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Quartett par Heiner Müller - Odéon Théâtre de l'Europe

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› Du roman à la pièce<br />

rhétorique. Précieuse, plaisir du sacrilège lorsque Valmont porte la main sur Merteuil-Cécile : «Laissez-moi être<br />

votre prêtre, car qui est plus paternel que le prêtre qui ouvre à tous les enfants <strong>de</strong> Dieu la porte du <strong>par</strong>adis. La clef<br />

est en ma main, le poteau indicateur, l’instrument céleste, le glaive flamboyant.» (p. 143).<br />

Jeux verbaux qui canalisent l’outrage, langage irrévencieux qui pimente le badinage ou le persiflage auxquels<br />

Valmont et Merteuil excellent. Langage hérité, certes, ostentatoire, phraseur, quasi archéologique déchiré <strong>par</strong><br />

l’obscène et la crudité <strong>de</strong>s expressions («Je ne vous ai pas remis en liberté pour que vous grimpiez sur cette vache»<br />

(...) «Allez-vous vraiment tisonner ce triste rebut» (p. 128). Rythme verbal tel que la cassure y menace et y soutient<br />

<strong>par</strong>adoxalement l’appropriation <strong>par</strong>odique. Les galanteries gracieuses, les caresses vocales, se bousculent au<br />

milieu <strong>de</strong>s locutions rageuses et courtes : l’insolence <strong>de</strong> la charge sensuelle colore lour<strong>de</strong>ment d’abjection la<br />

<strong>par</strong>ole mondaine. L’impuissance existentielle se ré<strong>par</strong>e dans l’outrance qui débor<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes <strong>par</strong>ts un discours <strong>de</strong><br />

la bienséance. Les grossièretés scatalogiques, les indécences illimitent, en quelque sorte, le langage en le faisant<br />

échapper à la clôture d’un système verbal socialisé. Co<strong>de</strong> amoureux, co<strong>de</strong> philosophique, co<strong>de</strong> sentimental, co<strong>de</strong><br />

religieux s’ébranlent quand ap<strong>par</strong>aît, dans les franchises <strong>de</strong> l’allusion, le soubassement textuel et sexuel du<br />

discours.<br />

Mais, le plus souvent, le raffinement du vocabulaire se met au service d’un plaisir érotique plus délicat, celui du<br />

libertinage aristocratique, proche d’une élégante grivoiserie à la Laclos : «quand je pense que n’importe quelle brute,<br />

novice épais, valet lubrique, pourrait rompre ce sceau grâce auquel la nature gar<strong>de</strong> le secret <strong>de</strong> vos entrailles<br />

virginales» (p. 143). Cet art ironique <strong>de</strong> la litote, <strong>de</strong> la périphrase polie, amène <strong>de</strong>s chefs-d’œuvre <strong>de</strong> double, sinon<br />

<strong>de</strong> triple entente. Equivoques instantanément levées, symétriques au travestissement – qui se désigne comme<br />

tel – <strong>de</strong>s acteurs : «ce qui tombe, il faut le relever. Le Christ ne serait pas arrivé à Golgotha sans le juste qui l’ai<strong>de</strong> à<br />

porter la croix. Votre main, Madame. C’est la résurrection.» (p.144). Les liaisons signifiées d’une telle suite verbale<br />

manifestent, comme chez Sa<strong>de</strong>, que le propos ou la scène érotique (ou la représentation verbalisée <strong>de</strong> celle-ci)<br />

arrêtent et provoquent, dans le même temps, la dissertation.<br />

«Si vous voulez savoir où Dieu <strong>de</strong>meure, fiez-vous aux contractions <strong>de</strong> vos cuisses, au tremblement <strong>de</strong> vos genoux.»<br />

(p. 144), dira Valmont à Merteuil-Cécile. L’i<strong>de</strong>ntification du sexe comme seule divinité dans un texte, où masques et<br />

déguisements se jouent <strong>de</strong> la différence sexuelle, pose problème.<br />

Sanctuaire à profaner, certes, «à la mo<strong>de</strong> sadienne», lieu névralgique où le creux peut se muer en plein dans une<br />

production fantasmatique, dans l’emportement émotif d’une complémentarité désirée, mais toujours livrée à<br />

l’échec, la symétrie constante interdisant toute homologie. Auto-érotisme donc («d’ailleurs je me plais», p. 149),<br />

<strong>de</strong>spotisme et terrorisme sexuels aussi : l’activité érotique ne peut se vivre que dans l’anéantissement du<br />

<strong>par</strong>tenaire («Je veux être l’accoucheur <strong>de</strong> la mort (...) Je veux joindre mes mains aimantes autour <strong>de</strong> votre gorge.»,<br />

<strong>Quartett</strong> / 28 sept. › 2 déc. 06<br />

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