N. 16 Italia : Imaginations Passions Parcours - ViceVersaMag
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GIORGIO STREHLER : L'ILLUSTRE METTEUR EN SCÈNE...<br />
inconnu du grand public québécois.<br />
* . * • * - -<br />
Le Roi Lear Shakespeare<br />
««S M»<br />
X<br />
Il faut aider l'homme à se reconnaître en ce qui est<br />
humain, non en te qui est inhumain. »<br />
Strehler<br />
« Toujours la scène du réveil de Lear. Image DdfliPllP 7CLYICL déchirante : un homme très vieux, tel un<br />
enfant qui vient de naître d'un sommeil de £MFIM mort b|anc et diaphane, les mains jointes,<br />
de petits ongles incroyablement transparents, dans le giron d'une toute jeune fille assise, sereine et grave, qui lui caresse<br />
lentement les cheveux, les écarte de son front rempli de sillons bleutés, comme de fines veines. Le geste très doux, le<br />
sourire, la tendresse, la peine, l'amour, la pitié pour la vie qui revient, qui renaît. Le vieillard a les genoux plies, les poings<br />
presque serrés et il respire à peine. Puis il ouvre les yeux et les fixe sur ceux de la jeune fille. Le vieillard est le père,<br />
la jeune fille est sa fille. Le père qui renaît à la vie (la vie véritable) grâce à sa fille qui l'a « toujours aimé ». Fille et<br />
mère éternellement. La boucle de la vie et des âges qui se referme en un geste. En un acte d'amour. » Ces propos de<br />
Strehler extraits de ses notes sur la mise en scène du « ROI LEAR » de Shakespeare évoquent une image sublime gravée<br />
pour toujours dans ma mémoire. À deux reprises j'ai assisté à la représentation de ce grand texte shakespearien par le Piccolo<br />
Teatro de Milan. J'aurais pu voir le spectacle tous les soirs dans une langue que je ne comprends pas, je ne m'en serais<br />
jamais lassée tant les mises en scène de Strehler sont des sources inépuisables de signification, de force et de beauté.<br />
Mais au-delà de la fascination qu'exerce le<br />
sublime, il y a une démarche humainement<br />
philosophique et poétique, profondément<br />
vivante qui anime cet infatigable<br />
artiste, homme de combat, esthète,<br />
humaniste, poète de l'art scénique.<br />
Strehler est hanté par Goldoni « génie de la vie » qui<br />
s'efforça jusqu'à sa mort de faire converger le Monde et<br />
le Théâtre.<br />
« L'histoire de Goldoni est une histoire exemplairement<br />
tragique et héroïque, modeste mais héroïque. [...] Jusqu'au<br />
dernier jour il a suivi son destin, son "génie comique". Et<br />
son "génie de la vie" : observer, comparer, s'interroger, tenter<br />
de comprendre. Comme il le pouvait, et plus qu'il ne<br />
le pouvait » 2 .<br />
S'il se considère comme un autodidacte, Strehler ne<br />
refuse pas toutefois l'enseignement des Maîtres. Jacques<br />
Copeau, Louis Jouvet et Bertolt Brecht.<br />
Du premier il retient le sens de l'unité entre la parole<br />
écrite et les éléments constitutifs de la représentation. Aussi,<br />
l'exigence d'éthique qui caractérisait Copeau, le théâtre<br />
comme un acte total et comme responsabilité morale.<br />
À Jouvet qu'il a connu dans sa jeunesse, il doit l'amour<br />
du métier, la « compréhension sensible », « l'abandon intuitif<br />
» au texte. En revanche, il ne peut souscrire à l'idée de<br />
Jouvet selon laquelle l'homme de théâtre est « comme un<br />
vase vide, creux, résonnant, prêt à être utilisé et habité ».<br />
« L'acteur comme instrument impersonnel qui capte la<br />
vérité du théâtre. »3<br />
Strehler en quête d'interrogations ne peut se satisfaire<br />
de cette vision totalisante et narcissique. « Et la vie? Et<br />
l'homme ? Et l'humanité vivante de cet homme-vase-creuxrésonnant-habitacle<br />
anonyme, où est-elle? » 4<br />
C'est, de toute évidence, Brecht qui constituera la<br />
pierre angulaire de la démarche strehlérienne. « Ce que<br />
Brecht m'a enseigné (parmi tant d'autres choses) et qu'il<br />
La Cerisaie de Thckh.n<br />
continue à m'enseigner, c'est un théâtre humain riche,<br />
entièrement théâtre (celui de Jouvet d'une certaine façon)<br />
mais qui n'est pas une fin en soi, qui n'est pas seulement<br />
théâtre. Un théâtre fait pour les hommes pour les divertir,<br />
mais aussi pour les aider à se transformer et à transformer<br />
ce monde en un monde meilleur, en un monde pour<br />
l'homme. Être acteur et homme de théâtre, mais exister<br />
aussi en tant qu'individu conscient et responsable. La possibilité<br />
de vivre, en les intégrant, ces deux plans humains,<br />
en même temps et avec la même intensité. Non pas un théâtre<br />
hors de l'histoire, hors du temps, non pas le théâtre éternel<br />
de toujours, non pas l'histoire contre le théâtre, mais<br />
histoire et théâtre, monde et vie en même temps, en un<br />
rapport dialectique continu, difficile, parfois douloureux<br />
mais toujours actif, toujours attentif au devenir général. » 5<br />
Le Piccolo Teatro : un théâtre dialectique<br />
En 1956 la rencontre avec Brecht est déterminante Elle<br />
amorce un tournant dans l'évolution du Piccolo créé en<br />
1947. La mise en scène de Strehler de « L'OPÉRA DE<br />
QUAT'SOUS ». admirée par Brecht, amorce une série d'expériences<br />
de théâtre épique. Ce second souffle du Piccolo,<br />
comme le note Bernard Dort, n'annule en rien la démarche<br />
fondatrice. • Brecht ne vient pas remplacer Goldoni<br />
défaillant. Il suit immédiatement les grandes mises en scène<br />
de Strehler : celles de "La trilogie de la villégiature" de Goldoni<br />
et de "La cerisaie" de Tchékhov. » b<br />
L'influence brechtienne permet à Strehler de renforcer<br />
en le dynamisant le mouvement dialectique entre le<br />
Monde et le Théâtre.<br />
« Le théâtre épique n'apporte pas de réponse définitive<br />
au dialogue entre le Monde et le Théâtre, entre l'imitation<br />
et l'invention, entre le respect du quotidien et sa<br />
négation par la fantaisie. [...] 11 lui donne seulement plus<br />
d'ampleur. Et transforme une opposition en une complémentarité<br />
— non en une totalité. »"