24.06.2013 Views

Quartett par Heiner Müller - Odéon Théâtre de l'Europe

Quartett par Heiner Müller - Odéon Théâtre de l'Europe

Quartett par Heiner Müller - Odéon Théâtre de l'Europe

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

› Du roman à la pièce<br />

5 - Portraits <strong>de</strong> cabotins en jeunes tigres<br />

Dialoguant violemment avec Les Liaisons dangereuses, <strong>Quartett</strong> se lit tout d’abord comme <strong>par</strong>asitage, voyage dans<br />

les sophistications <strong>de</strong> la symétrie. Traversée <strong>de</strong>s lieux communs et topoï qui hantent le roman <strong>de</strong> Laclos, la pièce<br />

opère, certes, <strong>par</strong> prélèvements, renvois, inclusions, narrations emboîtées, contractions, déplacements, etc.<br />

<strong>de</strong>ssinant un <strong>par</strong>cours <strong>de</strong> transformation déchiffrable seulement dans l’allusion constante à un savoir d’au-<strong>de</strong>là et<br />

d’avant le texte dramatique. Pastichant le discours <strong>de</strong> Tourvel ou <strong>par</strong>odiant le registre du philosophique, le<br />

dispositif narratif renverse, d’entrée <strong>de</strong> jeu, le continu <strong>de</strong> ces épitres qui finissaient <strong>par</strong> alimenter un récit.<br />

A la mosaïque <strong>de</strong>s lettres se substitue une construction brisée, une succession <strong>de</strong> césures qui figurent une<br />

lézar<strong>de</strong> : les quatre <strong>par</strong>ties du roman se muent ici en moments névralgiques, en découpes rythmées <strong>par</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntification, à soi ou non. Entrée dans un espace clos qui distingue programmatiquement récit et histoire ; logique<br />

souterraine <strong>de</strong>s dialogues qui machinent <strong>de</strong>s brouillages où se dissout le sens et tout effet <strong>de</strong> réel.<br />

Laclos et <strong>Müller</strong> se contiennent mutuellement, mais si la pièce entretient avec le roman une relation motrice et<br />

productrice d’écriture, la perfusion semble loin d’être permanente. Citations <strong>de</strong>s noms et <strong>de</strong>s situations, bien sûr,<br />

mais dé-placées dans l’appropriation d’un hétéroclite culturel qui n’excepte ni Sa<strong>de</strong> ni Bataille. De sorte que la scène<br />

du premier texte, venu lui-même <strong>de</strong> co<strong>de</strong>s antérieurs (Richardson, Rousseau, Racine, Marivaux, la pensée <strong>de</strong>s<br />

Lumières, la littérature galante et licencieuse se transforme considérablement en faisant éclater notamment la<br />

convention sur laquelle se fondait la dynamique <strong>de</strong> la narration. Raconter ou raconter qu’on raconte, feindre le<br />

sentiment ou feindre <strong>de</strong> le feindre supposent toute la distance qui sé<strong>par</strong>e le dire du savoir.<br />

La <strong>par</strong>alysie <strong>de</strong>s événements que suggérerait le recours au texte fondateur se trouve ainsi contournée,<br />

l’entassement citatif fonctionne comme un leurre, tronquant dans sa figuration l’illusion même, il veut faire oublier<br />

que l’action est double : les enclaves dialoguées prélevées à Laclos reflètent, en petit et en l’inversant, la victoire<br />

décisive <strong>de</strong> la femme opposée à l’homme.<br />

Singer la présence, mimer l’amour («Ne vous pressez pas, Valmont. Comme cela c’est bien. Oui oui oui oui.» p. 16)<br />

aux fins <strong>de</strong> tourner en dérision la passion ? Simulacres constants, figés <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s, pétrification dans un rôle<br />

appris. Dépossession consentie <strong>de</strong> soi en un co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la représentation purement spectaculaire, dans <strong>de</strong>s<br />

références nombreuses au théâtre ou au jeu (pp. 130, 139, 142, 147). Guy Debord : «le spectacle, comme<br />

organisation sociale présente <strong>de</strong> la <strong>par</strong>alysie <strong>de</strong> l’histoire et <strong>de</strong> la mémoire, <strong>de</strong> l’abandon <strong>de</strong> l’histoire qui s’érige sur<br />

la base du temps historique, est la fausse conscience du temps» (3). D’où cette imprécision quant au moment :<br />

a - temporalité mythique d’avant ou d’après le chaos...<br />

Valmont et Merteuil, placés en pure situation d’extériorité font ; à l’exception <strong>de</strong> quelques répliques, du théâtre dans<br />

le théâtre : ils sont <strong>de</strong>s récitants qui puisent longuement dans cette «réserve <strong>de</strong> <strong>par</strong>ole» que leur offre Laclos. Alors<br />

<strong>Quartett</strong> / 28 sept. › 2 déc. 06<br />

... / ...<br />

37

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!