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N. 16 Italia : Imaginations Passions Parcours - ViceVersaMag

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Vidal Sephiha, cité par Deleuze et Guattari, nomme intensif<br />

« tout outil linguistique qui permet de tendre vers les<br />

limites d'une notion ou de la dépasser ». On peut donc<br />

appliquer cette fonction de tenseur à tout ce qui peut<br />

induire un mouvement de la culture vers ses extrêmes, vers<br />

un au-delà réversible.<br />

L'Italie — mais cela aurait pu être un autre pays — joue<br />

pour ces Québécois italianisants ce rôle de tenseur. Naturellement<br />

l'apprentissage d'une langue étrangère ne conduit<br />

pas nécessairement à cette fonction de l'intensif. Des<br />

circonstances particulières président à son avènement. La<br />

familiarité que confère les mêmes racines latines, catholiques<br />

et paysannes en est une. Le sentiment à la fois vague<br />

et précis de partager une faille secrète et intime en est une<br />

autre.<br />

L'Italie, pays d'émigration, durci par des siècles de<br />

domination étrangère et dont l'identité problématique<br />

demeure écanelée par la question méridionale ne renvoiet-elle<br />

pas le Québécois à son propre destin de minoritaire ?<br />

C'est cette conjonction très spéciale, née du hasard et de<br />

la nécessité, que ces amoureux de l'Italie ont captée sans<br />

peut-être le soupçonner.<br />

Mais on pourrait multiplier les ressemblances, approfondir<br />

les analogies, jamais elles ne coïncideront. Car l'Italie<br />

est évidemment une société très différente de celle du Québec.<br />

C'est dans cette marge, cette disjonction que réside<br />

justement cette étrange familiarité. Le même se reconnaît<br />

tel au moment où il se distingue de l'autre. Ces Québécois<br />

semblent aujourd'hui incarner ce moment où ils s'identifient<br />

à l'autre tout en faisant l'économie du rapport fusionne!<br />

avec lui.<br />

On connaît la difficulté historique du Québec à consommer<br />

une fois pour toutes la rupture avec la culture originelle<br />

: la France. Ses rapports ambigus avec la langue française<br />

procèdent de cet état de chose. À la fois désiré et<br />

honni, le français normatif reflète les contradictions, les<br />

tiraillements qui ont sans cesse déchiré les Québécois entre<br />

être d'ici (l'Amérique) et originer de là-bas (l'Europe). Inutile<br />

d'insister sur les conditions historiques qui ont interdit<br />

à ces Français d'Amérique l'accession à la souveraineté<br />

nationale dont l'avènement aurait réparé le sentiment<br />

d'abandon, consécutif aux défaites de 1763 et de 1837.<br />

Devenir<br />

Bien qu'accentuant leur condition minoritaire, l'incapacité<br />

des Québécois à recréer la totalité de la francité perdue<br />

sur le territoire américain est paradoxalement leur salut.<br />

Car cet échec garde ouverte la blessure originelle qui leur<br />

permet de reconnaître l'autre, d'être l'autre. L'inachèvement<br />

de la francité rend ainsi possible ce devenir autre présent<br />

dans toute culture et dont il est le fondement véritable.<br />

L'assumer pleinement, sans regret ni amertume, tel est<br />

le choix qui se pose à celui qui veut éviter la tentation du<br />

mineur, la complaisance des formes mineures, du ressentiment<br />

qui hante toute communauté incertaine d'elle-même.<br />

Car c'est dans l'altérité que réside la créativité dont chacun<br />

a besoin pour se renouveler, se transformer.<br />

En s'identifiant à l'Italie par la pratique de la langue<br />

ou par l'adoption de certaines habitudes, ces Québécois<br />

permettent un échange, une réciprocité inédite avec la<br />

minorité italienne qui vit près d'eux, et par voie de conséquence<br />

avec toute minorité. Pour la première fois, ces collectivités<br />

déplacées ne se sentiraient plus obligées de renier<br />

leur origine pour s'intégrer. Leur double identité coexiste-<br />

En portant Vimaginaire<br />

québécois à son point<br />

d'incandescence, l'altérité<br />

présente dans la culture<br />

italienne peut contribuer à le<br />

dénouer de tout rapport de<br />

redevance au symbolique lié à<br />

la culture d'origine. Et vice<br />

versa.<br />

rait en même temps. Dualité qui ne vas pas sans heurts mais<br />

qui est riche d'inventivité dans la mesure où l'on consent<br />

à ce qui est, au lieu d'y résister, de le nier. C'est finalement<br />

le pari de toute situation transculturelle dont le devenir est<br />

appelé à s'amplifier dans les prochaines décennies.<br />

La signification de l'italianité au Québec réside dans<br />

ce pari — elle n'aurait aucun sens autrement. Permettre le<br />

passage. Réversibiliser l'ego. L'annuler dans l'autre. Alors il<br />

ne restera plus que la circulation libre des identités, des<br />

langues échangeant leurs signes, leurs intensités, leur indétermination.<br />

Alors il ne restera plus que ce que mon ami<br />

Pierre Bertrand appelle « la vision ».<br />

En quoi consiste-t-elle ? Et bien simplement en « un<br />

contact de très près, en profondeur, très intense, sans séparation,<br />

sans division, sans distance et sans identification.<br />

Contact où on voit très clairement, sans confusion, sans<br />

analyse, sans explication ». Et, ajouterais-je, que peut-on<br />

voir de si limpide sinon son propre destin se muer en<br />

destinée.<br />

Aimer<br />

Les Latins avaient une belle expression pour qualifier<br />

la transformation inéluctable du destin ; ils l'appelaient<br />

« amor fati », l'amour du destin. Chaque individu, chaque<br />

peuple est un jour appelé à consentir à son destin. Sa grandeur<br />

procède justement de ce moment d'effondrement où<br />

il n'est plus rien et où il peut être tout. C'est l'épreuve à<br />

laquelle se trouve convié l'individu qui veut faire la preuve<br />

de sa singularité. N'être rien. Miroir, surface où viennent<br />

danser, se réverbérer tous les possibles.<br />

Qui d'entre vous ne se souvient pas de ces vieux films<br />

comiques où, à la suite dune poursuite, le personnage se<br />

trouve devant un grand miroir. 11 le palpe cherchant celui<br />

qu'il poursuit. Brusquement le miroir pivote et il bascule,<br />

comme Alice, de l'autre côté. Aujourd'hui, nous sommes<br />

plusieurs à être le miroir de l'autre. Il y a toujours quelqu'un<br />

derrière qui se retrouve lui aussi, étonné, de l'autre côté,<br />

sur l'autre rive. D<br />

Voyages en Italie<br />

Ce que j'ai rêvé enfant<br />

S'est réalisé un jour et se perpétue<br />

Comme si le rêve n'était qu'une prémonition<br />

Nécessaire au bonheur :<br />

Les Alpes sont vertes et grises<br />

Les voix étrusques muées en codes<br />

indéchiffrables<br />

Les ruines feignent la chaleur humaine : voix<br />

des ciceroni<br />

Les masques vénitiens reflètent l'irréparable<br />

La percussion des lumières aveugle l'horizon<br />

des sens<br />

Et les ombres chinoises des siècles romains<br />

Jouent le théâtre de la mort<br />

Toujours précoce<br />

Face à l'immortalité des statues<br />

Et à l'entêtement des symboles<br />

Je les ai suivis<br />

Jusqu'à la saturation<br />

À rome ou à Duino<br />

À Trieste ou à Venise<br />

Mais non c'était à Sienne<br />

J'ai compris :<br />

La vanité de l'espace qui s'appelle Italie<br />

Donne le vertige de l'Exil<br />

À jamais inarteignable<br />

Dans le paysage symbolique<br />

Où trop de signes jonchent l'illusion<br />

D'un autre monde<br />

Et les masques mortuaires<br />

Respirent le bonheur<br />

D'être regardés par les touristes<br />

Comme si la vie n'était qu'une antithèse<br />

néfaste<br />

De la mort heureuse.<br />

24 août 1986<br />

Wladimir Krysinski<br />

Par hasard,<br />

Firenze Suite de la page 30<br />

les compliments quand on sent qu'on les mérite. Ils proposent<br />

même que je continue et accepteraient de me payer,<br />

l'échange étant terminé. Je continuerai. J'ai besoin des sous.<br />

Malgré les nombreuses heures que je passe à sabler,<br />

je dessine régulièrement. Mais cela ne suffit pas bien à contenir<br />

toute l'énergie qui s'accumule au bout de mes doigts.<br />

J'ai de plus en plus besoin (c'est au-delà de l'envie maintenant)<br />

de me remettre à la peinture. Même si j'arpente régulièrement<br />

la ville, je n'ai pas encore trouvé cet espace rare.<br />

Il est curieux de penser qu'à une certaine époque, Florence<br />

fut en effet l'endroit privilégié des ateliers et des studios.<br />

Ce temps est définitivement révolu. Le seul peintre que j'ai<br />

rencontré depuis mon arrivée ici travaille chez lui. J'imagine<br />

que c'est le cas d'à peu près tout le monde à moins<br />

d'être l'heureux bénéficiaire d'une immense fortune. Pas<br />

mon cas.<br />

12 janvier<br />

Le temps passe toujours trop vite. Je n'arrive pas à tout<br />

faire. Il est peut-être heureux que je n'aie pas encore vraiment<br />

de vie sociale dont il me faudrait tenir compte.<br />

La 3 e classe commencée depuis quelques jours est<br />

pire que les deux autres. Les trous sont de plus en plus<br />

grands. Ou est-ce moi qui suis de plus en plus perfectionniste<br />

? Mes mains et ma patience s'abîment.<br />

Anna Maria, la concierge de l'école veille sur les lieux.<br />

C'est une pièce de femme et tout un personnage. Pas nécessaire<br />

de lui sortir les vers du nez. Elle cause : astrologie.<br />

politique, comme physique nucléaire. En français, en latin<br />

ou en italien. Jamais à court de mots, ni à court de potins.<br />

Bref, je suis en bonne compagnie, veux-veux pas. Ça va<br />

même plus loin, puisqu'on nous associe, je crois, pour le<br />

meilleur et pour le pire : on est les deux « cas » de l'école.<br />

Depuis quelques jours, les profs parlent d'acquérir le<br />

troisième étage de l'édifice. La lumière à cet étage est vraiment<br />

plus belle, inondant l'espace d'une clarté plus laiteuse,<br />

plus douce. Ce serait parfait pour y faire un atelier...<br />

15 janvier<br />

J'ai terminé la troisième classe. C'était tard dans la nuit<br />

et l'Anna Maria y était toujours. J'ai dû marcher pour revenir<br />

à la maison. Cela me prend quarante minutes. Et c'est<br />

un beau trajet à faire dans Florence endormie.<br />

En passant sur le pont, je regarde l'eau noire de l'Arno.<br />

Une lumière bleue s'y reflète. Je songe au bain parfumé à<br />

la mélisse dans lequel je me laisserai disparaître tout à<br />

l'heure, abandonnant tous mes muscles à la chaleur de l'eau.<br />

Moment vital où je rétablis l'équilibre. Les eaux de mon<br />

corps s'unissent à celles du bain et je pleure. Je glisse. Je<br />

fonds. Je plonge et je me noie. J'en sortirai affaiblie mais<br />

claire.<br />

19 janvier<br />

Ma proposition a été acceptée. C'est l'ivresse totale. J'ai<br />

déjà déménagé tout mon stock et ce soir, assise au centre<br />

de cette pièce vide, je regarde ces murs où naîtront les formes<br />

qui germent au fond de moi depuis tant de temps<br />

maintenant. Mes mains réussiront-elles à leur donner corps<br />

et vie ? Je touche le papier que j'ai acheté, blanc, doux, I.'accouchement<br />

pourra-t-il se faire sans trop de douleurs ? Je<br />

n'y pense pas longtemps.<br />

Drôle de métier qui n'en est pas un. Ou alors qui n'est<br />

pas seulement un métier. Pas seulement un travail. C'est<br />

plus global. Plus envahissant. Une occupation qui monopolise<br />

tout mon corps. Tout mon esprit. Des heures entières<br />

à errer, à méditer, à projeter. Puis tout recommencer.<br />

suivre un filon à tâtons. Comme un aveugle. C'est d'autant<br />

plus vrai que je ne travaille présentement qu'avec mes<br />

mains.<br />

Que je désire cet état de libre errance, d'abandon du<br />

corps à l'esprit qui veille, ou est-ce l'inverse ? Abandon de<br />

l'esprit au corps intuitif?<br />

Assise au milieu de cette classe qui sera mon atelier.<br />

aujourd'hui, là maintenant, pour quelques minutes de paix<br />

absolument parfaite, je ne désire rien, ni personne. Le sen<br />

liment est tellement bon. qu'il m'endort presque. D<br />

restaurant italien<br />

fine cuisine toscane<br />

825 est, ave laurier<br />

montréal, 27cV1580

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