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« Une prophétie s’<strong>es</strong>t accomplie, r<strong>es</strong>te l’autre… Agis donc<br />
sans scrupule, moi je demeure auprès de mon époux et de mon<br />
dieu. »<br />
De sombr<strong>es</strong> jours, lourds de souffrance, m’accablèrent,<br />
arrachant de mon cœur l<strong>es</strong> heureux souvenirs du passé, comme<br />
si de ma vie je n’avais jamais goûté au bonheur. Ployant sous le<br />
faix de mon sentiment de culpabilité, j’observais de ma fenêtre<br />
la cité de la lumière et s<strong>es</strong> habitants qui se préparaient à l’exode<br />
pour échapper aux serr<strong>es</strong> de la malédiction. Leurs murmur<strong>es</strong> et<br />
leurs pleurs montaient jusqu'à moi, sanglots de leurs enfants,<br />
aboiements de leurs chiens, et je contemplais leur flux<br />
ininterrompu, longu<strong>es</strong> fil<strong>es</strong> d’exilés chargés de leurs poss<strong>es</strong>sions<br />
l<strong>es</strong> moins encombrant<strong>es</strong>, qui s'égaillaient vers le Nil, le nord ou<br />
le sud, scellant à jamais derrière eux port<strong>es</strong> et fenêtr<strong>es</strong>, et je l<strong>es</strong><br />
poursuivis de mon regard perplexe jusqu’au dernier vivant.<br />
Alors une implacable solitude s’abattit sur l<strong>es</strong> maisons, l<strong>es</strong><br />
jardins, l<strong>es</strong> ru<strong>es</strong>, étreignit l<strong>es</strong> arbr<strong>es</strong>, et je vis l’ombre du néant<br />
planer dans l’air, bruissant de son ironique présage.<br />
« Akhétaton ! m’écriai-je de tout mon cœur bl<strong>es</strong>sé, ô cité de<br />
lumière, ô ville de la solitude assassine, ô prom<strong>es</strong>se flouée, ô<br />
d<strong>es</strong>tinée, où sont l<strong>es</strong> od<strong>es</strong> et l<strong>es</strong> chants, où sont l<strong>es</strong> baisers de<br />
l’amour et de la victoire, où <strong>es</strong>-tu, ô dieu unique, pourquoi as-tu<br />
abandonné t<strong>es</strong> fidèl<strong>es</strong> ? »<br />
La ville se vida, expira d’heure en heure, et il n’y demeura<br />
plus que deux prisonniers, mon bien-aimé et moi-même, sous la<br />
surveillance de quelqu<strong>es</strong> soldats de la garde ennemie. À quoi<br />
songeait-il, que pensait-il de moi, qu’était-il advenu de sa foi ?<br />
Je décidai d’aller le voir pour justifier mon attitude, mais on<br />
m’interdit de quitter mon palais ou de corr<strong>es</strong>pondre avec lui, et<br />
je compris que je n’avais plus qu’à attendre la mort, recluse<br />
dans ma prison, comme mon maître bien-aimé. J’entrepris de<br />
soumettre ma simple et légitime requête au nouveau pharaon, à<br />
mon père Aÿ, ou à Horemheb, mais le chef de la garde me<br />
répondit d’un ton rude et catégorique que je n’avais pas le droit<br />
de communiquer avec l’extérieur.<br />
Je me résignai donc à cette existence solitaire, triste et sans<br />
<strong>es</strong>poir. Je perdis la notion du temps, absorbée dans d<strong>es</strong><br />
réflexions douloureus<strong>es</strong> et d’inc<strong>es</strong>sant<strong>es</strong> prièr<strong>es</strong>, jusqu’à ce que<br />
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