N. 16 Italia : Imaginations Passions Parcours - ViceVersaMag
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•*£•<br />
V<br />
*Né<br />
Transmigrations<br />
comme une réalité<br />
L'immigrant, et plus encore, le fils d'immi- PJPTVP RPYtVÛYld grant italien ' P orte en lui '<br />
incarnée, concrète, le « thème » de l'« autre » Il UliU Italie Ce qui j m p o r t e i ^ c'est ]'« autre B pius<br />
que l'Italie. L'autre se définit par rapport au même, c'est-à-dire par rapport à l'Italie, conçue comme le même, ou la même.<br />
Chez l'immigrant, l'Italie qu'il porte en lui est « autre » que l'Italie réelle, l'Italie de la « botte », l'Italie des frontières. L'autre<br />
Italie est une Italie hors frontières, une Italie psychique plutôt que géographique, l'Italie de la mémoire plutôt que de la perception.<br />
C'est une Italie temporelle plutôt que spatiale, l'Italie telle qu'on l'a connue, l'Italie du passé, l'Italie absente, lointaine.<br />
Chez le fils d'immigrant, le décalage est encore plus grand. L'autre Italie consiste en « effets », dont l'Italie ou l'italianité peut être<br />
la cause, mais des effets qui peuvent n'avoir aucune ressemblance avec la cause. Les effets d'avoir des parents ou des grandsparents<br />
italiens, ce que ça crée en quelqu'un, comment c'est vécu, non seulement à un niveau apparent, mais à un niveau<br />
inconscient et difficilement assignable, difficilement identifiable par le qualificatif d'« italien ». Le fait, notamment, d'être « mineur »,<br />
d'appartenir à une minorité, de sentir en soi une différence irréductible, qui provient d'abord de l'attribut « italien », mais qui<br />
prend aussi beaucoup d'autres sens : le fait d'être soi-même « autre », de se sentir partout « ailleurs », de n'être intégré à<br />
aucun peuple, aucune nation, de se sentir différent sans qu'on puisse même savoir à quoi tient précisément ce sentiment.<br />
On peut être homosexuel, et cette homosexualité<br />
a en elle quelque chose<br />
d'étrangement « ethnique », comme une<br />
continuation, un effet de la « différence »<br />
italienne. Le fait d'avoir un léger accent, ce<br />
qui nous fera toujours percevoir comme « étranger », même<br />
si on est né ici. Le fait, bien sûr. d'avoir un nom qui sonne<br />
étranger, qui sonne étrangement. Les préjugés, les ostracismes,<br />
que cela implique. Etc.<br />
L'autre de l'Italie est cette différence, ce décalage en<br />
nous, qui s'exprime par un autre regard, et un autre visage,<br />
une autre psyché.<br />
» • •<br />
L'autre Italie, c'est aussi VICE VERSA, un embryon de<br />
communauté, un rassemblement, un mouvement, une<br />
« différence ». On voudrait que VICE VERSA soit facilement<br />
identifiable, comme une entité, un être. Mais pour être<br />
fidèle a l'attenté, à la différence, on ne peut être une entité,<br />
une clique, une chapelle. On se doit nécessairement d'être<br />
un mouvement, un passage, où ce qui importe, c'est le passage<br />
même, et non les termes entre lesquels s'effectue ce<br />
passage. L'effet de la cause qui serait l'Italie n'est pas un autre<br />
« être », mais un devenir. C'est ce que le terme de « transculturel<br />
» exprime très bien : non pas une identité, un point<br />
fixe, mais un devenir, une ligne, un parcours, un voyage,<br />
une migration qui continue encore. À l'immigration du père<br />
s'est substituée la migration du fils, c'est-à-dire la persistance<br />
de cette différence, qui n'est plus italienne à proprement<br />
parler, mais dont l'Italie n'est que la cause, sans qu'il y ait<br />
de ressemblance entre la cause et l'effet. En d'autres mots,<br />
VICE VERSA, comme le fils d'immigrant italien, crée sa propre<br />
réalité au fur et à mesure de son parcours, de sa parution,<br />
de sa vie. L'« autre » est la seule réalité, et ne s'évalue<br />
pas par rapport au « même », qui n'est qu'un fantasme, fantasme<br />
de la mémoire, fantasme de la pensée. Transculturcl<br />
est ce qui se trouve entre et parmi les choses identifiables,<br />
c'est le devenir entre les présumées « choses », ce qui fait<br />
devenir chaque chose, ce qui insère la différence irréductible<br />
au sein de chaque chose.<br />
Alors, l'identité ne se dit que de la différence, l'unité<br />
ne se dit que de la diversité, l'être ne se dit que du devenir.<br />
La seule identité est la différence, la seule unité est la diversité,<br />
le seul être est le devenir. Le seul « même » est I'« autre<br />
». L'autre Italie, à un moment où il n'y a plus d'Italie qui<br />
soit la même, qui soit l'Italie « elle-même ».<br />
• • •<br />
C'est la raison pour laquelle le fils d'immigrant italien<br />
n'est ni Italien, ni Canadien, mais entre les deux, dans un<br />
devenir entre les deux où l'entité italienne change de nature<br />
comme l'entité canadienne, pour donner naissance à un<br />
1<br />
processus qu'on ne peut qualifier ni de canadien ni d'italien.<br />
Un processus qui est la seule réalité non fixe, non stable.<br />
Un processus littéralement et pléonastiquement<br />
transculturel.<br />
Comme la pensée fonctionne par identités, fixités,<br />
êtres, cette altérité, cette différence, ce devenir est difficile<br />
à penser. C'est ce qui explique, notamment, que le fils d'immigrant<br />
a en lui quelque chose d'imperceptible, d'inassignable,<br />
d'inconnu. C'est ce qui explique qu'on se pose des<br />
questions sur l'« identité » de VICE VERSA, qu'on ait de<br />
la difficulté à percevoir la • singularité » de ce magazine.<br />
C'est qu'il faut perdre ses « habitudes » de pensée, qu'il faut<br />
forcer la pensée à penser l'« impensable ». L'identité, l'unité<br />
de VICE VERSA est immanente à son parcours, à sa diversité,<br />
et ne peut être trouvée dans une quelconque instance<br />
extérieure, transcendante, par exemple une politique éditorialc.<br />
On est trop habitué à percevoir la vie du point de<br />
vue de la mort, le fait, l'acte du point de vue de l'image,<br />
du fantasme, l'indéfini, l'infini, le non-fini du point de vue<br />
de la définition. On ne risque pas alors de comprendre.<br />
• • •<br />
Ce n'est qu'au moment où le fils d'immigrant italien<br />
aura complètement renoncé à son italianité qu'il pourra<br />
retrouver l'Italie. De même, ce n'est qu'au moment où l'enfant<br />
a perdu tout contact avec sa mère qu'il peut de nouveau<br />
reconnaître celle-ci et être reconnu par elle. C'est