Quartett par Heiner Müller - Odéon Théâtre de l'Europe
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› Du roman à la pièce<br />
que chez Sa<strong>de</strong> (dans Les 120 Journées... notamment), la théâtralisation s’accomplit dans le tableau vivant, elle se<br />
glisse ici dans un récit abymé, dans l’exhibition périlleuse du référentiel. Interchangeabilité <strong>de</strong> bouches qui<br />
reprennent en compte <strong>de</strong>s histoires déjà connues. Ap<strong>par</strong>ences vi<strong>de</strong>s, gonflées d’une <strong>par</strong>ole morte, comme<br />
anonyme. Pétris <strong>de</strong> littérature (4), les personnages <strong>de</strong> Laclos ap<strong>par</strong>aissent habités <strong>par</strong> l’autre <strong>de</strong> la <strong>par</strong>ole. Scission<br />
temporaire entre le personnage et lui-même, entre les protagonistes, entre eux et nous.<br />
Toute-puissance <strong>de</strong> l’acteur : Merteuil et Valmont ne sont pas, chez <strong>Müller</strong>, les fantômes échappés du roman et qui<br />
le joueraient à leur manière. Non. Ils s’en jouent en exhibant le factice <strong>de</strong> leur langage. Alors que Malraux, dans sa<br />
préface trop méconnnue aux Liaisons, écrit que les créations <strong>de</strong> Laclos imitent leur propre personnage en se<br />
conformant à l’image qu’ils se donnent d’eux-mêmes (5), ceux <strong>de</strong> <strong>Quartett</strong> répètent et redoublent encore la<br />
distance en permettant que <strong>de</strong>s rôles se jouent en eux. Escamotages perpétuels, refus <strong>de</strong> l’épaisseur, rejet affirmé<br />
du psychologique. Insistance et non plus consistance du comédien. Images d’un réel comme absent.<br />
Mouvement onirique où le manque serait compensé <strong>par</strong> la mise en scène <strong>de</strong> semblants <strong>de</strong> désirs. «Le spectacle<br />
réunit le sé<strong>par</strong>é ! Mais il le réunit en tant que sé<strong>par</strong>é» (6). Le psychodrame fondé sur Laclos sert d’instrument<br />
momentané d’investigation en autorisant le surgissement <strong>de</strong> la vraie intériorité, la permanence du moi que les<br />
discours empruntés occultent et affichent dans le même temps.<br />
Les personnages ? Le couple Merteuil-Valmont qui, dès 1782, séduit et corrompt à distance: la noirceur<br />
raisonnante <strong>de</strong> la pensée pour l’une, la vanité un peu sotte, les intermittences <strong>de</strong> la raison troublée <strong>par</strong> le sentiment,<br />
pour l’autre. A quoi il convient d’ajouter le romantisme, l’affectivité et la trans<strong>par</strong>ence <strong>de</strong> Tourvel; l’animalité<br />
enfantine <strong>de</strong> Cécile sortie d’une estampe galante dans le goût polisson du 18e .<br />
Les com<strong>par</strong>ses se voient résolument congédiés, Cécile et Tourvel d’une certaine manière également, dans la<br />
mesure où ne <strong>de</strong>meurent en scène que les <strong>de</strong>ux figures centrales <strong>de</strong> cette constellation, configurations thématiques<br />
et emblématiques qui s’évacueront graduellement. Surgie <strong>de</strong>s plis <strong>de</strong> l’imaginaire, la rêverie érotique <strong>de</strong> Merteuil<br />
souffre <strong>de</strong> s’encombrer <strong>de</strong> la présence réelle du vicomte : «pour un peu je regretterais votre ponctualité. Elle<br />
abrège un bonheur que j’aurais volontiers <strong>par</strong>tagé avec vous, mais il se trouve justement qu’il est impossible à<br />
<strong>par</strong>tager» (p. 126), Complétu<strong>de</strong> hallucinée qui manifeste que la fin <strong>de</strong> l’opération («mort d’une putain») semble<br />
présente et pressentie dès l’origine.<br />
[...]<br />
Mort confondue avec la continuité enfin retrouvée : en ce sens, l’obsession <strong>de</strong> la dégradation <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong> la<br />
décomposition, <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs féti<strong>de</strong>s renvoie à ce qui touche la pointe du désir. Mourir pour arrêter le temps, pour<br />
affirmer <strong>par</strong>adoxalement sa volonté <strong>de</strong> vivre : «la vie va plus vite quand la mort <strong>de</strong>vient spectacle» (p. 131). Bataille<br />
écrit à propos <strong>de</strong> Sa<strong>de</strong> : «la vie était, à le croire, la recherche du plaisir, et le plaisir était proportionnel à la<br />
<strong>Quartett</strong> / 28 sept. › 2 déc. 06<br />
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