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Quartett par Heiner Müller - Odéon Théâtre de l'Europe

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› Du roman à la pièce<br />

4 - Merteuil - matériau<br />

<strong>Heiner</strong> <strong>Müller</strong> n’est pas le premier à faire faire du théâtre à un texte non-dramatique. Alors pourquoi pas Les<br />

Liaisons dangereuses ? Ce roman va répétant que le mon<strong>de</strong> est un théâtre et l’homme un acteur : le libertin est au<br />

fond celui qui a compris la leçon et essaye d’en faire son profit. La marquise <strong>de</strong> Merteuil ne s’en cache pas, qui met<br />

à son programme <strong>de</strong> «joindre à l’esprit d’un auteur le talent d’un comédien». On ajouterait aujourd’hui : et le<br />

<strong>de</strong>spotisme d’un metteur en scène. Rien d’étonnant donc qu’un auteur <strong>de</strong> théâtre soit tenté d’exprimer, comme jus<br />

<strong>de</strong> citron, la théâtralité dont le roman est gorgé. Façon peut-être <strong>de</strong> rendre au théâtre ce qui ap<strong>par</strong>tient au théâtre.<br />

Pourtant ce <strong>Quartett</strong> déconcerte et fait fausse note dans le concert <strong>de</strong>s adaptations ou transpositions dramatiques <strong>de</strong><br />

tout poil. Celles-ci en effet ont d’abord pour principe minimal un certain respect <strong>de</strong> l’œuvre d’origine. Elles tablent<br />

sur sa valeur, s’efforcent d’empocher la monnaie <strong>de</strong> sa pièce, si j’ose dire, surtout s’il s’agit d’un chef-d’œuvre<br />

classique. Bref, elles font le <strong>par</strong>i <strong>de</strong> la vie ou <strong>de</strong> la survie <strong>de</strong> celui-ci. Et même quand ces entreprises voulurent se<br />

faire passer pour <strong>de</strong>s mises en pièces, mises en crise et autres déconstructions qui firent nos petites semaines<br />

philosophiques il n’y a pas si longtemps, elles ne mettaient jamais en doute l’existence et la pérennité <strong>de</strong>s œuvres<br />

dont en <strong>par</strong>tie elles dérobaient la substance. Elles étaient tout sauf mécréantes, artistiquement ou plutôt<br />

culturellement s’entend. II y avait ainsi échange <strong>de</strong> bons procédés: je te prête ma gloire, et, toi, tu me rappelles au<br />

bon souvenir <strong>de</strong>s hommes. Une tractation comme une autre.<br />

<strong>Müller</strong> en use autrement. Il ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas aux Liaisons dangereuses qu’elles prêtent vie à son œuvre.<br />

Ap<strong>par</strong>emment, il ne cherche pas non plus, à la Brecht, à éprouver l’héritage littéraire en testant la valeur <strong>de</strong><br />

matériau du roman <strong>de</strong> Laclos pas plus qu’il ne se pose la question <strong>de</strong> savoir si et éventuellement sous quelles<br />

conditions Les Liaisons dangereuses pourraient encore servir; il commence <strong>par</strong> détraquer complètement le roman.<br />

II fait exactement ce que le roman <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’on ne fasse pas pour qu’il existe. Autrement dit, <strong>Müller</strong> commence<br />

<strong>par</strong> la trahison, mot qui lui va bien. Scha<strong>de</strong>nfreu<strong>de</strong>? <strong>Quartett</strong> suppose le désastre <strong>de</strong>s Liaisons dangereuses. En<br />

réunissant la marquise et Valmont, il commet le coup <strong>de</strong> grâce contre le roman en frappant à l’endroit <strong>de</strong> moindre<br />

résistance. Ainsi le passage du roman au théâtre n’est pas un simple transvasement, échange ou change <strong>de</strong> forme<br />

mais une véritable déformation . (défiguration), perte <strong>de</strong> forme.<br />

Ici le théâtre tue le théâtre du libertinage, le théâtre qu’est le libertinage comme jeu dramatique. Le roman <strong>par</strong><br />

lettres en effet était le système optique <strong>par</strong> lequel le libertinage s’avérait, c’est-à-dire se faisait visible. Mettre la<br />

marquise et Valmont sur la même scène, c’est détruire la scène du libertinage. Parce que <strong>Müller</strong> condamne les <strong>de</strong>ux<br />

personnages à n’être plus qu’acteurs et seulement acteurs : ils n’ont plus que <strong>de</strong>s rôles à jouer, les leurs ou ceux<br />

<strong>Quartett</strong> / 28 sept. › 2 déc. 06<br />

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