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lltllllll DIMANCHE-ILLUSTRÉ IIIIIIIIIMIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIUIIIIIIHHIIIIIIIIIIIIIXI'IIIIIUIIIIIIIIIIIIIIHIII £ lllllll lIlIMMUIIIIimimmilimilIMMItlMIUllMIIMIMMlllllllllllimilllllllllllil LE <strong>19</strong> FÉVRIER <strong>19</strong>28 ""Muni<br />
LES CONTES D'ACTION<br />
LE TROISIÈME ORTEIL DU PIED DROIT<br />
N sait que la vieille maison ries<br />
Manton est hantée. Dans toute la<br />
campagne environnante, et même<br />
dans la ville de Marshall, distante<br />
d'un mille, il n'y a pas une<br />
personne d'esprit impartial qui<br />
entretienne le moindre doute à cet égard ; 1 incrédulité<br />
ne subsiste plus que chez ces seuls<br />
entêtés qui seront appelés "toqués", dès que<br />
ce mot commode aura pénétré dans le cénacle<br />
de ÏAdvance de Marshall. 11 y a deux sortes de<br />
preuves que la maison est hantée : les rapports<br />
de témoins oculaires et désintéressés, la confirmation<br />
apportée par la maison elle-même. Les<br />
premières peuvent, à la rigueur, être négligées<br />
et annulées par les objections multiples que<br />
peut s'empresser de formuler un esprit ingénieux,<br />
mais des faits observables par tous sont<br />
solides et s'imposent à l'esprit.<br />
En premier lieu, la maison des Manton est<br />
inhabitée depuis plus de dix ans et, ainsi que<br />
ses dépendances, tombe peu à peu en ruines,<br />
circonstance qui peut difficilement échapper<br />
au bon sens. Une distance courte et déserte la<br />
sépare de la route de Marshall à Harriston.<br />
Elle s'élève dans un recoin où il y avait autrefois<br />
une ferme et qui est encore enlaidi par les vestiges<br />
d'une clôture délabrée et en partie recouverte<br />
de ronces, courant sur un sol pierreux et<br />
stérile qui, depuis longtemps, ignore la charrue.<br />
La maison elle-msmî est en assez bon état,<br />
bien que fâcheusement sah'e par les intempéries<br />
et qu'elle réclame instamment les soins<br />
du vitrier, la jeunesse du sexe mâle de la région<br />
ayant affirmé, à sa façon, la désapprobation<br />
qu elle porte aux demeures sans habitants. La<br />
maison est à deux étages, à peu près carrée,<br />
sa façade percée seulement d'une entrée flanquée<br />
de chaque côté d'une fenêtre clouée de planches,<br />
de bas en haut. Au-dessus, des fenêtres correspondantes,<br />
sans protection de planches, laissent<br />
entrer.la lumière et la pluie dans les chambres<br />
de I étage supérieur. Les mauvaises herbes<br />
poussent assez vigoureusement à l'entour et<br />
quelques grands arbres, mal orientés par rapport<br />
au vent, penchent tous dans la même<br />
direction et semblent concerter leur effort pour<br />
la fuite. Enfin, ainsi que l'humoriste de Marshall<br />
l'a expliqué dans les colonnes de l'Ad-<br />
vcnce, " la conclusion que la maison des Manton<br />
m HÉ<br />
par AMBROSE BIERCE<br />
Le récit nous conduit dans le monde de l'irréel èt du dramatique,<br />
en laissant à notre imagination le soin de donner une<br />
explication à la découverte que fit, un jour, M. King.<br />
est hantée est le seul résultat logique qu'offre<br />
l'examen des lieux ".<br />
Le fait que, dans cette habitation, M. Manton,<br />
une nuit d'il y a dix ans, jugea bon de se<br />
lever et d'égorger sa femme et ses deux jeunes<br />
enfants, pour se rendre aussitôt après dans une<br />
autre partie du pays, a, sans aucun doute,<br />
contribué à diriger l'attention générale sur les<br />
dispositions de l'endroit pour les phénomènes<br />
surnaturels.<br />
. C'est devant cette maison, qu'un soir d'été,<br />
une charrette avec quatre hommes, s'arrêta.<br />
Trois d'entre eux descendirent rapidement et<br />
celui qui conduisait, attacha l'attelage au seul<br />
poteau qui demeurât de l'ancienne clôture.<br />
Le quatrième resta assis dans la voiture.<br />
— Venez, dit un de ses compagnons, allant<br />
à lui, tandis que les autres s'éloignaient dans la<br />
direction de la maison. C'est ici.<br />
L'homme interpellé ne bougea pas.<br />
— Par Dieu, dit-il rudement, ceci est une<br />
plaisanterie et il me semble que vous en êtes.<br />
— C'est possible, dit l'autre en le regardant<br />
en plein visage, et sur un ton qui ressemblait<br />
assez à celui du mépris. Souvenez-vous, cependant,<br />
que le choix du heu a été, avec votre<br />
propre assentiment, laissé à 1 autre partie.<br />
Evidemment, si vous avez peur des fantômes.<br />
— Je n'ai peur de rien, interrompit l'homme<br />
avec un autre grognement.<br />
Et il sauta à terre. Ces deux hommes rejoignirent<br />
alors les autres àla porte, que l'un d'eux<br />
avait déjà ouverte avec quelques difficultés : la<br />
serrure et les gonds étaient rouillés. Ils<br />
ei3rtr$S*nt tous. A l'intérieur, il faisait noir, mais<br />
l'homme qui avait ouvert la serrure, sortit une<br />
chandelle, des allumettes, et fit de la lumière.<br />
Puis il ouvrit la serrure de la porte qu'ils<br />
J<br />
avaient à leur droite, alors qu'ils se tenaient<br />
tous dans le couloir. Ils entrèrent dans une<br />
grande pièce carrée que la chandelle n'éclaira<br />
que faiblement. Le plancher avait un épais<br />
tapis de poussière qui étouffait en partie<br />
leurs pas. Aux angles des murs, des toiles<br />
d'araignées pendaient comme des morceaux<br />
de dentelle déchirée et ondulaient aux souffles<br />
de l'air. La pièce avait deux fenêtres à<br />
guillotine, à travers lesquelles on ne pouvait<br />
voir que la face intérieure et rugueuse des<br />
planches, à quelques centimètres des vitres. Il<br />
n'y avait ni cheminée ni meubles ; il n'y avait<br />
rien. Avec les toiles d'araigi',ées et la poussière,<br />
les quatre hommes étaient, dans cet endroit, les<br />
seules choses qui ne fissent pas partie de la<br />
construction.<br />
Leur mine était étrange à la lumière jaune de<br />
la bougie. Celui qui était descendu de voiture<br />
avec tant de mauvaise volonté, cffrait un spectacle<br />
curieux, sensationnel même. C'était un<br />
homme entre deux âges, de forte corpulence ;<br />
il avait la poitrine et les épaules larges. A<br />
^regarder son corps, on aurait dit qu'il avait la<br />
force d'un géant ; à ses traits, qu'il devait s'en<br />
servir comme un gçant. 11 était rasé, ses cheveux<br />
étaient assez crépus et gris. Son front,<br />
bas, était creusé de rides hoiizontales ; audessus<br />
du nez, ces lignes devenaient verticales.<br />
Les gros sourcils noirs suivaient la direction des<br />
rides, mais se retroussaient soudain vers le<br />
haut à l'endroit où ils allaient se rencontrer.<br />
Profondément enfoncés sous les sourcils, les<br />
yeux, d