démorde pas de son opinion, qu’elle était la première, et<br />

longtemps la seule nation, qui avait envoyé <strong>un</strong>e action humanitaire (« opération<br />

turquoise ») au Rwanda (contradictions là-dessus voir : « 2.1.3. La France se<br />

défend »).<br />

La question se pose, si <strong>un</strong>e excuse suffirait pour fermer le fossé profond entre le<br />

Rwanda et la France. C’est en tout cas l’avis de l’actuel Président du Rwanda,<br />

Paul Kagamé :<br />

« (…) Paris s'est refusé à cette approche : les responsables de<br />

grands pays, le premier ministre belge, le président américain...,<br />

sont venus ici et ont admis leurs responsabilités - qui n'ont rien à<br />

voir avec celles de Paris. Ils se sont excusés. La France n'a<br />

jamais eu le moindre mot. Les Français sont les plus impliqués<br />

et... rien, pas <strong>un</strong> mot. Alors que de simples excuses, montrant<br />

que l'on a été touché par ce qui s'est passé ici, feraient <strong>un</strong>e<br />

grosse différence. Ne pas être capable de faire cela quand on<br />

est impliqué à ce point ne fait que tout empirer. C'est à la France<br />

de réfléchir. C'est à elle de décider. Si <strong>un</strong> officiel français venait à<br />

Kigali pour présenter ses excuses aux Rwandais, cela ferait <strong>un</strong>e<br />

énorme différence. C'est ce qu'attendent les Rwandais. » 90<br />

La fermeture de l'ambassade de France au Rwanda ne doit pas être vue comme<br />

<strong>un</strong> acte soudain. Cela fait douze ans que ces relations ne fonctionnent pas.<br />

Pourtant, selon Kagamé, <strong>un</strong> simple aveu de la part de la France suffirait, pour<br />

approcher les deux pays et pour maintenir des relations acceptables et modestes.<br />

Le « cas Bruguière »<br />

Le juge français Jean-Louis Bruguière est chargé depuis 1998 d’<strong>un</strong>e instruction sur<br />

l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana du 6 avril 1994.<br />

Dans son ordonnance du 17 novembre 2006, le juge antiterroriste a livré le résultat<br />

de ses investigations. Paul Kagamé, actuel président du Rwanda et ancien chef du<br />

FPR, serait l’instigateur de cet attentat.<br />

90 Ibid


- 65 -<br />

« Le général [Paul Kagamé] avait délibérément opté pour <strong>un</strong><br />

modus operandi qui, dans le contexte particulièrement tendu du<br />

Rwanda (...) ne pouvait qu'entraîner en réaction des représailles<br />

sanglantes. » 91<br />

Cette accusation contre Paul Kagamé a suscité <strong>un</strong>e vague d’indignation non<br />

seulement au Rwanda, mais encore au monde entier. Dès l’année 2004, l’essentiel<br />

de l’instruction était publié dans la presse. Depuis ce temps-là, le résultat était<br />

attendu et souhaité par de nombreux partis rwandais.<br />

Ce qu’on reproche au juge, c’est qu’il a travaillé d’<strong>un</strong>e manière partiale, en<br />

interrogeant les partis, qui se déclarent en faveur du côté d’Habyarimana, et ainsi<br />

de la France. D’anciens responsables des FAR, dont plusieurs sont aujourd’hui<br />

accusés devant le Trib<strong>un</strong>al pénal international d’Arusha (TPIR), sont passés aux<br />

aveux contre Paul Kagamé. Ces accusations d’anciens membres des FAR contre<br />

le FPR ont été examinées en 1998 par la mission parlementaire d’information<br />

constituée à Paris qui les ont considérées comme « tentative de<br />

désinformation ». 92<br />

Bruguière admet d’avoir prouvé l'éventualité d'<strong>un</strong> attentat réalisé par le FAR :<br />

« S'agissant des FAR il a pu être établi qu'elles étaient mal<br />

équipées et peu entraînées (...) qu'au surplus, elles ne<br />

disposaient que de faibles moyens antiaériens et n'avaient pas<br />

de missiles. » 93<br />

Ce qui est déterminé, c’est que l’attentat était opéré au moyen de missiles Sam 16.<br />

Mais la contradiction envers l’affirmation du juge Bruguière vient étonnamment du<br />

côté des FAR. Le colonel Théoneste Bagosora, accusé d’avoir été le cerveau du<br />

<strong>génocide</strong> et ancien commandant du bataillon antiaérien à Kigali, a admis que les<br />

91 Affirmation de Jean-Louis Bruguière, le Figaro, « Enquête sur la mission du juge Bruguière, par<br />

Patrick de Saint-Exupéry » (05.01.2006)<br />

92 Le Figaro, « Enquête sur la mission du juge Bruguière, par Patrick de Saint-Exupéry »<br />

(05.01.2006)<br />

93 Ibid


- 66 -<br />

autorités rwandaises de l’époque avaient acheté des missiles Sam 16.<br />

Les FAR auraient bien eu des intentions de tuer Habyarimana. Ils n’étaient pas du<br />

tout contents de la bonne volonté du président, de négocier avec le FPR et surtout<br />

d’avoir signé les accords d’Arusha qui attribuaient aux officiers du FPR des postes<br />

de commandements importants. Ils craignaient la perte du pouvoir et <strong>un</strong>e attaque<br />

ou mutinerie des éléments du FPR <strong>un</strong>e fois installés au pouvoir aux côtés des<br />

forces gouvernementales d’autant plus que les forces du FPR avaient prouvé être<br />

plus fortes militairement que les FAR. De tuer Habyarimana et de jeter la<br />

culpabilité sur le FPR pourrait être envisagé comme issue <strong>un</strong>ique de la menace<br />

par les rebelles. Une mobilisation de la population Hutu pour commencer des<br />

massacres contre les Tutsi «coupables du meurtre d’Habyarimana» pouvait alors<br />

réussir.<br />

Le juge Bruguière travaille sur <strong>un</strong>e base fragile, contradictoire et incomplète. La<br />

plupart des témoins étaient des supporteurs d’Habyarimana, d’autres livrent des<br />

témoinages contradictoires, encore d’autres s’appuient sur des faits inexistants et<br />

inventés. Le reproche le plus formulé est : « de ne pas avoir testé la crédibilité des<br />

témoins comme il est d'usage tant devant les trib<strong>un</strong>aux d'instruction que de<br />

jugement. » 94 De construire <strong>un</strong>e accusation sur <strong>un</strong>e telle base, suscite des doutes<br />

graves envers le juge Bruguière et son impartialité.<br />

Le « cas Bruguière » a fait que le tonneau de la diplomatie France-Rwanda a<br />

débordé. Les tensions de plusieurs années atteignent le comble par l’accusation<br />

de Paul Kagamé.<br />

« Qu’<strong>un</strong> juge étranger puisse émettre des actes d’accusation<br />

contre des personnalités officielles d’<strong>un</strong> Etat souverain pour des<br />

crimes prétendument commis sur le sol de cet Etat souverain<br />

est parfaitement absurde. » 95<br />

94 Dr Jean-Damascène Bizimana, Docteur en droit de l'Université de Toulouse, « Le rapport du juge<br />

BRUGUIERE : <strong>un</strong>e moquerie de l'éthique et du droit »<br />

95 Comm<strong>un</strong>iqué du Gouvernement du Rwanda sur l'affaire Bruguière, reçu de l’ambassade de<br />

Rwanda à Genève.


- 67 -<br />

La justification de l’accusation contre Kagamé est fortement contestée par l’état du<br />

Rwanda. Ainsi en résultent les ruptures diplomatiques avec la France. Pour le<br />

gouvernement rwandais, le cas est clair : la France soutient le juge Bruguière<br />

« pour couvrir sa propre culpabilité ». 96 Sans <strong>un</strong> pas en avant d’<strong>un</strong> de ces pays, le<br />

rapprochement diplomatique ne sera jamais obtenu.<br />

96 Paul Kagamé, Interview avec le Figaro, « les rwandais veulent des excuses de Paris »<br />

16. décembre 2006


- 68 -<br />

5.1.2. Développement de la politique nationale<br />

Tenter d’analyser la situation d’aujourd’hui dans le Rwanda ne se manifeste ni<br />

facile, ni clair. Les informations sont souvent cachées derrière la surface, derrière<br />

le rideau de la politique rwandaise, dont on ne sait même pas, si elle a <strong>un</strong>e veste<br />

blanche ou sale. On peut aussi bien être optimiste en ce qui concerne l’avenir du<br />

Rwanda que pessimiste. Ce qu’on peut faire s’est faire confiance aux informations<br />

reçues, faire confiance à <strong>un</strong> gouvernement qui a quand même pu arrêter le<br />

<strong>génocide</strong> et les massacres incessants. Ce qu’on peut faire, c’est de regarder<br />

l’histoire du gouvernement d’aujourd’hui, l’histoire et comment elle est reflétée<br />

dans l’actualité.<br />

Période de transition<br />

Après le <strong>génocide</strong>, le Rwanda était <strong>un</strong> pays désert, blessé, meurtri, anéanti. De<br />

ses sept millions d’habitants avant le <strong>génocide</strong>, trois quarts étaient morts, déplacés<br />

ou avaient pris la fuite. La plupart de ceux qui restaient avaient souffert<br />

énormément, soit d’avoir été blessé, soit d’avoir tué. Beaucoup de femmes étaient<br />

violées et ainsi infectées du SIDA. Une nation entière était non seulement<br />

brutalisée mais encore traumatisée. Ils étaient, dans leurs propres mots, « the<br />

walking dead » 97 .<br />

Le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant avait baissé de 50%, jusqu’à 95 $ 98 .<br />

L’inflation se trouvait à 40% 99 , plus que 70% vivaient dans la pauvreté absolue. 100<br />

« Au niveau socio-économique, le pays n’avait plus de vie.<br />

97 The facts behind the massacres, http://www.cwnews.com/news/viewstory.cfm?recnum=20654<br />

(07.01.2007)<br />

98 World Bank, “Rwanda: Co<strong>un</strong>try Assistance Strategy<strong>–</strong> Progress Report,” J<strong>un</strong>e 1999.<br />

99 Millwood, Studies 1-4 (Joint Evaluation of Emergency Assistance to Rwanda,<br />

March 1996), Study 4, 36<br />

100 World Bank, “Rwanda: Co<strong>un</strong>try Assistance Strategy;” International Monetary F<strong>un</strong>d,<br />

Rwanda: Enhanced Structural Adjustment Facility Economic and Financial Policy<br />

Framework Paper for 1998/99 2000/2001


- 69 -<br />

D’abord il était presque vide à la fin du <strong>génocide</strong>. Avec plus d’<strong>un</strong><br />

million de morts et plusieurs millions de réfugiés dans les pays<br />

voisins, les forces vives du pays étaient inexistantes. Même<br />

ceux qui restaient dans le pays ne travaillaient pas mais vivaient<br />

de l’aide humanitaire. Intellectuels, cadres, techniciens étaient<br />

morts ou réfugiés. Le pays était littéralement anéanti. » 101<br />

Ça, c’était le contexte, dans lequel le parti du FPR construisit le « Gouvernement<br />

d’<strong>un</strong>ion nationale », ensemble avec sept autres partis pour la période de transition.<br />

Le devoir de ce gouvernement était énorme : Un nouvel appareil de gouvernement<br />

était à former, le comportement social était à réparer, le pays était sans auc<strong>un</strong>e<br />

réserve, les infrastructures étaient à reconstruire, ainsi que toute l’économie qui se<br />

trouvait au niveau le plus bas possible. Toute la vie du pays était arrêtée. Un<br />

système judiciaire devait être mis en place pour garantir la nouvelle justice dans le<br />

pays. Les cadavres traînaient partout et devaient être enterrés. Et finalement, il<br />

fallait de l’aide physique et psychique pour les milliers de victimes rwandais.<br />

« Rwandans have been through a national nightmare that<br />

almost defies comprehension. There is a post-genocide society<br />

that has also experienced civil war, massive refugee<br />

displacement, a ruthless [post-genocide] insurgency...deep<br />

physical and psychological scars that are likely to linger for<br />

decades... and economic ruin so extensive that it is now one of<br />

the two least- developed co<strong>un</strong>tries in the world. » 102<br />

Dès les premiers mois après le <strong>génocide</strong>, il y avait <strong>un</strong>e migration énorme de<br />

Rwandais, qui retournaient dans leur pays. Les quatre premiers mois après le<br />

<strong>génocide</strong> on comptait environ 750'000 émigrants. 103 Même ceux qui étaient déjà<br />

émigrés avant la guerre, retournaient pour joindre les membres de familles<br />

touchés par les massacres. Cette diversité d’immigrants avait <strong>un</strong>e répercussion<br />

positive pour le développement du pays, car avec les gens venant de différents<br />

pays, ils venaient aussi avec des talents, capacités et relations diverses. 104<br />

101 Edouard Bizumuremyi, Doctorant en Science Politique, Université de Genève,<br />

Interview du 25 septembre 2006<br />

102 U.S. Committee for Refugees, “Life After Death,” 4,41-42.<br />

103 Pr<strong>un</strong>ier, 325; Millwood, Study 4, 16.<br />

104 Rwanda, the preventable genocide, Chapter 17: After the genocide


- 70 -<br />

Le gouvernement se composait d’<strong>un</strong>e grand part de membres du FPR, qui<br />

n’avaient jamais été au Rwanda d’avant le <strong>génocide</strong>, surtout ceux qui avaient vécu<br />

en Ouganda. Beaucoup d’intellectuels et de professionnels étaient morts, en exil<br />

ou avaient supporté le parti génocidaire.<br />

Le Pasteur Bizim<strong>un</strong>gu, <strong>un</strong> Hutu modéré, membre du FPR pendant la guerre dès<br />

les années 1990 prenait la fonction de président dans ses mains. Vice-président<br />

était Paul Kagamé ancien leader du FPR pendant le <strong>génocide</strong>, Tutsi et homme<br />

puissant dans le gouvernement.<br />

Le nouveau gouvernement insistait que les accords d’Arusha de 1993 doivent<br />

toujours être respectés et qu’<strong>un</strong> partage du pouvoir soit garanti. Toutefois ce qu’on<br />

partageait était l’apparence d’avoir du pouvoir, le vrai pouvoir était dans les mains<br />

des Tutsi. L’homme le plus puissant depuis juillet 1994 était le vice-président et<br />

ministre de la défense Paul Kagamé. 105 Les preuves du déséquilibre favorable aux<br />

Tutsi étaient visibles dans l’administration (considérant la minorité d’alors des<br />

Tutsi, due aux massacres) : 16 de 19 secrétaires permanents et 80% des maires<br />

étaient des Tutsi. 95% des professeurs à l’<strong>un</strong>iversité nationale à Butare ainsi que<br />

80% de leurs étudiants étaient des Tutsi. Les commandants de la police et de<br />

l’armée entière consistaient de Tutsi. 90% des juges du département de la justice<br />

étaient des Tutsi. 106<br />

Les tensions sociales restaient existantes. Personne ne faisait plus confiance à<br />

l’autre, le gouvernement craignait les citoyens, les citoyens craignaient le<br />

gouvernement. Bien qu’on affirme, que l’ethnie ne jouait plus auc<strong>un</strong> rôle, la peur<br />

restait et la chance d’<strong>un</strong>e cohabitation pacifique des deux ethnies semblait petite.<br />

Les critiques étaient programmées. Le Rwanda après le <strong>génocide</strong> avait l’air<br />

remarquablement similaire avaient Rwanda avant et pendant le <strong>génocide</strong>, avec<br />

l’exception que les deux ethnies ont changé de place. La pression et la<br />

105 Pr<strong>un</strong>ier 330; Timothy Longman, “State, Civil Society and Genocide in Rwanda,” in<br />

Ethnicity, Conflict and Insecurity<br />

106 Pr<strong>un</strong>ier 329


- 71 -<br />

surveillance de la part de la comm<strong>un</strong>auté internationale étaient ainsi garanties.<br />

Mais la volonté de réparation et la honte de n’avoir rien fait contre le <strong>génocide</strong> se<br />

manifestaient également, par des promesses d’argent et d’aide au développement<br />

dont, finalement, seulement environ <strong>un</strong> tiers était distribué. 107 Bien que l’aide de la<br />

comm<strong>un</strong>auté internationale soit en train de se diffuser au Rwanda, le<br />

déboursement de l’argent et l’aide étaient mis en pratique lentement et peu.<br />

Boutros-Ghali comprenait l’effet qui se déroulait au Rwanda:<br />

“It is fully recognized how difficult it is for the government to<br />

<strong>un</strong>dertake nation-building activities when it suffers from a<br />

severe lack of basic resources, including cash reserves. While<br />

the international comm<strong>un</strong>ity is calling on it to <strong>un</strong>dertake such<br />

activities, the government is becoming increasingly frustrated<br />

with the international comm<strong>un</strong>ity's slow pace in providing the<br />

resources necessary for it to do so.” 108<br />

L’ambiance générale était stagnante. La période de transition était prévue pour 22<br />

mois, mais le gouvernement rwandais la prolongeait de neuf ans jusqu’en 2003.<br />

Pendant cette période, beaucoup de Hutu étaient tués, soit par vengeance, soit<br />

par haine. M. Faustin Twagiram<strong>un</strong>gu, premier ministre du Rwanda de juillet 1994<br />

jusqu’en août 1995, a jugé dans <strong>un</strong>e audition du 12 mai 1998 que de 1994 à 1998,<br />

les crimes n’ont jamais cessé et se sont étendus aux camps de réfugiés. Il insistait<br />

également sur le fait que le FPR avait massacré sans doute plus de 200'000<br />

réfugiés, justifié par l’interprétation selon laquelle tous ces réfugiés étaient des<br />

criminels et des Interahamwe. 109 Il faut qu’on tienne en compte, que la population<br />

rwandaise fût menacée par les Hutu extrémistes dans les camps de réfugiés, et<br />

que le monde de nouveau ne soit pas intervenu au conflit.<br />

Toutefois cette thèse du nombre de morts très élevé n’est pas prouvée du tout.<br />

107 Millwood, Study 4, 58<br />

108 Secretary-General, “Report of the Secretary-General outlining three options for a possible<br />

peace-keeping operation to enhance security in camps for Rwandan refugees,” 18. Nov. 1994,<br />

S/1994/1308.<br />

109 Audition de M. Faustin Twagiram<strong>un</strong>gu, séance du 12 mai 1998,<br />

http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/auditi02.asp#TWAGIRAMUNGU (08.01.2007)


- 72 -<br />

« A mon avis, cela relève de la thèse du double <strong>génocide</strong>, thèse<br />

tenue immédiatement après le <strong>génocide</strong>. […] depuis novembre<br />

1994 déjà, Mitterrand parlait des <strong>génocide</strong>s au sommet francoafricain<br />

tenu à Biarritz. Tous les acteurs français n'ont cessé<br />

d'utiliser le pluriel en parlant du <strong>génocide</strong>, <strong>un</strong> peu pour montrer<br />

que même si la France avait soutenu <strong>un</strong> régime génocidaire,<br />

c'est du pareil au même car le régime au pouvoir n'est pas mieux.<br />

Cette thèse du double <strong>génocide</strong> a poussé les acteurs diversifiés à<br />

chercher les chiffres.<br />

Ce qui est en effet correct, c’est l’affirmation qu’il y a eu des morts qui sont tombés<br />

sous les balles pendant la bataille à l’Est du Congo et le démantèlement des<br />

camps de réfugiés (qui étaient basés non loin de la frontière rwandaise), ainsi que<br />

des morts de faim et de choléra dans la forêt vierge du Congo en fuyant les<br />

combats. 110<br />

Déficit de liberté<br />

Comme déjà vu précédemment, les médias jouaient <strong>un</strong> grand rôle dans l’appel<br />

aux massacres. Par la RTLM, on motivait les Hutu à tuer et massacrer les<br />

cancrelats Tutsi.<br />

Entre-temps, les médias se sont développés en termes de densité et de travail<br />

critique sur les informations, et ils ne portent plus le même nom. Mais tout de<br />

même, il y a encore beaucoup à faire pour atteindre la liberté de presse<br />

proprement dite. Pendant la période de transition, la radio et la télévision<br />

demeurent le monopole de l’état. Jusqu’à aujourd’hui, l’état de liberté de presse<br />

reste branlant. C’est comme si on avait oublié de tirer la leçon des années avant et<br />

pendant 1994. Les médias publics restent largement fermés aux opinions<br />

contradictoires. De plus, les mesures consistant à faire payer au plus fort les<br />

tranches de diffusion limitent les émissions d’associations de la société civile.<br />

Le gouvernement de Paul Kagamé s’explique ainsi, qu’on ne veut pas voir<br />

apparaître <strong>un</strong> nouveau « monstre » comme la tristement célèbre RTLM. Une seule<br />

110 Tiré des informations reçues de la mission permanente de Rwanda à Genève.


- 73 -<br />

publication indépendante d’envergure nationale existe, et c’est « Umuseso », qui<br />

est régulièrement attaqué et persécuté. 111 Ainsi il y avait toujours de nouveau des<br />

fuites et des arrestations des journalistes de l’Umuseso.<br />

Bien que le gouvernement prétende officiellement faire des efforts pour garantir la<br />

liberté de presse, il y a des doutes en ce qui concerne la garantie de la mise en<br />

œuvre de cette dernière.<br />

Vision 2020<br />

Malgré tout, l’échec politique de la période de transition reste sporadique. On peut<br />

aussi enregistrer des succès. Pour la plupart, la population assimile le <strong>génocide</strong><br />

d’<strong>un</strong>e autre manière que par la vengeance. Elle, « …petit à petit, voit que les<br />

divisions <strong>ethniques</strong> sont artificielles dans <strong>un</strong>e société qui partage l’histoire, la<br />

même langue (kinyarwanda), le même territoire… » 112 Peu à peu, avec les<br />

années, la considération de tout <strong>un</strong> chac<strong>un</strong>, Hutu et Tutsi, en tant que citoyens, et<br />

non en tant qu’ethnies, met fin au déséquilibre ethnique et à la haine ethnique, fruit<br />

de la division entre les deux ethnies depuis les années 1920.<br />

Pas mal de buts de la période de transition ont quand même pu être réalisés<br />

aujourd’hui. Un point important qui est atteint est que les gens se sont remis à<br />

travailler et à produire. Un nouveau record de croissance économique pouvait<br />

même être obtenu en 2002. Cela est dû à la bonne collaboration aux lieux de<br />

travail entre la population. La collaboration et la compréhension aujourd’hui entre<br />

Hutu et Tutsi y contribuent beaucoup. 113<br />

Une décision importante, la « vision 2020 » a été prise par le gouvernement en<br />

1999. Cette vision est construite sur six piliers à atteindre:<br />

111 Reporters sans frontières, Rwanda <strong>–</strong> rapport annuel 2005,<br />

http://www.rsf.org/article.php3?id_article=13335 (14.01.07)<br />

112 Edouard Bizumuremyi, Interview du 25 septembre 2006<br />

113 Ibid


- 74 -<br />

1. Reconstruction of the nation and its social capital anchored on good<br />

governance, <strong>un</strong>derpinned by a capable state;<br />

2. Transformation of agriculture into a productive, high value, market oriented<br />

sector, with forward linkages to other sectors;<br />

3. Development of an efficient private sector spearheaded by competitiveness<br />

and entrepreneurship;<br />

4. Comprehensive human resources development, encompassing education,<br />

health, and ICT skills aimed at public sector, private sector and civil society.<br />

To be integrated with demographic, health and gender issues;<br />

5. Infrastructural development, entailing improved transport links, energy and<br />

water supplies and ICT networks;<br />

6. Promotion of regional economic integration and cooperation. 114<br />

La « vision 2020 » cherche à transformer le Rwanda en <strong>un</strong> pays d’<strong>un</strong> revenu<br />

moyen en 2020. Ça veut dire atteindre <strong>un</strong> revenu annuel d’US $ 900 par habitant<br />

(US $ 220 en 2000), <strong>un</strong> taux de pauvreté de 30% (64% en 2000) et <strong>un</strong>e espérance<br />

de vie de 55 ans (49 en 2000). 115<br />

C’est <strong>un</strong> grand pas, que le pays doit réaliser. Et il ne manque pas d’innovation en<br />

ce qui concerne la mise en action. Le moyen principal de l’effectuer se présente<br />

dans le plan stratégique de réduction de la pauvreté. Ce plan de quatre ans doit<br />

être évalué et mis en jour chaque année. Y compris sont les objectifs et actions de<br />

chaque ministère (santé, éducation, commerce etc.) et chaque ministère doit<br />

montrer comment son secteur contribue à réduire la pauvreté.<br />

À part des différents ministères, les quatre régions du Rwanda et la ville de Kigali,<br />

dirigés par <strong>un</strong> gouverneur, contribuent à la réalisation. Chaque région est divisée<br />

en districts, dirigées par <strong>un</strong> maire. Chaque année, les maires et le gouverneur<br />

114 Rwanda Vision 2020, Ministry of finance and economic planning, July 2000.<br />

http://www.moh.gov.rw/docs/VISION2020.doc (06.01.2007)<br />

115 Ibid


- 75 -<br />

signent <strong>un</strong> contrat de Performance avec le président de la république et doivent<br />

montrer comment ils ont atteint les objectifs et actions fixés il y a <strong>un</strong>e année dans<br />

ce contrat. Cette collaboration avec les districts et les régions (qu’on pense à<br />

éliminer en 2007) mène à <strong>un</strong>e efficacité beaucoup plus grande, la proximité de<br />

l’administration aux administrés est ainsi garantie. Ça contribue aussi à<br />

l’administration autonome des régions et des districts. Ce n’est plus l’état qui gère<br />

leurs ressources, leur budget et le paiement du personnel, mais les régions. Ainsi,<br />

les maires sont élus par la population et ne sont plus nommés par le<br />

gouvernement. La population est proche à l’administration du pays, et est capable<br />

de s’engager directement.<br />

Bien que le Rwanda soit encore loin de l’objectif, l’optimisme dans le<br />

gouvernement et surtout dans la population rwandaise est assez grand, pour qu’on<br />

puisse y croire. « Cet engagement politique n'est pas <strong>un</strong> rêve pour les rwandais<br />

mais se traduira en résultats en 2020; mais en réalité les Rwandais, eux, croient<br />

se développer bien avant 2020. » 116 Bien que le but ne soit pas encore atteint, <strong>un</strong>e<br />

telle vision et <strong>un</strong>e telle direction montrent la volonté du Rwanda, d’arriver à <strong>un</strong> état<br />

solide. Cette planification est le reflet de l'engagement politique de réussir à<br />

reconstruire le Rwanda à tous les plans (Rwanda en tant que nation, économie et<br />

société d'égalité).<br />

« VISION 2020 represents an ambitious plan to raise the people<br />

of Rwanda out of poverty and transform the co<strong>un</strong>try into a<br />

middle-income economy. Some will say that this is too<br />

ambitious and that we are not being realistic when we set this<br />

goal. Others say that it is a dream. But, what choice does<br />

Rwanda have? To remain in the current situation is simply<br />

<strong>un</strong>acceptable for the Rwandan people. Therefore, there is a<br />

need to devise and implement policies as well as mobilize<br />

resources to bring about the necessary transformation to<br />

achieve the Vision » 117<br />

116 Edouard Bizumuremyi, E-mail du 08.01.07<br />

117 Ibid


Nouveau commencement<br />

- 76 -<br />

Les élections pluralistes contribuent beaucoup à <strong>un</strong> état solide. Les élections<br />

présidentielles en août 2003 et législatives en octobre 2003 au Rwanda étaient les<br />

premières élections pluralistes et paisibles depuis l’indépendance en 1962.<br />

Jusqu’à ce temps-là, le pays a été dominé par <strong>un</strong> seul parti, avec toujours <strong>un</strong> seul<br />

candidat à la présidence, avec des lois votées par les députés d’<strong>un</strong> seul parti.<br />

Un nouveau commencement a donc été lancé en 2003. Non seulement les<br />

élections y ont réussi, mais encore la nouvelle constitution a été approuvée par<br />

référendum et instituée le 26 mai 2003. Ils en résultent les efforts dans la lutte<br />

contre toute division ethnique. Il y est consigné que le peuple rwandais est « résolu<br />

à combattre l'idéologie du <strong>génocide</strong> et toutes ses manifestations ainsi qu’à<br />

éradiquer les divisions <strong>ethniques</strong> et régionales et toute autre forme de division » 118 ,<br />

et que « tous les citoyens ont <strong>un</strong> droit égal d'accéder aux fonctions publiques de<br />

leur pays, compte tenu de leurs compétences et capacités. » 119 Tout ça n’était pas<br />

garanti dans les régimes précédents. L’ancien régime avait instauré ce qu’on avait<br />

appelé curieusement l’équilibre ethnique et régional. Ça voulait dire, que les Tutsi<br />

pouvaient avoir <strong>un</strong>e présence de 14% dans les fonctions publiques, l’école<br />

secondaire, et l’<strong>un</strong>iversité et dans l’administration. L’exclusion totale des Tutsi se<br />

pratiquant à l’armée, la diplomatie et d’autres domaines politiques.<br />

Cette stratégie d’exclusion se retrouvait, rappelons-le, dans les « dix<br />

commandements des Bahutu »:<br />

« Les postes stratégiques tant politiques, administratifs,<br />

économiques, militaires et de sécurité doivent être confiés aux<br />

Bahutu. »<br />

« Les Forces armées rwandaises doivent être exclusivement<br />

Hutu. L’expérience de la guerre d’octobre 1990 nous l’enseigne.<br />

Auc<strong>un</strong> militaire ne doit épouser <strong>un</strong>e Mututsikazi. » 120<br />

118 Paragraphe 2 du préambule de la Constitution rwandais<br />

119 Article 45 de la Constitution rwandais<br />

120 Les 10 documents du Muhutu, http://rwanda.free.fr/docs1_j.htm (06.01.2007)


- 77 -<br />

Tout ceci n’attisait que le sentiment de différences, de discrimination et<br />

d’exclusion. On ne regardait pas les Tutsi comme êtres humains, mais comme<br />

Inyenzi, cancrelats en Kinyarwanda. L’abrogation de ces commandements a<br />

contribué beaucoup à l’égalité des ethnies aujourd’hui. Actuellement, on retrouve<br />

Hutu et Tutsi dans les affaires du pays, dans l’armée, dans la diplomatie sans<br />

auc<strong>un</strong>e distinction.<br />

A part des ethnies, l’égalité entre l’homme et la femme est aussi importante et<br />

aussi couronnée de succès. Le Rwanda s’efforce de faire participer la femme dans<br />

la création de richesses du pays, en leur facilitant l’accès à la micro finance, par<br />

exemple. De plus, le Rwanda est le premier pays au monde à avoir plus de 48%<br />

de femmes au parlement. Ils participent dans la prise de décision au niveau de la<br />

province et du district. L’idéologie affirmée du pouvoir actuelle est que le « gender<br />

mainstreaming » dans <strong>un</strong> Etat contribuera beaucoup à cultiver la culture de paix et<br />

tolérance pour les prochaines générations dans la perspective de construire <strong>un</strong>e<br />

nation.<br />

Actuellement les efforts sont continuellement consentis pour mettre en œuvre tous<br />

ces principes, dans la pratique, dans la vie courante.<br />

On peut parler alors d’espoir, on peut parler de la possibilité que le pays du<br />

Rwanda atteigne son but, d’arriver à <strong>un</strong> état stable, et équilibré. Bien que ce ne<br />

soit peut-être pas en 2020 qu’on y arrive, les efforts sont présents, et se montrent<br />

déjà dans le processus de développement depuis 1994 jusqu’à aujourd’hui. Il y<br />

aura toujours les points critiques, qu’il faudrait encore améliorer, il y aura toujours<br />

aussi des reproches contre l’état du Rwanda (voir la liberté de presse). Mais il ne<br />

faut pas oublier la toile de fond brutale et blessante, qui marquera ses traces<br />

encore longtemps dans la vie courante du Rwanda. On arrive vite à l’avis que le<br />

<strong>génocide</strong> au Rwanda serait déjà <strong>un</strong>e histoire ancienne qui devrait être rangé dans<br />

les livres d’histoire et qu’il est temps de l’oublier et avancer vers <strong>un</strong> avenir brillant.<br />

Jamais, les massacres ne peuvent être oubliés, jamais on arrive à regarder<br />

seulement vers l’avenir. Compte tenu de ce fait, le Rwanda se trouve sur <strong>un</strong>e<br />

bonne piste de savoir s’y prendre avec son histoire ainsi qu’avec son avenir.


- 78 -<br />

La situation de l’aide humanitaire aujourd’hui<br />

5.1.3. Aide humanitaire nécessaire<br />

Le projet de Margrit Fuchs<br />

Madame Margrit Fuchs a remarqué les plus grands problèmes actuels au<br />

Rwanda : L’analphabétisme et le besoin de place pour des écoles. Madame Fuchs<br />

vient de Windisch et travaille depuis 36 ans au Rwanda. Elle s’occupe surtout des<br />

enfants de rue et des orphelins à Gitarama. Elle a abandonné sa vie sûre pour<br />

s’occuper des gens les plus pauvres, désemparés et faibles de la société. Le<br />

Rwanda est <strong>un</strong> des plus pauvres pays du monde et depuis le <strong>génocide</strong> la misère<br />

est énorme. Jamais tant d’enfants n’ont souffert d’<strong>un</strong>e guerre. Il est important pour<br />

le développement d’<strong>un</strong> enfant, s’il grandit dans la guerre ou dans la paix.<br />

Le massacre au Rwanda coûtait la vie à 300'000 enfants et je<strong>un</strong>es. Cent milles<br />

enfants devenaient des orphelins. Au Rwanda il y a pour la première fois dans<br />

l’histoire des enfants devant le trib<strong>un</strong>al. Des milliers, qui sont accusés d’avoir<br />

participé au <strong>génocide</strong>, ont passé les derniers sept à neuf ans dans les prisons<br />

bondées. Beaucoup d’enfants ont passé leur je<strong>un</strong>esse à la prison.<br />

Madame Fuchs fait parler son cœur depuis des années avec ses projets pour les<br />

orphelins et les enfants de rue. Toute cette force énorme, elle peut la tirer des<br />

enfants :<br />

« Es ist ein w<strong>un</strong>derbares Gefühl zu sehen, wie sich die Kinder<br />

in Ruanda über ein Stück Brot freuen können. In der Schweiz<br />

gehört alles zur Selbstverständlichkeit. Das dankbare Lächeln,<br />

welches die Kinder entgegenbringen, gibt Kraft. » 121<br />

Très connue est l’organisation des dons du journal « Aargauer Zeit<strong>un</strong>g (AZ) » de<br />

Madame Fuchs. Les donateurs peuvent acheter des vaches et des chèvres. Tous<br />

les dons sont complètement pour les pauvres, car il ne faut pas payer <strong>un</strong> bureau<br />

d’administration. Madame Fuchs décide personnellement de tous les<br />

investissements et dépenses.<br />

121 Conversation téléphonique avec Madame Margrit Fuchs du 13.11.2006


- 79 -<br />

Avec cet argent on a pu installer presque 800 orphelines dans des familles et on a<br />

permis aux parents adoptifs de recevoir des bons pour les denrées alimentaires.<br />

Dans les années passées Madame Fuchs a construit beaucoup de bâtiments : <strong>un</strong>e<br />

maison pour le personnel, des maisons pour les orphelins, <strong>un</strong>e cantine pour les<br />

remises gratuites des repas, des écoles, <strong>un</strong> jardin d’enfants et <strong>un</strong>e école pour la<br />

formation continue.<br />

Aujourd’hui, l’aide humanitaire alimentaire est terminée. Le Rwanda est passé de<br />

la phase humanitaire d’urgence à la phase de développement. Le but est de<br />

travailler et produire de façon indépendante pour atteindre l’autosuffisance<br />

alimentaire. Dès la transition à cette phase, les nombreuses vallées rwandaises<br />

produisent beaucoup de riz et d’autres produits alimentaires. Ainsi, on a l’intention<br />

d’exporter, après qu’on a dépassé l’autosuffisance pour relancer l’économie d’<strong>un</strong>e<br />

nouvelle manière et pour lui donner de la nouvelle vie.<br />

Ce dont le Rwanda jouit encore aujourd’hui, c’est l’aide publique au<br />

développement (APD) qui livre la grande partie du budget du gouvernement. C’est<br />

de l’aide qui vient surtout des pays qui ont des relations diplomatiques avec le<br />

Rwanda (entre autre la Grande Bretagne, la Belgique, l’Allemagne, les USA, et<br />

dans <strong>un</strong>e certaine mesure la Suisse). 122<br />

Les victimes <strong>–</strong> les enfants<br />

Pourtant, certaines organisations humanitaires continuent encore aujourd’hui<br />

d’aider le Rwanda, comme par exemple le CICR, le ACDI (Africa Care<br />

development initiative), Care international et d’autres. 123 Ils se spécialisent surtout<br />

dans le support des personnes détenues dans les prisons, et les enfants non<br />

accompagnés, qui ont été séparés de leur famille. Ces organisations donnent de<br />

l’espoir à ceux qui ont besoin d’<strong>un</strong>e assistance pour rebâtir leur vie, et pour se<br />

situer de nouveau dans cette vie différente.<br />

122 Edouard Bizumuremyi, Interview du 25 septembre 2006<br />

123 Ibid


- 80 -<br />

UNICEF estime, qu’il y a aujourd’hui environ 28'000 ménages menés par des<br />

enfants. Plus de 100'000 garçons et filles se débrouillent sans leurs parents, les<br />

filles aînées s’occupent le plus souvent des frères et sœurs mineurs. Le quotidien<br />

est marqué par <strong>un</strong>e pauvreté énorme, beaucoup d’enfants ont perdu la maison et<br />

le territoire, après la mort des parents dans le <strong>génocide</strong> ou à cause du SIDA.<br />

Beaucoup d’entre eux sont utilisés comme travailleurs bon marché dans des<br />

plantations ou dans des ménages privés. Ils sont exploités et souvent violés. Les<br />

chances d’atteindre <strong>un</strong> meilleur avenir sont petites : 90% de ces enfants ne vont<br />

pas à l’école.<br />

Aussi dans les rues de Kigali, on peut rencontre à peu près 3’500 enfants, qui se<br />

débrouillent, et qui ne peuvent pas jouir d’<strong>un</strong>e bonne réputation dans la société, et<br />

qui sont abandonnés.<br />

Les enfants sont traumatisés beaucoup par le <strong>génocide</strong>. Un sondage en 1996 a<br />

montré que 69 % des enfants ont vécu le meurtre de quelqu’<strong>un</strong> dans le <strong>génocide</strong>.<br />

Aujourd’hui, la vie cohabitation avec les meurtriers de la propre famille qui sont<br />

déjà libérés, rouvre de nouveau des plaies.<br />

Mais aussi les je<strong>un</strong>es d’alors, qui avaient participés aux massacres, motivés par<br />

les parents et les médias, souffrent aujourd’hui des souvenirs de ce temps-là.<br />

Environ 5’000 enfants et je<strong>un</strong>es étaient mis sous détention, à cause des meurtres<br />

commis. Beaucoup d’entre eux se trouvent encore aujourd’hui en prison, ont passé<br />

leur je<strong>un</strong>esse dans la captivité, et remporteront des traumatismes quand ils en<br />

sortiront. 124 L’environnement de guerre et de peur ne comporte guère à <strong>un</strong>e<br />

société pacifique :<br />

« Kinder leiden nicht nur physisch <strong>un</strong>ter Krieg <strong>un</strong>d Gewalt,<br />

sondern tragen auch seelische Verletz<strong>un</strong>gen davon.<br />

Traumatische Kriegserlebnisse verfolgen die Kinder ihr ganzes<br />

Leben lang. In einem Klima der Aggression, des Misstrauens<br />

<strong>un</strong>d der Angst lernen Kinder nicht, wie Konflikte friedlich gelöst<br />

124 Die W<strong>un</strong>den heilen nur langsam, 10.03.2004, http://www.<strong>un</strong>icef.de/index.php?id=201<br />

(15.01.2007)


- 81 -<br />

werden können <strong>un</strong>d was Sicherheit bedeutet. » 125<br />

Les enfants sont les victimes tout à fait innocentes résultant du <strong>génocide</strong>.<br />

Beaucoup ne jouissent pas d’<strong>un</strong> espoir pour leur avenir, beaucoup n’ont pas de<br />

chances de sortir de la misère qui s’est construite lors du <strong>génocide</strong>. La seule<br />

chance qui devrait exister pour tous les enfants, serait d’aller à l’école pour pouvoir<br />

en profiter en ce qui concerne la possibilité d’atteindre <strong>un</strong>e profession. Mais<br />

l’espoir reste mince.<br />

Education<br />

En ce moment, la plus grande demande humanitaire devrait alors se concentrer<br />

sur la baisse du taux d’analphabétisme. Margrit Fuchs a déjà construit douze<br />

écoles, deux écoles maternelles et <strong>un</strong>e <strong>un</strong>iversité, ce qui est le devoir principal au<br />

Rwanda du moment. Beaucoup d’écoles étaient détruites pendant le <strong>génocide</strong> et<br />

ont servi comme champ de bataille. De même, pas mal de professeurs étaient tués<br />

ou ont participé aux massacres. Presque tous les élèves ont vécu des scènes<br />

horribles et sont traumatisés comme conséquence. Le taux de l’analphabétisme se<br />

trouvait en 2000 à <strong>un</strong> niveau élevé de 33.2 %. Pourtant, la part du budget de l’Etat<br />

consacrée à la formation des élèves est généralement minime. De plus, il existe<br />

beaucoup d’obstacles pour les élèves, tels que la pauvreté, des ménages conduits<br />

par les enfants, et peu de support des parents et de la comm<strong>un</strong>auté en général.<br />

Un effort grand et effectif a été exercé par les TEP, « Teacher Emergency<br />

Packages » de l’UNICEF-UNESCO juste après le <strong>génocide</strong>. C’étaient des salles<br />

de classes mobiles, considérées comme pont de quatre ou cinq mois, pour éviter<br />

<strong>un</strong> effondrement total du système scolaire. De plus, l’UNICEF et l’UNESCO<br />

mettaient à disposition des équipements de base pour les élèves, tel que cahiers,<br />

des stylos et du support pour l’entraînement des professeurs. 126<br />

Aujourd’hui, le gouvernement est en train de réaliser des plans d’amélioration du<br />

125 Zerschossene Zuk<strong>un</strong>ft, Kinder im Krieg auf der Flucht. http://www.<strong>un</strong>i-<br />

muenster.de/PeaCon/wuf/wf-98/9820202m.htm (16.01.07)<br />

126 Rwanda, the preventable genocide, chapter 16, the plight of women and children, Education.


- 82 -<br />

système scolaire. Beaucoup d’espoir est investi au secteur de l’éducation qui est :<br />

« (…) expected to play a key role in three macro policies:<br />

poverty eradication, economic growth, and national<br />

reconciliation and national <strong>un</strong>ity. » 127<br />

L’éducation est alors considérée comme <strong>un</strong>e chance de sortir de la pauvreté et<br />

d’atteindre le but visé par la vision 2020.<br />

Pour atteindre ce but, <strong>un</strong> enfant doit être motivé d’aller à l’école, et l’école doit<br />

garantir <strong>un</strong>e atmosphère motivante. Ça ne peut pas être réalisé sans<br />

l’investissement de grandes sommes, beaucoup plus que le Rwanda investit<br />

maintenant. Beaucoup de familles ne peuvent pas se permettre que tous ses<br />

enfants aillent à l’école parce que c’est l’argent qui manque. Il ne suffit pas que le<br />

monde applaudisse, face aux efforts qui ont été réalisés, il faut, que le Rwanda<br />

atteigne les moyens, dont il a besoin pour <strong>un</strong>e éducation favorable et prometteuse<br />

en ce qui concerne l’avenir du pays. Il semblerait, cependant, que le<br />

Gouvernement a déjà garanti, depuis l’an 2004, <strong>un</strong>e éducation pour tous et<br />

gratuite pour tout le cycle primaire 128 .<br />

A part l’éducation, il y a d’autres programmes humanitaires à encourager. Voici <strong>un</strong><br />

choix de points, qui étaient sur la liste des buts en 2006 par l’UNHCR à l’endroit<br />

des réfugiés étrangers se trouvant sur le sol rwandais:<br />

• Provide comprehensive protection and assistance to all camp-based<br />

refugees still in Rwanda in 2006 including shelter, nutrition, health care,<br />

water and sanitation in line with UNHCR standards.<br />

• Pay special attention to HIV/AIDS and SGBV prevention and care<br />

activities<br />

• Provide protection and assistance for urban refugees including<br />

assistance to vulnerable refugees as well as education<br />

• Prioritise education in the Rwanda operation with the continued provision<br />

127 Government of Rwanda Document given to IPEP, “Education Sectoral Consultation,”<br />

Kigali, February 1999.<br />

128 Edouard Bizumuremyi


- 83 -<br />

of primary and basic secondary education as well as DAFI scholarships.<br />

• La<strong>un</strong>ch peace education programmes in camps, especially prior to<br />

repatriation activities<br />

• Pursue public information strategies to increase visibility of the Rwanda<br />

operation and to keep refugees abreast on developments in their<br />

co<strong>un</strong>tries of origin. 129<br />

Le but des organisations est vite dit: paix. On espère atteindre <strong>un</strong> état stable et<br />

<strong>un</strong>e société pacifique et saine. Non seulement l’éducation des enfants y contribue<br />

beaucoup, mais aussi l’éducation des adultes. Comment on arrive à développer<br />

son propre statut, comment on peut vivre avec les propres traumatismes, ainsi que<br />

des informations sur le SIDA, tout ça doit être appris aux parents pour qu’ils<br />

puissent prendre leur vie dans leurs mains fortes.<br />

Mais aussi la justice est <strong>un</strong> but, par lequel la vie peut prendre de nouvelles formes.<br />

5.1.4. La recherche de la justice <strong>–</strong> les Gacaca<br />

Aujourd’hui, les gens sont condamnés à vivre ensemble. Il faut que les coupables<br />

s’excusent et que les victimes pardonnent. Mais ce n’est pas facile avec les<br />

propres sentiments. Pour <strong>un</strong>e vraie réconciliation il faut du temps.<br />

La recherche de la vérité et de la justice est le premier pas dans le processus de<br />

guérison.<br />

On a lancé des trib<strong>un</strong>aux profanes, les « Gacaca ». Gacaca est le nom rwandais<br />

pour trib<strong>un</strong>al comm<strong>un</strong>autaire villageois. 130 Gacaca vient de agacaca, « petite<br />

herbe » ou « gazon » en Kinyarwanda, allusion à l'habitude de ces trib<strong>un</strong>aux de se<br />

ré<strong>un</strong>ir sur l'herbe. 131<br />

129 Co<strong>un</strong>try operations plan, Rwanda 2006, http://www.<strong>un</strong>hcr.org/home/RSDCOI/43219a312.pdf<br />

(16.01.2007)<br />

130 Wikipedia, Gacaca, http://fr.wikipedia.org/wiki/Gacaca (14.01.2007)<br />

131 Histoire du Rwanda, mise en place des Gacaca<br />

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Rwanda#Mise_en_place_des_.C2.AB_gacaca_.C2.BB


- 84 -<br />

Ils ont le devoir de reconstituer le processus de 1994, de rassembler des preuves<br />

et de juger. Des milliers de personnes sont accusées de participation au <strong>génocide</strong><br />

rwandais. Au moment où on a lancé l'idée des Gacaca, 130’000 prisonniers<br />

croupissaient depuis des années en prison. On estime qu'il aurait fallu 200 ans à la<br />

justice rwandaise pour les juger tous. 132<br />

En août 1996, la loi sur l'organisation et la poursuite de crimes de <strong>génocide</strong> ou<br />

crimes contre l'humanité a créé quatre catégories de criminels:<br />

• Les planificateurs, les organisateurs et les leaders du <strong>génocide</strong>, ceux qui<br />

ont agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom ainsi que<br />

ceux qui sont coupables de tortures sexuelles ou de viols;<br />

• les auteurs, co-auteurs ou complices d'homicides volontaires ou<br />

d'atteintes contre des personnes ayant entraîné la mort et de ceux qui<br />

avaient l'intention de tuer et ont infligé des blessures ou ont commis<br />

d'autres violences graves qui n'ont pas entraîné la mort;<br />

• ceux qui ont commis des atteintes graves sans intention de causer la<br />

mort des victimes;<br />

• ceux qui ont commis des infractions contre les biens. 133<br />

Compétence<br />

Les planificateurs ainsi que les personnes accusées de viols (première catégorie)<br />

ne sont pas devant les Gacaca. Ils doivent se justifier devant les trib<strong>un</strong>aux<br />

réguliers rwandais ou le Trib<strong>un</strong>al pénal international pour le Rwanda.<br />

La peine maximale s’élève à trente ans de prison, mais aussi au travail dans<br />

l’intérêt publique. La peine de mort est exclusivement du ressort des juridictions<br />

régulières. Ceux qui n'ont pas encore été exécutés devraient voir leur peine<br />

commuée en prison à vie.<br />

Si <strong>un</strong> mineur âgé de 14 à 18 ans (au moment des faits) est déclaré coupable, il<br />

encourt la moitié de la peine de celle d’<strong>un</strong> adulte. Les mineurs âgés de moins 14<br />

(14.01.2007)<br />

132 Wikipedia, Gacaca<br />

133 Wikipedia, Gacaca


ans n'encourent auc<strong>un</strong>e peine. 134<br />

Fonctionnement<br />

- 85 -<br />

Les « Gacaca » se constituent de personnes élues et juridiquement formées pour<br />

la bonne réputation et le fonctionnement sans difficultés. 135 Tous les villageois<br />

peuvent participer et intervenir dans les Gacaca et peuvent accuser des gens, dont<br />

ils sont convaincus qu’ils étaient impliqués dans les machinations du <strong>génocide</strong>.<br />

Les accusés n’ont pas d’avocats, mais s’ils se trouvent des témoins du village qui<br />

jurent, qu’ils n’y étaient jamais impliqués, les discussions sont garanties, comme si<br />

on se trouvait devant <strong>un</strong> trib<strong>un</strong>al régulier. Ces séances d’accusation ont lieu <strong>un</strong>e<br />

fois par semaine. Avant qu’on fixe la peine et les réparations dues aux victimes,<br />

<strong>un</strong>e phase d’instruction précède le jugement officiel. 136<br />

Ce qui est étonnant concernant ces Gacaca est, que le but consiste plutôt à<br />

recevoir <strong>un</strong>e excuse sincère du coupable que de lui imposer la peine la plus<br />

grande possible. Les personnes jugées sont alors encouragées à révéler, ce qui<br />

est encore en leur connaissance de leurs crimes, en échange de remises<br />

généreuses de peine. Les accusés des Gacaca peuvent jouir ainsi d’<strong>un</strong>e peine<br />

plus modeste que devant <strong>un</strong> trib<strong>un</strong>al normal. Ils doivent exprimer des remorde en<br />

échange d’être pardonnés par leurs victimes.<br />

Ces Gacaca peuvent être considérés comme moyen de fortifier la cohabitation<br />

entre victimes et coupables, ce qui est nécessaire pour <strong>un</strong>e société stable et<br />

pacifique. C’est l’évidence d’avouer ses crimes et de recevoir <strong>un</strong> pardon en<br />

échange qui rend les Gacaca tellement spéciaux et effectifs.<br />

134 Wikipedia, Gacaca, compétence<br />

135 Wikipedia, Gacaca<br />

136 Ibid


- 86 -<br />

Tout ça a mené jusqu’à aujourd’hui à environ 33'000 aveux. Mais ce processus<br />

provoque <strong>un</strong>e question : On ne sait pas si on peut mettre ces aveux au même pied<br />

d’égalité avec la vérité. 137<br />

Jugement de l’efficacité des Gacaca<br />

En ce qui concerne les Gacaca, on entend beaucoup de voix critiques au niveau<br />

international.<br />

Amnesty international estime que :<br />

« …cette volonté de traiter les affaires aussi rapidement que<br />

possible a accru la suspicion régnant sur l’équité du système.<br />

Certaines décisions rendues par les trib<strong>un</strong>aux Gacaca faisaient<br />

douter de leur impartialité. » 138<br />

Cependant, Amnesty international est sûre, que moralement, les Gacaca<br />

contribuent beaucoup à ce que la population rwandaise sache s’y prendre avec<br />

ses crimes, avec sa haine et avec le pardon :<br />

« Gacaca ist ein wegweisender Versuch, den Überlebenden<br />

des Völkermords, den Angeklagten <strong>un</strong>d den Zeugen ein Forum<br />

zu geben, um ihre Fälle offen darzulegen. Gacaca eröffnet der<br />

ruandischen Gesellschaft die Möglichkeit, einen wichtigen<br />

Schritt zu nationaler Versöhn<strong>un</strong>g zu machen <strong>un</strong>d zugleich die<br />

aktuelle Gefängniskrise des Landes zu entspannen. (…) Dies<br />

kann jedoch nur in einer Umgeb<strong>un</strong>g geschehen, in der die<br />

Menschenrechte respektiert werden. Jegliche<br />

Strafgerichtsbarkeit verliert ihre Glaubwürdigkeit, wenn sie sich<br />

von internationalen Standards entfernt. Deshalb sollten die<br />

ruandische Regier<strong>un</strong>g <strong>un</strong>d die internationale Gemeinschaft<br />

sicherstellen, dass Gacaca diese Standards nicht<br />

<strong>un</strong>terschreitet. » 139<br />

Malgré les voix critiques, les Gacaca font leurs devoirs. Il ne s’agit pas d’<strong>un</strong>e façon<br />

137 Histoire du Rwanda, mise en place des Gacaca<br />

138 ibid<br />

139 Amnesty: Gacaca-Gerichte müssen Rechtsstandards einhalten, 17.12.2002,<br />

http://www2.amnesty.de/internet/deall.nsf/0/dff9aa8ae894a270c1256c910050df19?OpenDocument<br />

(15.01.2007)


- 87 -<br />

juridiquement correcte, mais simplement de parler des événements passés. Il est<br />

plus important d’assumer le <strong>génocide</strong> dans l’ensemble de la comm<strong>un</strong>auté<br />

rwandaise et d’éprouver des sentiments comme le pardon et la honte.


- 88 -<br />

<strong>5.2.</strong> <strong>Tensions</strong> <strong>ethniques</strong> <strong>–</strong> <strong>un</strong> <strong>deuxième</strong> <strong>génocide</strong> ?<br />

Il est difficile de dire si <strong>un</strong> <strong>deuxième</strong> <strong>génocide</strong> au Rwanda sera possible ou non.<br />

Premièrement la confiance entre les Tutsi et les Hutu est encore faible. Mais :<br />

« Pour en arriver au <strong>génocide</strong>, il faut <strong>un</strong> processus de diabolisation,<br />

de valorisation négative de l’autre. L’autre est vu comme différent<br />

de « nous ». Il y a donc <strong>un</strong> travail macabre de différenciation entre<br />

« Nous » et « Eux » (division claire) qui sera suivi par des<br />

programmes d’incitation à la haine comme dans le cas du<br />

Rwanda. » 140<br />

Actuellement, le gouvernement rwandais mise sur <strong>un</strong> programme tout à fait<br />

contraire, c’est-à-dire basé sur l’Unité nationale et la réconciliation. La liberté pour<br />

tous et sans discrimination avec la lutte contre la corruption et la promotion de la<br />

transparence politique est envisagée. C’est déjà <strong>un</strong>e bonne base d’autant plus que<br />

ce programme est le socle de la vision 2020 du Rwanda.<br />

Pourtant, il faut considérer qu’on a tué presque toute la race des Tutsi et que les<br />

meurtriers étaient les voisins et les amis. Il est déjà difficile de vivre de nouveau<br />

ensemble, mais de pardonner le massacre aux meurtries demande encore plus de<br />

force. Avant qu’on puisse se pardonner il faut que les Hutu comprennent ce qu’ils<br />

ont fait et qu’ils montrent du regret (ce qui est possible avec les Gacaca).<br />

Il faut aussi convaincre les gens qu’on expie juste les crimes du passé. Autrement<br />

des nouveaux conflits sont programmés. Mais c’est difficile, parce que très peu de<br />

monde a déjà été jugé.<br />

« Même l’architecte du <strong>génocide</strong> Bagosora n’est pas encore jugé<br />

alors que des millions de dollars dépensés sont énormes. » 141<br />

La possibilité d’<strong>un</strong> nouveau <strong>génocide</strong> est grande selon le jugement de Madame<br />

140 Interview avec Edouard Bizumuremyi<br />

141 Ibid


- 89 -<br />

Fuchs. Il y a encore <strong>un</strong>e armée des Hutu au Congo, dont les soldats sont formés<br />

comme des meurtriers, pour attaquer de nouveau les Tutsi au Rwanda. Elle dit<br />

qu’il y a deux ans ils voulaient attaquer de nouveau le Rwanda. Selon elle, ce pays<br />

n’est pas stable du tout aujourd’hui.<br />

Il y a aussi d’autres voix qui disent que le conflit de tendance ethnique est enterré.<br />

Pour le moment il semble que le gouvernement a bien en main son pays et que le<br />

Rwanda est aujourd’hui <strong>un</strong> des pays les plus sûrs au monde.<br />

« La sécurité était (et reste à présent) totale dans tout le<br />

Rwanda. C’est l’<strong>un</strong> des pays les plus sécurisés au monde. On<br />

se promène au Rwanda 24 heures sur 24 heures sans être<br />

inquiété». 142<br />

On ne ressent presque rien de la dégradation de l’état il y a treize ans. Pourtant,<br />

les milices Hutu de la république démocratique du Congo envahissent toujours de<br />

nouveau le Rwanda du nord-ouest et construisent <strong>un</strong>e ambiance qui fait les gens<br />

se sentir mal à l’aise. Le président Paul Kagamé et son gouvernement jurent<br />

toujours l’<strong>un</strong>ité actuelle des Rwandais. Il remarque dans <strong>un</strong>e interview dans « Die<br />

Presse », journal de Vienne :<br />

«In den zehn Jahren seit dem Genozid hat das Land einen enormen<br />

Fortschritt erlebt - Versöhn<strong>un</strong>g, Wiederaufbau, Frieden, Stabilität. Wir<br />

haben mehr getan, als man in so kurzer Zeit für möglich gehalten<br />

hätte. Eines kann ich sicher sagen: Ruanda ist heute stabiler als<br />

jedes andere Land in der Region - das wäre nicht möglich, wenn die<br />

Versöhn<strong>un</strong>g nicht f<strong>un</strong>ktioniert hätte. » 143<br />

Aussi la majorité des experts doutent d’<strong>un</strong> redoublement d’<strong>un</strong> <strong>génocide</strong> possible.<br />

Mais <strong>un</strong>e réconciliation véritable entre les Hutu et les Tutsi durera au minimum <strong>un</strong>e<br />

génération. On entend des Rwandais qui disent qu’<strong>un</strong> soupçon de confiance et<br />

pardon honnête souffle déjà à travers le pays.<br />

142 Ibid<br />

143 Ruandas Präsident Kagame zu Gast in Wien, http://www.openpr.de/news/73550/Ruandas-<br />

Praesident-Kagame-zu-Gast-in-Wien.html (15.01.2007)


6. Épilogue<br />

- 90 -<br />

Notre objectif avec cet ouvrage était, de construire <strong>un</strong> travail qui laisse apparaître<br />

des positions critiques envers <strong>un</strong> crime contre l’humanité.<br />

Nous pensons avoir réussit à atteindre notre but. Le <strong>génocide</strong> rwandais devrait<br />

gagner plus d’attention, ce que nous encourageons par <strong>un</strong> travail, qui insiste sur le<br />

thème de la dignité humaine que le monde est en train d’oublier.<br />

Notre travail laisse apparaître <strong>un</strong> nouveau point de vue en ce qui concerne les<br />

machinations de la comm<strong>un</strong>auté internationale dans notre monde. Les nations et<br />

organisations internationales se révèlent décevantes par rapport au sens du mot<br />

« responsabilité ». Nous ne pouvons pas faire confiance au fait que, par la<br />

direction de l’ONU, le monde devrait se trouver dans des mains sûres. Nous<br />

n’habitons pas dans <strong>un</strong> monde sain et sauf, même pas dans nos temps<br />

« progressifs » d’aujourd’hui. Encore aujourd’hui, des <strong>génocide</strong>s se passent, et<br />

encore aujourd’hui la comm<strong>un</strong>auté internationale n’a rien appris de ses fautes<br />

commises en 1994. Encore aujourd’hui, le mot <strong>génocide</strong> et rarement utilisé et<br />

l’hésitation des grandes puissances continue s’il s’agit de massacres envers <strong>un</strong>e<br />

population entière (voir le Soudan).<br />

Si on pense toutefois au fait qu’<strong>un</strong> pays comme le Rwanda était capable de se<br />

retaper d’<strong>un</strong>e situation toute basse à <strong>un</strong> état d’<strong>un</strong>e cohabitation stable, par des<br />

actions comme demander pardon et le pardonner, il devrait exister <strong>un</strong> certain<br />

espoir pour notre avenir.<br />

On commence à se demander : « Comment reconstruire l’avenir, s’il vient de<br />

sembler inaccessible ? » La réponse consiste peut-être à éprouver <strong>un</strong> sentiment<br />

d’<strong>un</strong>ion à travers tout le monde. Peut-être elle consiste à essayer de comprendre,<br />

que même si <strong>un</strong> <strong>génocide</strong> se passe « loin de chez nous », il devrait nous toucher<br />

quand même, car des gens sont des gens, s’ils sont des Rwandais, des<br />

Américains ou des Suisses, les gens connaissent partout dans le monde <strong>un</strong>


- 91 -<br />

sentiment de dignité, ce qui n’est jamais à toucher et jamais à blesser.<br />

Ce document n’est pas seulement <strong>un</strong> travail qui devait être réalisé, c’est <strong>un</strong><br />

ouvrage qu’on a fait avec beaucoup de passion. Ainsi, le travail possède<br />

aujourd’hui <strong>un</strong>e place importante dans notre mémoire et notre cœur. On pense<br />

avoir réussi non seulement à acquérir des connaissances sur l’histoire et la<br />

situation actuelle au Rwanda, mais aussi à nous approprier de nouvelles valeurs et<br />

réflexions sur les mots responsabilité, consternation et conscience qui devraient<br />

arriver à gagner enfin plus d’importance dans notre monde.


Sites d’internet<br />

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http://rwanda.free.fr/docs1_j.htm<br />

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• Paul Kagamé, Interview avec le Figaro, « les rwandais veulent des excuses<br />

de Paris » 16. décembre 2006<br />

• http://www.lefigaro.fr/international/20061216.FIG000000702_paul_kagame_<br />

Journaux<br />

les_rwandais_veulent_des_excuses_de_paris.html<br />

• Roméo Dallaire, taz, 7.4.04, Jeder Mensch zählt. Kein Mensch auf der Welt<br />

ist mehr wert als ein anderer. In Ruanda wurde das vergessen.<br />

• Le Figaro, « Enquête sur la mission du juge Bruguière, par Patrick de Saint-<br />

Exupéry » (05.01.2006)<br />

• Tages Anzeiger, « Ist den Helfern noch zu helfen ? », (Datum <strong>un</strong>bekannt)<br />

Images de la page de titre et au-dessus du texte<br />

• http://ruanda.ded.de/cache/pica/8/2/3/1/264191098113028/Zentrales_Bil<br />

delement_2.jpg<br />

• http://www.rbvex.it/africagif/ruanda.gif<br />

• http://www.facite.com/perso/rwanda1/p1130012.jpg<br />

• http://images.google.ch/imgres?imgurl=http://www.facite.com/perso/rwan<br />

da1/p1130012.jpg&imgrefurl=http://www.facite.com/site/index.php%3FR<br />

%3Drwanda1%26R1%3D29072&h=253&w=450&sz=31&hl=de&start=6<br />

&tbnid=F8b0vW8VLIWj6M:&tbnh=71&tbnw=127&prev=/images%3Fq%3<br />

Drwanda%2Bmontagnes%26svnum%3D10%26hl%3Dde%26lr%3D<br />

• http://gponthieu.blog.lemonde.fr/files/rwanda2.thumbnail.jpg


7. Appendice<br />

- 97 -<br />

Après avoir fait connaissance avec Monsieur Edouard Bizumuremyi, qui travaille à<br />

l’ambassade et la mission permanente de Rwanda à Genève, nous nous sommes<br />

décidées de faire <strong>un</strong>e interview avec lui. Nous avons essayé de préciser les<br />

questions déjà pour notre thème de travail de maturité. Compte tenu du fait que<br />

nous n’avons pas eu la chance, d’aller à Genève et faire l’interview à place, elle<br />

comporte quelques points, oú apparaît le manque d’intervention de notre part, pour<br />

ne pas disturber le flux de l’interview. Ainsi, il y a des questions auxquelles la<br />

réponse est déjà donnée avant qu’elle soit posée, ce qui ne dérange pas le taux<br />

d’informations, mais l’image formelle de notre interview.<br />

L’interview nous servit comme information de base importante qui nous menait à<br />

l’approfondissement des secteurs thématiques différents.<br />

Du résultat de notre interview, nous sommes très contentes, car nous n’avons pas<br />

pensé recevoir tant d’informations et tant de support de la part de Monsieur<br />

Bizumuremyi. La gratitude de notre part lui est garantie.<br />

Interview sur le Génocide rwandais le 25 septembre 2006 avec Monsieur<br />

Edouard Bizumuremyi<br />

Bonjour Monsieur Bizumuremyi, nous vous remercions de nous répondre à<br />

quelques questions concernant notre travail de maturité sur le <strong>génocide</strong> rwandais.<br />

On est maintenant en train d’enterrer des milliers de morts du <strong>génocide</strong> en 1994<br />

au Rwanda, est-ce qu’on est en même temps en train de tirer <strong>un</strong> trait sur le passé,<br />

c'est-à-dire d’enterrer aussi les conflits entre les Hutu et les Tutsi ?<br />

Oui, depuis juillet 1994, le Rwanda a mis en place des institutions, des stratégies


- 98 -<br />

ainsi que des politiques visant à définitivement enterrer le conflit de tendance<br />

ethnique et toute velléité génocidaire. Il a fallu du temps. Il y a eu des réalisations<br />

satisfaisantes dans la période de transition mais c’est avec la constitution (2003)<br />

qu’on a mis en place les fondements légaux de construction d’<strong>un</strong>e nation, basée<br />

sur <strong>un</strong> Etat de droit et <strong>un</strong> rejet catégorique de tout divisionnisme qu’il soit ethnique<br />

ou de toute sorte.<br />

Période de transition<br />

Juste après le <strong>génocide</strong> et la guerre, il a été mis en place des institutions<br />

nationales de transition telles que prévues par les accords d’Arusha (ce sont des<br />

accords de paix signés entre le gouvernement rwandais d’alors et le Front<br />

Patriotique Rwandais <strong>–</strong> FPR- le 4 août 1993, quelques mois avant le <strong>génocide</strong>). Il<br />

a été mis en place notamment le Gouvernement d’<strong>un</strong>ion nationale qui était<br />

composé d’Hutu et Tutsi représentant des différents partis politiques alors existant<br />

sauf des partis qui ont planifié le <strong>génocide</strong> (à noter que la constitution actuelle réglemente<br />

la mise en place d’<strong>un</strong> gouvernement, voir l’Article 116 de la Constitution). Le FPR, qui venait<br />

de gagner la guerre et de chasser le gouvernement génocidaire, n’a pas voulu<br />

monopoliser le pouvoir mais l’a partagé avec d’autres partis politiques dans le<br />

souci de refléter toutes les tendances politiques. Ceci fut <strong>un</strong>e base pour mettre en<br />

place d’autres institutions comme le parlement et plus tard certaines commissions<br />

au niveau national comme la commission de l’Unité et réconciliation nationale<br />

instituée le 12 mars 1999 ainsi que la commission nationale des droits de l’homme.<br />

Contexte difficile<br />

Le contexte socio-économique et politique de cette période de transition était <strong>un</strong><br />

contexte très difficile à gérer compte tenu notamment (i) du problème d’insécurité<br />

qui régnait à la frontière entre le Rwanda et la République Démocratique du<br />

Congo (RDC) où les militaires de l’ancien régime menaçaient, avec le soutien de<br />

certains pays, d’attaquer le Rwanda et de finir le <strong>génocide</strong> ; (ii) le rapatriement des<br />

millions de réfugiés qui étaient partis dans les pays voisins et principalement en<br />

RDC manipulés dans les camps de réfugiés par les forces génocidaires.<br />

Au niveau socio-économique, le pays n’avait plus de vie. D’abord il était presque


- 99 -<br />

vide à la fin du <strong>génocide</strong>. Avec plus d’<strong>un</strong> million de morts et plusieurs millions de<br />

réfugiés dans les pays voisins, les forces vives du pays étaient inexistantes.<br />

Même ceux qui restaient dans le pays ne travaillaient pas mais vivaient de l’aide<br />

humanitaire. Intellectuels, cadres, techniciens étaient morts ou réfugiés. Le pays<br />

était littéralement anéanti.<br />

Il a fallu des efforts de reconstruction pour passer de la situation humanitaire<br />

d’urgence à la situation de développement tout en mettant toujours en avant le<br />

principe clé de l’<strong>un</strong>ité nationale. Dans la foulée, les autorités ont développé le<br />

concept de citoyenneté qui a inspiré la suppression de la mention ethnique dans<br />

les cartes d’identité, la promotion de la transparence publique et l’accès aux<br />

postes par mérite. Ceci mettait fin à l’équilibre ethnique instauré depuis 1973 par la<br />

<strong>deuxième</strong> République. Plus particulièrement, l’accès à l’école secondaire par<br />

mérite et dans toute la transparence, sans considération régionale ou ethnique a<br />

été bien accueilli par la population qui, petit à petit, voit que les divisions <strong>ethniques</strong><br />

sont artificielles dans <strong>un</strong>e société qui partage la histoire, même langue<br />

(kinyarwanda), même territoire (car il n’y a pas de séparation territoriale Hutu Vs<br />

Tutsi comme c’est le cas par exemple pour la Suisse alémanique et romande).<br />

Fin de transition : Institutions démocratiquement élues :<br />

La période de transition a duré 9 ans, de 1994 à 2003 (ce qui est <strong>un</strong> plus long que<br />

prévu). Le souci majeur était d’assurer <strong>un</strong>e transition avec <strong>un</strong> minimum<br />

d’institutions et de sensibilisation sur les principes majeurs autour de l’<strong>un</strong>ité et<br />

réconciliation nationale, sécurité et liberté individuelle, afin que la situation ne<br />

dégénère au moment de la fin de transition. En 2003, bien de choses ont été<br />

accomplies dont nous citerons quelques faits marquants : (i) La sécurité était (et<br />

reste à présent) totale dans tout le Rwanda. C’est l’<strong>un</strong> des pays les plus sécurisés<br />

au monde. On se promène au Rwanda 24 heures sur 24 heures sans être<br />

inquiété ; (ii) La population comprend de plus en plus le danger de division<br />

ethnique et le bienfait de vivre en harmonie sans discrimination (bonne<br />

collaboration aux bureaux, cohabitation aux villages sans incidents majeurs, etc<br />

sont des signes qui ne trompent pas) ; (iii) Les gens se sont remis à travaillé et à


- 100 -<br />

produire. Le produit national par habitant a sensiblement augmenté comparé à la<br />

situation de quelques années en arrière. En 2002, la croissance économique a été<br />

<strong>un</strong> record de 9% ; (iv) Le gouvernement a définie sa vision 2020 de<br />

développement et a mis en place la stratégie de réduction de la pauvreté pour<br />

atteindre cette vision ; (v) La lutte contre la corruption tous azimuts a déjà<br />

commencé et sera concrétisée par la mise en place <strong>un</strong> peu tard de l’institution<br />

d’Ombudsman chargée de «prévenir et combattre l'injustice, la corruption“ (Art. 182 de la<br />

Constitution). Cette institution sera complétée par la mise en place de l’Office de l’<br />

Auditeur Général des finances de l’Etat (Art. 183 de la Constitution) pour veiller à <strong>un</strong>e<br />

gestion saine des finances. Ces deux institutions ont été formellement mises en<br />

place après la promulgation de la Constitution mais dans la vie de tous les jours<br />

c’est comme si elles existaient compte tenu de leur importance aux yeux de<br />

l’actuel leadership. C’est donc dans ce contexte-là d’harmonie sociale qui renaît<br />

de ses cendres ainsi que du développement économique qui prend son envol et<br />

<strong>un</strong> climat de confiance entre autorités et population que ce sont déroulées le<br />

référendum sur la Constitution en mai 2003 (promulguée le 4 juin 2003), ainsi que<br />

les élections présidentielles (août 2003) et législatives (29-30 sept, 2 octobre<br />

2003). Rappelons que ces élections ont été les premières élections pluralistes au<br />

Rwanda depuis l’indépendance. De fait, depuis 1962, date de l’indépendance du<br />

Rwanda, le paysage politique a toujours été dominé par <strong>un</strong> seul parti, avec<br />

toujours <strong>un</strong> seul candidat à la présidence, avec des lois votées par les députés<br />

d’<strong>un</strong> seul parti. Cette fois-là, en 2003, les électeurs avaient <strong>un</strong> choix à faire entre<br />

deux Candidats. Pour la première fois, dans <strong>un</strong>e atmosphère de campagne<br />

politique paisible.<br />

De la Constitution du Rwanda.<br />

Tous les efforts de construire l’Etat nation basé sur <strong>un</strong> Etat de droit, depuis la<br />

période de transition, se retrouvent consignés dans la Constitution qui a été<br />

adoptée le 26 mai 2003, par référendum. Le projet de Constitution a été l’objet de<br />

discussion dans les villages au Rwanda et même par les Rwandais vivant à<br />

l’Etranger avant son adoption et a subi quelques amendements. Elle contient des<br />

principes fondamentaux qui détermineront l’avenir du Rwanda. Quelques


- 101 -<br />

exemples montrent le pas franchi dans la lutte contre toute division ethnique.<br />

a. Le paragraphe 2 du préambule de la Constitution énonce que le<br />

Rwanda est résolu “à combattre l'idéologie du <strong>génocide</strong> et toutes ses<br />

manifestations ainsi qu’à éradiquer les divisions <strong>ethniques</strong> et régionales et toute autre<br />

forme de divisions“. Commentaire: Ceci s’oppose fondamentalement à<br />

l’idélogie du <strong>génocide</strong> inoculée par le parti au pouvoir jusqu’en Avril<br />

1994, laquelle idéologie était véhiculée à travers les médias et les<br />

institions politiques).<br />

b. le paragraphe 4 du préambule énonce “la nécessité de consolider et<br />

promouvoir l'<strong>un</strong>ité et la réconciliation nationales durement ébranlées par le <strong>génocide</strong> et<br />

ses conséquences“.<br />

c. Le paragraphe 6 reconnaît l’importance de l’Etat de droit et des<br />

libertés et des droits fondamentaux de la personne alors que<br />

d’autres paragraphes mettent en avant l’histoire et <strong>un</strong>e cullture<br />

comm<strong>un</strong>es, <strong>un</strong>e langue comm<strong>un</strong>e et <strong>un</strong> destin comm<strong>un</strong> entre Hutu<br />

et Tutsi;<br />

d. L’Article 45 de la Constitution énonce que “tous les citoyens ont <strong>un</strong> droit<br />

égal d'accéder aux fonctions publiques de leur pays, compte tenu de leurs compétences<br />

et capacités».<br />

Commentaire: L’égalité des chances est <strong>un</strong> facteur de citoyenneté et qui n’existait<br />

pas dans les régimes précédents. L’ancien régime avait instauré ce qui était<br />

appelé l’équilibre régionale qui favorisait les ressortissants de la région originaire<br />

du Président Habyalimana (c-à-d le <strong>un</strong>e province du Nord du pays) et l’équilibre<br />

ethnique qui disait que les Tutsi devait accéder aux fonctions publiques, à l’école<br />

secondaire, à l’<strong>un</strong>iversité en pourcentage de 10%, participation exclue à l’armée,<br />

diplomatie et autres domaines politiquement «sensibles». Tout ceci ne servait qu’à<br />

exacerber le sentiment de différences et la discrimination. Dans <strong>un</strong>e société<br />

corrompue où la loi était bafouée, c’est finalement le plus offrant qui avait accès<br />

aux services de l’Etat au détriment des pauvres. Tout ça est fini ! L’égalité devant<br />

la loi prime.<br />

e. Les institutions majeures chargées du renforcement de l’<strong>un</strong>ité<br />

nationale et de réconciliation ainsi que de la lutte contre la


- 102 -<br />

corruption trouve aussi leur place dans la constitution (voir Article<br />

176 et suivants).<br />

f. Enfin, il faut aussi souligner la décentralisation comme mode de<br />

gouvernement adopté par les autorités actuelles qui sert à donner<br />

l’autonomie aux <strong>un</strong>ités décentralisées et ainsi à diminuer la<br />

distance qui existait entre les instances de décision et le peuple.<br />

La politique «gender» ou promotion de la femme est aussi<br />

importante dans la réconciliation et l’<strong>un</strong>ité. Les femmes étant très<br />

influentes dans l’éducation des enfants dès le bas âge, il est<br />

important d’impliquer les femmes dans toutes les instances de<br />

décisions politiques et les faire participer dans la création de<br />

richesses du pays en leur facilitant l’accès au micro finance par<br />

exemple. Le Rwanda est le premier pays au monde à avoir plus de<br />

48% de femmes au Parlement. Les femmes participent aussi dans<br />

la prise de décision aux <strong>un</strong>ités décentralisées au niveau de la<br />

province et aux échelons inférieurs comme le district et le secteur.<br />

Le mot d’ordre de toute action politique étant centré sur l’<strong>un</strong>ité et la<br />

réconciliation, les Rwandais ont la ferme conviction que ce<br />

«gender mainstreaming», dans <strong>un</strong> Etat qui se veut de droit,<br />

contribuera largement à cultiver la culture de paix et de tolérance<br />

pour les générations futures dans la perspective de construire <strong>un</strong>e<br />

nation. C’est là l’idéologie affirmée du pouvoir actuelle.<br />

Bref… Actuellement des efforts sont quotidiennement consentis pour mettre<br />

en œuvre, dans la pratique dans la vie courante, tous ces principes.<br />

On qualifie l’attentat commis contre l’avion du président d’alors Habyarimana<br />

comme motif pour le massacre. Est-ce qu’il y aurait eu aussi <strong>un</strong> <strong>génocide</strong> au<br />

Rwanda sans cet attentat ?<br />

�<br />

- Des signes évidents indiquaient que le <strong>génocide</strong> était en préparation. Fin<br />

Janvier 1993, soit <strong>un</strong>e année et demi avant le <strong>génocide</strong>, Jean<br />

Carbonare, rapporteur de la Mission d’enquête commandée par la


- 103 -<br />

Fédération Internationale des droits de l’homme et Human Rights Watch<br />

sur les violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er<br />

octobre 1990 est rendu, avait déclaré dans le journal de 20 heures de<br />

France 2 qu’<strong>un</strong> <strong>génocide</strong> se préparait au Rwanda et qu’il fallait voler au<br />

secours de ces innocents avant que l’irréparable ne se produise.<br />

- De nombreux massacres se sont produits dans l’indifférence depuis le<br />

début de la guerre: il y en a eu dans la région de l'est du Rwanda à<br />

Kib<strong>un</strong>go, il y en a eu dans la région du sud-est dans le Bugesera en<br />

1992; il y a eu le massacre des Bagogwe, en janvier 1993, etc.<br />

- Depuis le début de la guerre en 90, tuer <strong>un</strong> tutsi n’était plus considéré<br />

comme <strong>un</strong>e infraction. On savait très bien qui si on tuait, il n'y avait pas<br />

de suite très graves. L'Etat en place a carrément démissionné de son<br />

devoir de protection de cette partie de la population. Les victimes<br />

pouvaient être aussi des hutu soupçonnées d'avoir des sympathies pour<br />

des tutsi ou avaient la tendance de les protéger.<br />

- Et puis, il y avait des listes longues des gens à éliminer.<br />

- Il y avait des caches d’armes à être utilisées au moment venu par les<br />

miliciens. Le Général Roméo Dallaire, le commandant des forces des<br />

Nations <strong>un</strong>ies avait dénoncé ces caches d’armes et avait demandé la<br />

permisison, au Secrétraire Général de l’ONU, de les déterrer et de les<br />

saisir malheureusement la permision ne lui a pas été accordée<br />

- Enfin, il ne faut pas oublier que Bagosora, l’architecte du <strong>génocide</strong>, avait<br />

claqué la porte des négociations de paix entre le gouvernement<br />

rwandais et le Front patriotique rwandais (FPR) en déclarant qu’il rentrait<br />

à Kigali «préparer l’apocalypse », surnommé plus tard “le colonel de<br />

l’apocalypse“, il a nié le <strong>génocide</strong> lors de son procès en août 2005 en<br />

ces termes : « Moi, je ne crois pas au <strong>génocide</strong>. La plupart des gens<br />

raisonnables pensent qu'il y a eu des massacres excessifs », a-t-il<br />

déclaré lors de sa première audition devant le Trib<strong>un</strong>al pénal<br />

international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie.<br />

- A noter aussi que la radio télévision des milles collines (RTLM) n’a cessé<br />

de préparer les Hutu à tuer les Tutsi. C’est la particularité de ce


- 104 -<br />

<strong>génocide</strong> par rapport à tous les autres. On sensibilise les gens à tuer<br />

publiquement à travers <strong>un</strong>e radio. On banalise la mort d’<strong>un</strong> Tutsi. Tous<br />

les autres génécides se sont déroulés en cachète. Les nazis disaient<br />

aux juifs qu’ils allaient leur offrir <strong>un</strong>e vie meilleure, les mettre à l’abri<br />

alors que les politiciens et les interahamwe, avant même le <strong>génocide</strong><br />

n’hésitaient pas à dire qu’ils allaient néttoyer, exterminer les “cancrelats“.<br />

Cette publicité du génécide bien évidemment a été beaucoup plus<br />

amplifiée dès le 6 Avril. La RTLM servait à indiquer là où se cacher<br />

quelques Tutsi et venter la bravoure des Hutu qui venaient d’exterminer<br />

<strong>un</strong> nombre impressionnant d’ennemis cancrelats! Etc. Etc.<br />

Dans le film « Hôtel Rwanda » apparaît la phrase suivante : « Si les spectateurs<br />

des télévisions occidentales voient ces images, ils diront : « oh, ça, c’est affreux. »<br />

Et puis ils continueront leur dîner. » Comment juge-t-on aujourd’hui la réaction du<br />

monde occidental à ce qui s’est passé au Rwanda ?<br />

C’est l’abandon et l’indifférence. Mitterrand n’a-t-il pas dit que « le <strong>génocide</strong><br />

dans ces pays là, ce n’est pas important » ! Mais surtout, il y a le manque de<br />

volonté de comprendre ce qui se passe « loin de chez nous » ! Ce sont des<br />

noirs qui tuent les noirs, c’est normal dans ces pays-là ! Ce sont des ethnies<br />

qui s’entretuent ! C’est <strong>un</strong>e guerre interethnique, etc. Voilà la réaction des<br />

occidentaux. Il faut voir ce qu’écrivent les journaux ici. Ils n’osent pas oser<br />

nommer le <strong>génocide</strong>, ils parlent d’événements, de catastrophe et j’en passe<br />

comme s’ils résistent à l’idée qu’il y a eu <strong>un</strong> <strong>génocide</strong> !<br />

Les Belges, les Français, les Américains et surtout l’ONU ont retiré leurs troupes<br />

après que la situation s’était aggravée dans le pays du Rwanda.<br />

Est-ce qu’on ne pourrait pas dire alors que le <strong>génocide</strong> était la conséquence de<br />

l’échec de l’ONU et des états occidentaux ?<br />

- Si les casques bleus étaient restés sur place, il y aurait <strong>un</strong> nombre très<br />

très limité de victimes. Il y aurait eu <strong>un</strong> massacre et pas <strong>un</strong> <strong>génocide</strong>.


- 105 -<br />

Les miliciens auraient tué très peu de monde. Il n’y a pas de doute là-<br />

dessus. En ce sens on peut répondre oui à votre question. Mais le<br />

<strong>génocide</strong> a des racines profondes dans le pouvoir politique depuis<br />

l’empire colonial belge jusqu’au régime du Président Habyalimana<br />

(1973-1994) en passant par le régime du Président Kayibanda (1962-<br />

1973). Mais il faut dire et redire que les Etats occidentaux n’ont pas du<br />

tout voulu protéger les innocents qui mourraient devant leurs yeux (télé)<br />

à la machette.<br />

Qu’est-ce qu’on leur reproche ?<br />

- C’est simple, les casques bleus n’ont pas apporté assistance aux<br />

personnes en danger, pour parler juridiquement. L’exemple le plus<br />

emblématique est le camp des casques bleus à l’Ecole Technique<br />

Officielle qui se trouvait à Kicukiro (l’<strong>un</strong>e des parties de la ville Kigali).<br />

Des milliers de réfugiés dans ce camp avaient la vie sauve quand les<br />

casques blues étaient là malgré les miliciens qui rodaient derrière la<br />

clôture machettes et gourdins à la main. Le jour où les casques bleus<br />

ont quitté le camp, ces milliers d’innocents ont été tués, femmes,<br />

vieillards et bébés. Le film « shooting dogs » montre bien cette scène<br />

macabre de cette ignominie internationale.<br />

- Il faut dire que par cet acte de la comm<strong>un</strong>auté internationale, ces<br />

puissances ont failli à leur devoir d’ingérence anti-génocidaire. Il y a en<br />

fait l’obligation d’intervenir militairement au secours des victimes quand il<br />

s’agit d’<strong>un</strong> <strong>génocide</strong>. C’est pourquoi dans les premiers jours du<br />

<strong>génocide</strong>, l’ONU et ces puissances <strong>–</strong>là, ne voulaient pas parler de<br />

<strong>génocide</strong> pour ne pas intervenir<br />

A présent, quelles sont les relations avec ces nations ?<br />

- Les relations sont plus ou moins bons surtouts avec les pays qui ont bien voulu<br />

exprimer soutien ; qui ont demandé pardon de leur manquement. Un seul pays (la


- 106 -<br />

France) ne veut toujours pas demander pardon jusqu’à présent et ne reconnaît<br />

même pas son implication alors que plusieurs éléments de complicité militaire,<br />

politique, diplomatique et financière existent avec le gouvernement génocidaire. Je<br />

vous laisse suivre les détails à la prochaine conférence du 30 septembre.<br />

Comment les relations se sont-elles développées ?<br />

- Cette question mériterait <strong>un</strong> travail de recherche dans les archives au<br />

Ministère des affaires étrangères pour évaluer les échanges<br />

diplomatiques et l’évolution de la coopération avec différents pays<br />

occidentaux. Il serait donc prétentieux de répondre exhaustivement à<br />

cette question surtout que nous avons peu de temps ;<br />

- Néanmoins, on peut dire brièvement que les relations ont évolué<br />

lentement mais sûrement par les voies de la coopération normale entre<br />

Etats.<br />

- Le gouvernement rwandais a dû fournir des efforts pour atteindre des<br />

résultats meilleurs dans beaucoup de domaines notamment dans la<br />

sécurité, bonne gouvernance etc. Les occidentaux ont alors vu <strong>un</strong><br />

gouvernement sérieux. Si bien que la coopération est actuellement<br />

parfaite avec la plupart des pays occidentaux. Le Rwanda a des<br />

relations diplomatiques (présence physique des ambassades) avec la<br />

Grande Bretagne, la Belgique, l’Allemagne, les USA, la France, la<br />

Suisse, entre autres (la Suisse a son ambassade à Nairobi qui couvre<br />

aussi le Rwanda). Ces pays donnent <strong>un</strong>e aide financière et politique au<br />

Rwanda.


- 107 -<br />

Encore quelques questions sur la situation actuelle:<br />

A l'heure actuelle, quelle est l'importance du <strong>génocide</strong> au Rwanda?<br />

- L’importance se fait sentir dans la mesure où il y a <strong>un</strong> nombre considérable de<br />

rescapés qui souffrent du traumatisme et de pauvreté. Leurs biens ont été pillés et<br />

détruits pendant le <strong>génocide</strong>. La majorité des femmes sont veuves. Les je<strong>un</strong>es<br />

filles rescapées sont devenues trop tôt «chefs de famille» en ramassant ici et là<br />

quelques bébés et je<strong>un</strong>es enfants rescapés de leur familles ou des familles<br />

connues. Les séquelles du <strong>génocide</strong> sont toujours là. Beaucoup de je<strong>un</strong>es filles et<br />

de femmes violées pendant le <strong>génocide</strong> par les miliciens sont atteintes de<br />

HIV/SIDA.<br />

- Et puis il y a tout le travail de juger les présumés coupables du <strong>génocide</strong>, qui est<br />

<strong>un</strong> travail très difficile d’autant plus que le régime génocidaire a tout fait pour<br />

impliquer <strong>un</strong>e grande majorité de la population. Ceci dit, tous les hutu n’ont pas<br />

participé au <strong>génocide</strong>. Il y en a même ceux qui ont caché les Tutsi.<br />

Est-ce que l’aide humanitaire est encore offerte maintenant par quelques<br />

organisations ? (Desquelles ?)<br />

- L’aide humanitaire alimentaire, non. Nous sommes passés de la phase<br />

humanitaire d’urgence à la phase de développement. On ne veut plus<br />

d’aide humanitaire alimentaire. On veut travailler et produire beaucoup.<br />

Dès l’adoption de cette politique, les nombreuses vallées rwandaises<br />

produisent beaucoup de riz et autres produits alimentaires.<br />

L’autosuffisance alimentaire est l’objectif du gouvernement. On veut<br />

même produire pour exporter, après l’autosuffisance. Mais il existe<br />

quelques périodes de sécheresse malheureusement qui détruisent les<br />

récoltes, mais l’exploitation efficiente des marais réglera ces problèmes.<br />

- Cela dit la grande partie du budget du gouvernement vient de l’Aide<br />

extérieure appelée «l’aide publique au développement» (APD) ou Official


- 108 -<br />

Development Assistance (ODA). Les pays énumérés ci haut contribuent<br />

à donner cette aide.<br />

- Certaines organisations humanitaires continuent néanmoins d’aide le<br />

Rwanda comme le CICR, ACDI (Africa Care development initiative),<br />

Care international et autres.<br />

Comment le Rwanda s’est-il développé après le <strong>génocide</strong> ?<br />

- Je crois que j’ai dit cela à la première question où j’ai donné des éléments de<br />

développement politique et économique (vision 2020, stratégie de réduction de la<br />

pauvreté, bonne gouvernance).<br />

Y a-t-il eu <strong>un</strong> afflux/retour de réfugiés ou d’autres formes de migrations ?<br />

- Il y a eu <strong>un</strong> afflux massif de réfugiés rwandais en 1994 vers les pays voisins<br />

principalement la RDC et depuis, le gouvernement a encouragé les réfugiés à<br />

rentrer. Il reste très peu de réfugiés dans les pays voisins. La plupart se trouvent<br />

actuellement à RDC mais aussi en Occident comme en Belgique, au Canada, en<br />

France, en Suisse. Le gouvernement rwandais, soucieux de rapatrier sa<br />

population a fait <strong>un</strong>e initiative qui ne se fait pas normalement sous les règles du<br />

HCR. Le gouvernement organise, depuis quelques années, des initiatives<br />

tripartites (entre pays hôte des réfugiés, HCR et Gouvernement rwandais) afin de<br />

permettre aux réfugiés de se rendre dans le pays pour voir si la situation est bonne<br />

ou pas, après quoi, ils décident de rester ou pas. Dans l’histoire du HCR, cela n’a<br />

jamais existé car quand on est réfugié et qu’on retourne dans son pays on<br />

abandonne automatiquement son statut de réfugié. Le gouvernement a convaincu<br />

le HCR et actuellement cette pratique a permis beaucoup de réfugiés à se rendre<br />

compte que le Rwanda était paisible et ils sont rentrés.<br />

La situation économique comment a-t-elle évolué?<br />

(ici aussi je vais être bref)


- 109 -<br />

- Economie : définition de la vision 2020 en début 2000. C’est-à-dire <strong>un</strong><br />

document de politiques qui montrent le niveau de développement<br />

souhaité par le Rwanda en l’an 2020. Le Rwanda a défini cette vision<br />

2020 alors qu’il avait <strong>un</strong> produit intérieur brut (PIB) par habitat de 220<br />

dollars américains. C'est-à-dire que par an, en moyenne, <strong>un</strong> Rwandais<br />

reçoit l’équivalent de 220 dollars, calcul qui se fait par la méthode de<br />

parité du pouvoir d’achat. Alors, ceci montre qu’<strong>un</strong> Rwandais, en<br />

moyenne, n’a même pas <strong>un</strong> dollar par jour (220 divisé par 365). Ce qui<br />

fait que la population rwandaise se trouvait dans la situation d’extrême<br />

pauvreté. La vision 2020 prévoit que ce PIB par habitat sera de 900<br />

dollars américains en 2020 ; que l’agriculture sera modernisé, que les<br />

services, surtout les services basées sur les nouvelles technologies (ICT<br />

<strong>–</strong> information and comm<strong>un</strong>ication technology) seront très avancés. Alors,<br />

il y a eu <strong>un</strong>e stratégie de réduction de la pauvreté en 2001 pour<br />

commencer à mettre en œuvre cette vision petit à petit. Les résultats<br />

sont surtout dans le domaine de la santé et l’éducation. Une grande<br />

amélioration ! Mais les exportations du Rwanda restent<br />

malheureusement très peu : café, thé, peaux de chèvres et de vaches<br />

en état brut principalement. Récemment, il y a des efforts de<br />

diversification des exportations en y ajoutant des fleurs coupées d’<strong>un</strong>e<br />

grande qualité qu’on vend en Hollande, il y a aussi du café qu’on traite<br />

d’<strong>un</strong>e manière qui lui ajoute de la valeur si bien que le café ainsi traité<br />

est vendu 3 dollars soit fois le prix mondial d’<strong>un</strong> kg de café (1 dollar)<br />

améliorant ainsi la vie des ménages. Il y a eu aussi la mise en place<br />

d’<strong>un</strong>e association des femmes qui produisent des paniers traditionnels<br />

rwandais et qui bénéficient d’<strong>un</strong> marché aux Etats-Unis. Tous ces efforts<br />

ont permis d’avoir des taux de croissance économique très élevés : 9%<br />

en 2002, 6% en 2003 etc. La décentralisation a été mise en place depuis<br />

janvier 2006. Chaque région est à la fois autonome et responsable pour<br />

améliorer la vie des populations. Le préfet de chaque région a signé <strong>un</strong><br />

mémorandum d’engagement avec le président de la république<br />

concernant les objectifs à atteindre dans la transparence et avec la


- 110 -<br />

bonne gouvernance. L’année passée, en 2005, le G-8 a effacé la dette<br />

du Rwanda, plus d’<strong>un</strong> milliard de dollars grâce aux résultats positifs<br />

atteints. Ceci est fondamental. Car au lieu de payer la dette chaque<br />

année ainsi que des intérêts, on va produire cette fois-ci pour investir.<br />

Conclusion, avec l’engagement des leaders politiques et surtout avec la<br />

décentralisation qui responsabilisent les dirigeants à tous les niveaux, le<br />

Rwandais améliorera bientôt son bien être social et économique.<br />

L’accent mis sur l’égalité des sexes (women empowerment) contribuera<br />

y beaucoup.<br />

Situation culturelle ?<br />

- Culturellement, les Rwandais baignent dans <strong>un</strong>e culture profondément<br />

enracinée depuis la nuit des temps. Les chansons rwandaises ainsi que<br />

les danses traditionnelles rwandaises ont été développées ce qui a fait<br />

que la troupe nationale s’est classé première mondialement à plusieurs<br />

reprises dans les championnats mondiaux de danses traditionnelles. La<br />

langue <strong>un</strong>ique, le Kinyarwanda, facilite l’<strong>un</strong>ification culturelle rwandaise.<br />

Les sites traditionnels de haute importance dans l’histoire du Rwanda<br />

ont été mis en valeur. Etc.<br />

Comment les deux ethnies Hutu et Tutsi se sont-elles développées ? Est-ce que le<br />

fossé s’est aggravé ?<br />

- Non, au contraire (voir réponse que j’ai donnée à la première question mais si<br />

pas satisfait, vous pouvez me poser la question).<br />

Qu’est-ce que le gouvernement lui-même a fait pour affaiblir les tensions entre les<br />

différentes composantes du peuple rwandais ?<br />

- réponses à la première question


- 111 -<br />

Pourriez-vous nous dire des mesures concrètes et leurs résultats?<br />

- réponses à la première question<br />

Quelles sont les mesures qu’on prend contre le risque qu’<strong>un</strong> nouveau <strong>génocide</strong><br />

puisse se déclencher à partir) de la tension qui existe encore dans le pays ?<br />

- réponse à la première question<br />

Quelle est alors la leçon que le monde entier doit tirer du <strong>génocide</strong> ?<br />

- Il faut prévenir le <strong>génocide</strong> car le <strong>génocide</strong> a des signes avant coureurs<br />

- Nous avons suffisamment de preuves que dire « plus jamais » ne suffit<br />

pas. Il pourrait y avoir d’autres <strong>génocide</strong>s. Il faut donc <strong>un</strong> travail de<br />

sensibilisation dans des sociétés à risque. Mais surtout il faut prendre de<br />

mesures sérieuses contre <strong>un</strong> gouvernement qui soutient de tels actes ou<br />

manifestations ou discours de caractère génocidaire<br />

Combien de rwandais vivent en Suisse ?<br />

- beaucoup mais nous ne savons pas le nombre car il y a aussi les réfugiés, qui,<br />

en principe, n’ont pas de contact avec l’ambassade.<br />

Les tensions continuent-ils de se manifester ici, sur <strong>un</strong> terrain extérieur,<br />

éventuellement neutre?<br />

- Non ! En tout cas ici en Suisse c’est rare sinon inexistant.<br />

Quelle est l'attitude des autorités actuelles du Rwanda concernant des poursuites<br />

pénales contre des responsables de crimes contre l'humanité, en bref vis-à-vis du<br />

trib<strong>un</strong>al international sur les événements au Rwanda?


- 112 -<br />

- C’est <strong>un</strong>e attitude de coopération avec le trib<strong>un</strong>al. Mais il y a aussi <strong>un</strong>e attitude<br />

critique vis-à-vis d’<strong>un</strong> trib<strong>un</strong>al qui dépense trop de dollars sans faire <strong>un</strong> travail à la<br />

hauteur. Très peu de gens ont été jugé. Même l’architecte du <strong>génocide</strong> Bagosora<br />

n’est pas encore jugé alors que des millions de dollars dépensés sont énormes.<br />

Quelle est la fiabilité des chiffres de ceux qui sont morts?<br />

Il y a eu <strong>un</strong> recensement qui a été fait. Sur chaque village, on a essayé de compter<br />

ceux qui sont morts. Le responsable de chaque village donnait son résultat à la<br />

comm<strong>un</strong>e. Et chaque comm<strong>un</strong>e connaissait le nombre de ses morts. Toutes les<br />

comm<strong>un</strong>es ont comm<strong>un</strong>iqué leur nombre aux provinces et les provinces au<br />

gouvernement. Le nombre total de victimes du <strong>génocide</strong> dépasse <strong>un</strong> peu 1 million<br />

de morts.


- 113 -<br />

Deuxième Interview par E-mail le 10 novembre 2006<br />

1. Dans la conférence (à l’Université de Genève le 30 septembre 2006) ils ont dit<br />

que ce <strong>génocide</strong> est différent des autres, parce qu'on n'a pas choisit les victimes.<br />

Dans d'autres <strong>génocide</strong>s on choisit les victimes à cause de leur nationalité, leur<br />

religion. Est-ce qu’on peut dire alors que les tutsi sont des victimes "choisis"...?!<br />

La victime était désignée pendant le <strong>génocide</strong> des Tutsi. Des Tutsi ont été<br />

massacrés par de Hutu (surtout par des milices des partis au pouvoir bien<br />

entraînées pour tuer, les membres de l’armée ainsi que les populations mobilisées<br />

par les partis, les radios et les journaux). Donc la désignation de la victime était<br />

claire, ainsi que les instructions au passage à l’acte de tuer. Les radios et journaux<br />

ont clairement donné la consigne de tuer les Tutsi. Les critères d’identification des<br />

Tutsi étaient basés sur des clichés : par exemple la forme du nez, la taille (Tutsi<br />

étant identifié par les génocidaires comme très grands), etc. Mais surtout le<br />

voisinage a beaucoup joué car les gens du même village se connaissaient. Mais,<br />

lorsqu’il y avait des doutes, les tueurs demandaient la carte d’identité. La carte<br />

d’identité a été instaurée au Rwanda en 1930 par l’empire colonial belge. Depuis<br />

l’année 1930 donc, la puissance coloniale a imposé la mention de Tutsi, Hutu ou<br />

Twa sur la carte d’identité. Jusqu’au <strong>génocide</strong> cette mention était toujours en<br />

vigueur (mais le gouvernement actuel a éliminé cette mention dite ethnique). Donc,<br />

pendant le <strong>génocide</strong>, lorsque les génocidaires avaient des doutes sur l’identité<br />

d’<strong>un</strong>e personne, c’est-à-dire lorsqu’ils ne le connaissaient pas et qu’ils ne<br />

pouvaient pas être sûrs que cette personne était Tutsi ou Hutu, on lui demandait<br />

sa carte d’identité pour vérifier. En conclusion, oui, vous avez raison, les Tutsi<br />

étaient des victimes. D’ailleurs les génocidaires disaient clairement à la radio qu’il<br />

fallait éliminer les Tutsi, appelés serpents ou cafards. Toutes les victimes du<br />

<strong>génocide</strong> ont des noms dévalorisants. Alors, si dans cette conférence on a dit que<br />

ce <strong>génocide</strong> était différent, ce n’est pas parce qu’on n’a pas choisi les victimes. Je<br />

ne me rappelle pas le contexte de cette énoncée mais ce n’est absolument pas<br />

cela. Essayez de bien vous rappeler le contexte et écrivez-moi encore. La<br />

singularité de ce <strong>génocide</strong>, à mon avis, est que par exemple les génocidaires ne


- 114 -<br />

se gênaient pas à faire de la publicité de leurs massacres et à mobiliser<br />

publiquement les gens à tuer alors que dans d’autres <strong>génocide</strong>s, les auteurs ont<br />

tout fait pour le cacher. Une autre particularité, qui découle bien évidemment de ce<br />

qui précède, c’est que ce <strong>génocide</strong> a impliqué la masse y compris les voisins qui<br />

tuaient leurs voisins. Je dois vous dire que la campagne à éliminer les Tutsi<br />

notamment sur la Radio Télévision Libre des Mille Collines (TLM), dans les<br />

journaux comme Kangura, a été sans précédent dans l’histoire. Le procès des<br />

médias impliqués dans le <strong>génocide</strong> se passe actuellement au Trib<strong>un</strong>al<br />

International Pénal pour le Rwanda (TPIR) comme vous le savez.<br />

La France ne s'admette pas coupable. Bien qu'ils aient mis à la disposition des<br />

armes aux hutu. Est-ce qu'il y a d'autres arguments contraires pour qu'on puisse<br />

accuser la France comme complice de <strong>génocide</strong> ?<br />

Actuellement, il y a <strong>un</strong>e commission nationale rwandaise qui a été mise en place<br />

pour faire la lumière sur la responsabilité de la France dans le Génocide des Tutsi<br />

du Rwanda. Le livre dont je vous ai promis, « L’IMPRESCRIPTIBLE » fait <strong>un</strong>e<br />

analyse tout aussi détaillée (j’imagine car malheureusement je ne l’ai pas encore<br />

lu) mais je vais vous l’envoyer l<strong>un</strong>di et vous le verrez mardi. Je m’en excuse<br />

encore <strong>un</strong>e fois.<br />

A la fin de la conférence il y avait des participants qui se sont excité <strong>un</strong> peu que la<br />

Suisse laisse "entrer" des Rwandais qui ont tué des gens ?<br />

Nous nous sommes demandé, si on peut effectivement p<strong>un</strong>ir ces Rwandais? J'ai<br />

lu que ces gens étaient comme renforcés par les amis de tuer les tutsi. Ils n'ont<br />

presque pas eu de choix.<br />

La Suisse a déjà jugé <strong>un</strong> ancien maire du Rwanda du nom de Niyonteze Fulgence,<br />

Maire de la comm<strong>un</strong>e de Mushubati. La Suisse peut donc lancer des poursuites<br />

judiciaires contre qui que ce soit, selon les procédures en cours en Suisse, s’il<br />

existe des preuves de participation au <strong>génocide</strong>, au crime de guerre ou à tout


- 115 -<br />

autre crime. Personnellement je ne suis pas juriste et à ce titre, je ne suis pas<br />

mieux placé pour débattre de ce sujet. Y a <strong>–</strong>t-il des personnes qui ont tué parce<br />

qu’ils/elles n’avaient pas d’autres choix ? Je pense personnellement qu’on a<br />

toujours le choix. Mais C’est au juge d’apprécier dans quelles circonstances<br />

l'auteur a donné le coup mortel. C’est pour cela qu’il y a des circonstances<br />

atténuantes. Cela dit, je répète que je ne suis pas juriste et sincèrement vos<br />

questions m’incitent à apprendre davantage. Enfin, je vous conseillerais, pour<br />

compléter votre étude, de contacter les institutions suisses compétentes en la<br />

matière pour entendre leur version. En cela, votre étude serait plus complète.<br />

Dans le livre de Paul Rusesabagina "Hôtel Rwanda", il dit que ce <strong>génocide</strong> puisse<br />

se passer toujours de nouveau au Rwanda, parce que le pays n'est pas encore<br />

sûr, et il dit de plus, que, si le pays était sûr, il serait le premier d'y rentrer. Tous ça<br />

est <strong>un</strong> peu au contraire de ça que vous avez dit, alors que le pays Rwanda est <strong>un</strong><br />

du plus sécurisés au monde. C'est quoi alors qu'on peu tenir comme vrai?<br />

Bonne question : Paul Rusesabagina est déjà dans l’opposition politique de<br />

l’extérieur. Il ne peut vraiment pas dire du bien du régime actuel. Mais la réalité est<br />

qu’il ment. Il faudrait, peut-être, que vous discutiez avec quelques suisses qui vont<br />

souvent au Rwanda pour avoir <strong>un</strong>e idée que vous pourriez juger de neutre. Mais,<br />

<strong>un</strong>e fois de plus, je vous assure que le Rwanda est <strong>un</strong> pays très stable.<br />

Est-ce qu’il y aura <strong>un</strong> autre <strong>génocide</strong> ? J’ose ne pas y croire. Vous savez, le<br />

<strong>génocide</strong> ne tombe pas du ciel. C’est crime visant à éliminer <strong>un</strong> groupe de gens,<br />

en tout ou en partie, selon son appartenance spécifique identitaire ou supposé<br />

l’être (par exemple l’identité religieuse, ethnique, etc). Pour en arriver au <strong>génocide</strong>,<br />

il faut <strong>un</strong> processus de diabolisation, de valorisation négative de l’autre. L’autre est<br />

vu comme différent de « nous ». Il y a donc <strong>un</strong> travail macabre de différenciation<br />

entre « Nous » et « Eux » (division claire) qui sera suivi par des programmes<br />

d’incitation à la haine comme dans le cas du Rwanda. Et finalement de passage à<br />

l’acte criminel (soit publiquement comme dans le cas du Rwanda, soit en cachette<br />

comme dans le cas Nazis).


- 116 -<br />

Actuellement, le gouvernement rwandais embarque sur <strong>un</strong> programme tout à fait<br />

contraire ; alors diamétralement opposé, c’est-à-dire basé sur l’Unité nationale et<br />

réconciliation, liberté pour tous et sans discrimination avec la lutte contre la<br />

corruption et la promotion de la transparence politique. Il y a beaucoup encore à<br />

faire mais c’est déjà <strong>un</strong>e bonne base d’autant plus que ce programme est le socle<br />

de la vision 2020 du Rwanda.<br />

La seule situation envisageable d’<strong>un</strong> autre possible <strong>génocide</strong> serait que ce<br />

programme soit abandonnée au profit d’<strong>un</strong> programme divisionniste. J’ose espérer<br />

que les forces vives du Rwanda ne permettront pas <strong>un</strong> tel recul en arrière. Et je<br />

suis presque sûr cela n’arrivera pas.

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